Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Rapport

RAPPORT mutuel des clairs, des demi-teintes & des ombres. L’art de donner du brillant aux couleurs de toutes les masses, consiste à associer au premier ton de chaque objet, une nuance de demi-teinte plus cansidérable, c’est-à dire plus étendue que ce premier ton ne l’est lui-même, & à celle-ci une masse de teintes inférieures en beauté & superieures en volume. Plus les masses subordonnées seront larges, plus les effets seront piquans. Il faut que ces variétés de tons dans les masses ne soient sensiblement prononcées que dans les parties lumineuses de la machine pittoresque ; dans les autres endroits, elles seront menagées relativement au ton & à la nature des masses, ensorte qu’elles ne les altèrent point par des contrastes trop expliqués.

Quel doit être le rapport mutuel de ces trois principales nuances ? Quelles doivent être leurs proportions relatives ?

Pour réduire cette idée à la valeur d’une maxime précise, dont néanmoins l’observation ne doit pas être faite dans une exactitude arithmétique, parce que les opérations du génie ne sont point des affaires de calcul, divisons en trois degrés les trois tons ; clair, demi-teinte & obscur.

Dans l’essai de ce systême, dont l’objet est de rechercher s’il n’y auroit point de règle invariable pour tirer d’un tableau des effets brillans, nous estimons que si l’on donne, par exemple, six portions de lumière & de couleur à la asse principale, il faut l’ environner de neuf portions de demi-teintes qui font une moitié en sus de celles qu'on a données à la lumière & leur associer douze portions d'obscur ; c'est à-dire, le double de ce que comporte la matte dominante. Les couleurs conduites & ménagées dans ces proportions, plus ou moins exactes, suivant la nature des circonstances, suivant la suggestion du génie, & les conseils de l'intelligence, ne manqueront pas de produire du piquant dans les effets, & de donner à chaque nuance toute la :orgie, tout le brillant dont elle peut être susceptible.

Les Tableaux de Rubens, & ceux de plusieurs grands maîtres qui lit sont distingués dans la partie du coloris, renferment ce précepte. Ils l'ont sans doute pris eux-mêmes dans la nature, ils ne l'auroient pas constamment pratiqué, si les succès & une expérience con. sommée ne les y avoient confirmés.

On peut suivre une autre marche dans les tableaux représentant des sujets qui lit passent en plaine campagne, si l'on veut produire des effets vrais. La partie du clair & des couleurs les plus brillantes doit être fort étendue ; celle des tons obscurs & des tons sourds, mais vigoureux, peut n'êtr qu'égalen volume, pourvu que lamasse des demi-teintes & des nuances rompues soit aussi large & aussi étendue que la totalité du clair & du brun pris dans leur ensemble. Dans le grand jour, où le soleil répand partout ses rayons, les ombres sont la plupart réflétées, & ne prennent que la valeur des demi-teintes. Elles sont conséquemment d'un volume très-considérable, puisqu'elles l'e confondent avec les demi-teintes réelles, qui sont les lumières secondes. Il ne reste donc, pour recevoir les plus grands bruns, que les endroits privés de lumière par des accidens factices, & ceux où les reflets ne sauroient parvenir ni être apperçus.

Les principes changent à l'égard des sujets qui se parient la nuit, & qui sont éclairés d'une lumière artificielle ; ces principes sont plus bornés & en même temps moins connus. La difficulté d'étudier les divers accidens que produit une lumière artificielle, quand il s'agit du tout-ensemble d'une scène nocturne, est un obstacle à la bien rendre. Il est vrai qu'on a la ressource de modèler le sujet en entier avant que de le peindre. Ce moyen, que plusieurs grands maîtres ont employé, facilite la découverte des accidens de lumière, & met l'artiste à portée d'en rendre la vérité : mais il doit être dirigé par l'imagination, le jugement, la connoissance parfaite des principes du coloris, & de la magie des tons. Sans ces secours, il ne sauroit representer un trait d'histoire arrivé pendant la nuit avec cette illusion qui plaît d'autant plus qu'elle étonne & que le spectateur ne s'y attend point.


