Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Croquis

Panckoucke (1p. 169-170).
◄  Critique
Croute  ►

CROQUIS. Le besoin d’exprimer d’une manière concise certains détails de la pratique ou de la théorie des Arts, suggère aux Maîtres & souvent aux disciples des expressions comparatives & figurées. Elles sont quelque fois


communes ou même basses, quelquefois nobles ou élevées. Elles paroissent heureuses quand elles sont significatives. Celles qui sont créées par les peintres, sont souvent pittoresques. Elles se répétent d’attelier en attelier, de bouche en bouche, deviennent en usage, font alors partie du langage de l’Art dans lequel elles sont créées & de-là, repassent avec la signification nouvelle qu’elles ont acquises dans la langue générale.

L’on pourroit, à quelques égards, observer dans les atteliers la marche de l’invention des langues, parce que des besoins nouveaux & des sensations promptes y contraignent plus souvent que dans la société ordinaire, à inventer des signes ou des mots & à donner à ceux qui existent dans la langue générale des acceptions particulières.

Ces expressions, comme je l’ai observé, prennent leur caractère de ceux qui les premiers en ont fait usage, & c’est d’après ce caractère qu’elles se trouvent être nobles, familières, sérieuses, gaies, quelquefois basses & burlesques.

Croquis est du nombre de celles-ci.

Croquer, c’est manger vîte : croquer, en termes d’atteliers de peintres, c’est exécuter à la hâte.

Un croquis est une première idée, indiquée par quelques traits de crayon, quelques griffonnemens de plume ou quelques traces de couleurs sans dégradations.

Cette expression convient mieux aux Arts dont les objets sont des imitations visibles, qu’aux Arts dont les productions s’opèrent par des signes convenus ; aussi l’on dit plutôt : un croquis de composition, de figure, de paysage, qu’un croquis de poëme où de musique. Les croquis des grands artistes sont prisés des curieux, comme les moindres reliques des saints sont recherchées par les dévots ; aussi cette sorte de vénération, est-elle souvent poussée trop loin ; car des griffonnemens qui ne désignent presque rien & des indications à peine reconnoissables de composition ou de parties de figure ne valent certainement pas plus l’affection de certains amateurs, & la vénération qu’ils exigent de ceux à qui ils les montrent, que certains fragmens apocriphes ne méritent les honneurs d’une chasse.

Les croquis qui approchent de ce qu’on nomme étude, esquisse, pensée achevée, méritent d’être conservés, parce qu’on y peut démêler sensiblement la marche de l’esprit des artistes & l’empreinte du talent naturel.

On ne trouve pas sans doute le même mérite dans les brouillons des Poëtes, aussi est-il rare qu’ils obtiennent la vénération des littérateurs ; c’est que l’écriture étant familière à tout le monde, il se trouve trop de facilité à tracer des idées informies d’un poëme, ou d’un ouvrage qu’on ne seroit jamais en état d’exécuter, au lieu que pour désigner les formes des objets, ou une composition quelconque, il faut nécessairement avoir pratiqué un art qui n’est exercé que par un petit nombre & n’est pas à la portée des autres. D’ailleurs un croquis de composition, par exemple, rend sensible aux regards, & presque au premier coup d’œil, l’idée de toute une composition, tandis que le brouillon qui contiendroit la premiere pensée d’un Poëme, est souvent difficile à déchiffrer & n’est jamais un garant aussi valable de l’exécution de l’ouvrage que celui du Peintre.

On appelle donc brouillon en littérature, à peu près ce qu’on nomme croquis en peinture.

L’esquisse, comme je le dirai, a un sens plus un peu plus étendu ; elle équivaudroit, pour suivre le rapprochement, à ce qu’on entend par un plan detaillé. Aussi le mot esquisse a-t-il lieu au figuré dans le langage de tous les Arts libéraux.

On dit l’esquisse d’une tragédie, d’un Poëme, d’un discours, d’un grand ouvrage, comme on dit, l’esquisse d’un tableau.

