Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Lumière

Panckoucke (1p. 481-484).
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LUMIÈRE, (subst. fém.). Il a été déjà traité de la lumière, à l’article Conférence, où l’on a insére celle du Bourdon sur cet objet, & aux articles Effet & Jour.


On distingue quatre sortes de lumières, c’est-à-dire, que la lumière peut se communiquer aux objets de quatre façons différentes, 1º. Elle peut venir d’en haut, tomber à plomb sur un objet, & en éclairer la partie éminente ; elle se nomme alors lumière principale ou lumière souveraine. Elle doit dominer, mais elle ne doit pas être répétée : on la rappelle seulement par échos sur diverses parties de la composition. Voyez l’article Echos.

2º. La lumière peut ne faire que couler sur les objets, & on la nomme lumière glissante. Elle s’étend d’une teinte plus égaie que la lumière souveraine.

3º. La lumière, en s’éloignant du principe qui la produit, perd de : son éclat, & se confond avec la masse d’air dans laquelle elle nage & se noye enfin. On la nomme lumière diminuée ou perdue.

4°. Un corps sans être éclairé lui-même, peut emprunter la lumière du corps qui l’avoisine, & duquel elle réjaillit : c’est ce qu’on nomme lumière réfléchie. Ce rejaillissement lumineux est toujours proportionné à l’éclat du corps qui l’occasionne, & celui qui le reçoit, emprunte en même temps des nuances de l’objet qui les lui communique.

On peut aussi considérer la lumière relativement aux différentes parties du jour : elle n’est pas la même le matin, à midi & le soir. Voyez la conférence de Bourdon sur la lumière à l’article Confférnce.

La lumière peut encore être considérée relativement à l’expression du sujet. Elle doit être éclatante, modérée, obscure, suivant que le sujet est gai, tempéré ou triste.

La lumière participe de la couleur de l’objet qui la cause. Si elle vient immédiatement du soleil, elle est d’un blanc doré ; de la lune, elle offre une blancheur argentine ; d’un flambeau ou du feu, elle est rouge. Une observation attentive fait appercevoir des nuances dans ces variétés. Lalumière n’a pas la même couleur, si elle émane d’un soleil pur, ou enveloppé de vapeurs ; si elle est causée par un flambeau résineux ou par une bougie de la plus belle cire ; si elle vient d’un feu clair ou d’un incendie fumeux. Des préceptes détaillés sur ces objets, seroient longs, obscurs & peu utiles il faut que l’artiste observe toutes les manières dont les objets de la nature peuvent être éclairés.

On peut établir sur le jeu de la lumière plusieurs règles dont il faut étudier le principe dans la nature.

L’effusion de la lumière ne frappe pas avec une force égale les différens corps qu’elle éclaire : elle diminue en proportion de l’éloignement où le corps éclairé se trouve du corps lumineux.

Si deux lumières se rencontrent, la plus grande diminue la moindre, ou plutôt toutes deux se confondent, & sont de leurs clartés réunies une clarté plus vive.

Quand le corps lumineux est égal au corps opaque, la moitié de celui-ci est éclairée de la moitié du corps lumineux, & l’ombre est égale au corps opaque. Le corps opaque porte une ombre moins grande que lui-même, quand il est moins grand que le corps lumineux, parce que les rayons qui passent à côté de lui, prennent une forme conique, au lieu qu’ils affectent une forme cylindrique, quand le corps lumineux & le corps éclairé sont d’une grandeur égale.

Le corps éclairé produit autant d’ombres différentes, qu’il y a de corps lumineux qui l’éclairent : mais l’ombre la plus obscure est toujours celle que cause la privation du corps lumineux le plus éloigné.

