Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Dictionnaire de la pratique/Bleu-céleste

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BLEU-CÉLESTE. On peut, dit l’auteur du Traité de la peinture au pastel, substituer à la cendre bleue, une préparation toute récente, & qui se rapproche beaucoup du ton de cette cendre. Il y a deux ou trois mois qu’un amateur qui peint en miniature, m’en fit passer un petit fragment, qu’il tenoit d’un peintre du Stadhouder à la Haye. La couleur en étoit bleu-céleste & très-amie de l’œil. Enfin le hasard m’en fit découvrir, il y a quelques jours, chez un marchand de couleurs. Il me le présenta sous le nom de bleu minéral, & me dit qu’il le tiroir de Hollande. La préparation dont il s’agit, est une espece de bleu de Prusse, mais dans lequel on a fait entrer, avec très-peu de vitriol de Mars, quelqu’autre chaux métallique & beaucoup d’alun : peut-être même n’y met-on pas de vitriol de Mars, l’acide marin du commerce contenant assez de fer. J’ai soumis cette composition aux plus fortes vapeurs du foie de souffre, en effervescence avec les acides minéraux, sans qu’elle


en ait reçu la moindre altération ; d’où l’on peut conclure qu’elle tiendra bien dans la détrempe, au pastel, & dans la peinture à l’huile.

En employant dans la composition du bleu de Prusse, (voyez l’article Bleu de Prusse) de la dissolution de régule d’antimoine, faite par l’eau régale sur la cendre chaude, au lieu d’y employer le vitriol verd, on aura ce bleu céleste. Il sera, du moins, à très-peu près semblable, & parfaitement solide, après avoir été bien lavé. Ce n’est pas de la chaux d’antimoine, qui par elle-même est fort blanche, que proviendra la couleur bleue ; c’est le fer contenu dans l’acide marin qui la fournira. Seulement la chaux d’antimoine adoucit, tempere, la couleur trop intense du fer. Elle ne donne point de bleu, quoique précipitée par la lessive prussienne, si l’on employe l’acide marin de Glauber : c’est qu’il ne contient pas de fer, comme l’acide marin du commerce. Celui-ci mêlé seul avec la lessive prussienne, devient d’un bleu profond. J’ai de même essayé la dissolution d’étain, celle de Bismuth, celle de zinc : toutes, avec le même acide, ont produit un bleu naissant ; mais celle du régule d’antimoine m’a paru réussir le mieux. Je n’ai point essayé celle du régule de Cobalt.

Au reste, j’ai vu des bleus de Prusse d’une couleur très-pâle ; mais ils étoient loin de ressembler au bleu céleste que je viens d’indiquer : ils avoient le ton sombre & violâtre qu’auroit le bleu de Prusse ordinaire, mêlé de beaucoup de craie ou de ceruse.

Bleu de Guesde ou de Pastel. On tire de le Guede, Guesde, ou Vouede, (Isatis Sativa), lorsqu’on l’a laissé fermenter, une couleur bleue, presqu’aussi bonne que celle de l’indigo.

Bleu de Montagne. C’est un minéral ou pierre fossile bleue tirant un peu sur le verd d’eau. Elle ressemble assez au lapis lazuil, mais avec cette différence qu’elle est plus tendre, plus légere & plus cassante, & que sa couleur ne ressiste pas de même au feu. Lorsqu’on fait usage du bleu de montagne dans la peinture, il est à craindre que par la suite la couleur n’en devienne verdâtre. Cette pierre se trouve en France, en Italie, en Allemagne, & surtout dans le Tirol. Elle se nomme en Allemand Berg-blau, & en latin Lapis Armenus, ou cœruleum montanum. On dit que celle qui vient d’Orient ne perd point sa couleur dans le feu. Le bleu de montagne contient beaucoup de cuivre : celui qui est léger en fournit moins que celui qui est pesant : le premier contient un peu de fer, suivant M. Cramer. On dit qu’on contrefait le bleu de montagne en Hollande, en faisant fondre du souffee & en y mêlant du verd-de-gris pulvérise. Pour employer le bleu de montagne dans la peinture, il faut le broyer, le laver ensuite, & en séparer les petites pierres qui y sont quelquefois mêlées. (Le Baron d’Holbac, dans l’ancienne Encyclopédie.)

Bleu de Prusse, est une matière utile pour la peinture On l’appelle bleu de Prusse, parce que c’est en Prusse que sa composition a été trouvée. Voyez, le premier volume de Miscellanea Berolinensia, 1710. Les Transactions Philosophiques en ont publié la composition dans les mois de Janvier & Février 1724. Depuis, M. Geoffroy, de la Faculté de Medecine de l’Académie des Sciences de Paris, en a donné la préparation dans les Mémoires de l’Académie des Sciences de 1725.

La préparation du bleu de Prusse est une suite de plusieurs procédés difficiles. On a plusieurs raisons de croire que ce bleu vient du fer. On fait que les dissolutions de fer prennent dans l’eau une couleur bleue par la noix de galle. L’acier bien poli & échauffe à un feu modéré, prend une couleur bleue, & il paroît, par cette expérience, que cette couleur vient d’une substance grasse que le fer éléve à la surface du fer. On fait qu’il y a dans le fer une matiere bitumineuse, qui n’est pas parfaitement unie avec les autres principes, ou qui y est en trop grande quantité.