Comme la lumière artificielle est ordinairement plus voisine des objets que la lumière du jour, les éclats doivent en être plus vifs, & les ombres qu'elle produit plus tranchées & plus uniformes. Le ton général d'un tableau ainsi éclairé doit être sourd, ténébreux, & Il doit tenir de l'obscurité matte de la nuit. Il ne sauroit y avoir des transparens & de la couleur, là où le jour ne réfléchit que peu de rayons ; mais aux endroits où la lumiere frappe, elle doit communiquer le ton rougeâtre qui lui est propre, & produire des ombres dont la vivacité soit analogue aux différentes couleurs de tous les objets & à leur proximité avec le principe qui les éclaire.

Les parties lumineuses auront le plus vifélat ; les travaux, les détails y seront prononces ; mais ils seront à peine sensibles dans les parties de demi-teinte, & ne seront point du tout apperçus dans les masses d'obscur.

Nous avons déja remarqué que, dans les sujets éclairés du jour qui brille en pleine campagne, la partie des reflets éclairant, en quelque sorte, les ombres, les malles de demi-teintes devoient être d'un plus gros volume que celles des ombres & de la lumière réunies : par la raison du contraire, dans la représentation des sujets de nuit, les ombres ne doivent pas seulement être plus étendues que les lumières & les demi-teintes comprises ensemble ; mais encore elles doivent réunir dans leur volume celui qu'occuperoient les demi-teintes, si elles pouvoient être sensiblement apeerçues. De sorte que si, dans les sujets éclairés du jour naturel, on oppos'e ordinairement à six degrés de lumière neuf degrés de demi-teinte, & douze degrés d'ombre ; dans les sujets de nuit, éclairés d'une lumière artificielle, on doit joindre aux douze degrés de l'obscur les neuf dégrés de demiteintes, & conséquemment opposer vingt-un degrés d'ombre aux six degrés de lumière. Plus on se rapprochera de ces proportions, plus l'effet qui en résultera sera vif & séduisant.

Au reste, il n'importe que ces diverses proportions soient ménagées par la combinaison du clair-obscur, ou par la valeur des couleurs propres & locales : il suffit qu'elles soient dans des rapports qui n'ayent rien d'outré. L'ex tréma vivacité de la lumière & l'étendue considérable des ombres, répandues dans les peintures qui retracent des événemens que l'on éclaire au flambeau, feroient paroître les clairs trop aigus, & les obscurs trop tristes, si les premiers n'étoient rappellés par des chos qui les soutiennent, & si les seconds n'étoient détachés par des lueurs qui s'échappent entre les objets. Celles-ci servent à réveiller les grouppes ; les échos contribuent à former des plans, & à fixer chaque objet dans le sien. Il est important de ne pas l'oublier : ces échos & ces réveillons, qui servent aussi à donner de l’étendue à la composition, & à faire paroître le tableau plus grand que la toile, doivent être distribués diagonalement & à distances inégales.

Pour concourir avec succès à la parfaite imitation de l’obscurité que la nuit doit produire, empruntons la magie des étoffes les plus brunes, des tons de chairs les plus colorés & les plus sourds. Toutes les lumières céderont en vivacité au principe qui les produit ; eiles ne l’emporteront en éclat que par leur étendue, & par l’opposition des objets qui leur seront associés. Ce volume & ce contraste seront relatifs au local, & à l’importance du rôle des figures qui les recevront.

Enfin tous les corps seront peints d’une manière moins arrondie ; les formes en seront prononcées plus quarrément ; les masses plus uniformes t : c ton, y seront traitées d’un pinceau moins recherché ; les diverses modifications, les finesses de la nature, les variétés des travaux, les richesses de détail seront perdues dans la masse : au lieu que, dans les sujets où la lumière du jour dévoile les plus précieuses beautés des objets, on doit les retracer. & les rendre dans l’exactitude la plus complette. (Article extrait du traité de peinture de Dandré Bardon.