Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Coup-d’oeil

Panckoucke (1p. 167-168).
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COUP-D’ŒIL, (subst. composé masc.) C’est l’habitude de saisir, à la simple vue, la figure, la grandeur & les proportions avec tant de précision qu’il s’en forme un tableau exact dans l’imagination. Le coup-d’œil est le premier & le plus indispensable des talens que les arts du dessin exigent. Ni la règle, ni le compas ne peuvent suppléer au défaut du coup-d’œil. Il faut, comme s’exprimoit Michel-Ange, que le dessinateur ait le compas dans les yeux, & non dans la main ; & l’un des plus grands peintres, le célèbre Mengs, veut que la première tâche de l’élève soit de se rendre l’œil juste au point de pouvoir tout imiter. C’est, selon lui, au coupd-d’œil que Raphaël même devoit une grande partie de ses succès. Le coup-d’œil ne fait pas simplement qu’on puisse imiter chaque objet ; mais il met encore dans cette imitation un si haut degré de vérité, que l’ouvrage en acquiert une énergie frappante.

Il en est-du coup-d’œil comme des autres talens ; la nature en fait les premiers frais par les dispositions qu’elle donne ; mais un long exercice y peut beaucoup ajouter. Presque tous les peintres qui vivoient lors de la restauration des arts possedoient le coup-d’œil dans un degré éminent. On voit plusieurs dessins & tableaux du temps d’Albert-Durer qui sont estimables par leur grande vérité ; des portraits mal peints, mais qui sont d’un grand prix à cause de la correction du dessin. Tous les peintres de ce siécle-là, dit M. Mengs, avoient le coup d’œil juste : s’ils avoient su, comme Raphaël, faire de bons choix, ils auroient tous aussi bien dessiné que lui. C’est-là une observation bien intéressante pour ceux qui se vouent aux arts du dessin. Une moitié de l’art consiste à s’exercer sans relâche au coup-d’œil ; voilà sans doute le sens de la devise d’Apelle : nulla dies fine lineâ. (Article de la première Encyclopédie).

Il ne suffit pas de dessiner beaucoup pour acquérir la justesse du coup-d’œil. On peut remplir exactement la devise d’Apelle, sans en avoir le coup-d’œil plus juste. Cette qualité dépend sur-tout de la méthode qui l’on suit en dessinant, à la méthode qui seule pourroit conduire à la justesse ducoup-d’œil est précisément celle qui depuis long-temps est abandonnée. Elle consiste à rendre avec la plus grande précision les formes quelconques que l’on se propose d’imiter. Un élève aujourd’hui, des qu’il s’est fait quelqu’habitude de manier le crayon, ne se met à dessiner la nature, qu’avec le projet de la corriger, c’est-à-dire, de l’altérer, de la détruire. Au lieu de s’attacher à voir & à copier son modèle tel qu’il est, il se pique d’en faire disparoître les défectuosités ; il n’entreprend de le copier que pour ne le pas copier en effet : & comme il prend l’habitude de copier la nature sans précision, ce sera de même sans précision qu’il copiera l’antique, ou Raphaël, ou les formes les plus parfaites que lui offrira la nature vivante. Toutes ses études porteront l’empreinte de la manière qu’il a contractée ; d’ailleurs il a déjà la plus grande prétention à la facilité, & met plus d’orgueil à faire vîte qu’à bien faire. Il rougiroit s’il étoit long-temps à étudier le contour de sa figure, à effacer un trait commencé pour le remplacer par un trait plus conforme au modèle. Il n’a que six heures, quelquefois que quatre pour dessiner une académie : c’est à peine assez pour en bien arrêter le trait ; mais il fait ce trait dans la première demi-heure, & consacre le reste du temps à faire un beau dessin, c’est-à-dire, à montrer un maniement adroit d’estompe ou de crayon.

Dans le temps de la renaissance des arts, les dessinateurs n’étoient pas adroits, mais ils vouloient être précis ; ils n’avoient pas une estompe large, un crayon moëleux ; mais ils cherchoient à faire un trait pur, à imiter avec la plus exacte vérité le modèle qu’ils copiaient. Pour les égaler par la justesse du coup-d’œil, il faut adopter leur méthode : ce sera avoir déjà fait un grand progrès dans l’art du dessin, que d’avoir appris à dessiner difficilement. (Article de M. Levesque.)