Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Historié

Panckoucke (1p. 415-416).
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HISTORIÉ (adj.) Portrait historié ; on employe cette expression, pour signifier la représentation d’une ou de plusieurs personnes que le Peintre travestit, à l’aide d’un costume emprunté de l’Histoire ou de la Fable, ou bien qu’il peint occupées à quelque action qui leur donne de l’intérêt ou du mouvement.

Une jeune beauté peinte avec les attributs de Flore, d’Hébé, d’une Vestale, est un portrait historié. Un Père de famille, représenté instruisant les enfans dont il est entouré, tandis que sa femme paroît, dans ce même tableau, jouir avec délice de ce spectacle doublement intéressant pour son cœur, est de même un assemblage de portraits historiés.

Rien n’est plus ordinaire dans ceux qui se font peindre, que le desir de voir historiés, leurs


portraits. Rien de plus nécessaire que la réussite, & de plus ridicule, lorsque l’Artiste ne réussit pas.

Les portraits indispensablement historiés parmi nous, sont ceux qui ont rapport à des évènemens publics, & à des fonctions ou cérémonies, dans lesquelles on représente des Princes, des Grands, des Magistrats, enfin des Officiers municipaux.

Les portraits des Princes & des Grands, sont plus sujets à être historiés que d’autres. La Peinture accumule, par flatterie, ou d’après les desirs de l’orgueil, des allégories froides, un costume que l’on peut appeller ambitieux, enfin les actions & les expressions souvent les plus exagérées. C’est bien pis encore, quand elle joint des modes modernes, capricieuses, ridicules, aux idées qu’elle emprunte de l’ancienne mythologie, comme quand elle a mis la tête de Louis XIV, coëffée d’une énorme perruque, sur le corps d’Apollon.

Dans les portraits historiés qui représentent, par exemple, des corps de Magistrature, & sur-tout des corps municipaux, le plus souvent la vanité bourgeoise contraint l’Artiste à sacrifier les intérêts de l’Art au desir qu’a chacun des individus, de figurer dans le tableau, au moins autant que dans la cérémonie ; aussi ne manquent-ils pas d’exiger qu’on les voye le plus complettement qu’il est possible, de face, sans ombre sur-tout, & sans qu’aucune expression dérange ou leur coëffure, ou leur habillement, ou la sérénité riante d’une physionomie qui se complait à être représentée.

Il en résulte ordinairement, ou par les bornes du talent de l’Artiste, ou par son obéissance forcée, que ces tableaux destinés à consacrer un évènement, & à inspirer à son occasion quelque idée de respect, inspire la dérision.

Il en est de même encore d’une grande partie des portraits historiés, que les particuliers dictent aux Artistes : comme ce sont les prétentions & la vanité qui les composent, elles rendent d’autant plus ridicules ces compositions, qu’elles y mettent plus de recherches, & ces portraits enfin ne sont jamais plus bêtes, que lorsqu’on a voulu y mettre plus d’esprit.

Une des rairons principales du mauvais effet que produisent les affectations représentées par la Peinture, c’est que toutes ces choses, dans la nature, ne s’offrent au moins que passagèrement, au lieu que dans les tableaux, elles se trouvent consignées, comme à perpétuité ; qu’elles s’y présentent sans cesse aux regards, de manière qu’il n’est guère possible qu’on n’en soit choqué tôt ou tard, & qu’alors on ne s’en moque habituellement.

Au reste, la sculpture semble, à cet égard, manifester encore davantage le ridicule des portraits historiés, parce que les statues représentent représentent plus complettement l’homme que le tableau. En effet, les statues l’offrent sous plus d’aspects, & sous des formes plus sensibles, puilqu’elles sont palpables.

La statue de la place des Victoires, par cette raison, expose, d’une manière plus sensiblement choquante, l’orgueil immodéré, & l’affectation d’une domination révoltante, qu’un tableau qui auroit été composé dans le même caractère.