Quand la lumière tombe sur un corps mou, inégal, raboteux, elle s’y imbibe, se répand sur toutes ses parties, en éclaire les innombrables inégalités, & prend par conséquent la plus grande étendue qu’il lui est possible. On pourroit en comparer l’effet à celui d’un liquide sur un corps spongieux, effet qu’on peut remarquer en jettant une goutte de liqueur sur un morceau de sucre. Mais si la lumière rencontre un corps dur & poli, elle est repoussée, se réfléchit ; & si le corps est très-poli & la lumière très-vive, elle lance de ce corps un jet de rayons. C’est ce qu’on observe sur les métaux, les marbres & les eaux. Elle est donc plus large & moins brillante sur les corps mous ; plus serrée & plus éclatante sur les corps durs & polis. Ainsi la lumière se répand plus largement & avec plus de douceur sur les parties couvertes d’une sorte épaisseur de chair, que sur celles où la présence des os est sensible. La lumière s’étend sur les joues : on la voit briller & rejaillir sur le front & sur les pommettes. Les terres labourées sont foiblement brillantes, même quand le soleil les frappe : les cailloux, les sables, les roches dures ont des reflets éblouissans. La partie supérieure des feuilles & des herbes est plus ballante que la partie inférieure, parce qu’elle est plus lisse. Les étoffes de coton & de laine s’imbibent des rayons lumineux ; les étoffes de soie les renvoient ; elles ont par conséquent plus d’éclat. Une statue de bronze, de marbre, ou même de plâtre, a les ombres plus fortes & les lumières plus piquantes qu’une figure naturelle. On peut donc étudier la beauté des formes sur les statues ; mais on tomberoit dans de graves erreurs, si l’on étudier sur elles l’effet de la lumière, pour transporter cet effet à des figures vivantes.

Les objets frappés de la lumière que renvoient d’autres objets, en prennent la couleur qui se mêlange avec leur couleur propre : la


chair frappée des rayons que refletent des corps jaunes ou rouges, prend elle-même une teinte rouge ou jaune ; des personnes qui se promènent dans une prairie éclairée du soleil, semblent avoir un teint verdâtre.

La lumière change la couleur propre de l’objet ; mais elle doit en participer : ainsi une étoste rouge, à l’endroit où elle est le plus vivement frappée de la lumière, participe de la couleur de cette lumière, & de celle qui lui est propre. C’est donc un défaut de pousser la lumière jusqu’au blanc, & l’ombre jusqu’au noir.

Dans un jour universel, c’est-à-dire, qui n’est pas éclairé par les rayons apparens du soleil, mais par toutes les particules de l’air, impregné de la clarté que lui communique un ciel pur & sans nuages, les lumières ont peu de largeur, les ombres sont douces & vagues ; la couleur propre se conserve plus pure dans les demi-teintes & dans les ombres que si les objets étoient immédiatement exposés au soleil ; ils ont en même temps plus de relief, & leurs parties sont plus distinctes : mais aussi l’effet est moins vif & moins piquant.

Les objets sont encore plus distincts par un ciel nébuleux, parce que les yeux ne sont pas éblouis par l’éclat des parties lumineuses : la nature offre l’accord le plus doux ; les couleurs propres, & sur-tout la verdure semblent augmenter de vigueur.

Les objets éclairés par la lumière du soleil semblent plus ou moins couverts de vapeurs, suivant que le soleil luit avec plus ou moins de force ; c’est que les atômes qui circulent entre l’objet & notre œil sont beaucoup plus distincts par la lumière du soleil que par un jour pur ordinaire, & paroissent plus ou moins colorés, de sorte que les ombres deviennent tout-à-coup indécises & fuient très-promptement. Il est donc aisé de concevoir que si les ombres sont plus décidées par la lumière du soleil, que par tout autre jour, elles ne doivent cependant offrir aucune dureté, à moins que ce ne soit dans des lieux couverts, où règne une lumière serrée ; car alors les objets se présentent à la vue d’une manière plus nette, plus distincte & moins fuyante.

Il est aisé de se procurer une démonstration sensible de la dégradation de la lumière : il suffit pour cela d’entrer dans une galerie longue, & bien également éclairée dans toute son étendue. Le spectateur s’appercevra que la partie la plus voisine de son œil est la plus lumineuse, & que la clarté semble diminuer à mesure qu’il porte plus loin ses regards. L’expérience deviendra plus frappante encore, si la galerie est ornée de statues de marbre blanc, placées à des distances égales : il verra que la statue la plus éclairée est la lus proche de lui. S’il se place de manière qu’il puisse voir toutes les statues se détachant les unes sur les autres, il reconnoîtra que la seconde se détache en brun sur la première, & ainsi de toutes les autres. Il en est tout autrement des ombres qui s’affoiblissent toujours à mesure qu’elles s’éloignent, parce qu’il se place, en proportion de l’éloignement, entre l’objet ombré & l’œil du spectateur, une plus grande quantité de vapeurs impregnées de lumiére. Ainsi donc, sans sortir de cette même galerie, supposons que les statues soient de basalte, au lieu d’être de marbre blanc : alors le spectateur verra que la première se détache en noir sur la seconde, & que la plus éloignée de toutes paroît aussi la plus claire.

