Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Degré

Panckoucke (1p. 184-185).

DEGRÉ, (subst. masc.) Il n’est point de degré du médiocre au pire, a dit Boileau, en parlant de l’art des vers. C’est qu’un art dont le but est de plaire ne remplit point ce but s’il n’est exercé qu’avec un talent médiocre. Le public a confirmé l’arrêt sévère prononcé par Boileau ; il ne lit plus que les vers des grands poëtes. De la foule innombrable d’écrivains en vers que la France a produits dans le dernier siècle, il n’en est guères resté plus de six qui conservent des lecteurs.

Le même jugement sembleroit devoir s’étendre sur les ouvrages de peinture : mais comme le luxe donne la qualité d’utiles à bien des objets superflus, & que les tableaux ont l’utilité de meubler des appartemens, on a jugé moins sévèrement les tableaux que les vers. Un poëme médiocre n’a pas l’utilité conventionelle d’être regardé comme un meuble, & ne pare pas un sallon comme un médiocre tableau. Ajoutez que tout homme qui sait un peu sa langue a les premiers élémens de la connoissance des vers, & que peu d’hommes ont les premiers élémens de la connoissance de la peinture. Ainsi, faute de juges, des tableaux médiocres sont mis au nombre des excellens tableaux, & le propriétaire a la satisfaction de les regarder & de les faire regarder à bien d’autres comme des chefs-d’œuvre. Mais comme un livre n’est pas d’un grand prix, que la multiplicité des exemplaires lui ôte le mérite de la rareté, & qu’il a un grand nombre de juges, la vanité de celui qui le possède est plus intéressée à le juger sévèrement qu’à le prôner comme un chef-d’œuvre. Le propriétaire d’un tableau cherche à en relever toutes les beautés véritables ou imaginaires, pour prouver qu’il a un meuble de prix ; le propriétaire d’un livre cherche à en faire remarquer les défauts, pour prouver qu’il est homme d’un goût délicat.

Cependant, si l’on considère le petit nombre de peintres dont les noms sont connus des hommes qui ne font pas en quelque sorte un métier de connoître les noms & la manière de tous les artistes, on avouera qu’il en est de la peinture comme de la poésie, & que, dans ces deux genres de talens, le médiocre ainsi que le pire est consacré à l’obscurité.

Pour décider cette question, c’est la voix publique qu’il faut consulter, & non la voix d’un petit nombre de curieux qui se piquent de connoître, au moins par leurs noms, ou tous les peintres ou tous les poëtes.

Il a paru dans le siècle dernier un grand nombre de peintres d’histoire qui ne manquoient pas de talent. Il n’en est guère que trois dont les noms soient connus aujourd’hui de ce qu’on peut appeller le public a joutez encore à-peu-près le même nombre qui est connu des hommes qui aiment particulièrement les arts : le reste seroit oublié s’il n’y avoit pas des gens qui mettent de l’importance à connoître la nomenclature pittoresque, comme il y en a qui se piquent de posséder la nomenclature bibliographique.

Le siècle où nous vivons a produit encore plus de peintres que le siècle dernier ; il ne parviendra peut-être pas un plus grand nombre de leurs noms au siècle futur.

Je ne crois pas que cette observation soit inutile ; elle doit engager les artistes, amis de la gloire, à ne pas se contenter de cette médiocrité de talent qui leur procureroit un rang estimable entre leurs contemporains. Ce n’est qu’en s’élevant au-dessus de leurs émules qu’ils sauveront leurs noms de l’oubli. Qu’ils sachent qu’un bon peintre n’est qu’un artiste estimable, & que les grands peintres seuls intéresseront la postérité. De fort bons peintres décoroient les palais du monarque, les hôtels des grands, & les murs de nos temples sous le règne de Louis XIV : mais ce ne sont plus que les noms du Poussin, de Lesueur, de le Brun


que nous prononçons avec respect. (Article de M. Levesque.)