Le véritable intérêt des Princes & des hommes illustres à qui on élève des statues, sur-tout si elles sont, historiées est donc qu’elles n’offrent jamais d’allégories fastueuses ni offensantes pour l’humanité.

C’est dans cet objet des Arts, que les grands principes des convenances doivent dicter les règles du véritable goût, du goût de tous les temps.

Si on les enfreint, on doit s’attendre qu’il arrivera un moment, où, ce qu’on regardoit comme noble, grand, imposant, paroîtra ridicule, petit & choquant, & ce sera pour toujours. On doit avouer que cette faute n’est pas entièrement celle des Princes ils sont peu instruits des convenances universelles, soit morales, soit artielles.

Les portraits historiés, soit qu’ils représentent des princes, soit qu’ils représentent des particuliers, deviennent ou des dérisions, ou des critiques amères, lorsqu’ils ne sont pas simples, & que les accessoires ne sont pas appropriés avec la plus grande finesse de goût au caractère qu’ils doivent avoir, & aux loix de la convenance, des bienséances & des conventions utiles.

Les tableaux-portraits, consacrés à la gloire ou à la vanité des Royaumes & des villes, ont lieu relativement à certains évènemens qui occasionnent des actes publics ; espèce de pantomimes nobles, dont les motifs sont quelquefois aussi louables que l’exécution en est ridicule.

Il est plus ordinaire, par toutes les raisons que j’ai exposées, que l’Artiste consacre les ridicules de l’exécution, que le mérite de l’intention.

Cet abus du genre étoit moins ordinaire cependant, lorsque les peintres d’histoire étoient chargés de ces sortes de grandes compositions, parce qu’indépendamment des connoissances, & de l’habitude plus grande de disposer un grand nombre de figures, il jouissoient d’une certaine considération qui pouvoit les affranchir des volontés des hommes puissans par leurs places & leur rang. Lorsque Titien, Rubens, Van-Dyck, Raphaël peignoient le portrait historié, quel original en effet, auroit osé leur imposer la loi de faire en tableau ridicule ? Ces Artistes suivoient donc plus universellement les convenances générales & celles de l’Art. La manière savante & franche dont l’Artiste saisissoit le maintien, le caractère ; l’habileté’avec laquelle, dans les


portraits particuliers, il avouoit les défauts de ses modèles, sans les exagérer ; la vérité enfin de la couleur, de l’effet, & la beauté du faire donnoient à ces représentations, le mérite durable dont elles sont susceptibles.

D’ailleurs, un grand Peintre d’histoire ne peignoit le plus souvent que de grands personnage, ou du moins des personnages distingués. S’il sacrifioit de son temps ou de ses loisirs à des objets moins importans, il arrivoit que l’estime qu’obtenoient ses ouvrages & la gloire de son nom resté dans la mémoire des hommes, & consacre dans les collections, prêtoient, aux sujets mêmes inférieurs, une dignité que ces sujets n’avoient point par eux-mêmes. Le particulier ignoré devoir vivre dans la postérité par le mérite de la vérité & par le grand talent de l’Artiste.

Pour vous, jeunes Artistes, c’est à votre âge qu’on aime à historier des portraits, & ce penchant naît assez souvent de prétentions dans votre talent, comme il naît des prétentions de la vanité dans ceux qui les exigent ; mais si vous cédez, ou à votre penchant, ou au desir d’une jeune beauté, ne choisissez, pour son travestissement, ni Vénus, ni Hébé, ni Flore. Ces noms portent l’imagination plus loin que ne peut atteindre votre modèle. Ces costumes vous porteront vous-même à un idéal éloigné de la ressemblance que vous aviez dessein de saisir. Il vaut d’ailleurs bien mieux pour le modèle & pour l’Artiste, qu’on dise, en voyant le portrait naturel & vrai d’une jeune personne : « C’est ainsi que devoit être sans doute Vénus » ; que de dire « si Vénus n’avoit eu que cette beauté, elle n’auroit pas eu tant d’autels ». (Article de M. Watelet.)