C’est ce bitume qui doit être la base du bleu que l’un veut faire : mais il est trop compacte ; il faut le subtiliser, or les alkalis sont les dissolvans naturels des bitumes.

Il y a apparence qu’on a essayé, pour faire le bleu de Prusse, plusieurs huiles végétales, & que ç’a été sans succès. On a aussi éprouvé les huiles animales ; & le sang de bœuf calciné & réduit en poudre, a rempli l’attente : pour l’alkali, on a employé le plus puissant, qui est celui du tartre.

Le bitume du fer est attaché à une terre métallique jaune ; cette terre altéroit la couleur bleue du bitume, quelque raréfié qu’il fût. On le transporte de dessus la terre jaune sur une terre blanche, qui est celle de l’alun, & alors la couleurbleue non-seulement n’est plus altérée par le fond qui la soutient ; mais de sombre & trop foncée qu’elle étoit, elle devient plus claire & plus vive.

Il faut observer que ce bitume qu’on veut avoir, on ne le cherche pas dans le fer en substance, mais dans du vitriol, où le fer est déja très-divisé.

Il y a donc trois liqueurs nécessaires pour faire le bleu de Prusse : une lessive de sang de bœuf calciné avec le sel alkali ; une dissolution de vitriol, & une dissolution d’alun.

De toutes ces opérations, il résulte une espéce de fécule d’une couleur de verd de montagne, & qui, par l’esprit de sel, devient dans l’instant d’une belle couleur bleue foncée ; & c’est-là le


bleu de Prusse. (M. Formey, Sécretaire de l’Académie de Berlin, dans l’ancienne Encyclopédie.)

M. Formey, dans l’article qu’on vient de lire, nous apprend les causes du bleu de Prusse, plutôt que la maniere de le faire. Il indique les substances qui le composent, sans nous en indiquer les doses, & nous instruire de la manipulation qu’elles exigent. L’auteur du Traité de la Peinture au pastel nous instruit avec autant de clarté que de précision, de ce que le Sécretaire de l’Académie de Berlin nous laissoit ignorer.

On fait dessecher sur le feu du sang de bœuf, ou tout autre ; on le réduit en poudre, on en mêle cinq ou six onces dans un creuset, avec autant de sel de tartre, ou même de potasse. On couvre le creuset seulement pour qu’il ne se remplisse pas de cendre. On fait rougir sur le feu, par dégrés, la matiere qu’il contient. Lorsqu’elle cette de fumer, on la verse toute brulante dans deux ou trois pintes d’eau chaude. On fait bouillir le tout à peu près jusqu’à la diminution de moitié ; on filtre l’eau dans un autre vase au travers d’un linge ; on fait bouillir le marc resté sur le filtre dans de nouvelle eau qu’on réunit ensuite à la première. Cette liqueur est la lessive prussienne : elle ne contient que de l’alkali chargé de la matière colorante. Pour en composer le bleu de Prusse ordinaire, on fait dissoudre dans de l’eau bouillante deux onces de vitriol verd, & trois ou quatre onces d’alun. Cette dissolution, versée par intervalles sur la lessive encore chaude, produit de l’effervescence. On agite le mêlange, & l’on y verse le reste de la dissolution. Le fer contenu dans le vitriol, & la terre de l’alun, quittent leur acide, saisissent la matière colorante, & se précipitent avec elle en fécule verdâtre. On versé toute la composition sur un linge. Les sels dissous dans la liqueur, passent avec elle au travers de ce filtre ; on recueille dans un vase la fecule restée sur le linge, on la délaye avec deux ou trois onces d’acide marin. Ce précipité devient sur le champ d’un bleu plus ou moins profond, suivant la quantité de l’alun. Quelques heures après, il faut l’arroser de beaucoup d’eau tiéde pour la bien dessaler.

Bleu pour le lavis. Pour suppléer à l’outremer, qui est d’un très-grand prix, & qui d’ailleurs a trop de corps pour être employé dans les dessins au lavis, on recueille en été une grande quantité de fleurs de bleuets qui viennent dans les bleds : on en épluche bien les feuilles en ôtant ce qui n’est pas bleu, puis on met dans de l’eau tiéde de la poudre d’alun bien subtil. On verse de cette eau imprégnée d’alun dans un mortier de marbre, on y jette les fleurs, & avec un pilon de marbre ou de bois, on pile jusqu’à ce que tout soit réduit de manière qu’on puisse aisément en exprimer tout le suc, On passe ce suc à travers une toile neuve, en faisant couler la liqueur dans un vase de verre, où l’on a mis auparavant de l’eau gommée, faite avec de la gomme arabique bien blanche. Remarquez qu’il ne faut guère mettre d’alun, pour conserver l’éclat de la couleur, qu’on obscurciroit si l’on en mettoit trop. On peut de même faire des couleurs de toutes les fleurs qui ont un grand éclat, en observant de les piler avec de l’eau d’alun qui empêche que la couleur ne change. Pour rendre ces couleurs portatives, on les fait sécher à l’ombre dans des vaisseaux de verre ou de fayence bien couverts. (M. Landois, dans l’ancienne Encyclopédie.)