Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Ressenti
RESSENTI, (adject.) On dit, ce modèle a des formes ressenties ; le dessin d’Annibal Carrache est ressenti, &c.
La signification de cet adjectif est fort circonscrite, & n’est guere applicable que dans les exemples que nous venons de donner. Nous n’avons donc qu’à expliquer quel est le vrai caractère des ouvrages de’l’art, ou des corps naturels auxquels on peut donner l’épithète ressenti.
Les entrelacemens & les liaisons qui existent entre les organes du mouvement, & la peau qui les recouvre, sont les causes de l’erreur des yeux peu exercés à les considérer.
Ainsi quand un jeune élève commence à copier le corps humaine il n’apperçoit pas les impressions musculaires. Les contours extérieurs qu’il voudroit imiter lui paroissent dénués, de formes, & le trait de son dessin est conforme à cette première manière de voir la nature. A peine les plus gros muscles y sont-ils indiqués.
Cependant à mesure qu’il s’exerce soit d’après nature, soit d’après les statues antiques, il prend l’habitude de comparer les formes entr’elles & il les fait sentir dans son ouvrage.
Si ensuite devenu homme, il a un efprit ardent, il s’échauffe aifement dans l’étude de ses modèles, & s’il a bien étudié les proportions, les mouvemens & les places des muscles, il les rend avec sentiment, il prononce toutes les formes avec énergie, & produit ce qu’on appelle un dessin ressenti.
On reconnoît ce genre de mérite dans les traits de Michel-Ange, de Tibaldi, des Carraches, du Galabrese, de Jouvenet & de beaucoup d’autres.
La nature montre partout des formes, mais elles ne sont pas toujours ressenties. Les femmes, les enfans, les hommes d’une éducation ménagée & d’une profession délicate, n’offrent que des muscles doux, & des transitions fines ; mais les hommes exercés à des travaux pénibles, ou qui sont nés robustes, montrent un contour ressenti ; on remarque même que les membres les plus spécialement chargés du genre de travail auxquels les hommes s’occupent, ont les formes musculaires les plus ressenties.
Les observateurs judicieux de la nature, ceux qui ont cru devoir la représenter avec les variétés dont elle est susceptible, nous ont montré que l’on ne devoir pas exclusivement affecter les formes ressenties ; & c’est avec raison qu’un dessinateur universellement ressenti doit être regardé comme un article maniéré.
Les chefs-d’œuvres de l’antique sont des exemples fort sensibles de la diversité que l’art peut employer pour exprimer les natures diverses. C’est ainsi que l’Hercule Farnese, les Lutteurs ont des formes ressenties ; qu’elles sont au contraire douces & fines dans l’Antinoüs, & l’Apollon du Belvédère ; enfin qu’elles ont des transitions presqu’imperceptibles dans la Vénus & dans l’Hermaphrodite.
Raphaël est peut-être le seul peintre a citer pour la précision & la variété des formes à adopter dans les différentes figures : il s’est presque toujours montré le maître de subordonner la nature aux sujets, & il la dessinoit tantôt fine tantôt ressentie, selon l’espèce d’objets qu’il avoit à présenter aux yeux.
(Article de M. Robin.)