Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Ensemble

Panckoucke (1p. 253-254).
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ENSEMBLE. Voici un mot dont la signification, vague en apparence, renferme une multitude de loix particulières imposées aux artistes, premièrement par la nature, ou, ce qui revient au même, par la vérité ; & ensuite par le raisonnement, qui doit être l’interprête de la nature & de la vérité.

L’ensemble est l’union des parties d’un tout.

L’ensemble de l’univers est cette chaîne presqu’entièrement cachée à nos yeux, de laquelle résulte l’existence harmonieuse de tout ce dont nos sens jouissent.

L’ensemble d’un tableau est l’union de toutes les parties de l’art d’imiter les objets ; enchaînement connu des artistes créateurs, qui le font servir de base à leurs product ons ; tissu mystérieux, invisible à la plupart des spectateurs, destinés à jouir seulement des beautés qui en résultent.

L’ensemble de la composition dans un tableau d’histoire est de deux espèces, comme la composition elle-même, & peut se diviser par conséquent en ensemble pittoresque & en ensemble poëtique.

Les acteurs d’une scène historique peuvent sans doute être fixés dans les ouvrages des auteurs qui nous sont transmise. La forme du lieu où elle se passe peut aussi se trouver très-exactement déterminée par leur récit : mais il n’en restera pas moins au choix de l’artiste un nombre infini de combinaisons que peuvent éprouver entr’eux les personnages essentiels & les objets décrits. C’est au peintre à créer cet ensemble pittoresque, & je crois qu’on doit moins craindre de voir s’épuiser la variété dans les compositions, élue le talent d’embrasser toutes les combinaisons qui peuvent la produire.

Celle des combinaisons possibles à laquelle on s’arrête, est donc dans un tableau son ensemble pittoresque. Il est plus ou moins parfait, selon que l’on a plus ou moins réussi à rendre les grouppes vraisemblables, les attitudes justes, les fonds agréables, les draperies naturelles, les accessoires bien choisis & bien disposés.

L’ensemble poëtique exige à son tour cet intérêt général, mais nuancé, que doivent prendre à un événement tous ceux qui y participent. L’esprit, l’ame des spectateurs veulent être satisfaits, ainsi que leurs yeux. Ils veulent que les sentimens dont l’artiste a prétendu leur trans-


mettre l’idée aient, dans les figures qu’il représente, une liaison, une conformité, une dépendance, enfin un ensemble qui existe dans la nature. Car, dans un evénement qui occasionne un concours de personnes de différens âges, de différentes conditions, de différens sexes, le sentiment qui résulte du spectacle présent, semblable à un fluide qui tourbillonne, perd de son action en s’éloignant de son centre : outre cela, il emprunte ses apparences différentes de la force, de la foiblesse, de le sensibilité, de l’éducation, qui sont comme différens milieux par lesquels il circule.

Dans cette multitude d’obligations qu’imposent les loix de l’ensemble, on juge bien que la couleur revendique ses droits.

Son union, son accord, sa dégradation insensible, forment son ensemble : le clair-obscur compose le sien des grouppes de lumière & d’ombre, & de l’enchaînement de ses masses ; mais ce sujet mérite bien que l’on consulte les articles qui sont plus particulièrement destinés à les approfondir, ainsi je renverrai entr’autres, pour l’explication plus étendue de ce genre d’ensemble, au mot Harmonie, qui l’exprime.

La couleur a des tons, des proportions, des intervalles ; il n’est donc pas étonnant que la peinture emprunte de la musique le mot harmonie, qui exprime si bien l’effet que produisent ces différens rapports ; la musique à son tour peut adopter le mot coloris, en nommant ainsi cette variété de style qui l’affranchit d’une monotonie à laquelle il semble qu’elle s’bandonne parmi nous.

Si je ne me suis arrêté qu’à des réflexions générales sur le mot ensemble, on doit sentir que je l’ai fait pour me conformer à l’idée que présente ce terme. Cependant il devient d’une signification moins vague & plus connue, lorsqu’il s’applique au dessin. C’est dans cette acception qu’il est plus communément employé par les artistes, & de cet usage plus fréquent doit naturellement résulter une idée plus nette & plus précise ; aussi n’est-il pas d’élève qui ne sache ce qu’on entend par l’ensemble d’une figure, tandis que peut-être se trouveroit-il des artistes qui auroient peine à rendre compte de ce que signifient ensemble poëtique & ensemble pittoresque.

Cet usage, plus ou moins fréquent des termes de sciences & d’arts, est un des obstacles les plus difficiles à vaincre pour parvenir à fixer les idées des hommes sur leurs différentes connoissances. Les mots sont-ils peu usités ? on ne connoît pas assez leur signification. Le deviennent-ils ? bientôt ils le sont trop. On les détourne, on en abuse, au point qu’on ne sauroit plus en faire l’usage méthodique auquel ils sont destinés.

Mais, sans m’arrêter à citer des exemples trop faciles à rencontrer, je reviens au mot ensemble. Lorsqu’il s’agit d’une figure, c’est l’union des parties du corps & leur correspondance réciproque. On dit un bon ou un mauvais ensemble. Par conséquent le mot ensemble ne signifie pas précisément la perfection dans le dessin d’une figure, mais seulement l’assemblage vraisemblable des parties qui la composent.

L’ensemble d’une figure est commun & à la figure & à l’imitation qu’on en fait. Il y a des hommes dont on peut dire qu’ils sont mal ensemble, parce que, disgraciés dès leur naissance, leurs membres sont effectivement mal ensemblés. Mais n’est-il pas étonnant que l’extravagance des modes & l’aveuglement des prétentions aient souvent engagé plusieurs de ces êtres indéfinissables, qu’on nomme petits-maîtres, à défigurer un ensemble quelquefois très-parfait, ou au moins passable, dont ils étoient doués, pour y substituer une figure décomposée qui contredit désagréablement la nature ?

Les graces sont plus respectées par la peinture, & si on ne leur sacrifie pas toujours, au moins a-t-on toujours pour objet d’obtenir leur aveu par la perfection de l’ensemble. Les Grecs, qui, entr’autres avantages, ont sur nous celui de nous avoir précédés, ont fait une étude particulière de ce qui doit constituer la perfection de l’ensemble d’une figure.

Ils ont trouvé dans leur goût pour les arts, dans leur émulation, dans les ressources de leur esprit & dans les usages qu’ils pratiquoient, des facilités & des moyens qui les ont menés à des succès que nous admirons. Je reprendrai ce fil, qui me conduiroit insensiblement à parler des proportions & de la grace, aux mots Proportion, Grace : voyez aussi Beau. Je me contenterai de dire que la justesse de l’ensemble dépend beaucoup de la connoissance de l’anatomie, puisqu’il est l’effet extérieur des membres mis en mouvement par les muscles & les nerfs, & soutenus dans ce mouvement par les os qui sont la charpente du corps.

L’effet du tout ensemble est, comme on le sent bien, le résultat des ensembles dont je viens de parler, comme le mot effet général est le résultat des effets particuliers de chacune des parties de l’art de peindre dont on fait usage dans un tableau. (Article de M. Watelet.)