Une règle assez généralement observée, c’est que la plus grande lumière doit frapper fortement le milieu du tableau. Mais cela ne signifie pas que cette lumière principale doive être la seule. On fait que Rembrandt s’est plû, dans un très-grand nombre de ses ouvrages, à n’employer qu’une seule masse de lumière : Cette pratique donnoit à ses tableaux un piquant que ne procurent pas des effets plus harmonieux, & les grands succès de ce maître ne permettent pas de le condamner ; mais il seroit dangereux qu’il eût un trop grand nombre d’imitateurs : en effet, ce n’est pas ce que la nature offre le plus rarement, qui doit être le principal objet de l’art. On peut sans doute l’imiter quelquefois dans les occasions où elle rend d’autant plus piquant le bienfait de la lumière qu’elle l’épargne davantage ; mais elle en est ordinairement prodigue ; c’est même cette prodigalité habituelle qui constitue son caractère, & c’est dans ce caractère qu’il faut en général l’étudier & la rendre.

Les Peintres Vénitiens, & Rubens qui avoit puisé ses principes dans leurs ouvrages, se sont servis, dit M. Reynolds, de plusieurs lumières subordonnées. Mais comme, dans la composition, il doit y avoir un grouppe dominant, il doit aussi, dans la distribution des lumières, y en avoir une qui domine sur les autres : il faut que toutes soient distinctes & variées dans leurs formes, & qu’on n’en compte pas moins de trois. La lumière principale, ayant plus d’éclat que les autres, doit avoir aussi plus d’étendue.

Les Peintres Hollandois ont particulièrement excellé dans l’entente du clair-obscur, & ont montré, dans cette partie, qu’une parfaite intelligence peut parvenir à dérober entièrement à l’œil toute apparence d’art.

Jean Steen, Teniers, Ostade, du Sart, & plusieurs autres maîtres de cette école, peuvent être cités comme des modèles, & leurs ouvrages proposés aux jeunes artistes, comme des objets d’étude pour cette partie.

Les moyens par lesquels le peintre opère, & d’où dépend l’effet de ses ouvrages, sont les jours & les ombres, les couleurs fières & les


couleurs tendres. Qu’on puisse mettre de l’art dans l’entente & la distribution de ces moyens, est une chose qu’on ne s’avisera pas de contester : on ne niera pas non plus que l’une des voies les plus promptes & les plus sûres de parvenir à cet art, est un examen attentif des ouvrages des maîtres qui y ont excellé.

Je vais rapporter ici, continue ce savant artiste, le résultat des observations que j’ai faites sur les ouvrages des artistes qui semblent avoir le mieux connu l’entente du clair-obscur, & qu’on peut regarder comme ayant donné les exemples qu’il est le plus avantageux de suivre.

Le Titien, Paul Véronese, & le Tintoret, ont été des premiers à réduire en systêmes, ce qu’on pratiquoit auparavant comme par hasard & sans principes certains, & ce que par conséquent on négligeoit souvent aussi faute d’attention, parce qu’on n’avoit point encore fait de loix qui obligeassent à l’observer. C’est des Peintres Vénitiens que Rubens prit sa manière de composer son clair-obscur ; ses élèves l’adoptèrent, & elle fut reçue par les Peintres de genres & de bambochades de l’école flamande.

Voici la méthode dont je me suis servi pendant mon séjour à Venise, pour me rendre utiles les principes qu’avoient suivis les maîtres de cette école. Lorsque je remarquois un effet extraordinaire de clair-obscur dans un tableau, je prenois une feuille de mon cahier d’études ; j’en couvrais de crayon noir toutes les parties dans le même ordre, & la même gradation de clair-obscur qui étoit observée dans le tableau, réservant la blancheur du papier pour représenter la lumière. Je ne faisois d’ailleurs attention ni au sujet, ni au dessin des figures. Quelques essais de cette espèce suffisent pour faire connoître la méthode des Peintres Vénitiens dans la distrîbution des jours & des ombres. Après un petit nombre d’épreuves, je reconnus que le papier étoit toujours couvert de masses à-peu-près semblable. Il me parut enfin que la pratique générale de ces maîtres étoit de ne pas donner plus d’un quart du tableau au jour, en y comprenant la lumière principale & les lumières secondaires, d’accorder un autre quart à l’ombre la plus forte, & de réserver le reste pour les demi-teintes.

