Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Blanc

Panckoucke (1p. 77-79).
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BLANC. Le blanc, relativement au méchanisme de la Peinture, telle que nous la pratiquons le plus généralement, c’est-à-dire, en délayant les couleurs avec l’huile, est une substance tirée du règne minéral, & jusqu’à présent, une préparation de la chaux de plomb. On trouvera des détails sur cet objet, à l’article blanc, & à celui couleur, dans le second Dictionnaire ; mais le mot blanc a aussi, relativement à la théorie-pratique de l’Art, une acception dont je dois parler ici.

On dit quelquefois d’un tableau, qu’il est noir, ou que son coloris est trop blanc. On dit qu’un Artiste donne dans la farine, qu’un autre donne dans l’encre. Il faut offrir quelque notion de ce que l’on entend par ces expressions, & de ce que c’est en effet théoriquement dans la Peinture que le blanc, le noir, la farine & l’encre.

Tous les Arts libéraux sont contraints par l’insuffisance des moyens qui leur sont accordés de recourir à des approximations, dans les imitations qu’ils entreprennent. Pour me borner à ce qui dans la Peinture, a rapport au mot de cet article je ferai observer que la lumière & l’ombre ne peuvent pas être véritablement représentées par des couleurs, parce que ni l’une ni l’autre, n’est effectivement une couleur. On a été induit cependant à regarder le blanc matériel comme la couleur la plus significative de la lumière, & le noir, comme la couleur la plus significative de la privation de la lumière.

Cependant l’Art, en admettant ce moyen, & cette approximation, prescrit au Peintre, d’après une théorie bien méditée, d’éviter avec le plus grand soin de faire dominer trop le blanc dans ses lumières, le noir dans ses ombres, & surtout de n’employer, s’il est possible, ni l’une ni l’autre de ces couleurs pures dans son tableau.

Le noir absolu, doit-on répéter souvent aux Elèves, n’existe presque point dans la nature qu’imite la Peinture, parce qu’il ne peut se rencontrer que dans des points privés de toute lumière, & que ces points où la privation de lumière est complette, n’existent que dans des trous ou profondeurs isolés. D’ailleurs, l’air interposé entre l’œil qui regarderoit ces profondeurs, & les points les plus absolument privés de lumière, modifieroit la couleur absolument noire, qu’elle semble devoir offrir, & de plus des atomes imperceptibles répandus dans l’air, réfléchissent sans cesse des portions également imperceptibles de lumière, qui adoucissent aux yeux l’effet des privations les plus absolues.

Quant au blanc matériel, il n’approche que de l’éclat le plus brillant de la lumière, lorsqu’elle se réfléchit sur quelques points d’une surface extrêmement lisse, telle que l’eau agitêe par le vent, telles que l’acier ou quelques autres substances dures & polies. Mais ce blanc, ou cet éclat de lumière, loin d’être prodigué dans la nature, ne s’y montre que comme des points, & ce n’est que lors que l’Artiste imite ces sortes d’effets, qu’il est autorisé à placer à propos des touches de blanc pur, qui rappellent, en effet, l’idée de la lumière. Il a été naturel d’inférer, de ce que je viens d’exposer, que le mélange gradué du blanc avec toutes les couleurs des objets, qui dans un tableau, doivent participer à la lumière, est un moyen propre de l’imiter, mais dont on doit user avec une grande circonspection ; car il y a encore dans la nature une si grande


distance de l’effet du blanc matériel le plus pur à l’éclat de la lumière, que cette imitation est toujours infiniment incomplette : aussi plus il emploie de blanc, soir pur, en forme de touche, soit mélangé dans les teintes, plus il fait appercevoir la différence défavorable qui existe entre les moyens de l’imitation & la réalité. Lors donc que l’Artiste ne fait pas cette réflexion élémentaire, & que, raisonnant mal son Art, il prodigue sa prétendue lumière, c’est-à-dire, le blanc de sa palette, son coloris, au lieu d’être lumineux, devient fade & blafard, & c’est alors qu’il tombe, comme l’on dit, dans la farine. Il s’égare de même, lorsqu’il prodigue le noir, en le regardant comme un équivalent effectif de la privation de la lumière ; car alors il peint noir, au lieu de peindre vigoureux, & pour comble de malheur, ses ombres & ses touches, participant de la couleur de l’encre, deviennent de plus en plus séches, dures & crues.

Par une conséquence de ces élémens, si le Peintre offre l’image du disque du soleil, il ne peut guère avoir recours qu’à une couleur jaune, blanchâtre ou rougeâtre, qui, sans imiter l’objet, montre à découvert la mesure désavantageuse des moyens de l’Art. C’est ainsi qu’un homme, en voulant dire tout ce qu’il fait, donne la mesure de ses connoissances qui, quelqu’étendues qu’elles puissent être, sont toujours trop bornées.

D’ailleurs, pour revenir au Peintre, en peignant le soleil de la teinte la plus lumineuse de sa palette, il se prive des secours de cette même teinte, lorsqu’il veut peindre les éclats que produisent les rayons du soleil ; car il faut lui laisser l’avantage qu’il a dans la nature d’être plus éclatant que les objets qu’il éclaire. Pour parler exactement, la lumière & la privation de la lumière n’ont donc pas proprement de couleur.

On ne représente donc pas réellement une abstraction, ni quelque chose qui semble immatériel par des couleurs matérielles. On parvient seulement par les efforts de l’Art à en rappeller l’idée, & il faut que cet Art soit savament médité, & les plus grands ménagemens lui sont nécessaires pour ne pas trop déceler son insuffisance & les bornes de ses moyens.

Jeunes Artistes qui commencez à vous armer de la palette, vous êtes embarrassés, & c’est avec plus de raison que vous ne le pensez encore, sur les moyens d’imiter les couleurs de la nature, éclairée par la lumière. Chaque objet y a sa couleur propre, qui trouve toute sa valeur, ou qui en dérobe une partie, sans autre moyen que la lumière & la privation plus ou moins grande de cette lumière.

Le desir de parvenir à un coloris brillant, vous êgare souvent ; vous vous éclairez dans l’attelier, de manière à favoriser vos erreurs de coloris. Vos tons blanchis ou noircis, s’ils sont éclairés d’une lumière artistement dirigée sur votre ouvrage, font paroître vos blancs éclatans comme la lumière, & diminuent l’âcreté de vos ombres. Les parties saillantes que vous peignez ainsi, vous paroissent avoir un relief qui vous étonne & vous satisfait. Vous croyez avoir imité parfaitement la nature, & lorsque votre tableau se trouve exposé à une lumière, généralement répandu, ou dans des positions moins favorables que celles que vous fournit votre attelier, l’éclat disparoît, la farine & l’encre se font voir, les crudités blessent les yeux, & vos efforts sont trompés.