Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Disposition

Panckoucke (1p. 196-198).
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DISPOSITION. Ce mot est susceptible de deux sens. Il signifie une aptitude qui rend celui qui la possède propre à réussir dans les sciences, les arts, les exercices & les actions du corps ; il veut dire aussi, relativement à la peinture, la manière dont l’artiste arrange les objets qui doivent entrer dans la composition d’un tableau.

Je vais commencer par développer le premier de ces deux sens.

Il faut distinguer du penchant la disposition ou les dispositions (car ce mot dans la signification dont il s’agit s’employe plus ordinairement au pluriel qu’au singulier).

Le penchant, que l’on confond assez souvent avec les dispositions, est une inclination, un desir plus ou moins fort, plus ou moins perséverant de s’occuper d’un objet ; mais il ne suppose pas toujours les dispositions nécessaires pour réussir.

Le penchant naît quelquefois de causes accidentelles. Il peut être l’effet de l’exemple qui conduit à l’imitation ; il est quelque fois le fruit de l’instigation ou d’un desir vague de suppléer au désœuvrement.

Les véritables dispositions supposent, indépendamment d’une intelligence propre à recevoir & à enchaîner certaines idées, certaines conceptions, des organes capables d’éxécuter facilement certains mouvemens, d’accomplir certaines opérations.

Mais un jeune homme peut éprouver une inclination accidentelle ou suggerée, pour imiter les objets qu’il voit, sans que la nature ait donné à sa vue la netteté & la justesse nécessaires, sans que sa main soit susceptible d’assez de souplesse & de liant pour obéir à toutes les intentions, quelquefois promptes, quelquefois lentes, mais toujours motivées de l’esprit, inspiré par les idées de l’art.

D’ailleurs les impressions que reçoit son organe visuel en observant la nature, peuvent s’échapper trop promptement de sa réminiscence. Des défauts naturels peuvent donc trahir le penchant qu’auroit donné même la nature, & le penchant seul, comme je l’ai dit, n’est pas un sûr garant des dispositions.

Rien n’est si commun, parmi les enfans & les jeunes gens, que ces désirs stériles que fait naître en eux ce qu’ils voyent ou ce qu’ils entendent ; rien de si rare que de rencontrer en eux le concours & le juste accord des qualités qui peuvent conduire aux succès : accord & concours qui forment les véritables dispositions.

Ainsi dans toute espèce d’éducation, un des objets les plus essentiels & en même-tems ; un des plus difficiles à remplir, c’est de ne pas confondre les goûts suggérés, & par conséquent passagers, avec les dispositions solides données par la Nature

Celles-ci cultivées avec intelligence, mettent l’homme à sa place. Les occasions qui font connoître les grandes qualités naturelles & leur assignent un rang, sont rares dans nos constitutions. Conduire par des soins suivis & bien médités, un homme à l’état auquel il est le plus propre, est donc peut-être dans les constitutions actuelles le meilleur systême d’éducation.

Ce qui, dans les arts, est le plus avantageux pour l’individu & pour la société, c’est de déterminer à tems, celui dont le penchant n’est pas assez secondé par les dispositions à se fixer à quelqu’objet partiel, à quelque genre particulier, auquel il est peut-être plus propre & qui n’éxige pas le complément des dispositions nécessaires pour les premiers genres.

Les demi-talens, les talens foibles & avortés, non-seulement sont inutiles à la société, mais contribuent infiniment à dépriser les arts aux yeux de l’ignorance, & à rendre la dépravation du goût plus genérale.

Je passe au second sens du mot disposition.

Ce mot s’enploye plus ordinairement au singulier qu’au pluriel, dans cette acception particulièrement relative à l’art.

La disposition fait partie de l’ordre : ainsi dans l’énumération systêmatique des termes de l’art, après l’invention & la composition, je présenterois l’ordonnance & la disposition.

En effet, comme l’invention conçoit le sujet & comme la composition l’exécute, de même l’ordonnance détermine le plan de la composition & la disposition place les objets & étend ses soins jusques sur leurs moindres parties. On peut observer que ces quatre termes que je viens d’énoncer, conviennent à tous les arts libéraux, même aux arts méchaniques, & que celui dont il s’agit appartient particulièrement à l’ordre.

Disposer les objets d’un tableau, c’est donc les arranger, les placer, les groupper avec une intention qui, plus ou moins bien méditée, rende la disposition excellente ou défectueuse.

Si la composition est l’ordre genéral, la disposition est l’ordre particulier.

Cette manière de procéder est inspirée par la nature, dans tous les ouvrages que produi-


sent les hommes ; & lorsqu’on examine les hiérarchies, les établissemens de différentes classes subordonnées dans toutes les sociétés, à la police particulière, on apperçoit que c’est la disposition des individus dans l’ordonnance d’une société.