Pour revenir à ceux qui ordinairement font plus de croquis que d’esquisses, je parle des jeunes artistes, je hazarderai de leur dire : si rien n’est si attrayant & si commode pour vous, que de produire en un instant vos conceptions, peu méditées, par des croquis qui leur ressemblent, soyez assurés que rien n’est plus nuisible à vos talens naissans, que d’en faire une trop grande habitude.

Cette habitude flatte votre penchant & votre amour-propre ; mais elle met obstacle à un développement qui est nécessaire. Il n’est que trop ordinaire dans la jeunesse, de se croire Peintre & Poëte, pour avoir eu quelques idées vagues, & tracé quelques indications de ces idées, soit avec le crayon, soit avec la plume. Cette marque si incertaine du talent coute peu ; mais il en coute souvent beaucoup à ceux, qui ont un talent véritable pour mettre la dernière main, ladernière correction à leurs ouvrages, & la distance du premier de ces deux points à l’autre est grande.

Je ne prétends pas, par cette observation. priver entièrement le jeune artiste du plaisir d’essayer son génie ; mais si j’étois digne de vous guider dans vos études & de conduire votre talent, je ne vous permettrois de vous satisfaire par quelques croquis, que pour vous récompenser d’avoir terminé d’une manière satisfaisante, la copie de quelque beau dessin des grands Maîtres, parce que vous conserveriez, en vous livrant à votre imagination, l’idée de ce qu’il faut ajouter de


soins, pour tirer d’un croquis, un ouvrage terminé.

Le Genie est un feu dont l’apparition la plus legère est toujours brillante. Si vous êtes doués de ce feu, & si vous lui avez préparé quelqu’aliment, il conservera sa chaleur & vos croquis enfin auront d’autant plus de mérite que vous serez plus en état de les exécuter. Ceux de Rubens, de Tintoret, de Jordans de Naple, de la Fagc même, qui s’en est permis jusqu’à l’abus, ont droit d’intéresser les amateurs qui ont des connoissances & les Artistes qui ont assez de talent pour les bion déchiffrer.

Mais gardez-vous de la manie de grossir les porte-feuilles de ces demi-connoisseurs, qui supposent du mérite à ramasser dans les atteliers une multitude de croquis qu’ils baptisent de noms imposans & qui ne valent pas mieux que les brouillons de nos jeunes Poëtes.

Ne croquez pas sur-tout ce qui doit être exécuté avec soin, car si vous vous permettiez quelquefois de croire qu’une manière expéditive est suffisante pour montrer du génie, & que la facilité fait tout excuser, vous ne vous tromperiez pas moins que le jeune Auteur, qui se croiroit d’autant mieux Poëte, qu’il composeroit plus promptement ou qu’il écriroit plus rapidement des vers.

Si c’est par négligence que vous prenez l’habitude de croquer vos ouvrages, vous perdrez votre talent. Si c’est par le désir du gain, vous avilissez l’Art & vous finirez par vous avilir vous-mêmes. (Article de M. Watelet.)

CROUTE (subst. fem.) On appelle de ce nom certains tableaux anciens, presque toujours noirs & écaillés, quelquefois estimés des curieux & méprisés des connoisseurs. Ce n’est pas qu’il n’y ait des croutes dont le fond soit véritablement estimable. Il y en a des plus grands maîtres ; mais le temps ou les brocanteurs les ont tellement altérées, qu’il n’y a qu’une ridicule prévention qui puisse les faire acheter. (Article de l’ancienne Encyclopédie)

Le mot croute est plus ordinairement employé pour exprimer tout mauvais ouvrage de dessin ou de peinture. On dit ce tableau, ce dessin est une croute. On appelle même crouton celui qui fait des croutes. Mais ces deux mots sont plutôt du jargon des atteliers, que de la langue des Arts. Les jeunes éléves prennent l’habitude d’en faire usage, & la conservent dans un âge avancé (L.)

CRUD, crue adjectif. Un ton crud est celui qui ne se marie pas, ne se perd pas avec le ton qui l’avoisine. Une couleur crue est une couleur tranchante, discordante, trop