Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Contraste

Panckoucke (1p. 145-146).

CONTRASTE, (subst. masc.) On peut observer plusieurs sortes de contrastes dans un ouvrage de l’art ; contraste des ombres & de la lumière, d’où résulte le clair obscur ; contraste dans l’âge, le sexe, les passions des personnages ; contraste dans les mouvemens des différentes figures ; contraste dans le mouvement des parties d’une seule figure. C’est à ces deux derniers objets que le mot contraste est plus particulièrement consacré.

« Par contraste, on entend en peinture la variété bien raisonnée de toutes les parties ; c’est l’opposé de ce qu’on appelle répétition. Si, par exemple, dans un grouppe de trois figures, l’une se montre de face, l’autre de profil, & la troisième par le dos, il y aura un bon contraste. Ainsi, chaque figure & chaque membre doit être en contraste avec les autres du même grouppe, comme les différens grouppes d’un tableau doivent contraster entr’eux. Mengs. »

Si plusieurs figures dans un même tableau ont le même mouvement ; si, quoique leur mouvement général soit varié, leurs jambes ou leurs bras ou quelques autres parties tendent à décrire des lignes semblables, le spectateur sera justement choqué que le peintre ait trouvé si peu de ressources dans son art, quand la nature lui offre tant de variété. Les mouvemens doivent donc être variés, mais cela ne signifie pas qu’ils doivent être contraires les uns aux autres.

Il y a quelques circonstances où les principaux mouvemens des différentes figures doivent être les mêmes, comme lorsqu’elles concourent ensemble à tirer ou à pousser quelque chose. Alors la variété ou le contraste se trouvera dans des mouvemens accessoires, dans l’expression, dans la différence des âges, des formes, &c.

On recommande d’observer le contraste, même dans une seule figure. Les deux épaules, les deux hanches, les deux genoux ne doivent pas être à une même hauteur. La tête s’incline du côté de l’épaule la plus élevée ; le bras se porte en avant du côté où la jambe est portée en arrière ; on voit le dessus d’une main & la paume de l’autre. Il faut cependant observer que la recherche affectée & trop apparente des contrastes ne seroit pas moins vicieuse que la symmétrie.

On a vu des peintres qui rendoient affreux les visages d’hommes pour les faire contraster avec les femmes. Cette ressource ne suppose pas un grand art & ne mérite pas d’être adoptée. On peut seulement en profiter quand elle est offerte par le sujet. La face de bouc, le teint brûlé d’un satyre contraste fortement avec la beauté d’une jeune nymphe & la blancheur de son teint ; le visage ridé d’une vieille nourrice fait un contraste heureux avec les jeunes attraits de Danaë.

On n’a pas besoin de chercher les contraires pour contraster suffisamment. Le front chauve d’un vieillard, l’expression de son austère sa-


gesse contrastent bien avec le front ingénu d’un adolescent que parent les boucles naturelles de ses cheveux. Les traits d’une prudente mère qui a la beauté de son âge contrastent avec la beauté naissante de sa modeste fille. La fière Junon & la tendre Vénus, toutes deux également belles, contrastent par le caractère différent de leur beauté.

Il est un autre contraste trop négligé par les peintres d’histoire : c’est celui des proportions. On a mesuré un petit nombre de statues antiques, & l’on a donné pour règle d’en suivre les proportions : on est convenu d’éviter le trop d’embonpoint & la maigreur. Mais, comme le remarque le célèbre Mengs : « Les peintres doivent mettre infiniment plus de variété dans leurs productions que les sculpteurs, & sont parconséquent renfermés dans des bornes moins circonscrites. » Raphael semble avoir pensé de même : il s’est servi de toutes sortes de proportions, & l’on connoît de lui des figures qui n’ont que six têtes & demie de hauteur ; c’est encore le même artiste qui fait cette observation.

Sans doute, si l’on fait un tableau d’un petit nombre de figures, on doit leur donner, suivant leur état, leur âge & leur sexe, la plus élégante proportion. Sans doute encore ce seroit un défaut de représenter un guerrier chargé d’embonpoint, à moins qu’on ne fasse un portrait, parce que les exercices & les fatigues d’un homme de guerre semblent exclure une corpulence qui suppose l’abondance & le repos. Mais, dans une assemblée de magistrats, de savans ; dans un concours de peuple, dans une réunion d’hommes, dont plusieurs mènent une vie sédentaire, tandis que d’autres sont livrés à de rudes travaux, pourquoi ne rassembleroit-on pas toutes les proportions qui ne sont ni ridicules ni vicieuses ? Pourquoi n’imiteroit-on pas la variété de la nature ? N’est-ce pas avertir qu’on ne l’imite pas que de mesurer tous les hommes sur un même module ? N’a-t-elle pas des beautés véritables dans le nombre infini de ses varietés ? Pourquoi dans une assemblée d’anciens philosophes, Diogène, volontairement misérable, ne seroit-il pas d’une extrême maigreur ; le laborieux Aristote un peu maigre ; le voluptueux Arstippe un peu trop gras, & le fastueux Platon pourvu d’un juste embonpoint ? La proportion de Voltaire, celle de Montesquieu seroient-elles déplacées dans une conférence de gens de lettres ? Puis-je croire que je vois un peuple assemblé, si je cherche envain des hommes d’une haute stature, s’élevant de la tête presqu’entière au-dessus de quelques gens d’une taille moyenne, tandis que ceux-ci ont auprès d’eux des hommes d’une proportion courte & ramassée ? (Article de M. Levesque).