Mais pour ne plus m’écarter de ce qui doit principalement convenir aux artistes, je leur dirai, en m’adressant directement à eux : pour bien disposer, il faut que vous ayez bien conçu votre composition, & j’emprunterois volontiers à Boileau ce précepte : ce que l’on conçoit bien, s’énonce clairement. Il est donc indispensable que votre esprit inventif conçeive clairement, par l’effet de la méditation, l’objet de votre composition. Alors votre ordonnance sera claire & votre disposition si naturelle, qu’elle satisfera tous ceux qui la verront.

L’usage d’esquisser vos conceptions à mesure qu’elles se présentent ; c’est à dire, d’inventer, de composer, d’ordonner & de disposer tout à la fois, est sujet à beaucoup d’inconvéniens ; car au moment où les idées naissent, sur-tout si c’est avec quelque chaleur, il est rare qu’elles ne soient pas confuses ; une comparaison vous est souvent offerte dans la socièté par ceux qui parlent au même instant qu’ils commencent à penser. Ceux qui ne s’expriment qui après avoir pense ont le même avantage dans la conversation que les Artistes qui ne tracent leurs inventions qu’après les avoir méditées. D’ailleurs il est souvent dangereux d’habituer l’imagination à regarder comme digne d’être produit tout ce qu’elle enfante. Elle peut gagner par cette route plus de facilité à produire, mais aussi trop d’indulgence à se permettre de créer sans choix & sans méditation. Enfin, cette abondance qui s’annonce rapidement par des esquisses souvent confuses, prépare un travail pénible, lorsqu’il faut démêler ce qui vaut la peine d’être choisi, & ce qu’il faut encore y corriger.

C’est par cette pratique trop en usage qu’on se trouve conduit à recoudre ensemble différens fragmens de ces inventions hasardées, & cette manière de composer approche un peu de la fantaisie qu’ont eu quelques peintres, qui, jettant à l’aventure sur une muraille différentes couleurs, y trouvoient ensuite des idées de figures ou de compositions.

Le systême & les opérations du sculpteur sont plus reglés, & indiquent l’ordre que la raison prescrit au peintre ; en effet le sculpteur, qui cependant doit aussi méditer son sujet, en ébauche l’idée, au moyen d’une maquette de terre ou de cire, si docile & si flexible que les défauts qui s’y trouvent disparoissent pour ne plus se montrer à la moindre réfléxion qu’il a faite ; ainsi le sculpteur court moins de risque que le peintre, en se livrant aux idées qui lui viennent ; d’ailleurs le procedé plus lent force le sculpteur à méditer davantage.

Je ne prétends pas cependant vous interdire, jeunes élèves de la peinture, la satisfaction de réaliser à vos yeux les différentes idées que vous inspire un sujet ; mais je vous engage à mettre toujours assez d’intervalle entre le moment où vous concevez par l’invention, & celui où vous enfantez par la disposition, pour que vous ayez pu considérer intellectuellement d’une façon distincte, & non pas vague & confuse, l’ensemble de votre production.

Je ne vous parlerai pas des dispositions, prises dans le premier sens que j’ai traité dans cet article. Il n’y a pas de conseils à vous donner sur cet objet ; vous êtes passifs, & c’est aux Maîtres seuls qu’on pourroit recommander, les soins que souvent ils négligent, de démêler & de diriger les dons de la nature. Ce que nous devons attendre d’eux, c’est qu’ils cultivent vos dispositions & qu’ils les déterminent à votre plus grand avantage. Ce qu’ils peuvent vous demander à leur tour, pour ce même avantage, c’est que, lorsque vos dispositions leur sont connues & vous sont dévoilées, vous vous fassiez justice en prenant, si ces dispositions sont incomplettes, un genre subordonne ou une profession qui vous rende un citoyen utile ; car après les désœuvrés qu’on peut regarder comme les plus nuisibles aux sociétés, ceux qui leur sont les moins profitables & les plus incommodes, sont ceux qui suivent avec obstination des états pour lesquels ils n’ont point de dispositions ; mais ils ne sont pas toujours absolument coupables, car rien n’est si commun (osons le dire à ceux qui influent sur le sort des hommes par les rangs par les richesses) que de décider sur les dispositions, sans avoir les connoissances & le jugement nécessaires pour une décision aussi délicate & aussi importante.

Aussi, pour ordinaire, jugent-ils aussi légèrement en bien, les talens naissans, qu’en mal, les talens formés. De ces jugemens, les premiers sont faux, les seconds sont injustes. Mais d’où vient ce penchant qu’ont presque tous les hommes puissans à décider ainsi sans connoissance & sans justice ? Il naît de l’habitude de protéger & de l’attrait qu’a pour eux le caractère de protecteur, parce qu’il paroît établir ou confirmer la supériorité qui les flatte.

Au reste, dans la plupart de ceux qui protègent les talens, parce qu’ils les payent, c’est vanité : dans ceux qui protègent par l’ascendant des titres & des rangs, c’est orgueil, & il faut se rappeller que la vanite est la foiblesse de vouloir passer pour avoir des avantages qui nous manquent ; & l’orgueil, la foiblesse de croire de bonne foi posséder des avantages que nous n’avons pas. (Article de M. Watelet).