Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Convenance

Panckoucke (1p. 147-148).

CONVENANCE (subst. fém.) Les couvenances n’appartiennent point à l’essence de l’art ; mais elles en sont une des plus importantes dependences. Un Tableau restera toujours un excellent ouvrage de peinture, si les parties essentielles de l’art y sont d’une grande beauté, quoique le peintre y ait minqué aux convenances d’histoire, de costume, &c. : mais en jouissant de ses talens, on regrettera qu’il n’ait pas observé les convenances.

Les tableaux vénitiens sont remplis d’anachronismes, de fautes contre l’histoire & contre le costume : & quoique en même-temps ils ne soient pas d’une grande correction de dessin, on leur pardonne toutes ces défectuosités en faveur du pinceau, de la couleur, & de l’imitation des plus riches étoffes.

Rembrandt dessinoit encore plus incorrectement que les Vénitiens : il étoit encore bien plus bizarre & beaucoup moins riche dans le costume : on prétend qu’il appelloit ses antiques de vieilles armures, de vieilles hardes barbares, bien plus convenables à un cabinet du curiosités, qu’au cabinet d’étude d’un artiste ; mais il réunissoit à un si haut degré les qualités qui constituent le peintre (je ne dis pas le dessinateur) qu’on est captivé par l’admiration quand on voit ses ouvrages, & qu’il ne reste plus assez de liberté pour lui faire des reproches.

Mais si les vrais connoisseurs ont cette indulgence en faveur de l’ignorance de quelques artistes, de leur humeur capricieuse, du goût de leur école, ils proportionnent cependant cette indulgence aux beautés, & montreroient avec justice beaucoup plus de sévérité envers des artistes qui ne compenseroient pas les mêmes défauts par un mirite égal, qui n’auroient pas le degré de talent qui fait pardonner le caprice, qui sortiroient d’une école où ils ont appris les convenances en même-temps que les règles de leur art, & qui vivroient dans un siécle de la facilité de s’instruire rend l’ignorance inexcusable.

Michel-Ange étoit loin d’être ignorant : aussi, malgré la science de ton dessin & la fierté de son ciseau, ne lui a-t on pas pardonné les défauts des convenances qu’il s’est permis, sans qu’ils pussent lui fournir aucune beauté particulière. On lui a justement reproché d’avoir introduit Caron & sa barque dans le tableau du jugement dernier : on a sévèrement condamné l’inconvenance de son Moyse à visage de bouc & vêtu comme un forçat. Ecoutons M. Falconet sur ce dernier ouvrage ; Mengs ne lui est pas plus favorable.

« Un héros, le législateur, le chef d’un peuple doit être représenté dans l’attitude la plus convenable à la grande idée qu’on s’en en est faite. Il doit avoir une action caractéristique, & un vêtement qui marque sa dignité, surtout lorsque celui qu’il portoit n’étoit pas ignoble. Si l’artiste s’éloigne quelquefois du costume, ce ne doit être que pour ajouter à la dignité de son sujet : tous les grands peintres & les grands artistes sont d’accord sur ce point.... Un homme vêtu d’une espèce de camisole fort serrée, qui laisse voir les bras nuds jusques par-dessus les épaules, ressemble plutôt à un forçat qu’à un legislateur. Le défaut d’expression & de convenance est tout aussi frappant ; un homme qui d’une main tient le bas de sa barbe, & dont l’autre main sans action est posée sur son ventre, n’exprime rien, absolument rien : il ne dit pas un mot de ce que Moyse avoit sans cesse à dire à son peuple indocile. Quel heureux sujet pour un statuaire ! que d’expression, de grandeur, de pathétique il présente ! »

Sans doute le défaut de convenance le plus choquant est celui de l’expresson, parce qu’elle tient de plus près à l’essence de l’art. On a reproché au Guide d’avoir extrêmement affoibli l’expression de ses figures dans la crainte d’en altérer la beauté, comme si la beauté expressive n’étoit pas la première due l’art dôt se proposer pour objet.

L’expression pittoresque étant la première convenance de l’art sollicite l’indulgence pour les ouvrages où elle se trouve jointe à des défauts contre d’autres convenances. Je me ferai mieux entendre en laissant parler M. Falconet sur la fameuse descente de Croix de Rubens. « C’est en Flandres, dit-il, à Anvers sur-tout qu’il faut voir ce peintre dans les compositions à grands ressorts. Je ne parle pas de ses différens ouvrages que j’ai vus ; je me borne à dire ici que sa fameuse descente de Croix est un des plus effrayans tableaux que je connoisse, & peut-être celui qui, en me présentant ce que l’art a de plus expressif, m’a fait le plus d’horreur. L’idée d’un corps divin n’avoit pas pénétré l’artiste : son christ mort est un vil supplicié qu’on détache du gibet ; si l’on no voyoit pas la croix, on penseroit que c’est même de la roue. Chaque fois que je verrois ce tableau, je croirois être à la grêve quand on en ôte un malfaiteur après l’exécution. Est-ce ou n’est-ce pas l’éloge de Rubens que je fais ? Je n’en sais rien : je peint l’effet que son tableau fit sur moi quand je le vis à Anvers ; & si, en ne le voyant plus, les traces en sont en quelque sorte affoiblies, elles ont cependant assez de force encore pour me faire à-peu-près la même impression. »

L’idée que les anciens Grecs s’étoient formée de l’art les entraînoit à un défaut de convenance. Ils regardoient l’imitation de la plus grande beauté comme l’essence de l’art, & le


corps humain dans sa forme la plus parfaite comme le complément de la beauté. Ils ne se prêroient donc pas volontiers à voiler, & faisoient souvent céder les autres convenances à l’idée qu’ils avoient du bean, en représentant les figures nues dans les sujets où elles auroient du être drapées. C’est ainsi qu’ils ne donnerent aucune draperie au Laocoon, quoique ce prêtre ne dût pas être nud au moment où il fut attaqué avec ses fils par les serpens qui leur donnèrent la mort. La célèbre collection du Duc de Malborough nous offre plusieurs exemples de semblables disconvenance. Dans la trente-huitième pierre, le soldat ou l’Achille descendant d’une roche est nud. La trente-neuvième pierre représente la dispute d’Ulysse & de Diomède ; les figures sont nues & d’une grande beauté. Sur la pierre quarante-deuxième on voit un soldat blessé qui tombe, & un autre qui poursuit le meurtrier ; tous deux sont nuds, leur tête seulement est couverte d’un casque. Les soldats Grecs quittoien-ils leurs habits pour aller aux combats ? On soupçonne que la pierre quarante-cinquième représente un Alexandre : sa tête est aussi casquée, son corps est absolument nud, son cheval est derrière lui. Alexandre avoit-il coutume de monter nud à cheval ? (Article de M. Levesque).