Il paroît que Rubens a donné plus d’un quart à la lumière, & Rembrandt beaucoup moins : on pourroit évaluer à un huitième au plus la partie éclairée de ses tableaux. Il résulte de cette méthode que sa lumiere est extrêmement brillante ; mais cet effet piquant est acheté trop cher, puisqu’il coûte tout le reste du tableau qui se trouve sacrifié. Il est certain que la lumière entourée de la plus grande quantité d’ombres doit paroître la plus vive, en supposant que, pour en tirer parti, l’artiste possède la même intelligence que Rembrandt : mais il n’est pas certain de même que l’extrême vivacité cité de la lumière, soit la partie la plus essentielle de l’art, & que toutes les autres doivent lui être sacrifiées.

Par le même moyen que je viens d’indiquer, on reconnoîtra les différentes formes & les diverses dispositions des lumières ; on pourra l’employer aussi pour marquer les objets sur lesquels elles sont répandues, ou sur une figure, ou sur un ciel, ou sur une nape blanche, ou sur des bestiaux, ou enfin sur des ustensiles qui n’auront été introduits dans le tableau que pour la recevoir. On pourra observer aussi quelle partie est d’un grand relief, & à quel degré elle tranche avec le fond. Car il est nécessaire qu’il y ait une partie, fût-elle petite, qui tranche avec lui, soit qu’on choisisse pour cela une partie claire sur un fond brun, ou une partie sombre sur un fond clair. Ce procédé rendra l’ouvrage ferme & distinct ; au lieu que si l’on ne songe qu’à donner de tous côtés de la rondeur, les figures auront l’air d’être incrustées dans le fond.

En tenant, à quelque distance de l’œil, un papier ainsi crayonné par masses, ou, si l’on veut, grossièrement tacheté, on sera étonné de la manière dont il frappera le spectateur ; il éprouvera le plaisir que cause une excellente distribution de clair-obscur, quoiqu’il ne puisse distinguer si ce qu’on lui montre est un sujet d’histoire, un portrait, un paysage, de la nature morte, &c. ; car les mêmes principes s’étendent sur toutes les branches de l’art.

Peu importe que j’aie donné une idée exacte, & que j’aie fait une juste division de la quantité de lumière qui se trouve dans les ouvrages


des peintres vénitiens. Chacun peut faire lui-même l’examen que j’indique, & en porter un jugement par lui-même. Il suffit que j’aie indique la méthode de considérer les tableaux sous ce point de vue important, & le moyen de se pénétrer des principes d’après lesquels ils ont été exécutés.

C’est en vain qu’on finit un ouvrage avec le plus grand amour, si l’on n’y conserve pas en même-temps un clair-obscur large. C’est donc là une partie qu’on doit recommander constamment aux élèves, & sur laquelle il faut insister plus que sur toute autre. C’est en effet celle qu’on néglige généralement le plus, parce que l’imagination de l’artiste est presque toujours entièrement absorbée par ses détails.

Pour mieux faire comprendre ce qui vient d’être dit, nous pouvons nous servir de la grappe de raisin du Titien, en la supposant placée de manière à recevoir de larges masses de jours & d’ombre. Chaque grain particulier a, sans doute, du côté du jour, sa lumière, & au côté opposé son ombre & ion reslet ; mais tous les grains ensemble ne forment cependant qu’une seule & large masse d’ombre & de lumière. Voilà pourquoi la plus légère, la plus informe esquisse, où ce large clair-obscur est observé, produira plus d’effet, & offrira plus l’apparence d’avoir été faite de main de maître, ou, en d’autres termes, présentera mieux le caractère général de la nature, que l’ouvrage le mieux fini, dans lequel ces grandes masses auront été négligées. (Article extrait des ouvrages de DANDRÉ-BARDON, FÉLIBIEN, LAIRESSE, & de M. REYNOLDS.)