Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Affoiblir

Panckoucke (1p. 11-12).
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AFFOIBLIR, (verb. act.) Une partie des termes qui forment le langage d’un Art, se rapportent ou aux perfections ou aux défauts dont il est susceptible.

Ce que j’ai dit dans l’article adoucir est relatif à une beauté de l’Art de la Peinture, qui est l’harmonie & au plaisir du sens de la vue, qui en est l’effet. Ce que je vais dire, à l’occasion du mot affoiblir, se rapportera à une imperfection.

En effet, c’est ordinairement lorsqu’un Artiste cherche l’accord ou l’harmonie aux dépens de la vigueur, qu’il affoiblit le coloris, comme en cherchant l’agrément aux dépens de la sévérité du trait ; il affoiblit quelquefois la correction des contours, & en sacrifiant l’expression au desir de trouver la grace, il affoiblit le caractère.

L’affoiblissement des couleurs qui aide assez ordinairement les Coloristes médiocres, à obtenir une harmonie que j’appellerai moyenne ou foible, n’est que trop commun dans quelques Écoles, dont cette foiblesse de coloris paroit être le défaut distinctif, & en quelque façon, national.

L’on ne peut en donner de raison absolument satisfaisante. Peut-être ce penchant à une harmonie foible & souvent grise, est-il la suite de quelque qualité physique des organes ou du climat. Elle peut avoir pour origine certains effets d’une lumière souvent voilée, qui s’offrent plus habituellement aux regards, ou certaines modifications dans les organes de la vue, qui peuvent être plus générales dans un pays que dans un autre. Au reste, si la cause est encore incertaine, l’effet n’en est pas moins constaté, & l’École Françoise y paroît soumise.

Le Ciel des bords de la Seine, où cette École est résidente, se montre souvent peu serein, à cause des humidités & des brouillards fréquens. Les hommes & les femmes y sont plutôt pâles que sanguins & colorés. Les fabriques ont une couleur peu variée, généralement grise ou blanchâtre, à cause du grand usage qu’on fait du plâtre, l’on s’apperçoit, d’un autre côté, que le plus grand nombre des Peintres François, qui habitent la Capitale, ont un coloris dans lequel les teintes grises ou farineuses dominent sensiblement, & dont le blanc rend les lumières blafarde. Ce pourroit être par ces causes que leur diapazon (si l’on peut s’exprimer ainsi) est foible, souvent sourd & peu brillant. Mais, en général, la facilité que l’Artiste médiocre trouve dans l’affoiblissement des couleurs rompues, pour parvenir à une harmonie douce, la difficulté de soutenir l’accord de toutes les parties, en portant les tons locaux d’un tableau, le plus près possible de ceux de la Nature éclairée par une belle lumière, (sur-tout si l’on commence par monter les ciels & les plans éloignés) sont des raisons qui peuvent entraîner dans toutes les Écoles à affoiblir le coloris.

Mais comment nos Peintres distingués ne résistent-ils pas à cet affoiblissement, dans lequel ils ne tombent souvent qu’après avoir (dans le cours des études qu’ils ont faites en Italie) donné des preuves que l’harmonie vigoureuse n’est pas au-dessus de la portée de leurs organes & de leur intelligence ?

Il faut donc penser que des causes physiques établissent sur eux un ascendant presque irrésistible.

Au reste, le sens défavorable du mot affoiblir devient plus sensible encore, lorsqu’on l’applique à quelques autres parties principales ; car le complément de l’Art consiste, non pas dans une imitation énervée, mais dans la représentation, la plus semblable qu’il est possible, de la Nature dans toute son énergie.

Il est donc à propos de dire aux jeunes Artistes : Craignez, si vous vous sentez entraînés à affoiblir des tons fiers, pour courir après une harmonie douce, que ce ne soit une instigation du mauvais génie qui fait tomber un si grand nombre de vos Confrères dans un coloris foible, & qui leur inspire si souvent des expressions efféminées.

On parvient sans doute, en affoiblissant, à ne point blesser des yeux malades ou délicats ; mais c’est pour les organes qui ont toute leur vigueur que vous devez peindre. Il ne seroit plus d’énergie dans les Arts, si l’on se soumettoit, en les pratiquant, aux altérations que les grandes Sociétés, font éprouver à l’organisation, ainsi qu’aux ames de ceux qui les composent.

Préservez-vous donc de cet écueil, contre lequel, au retour de Rome, vous perdrez peut-être tout ce que vous aurez acquis de richesses pittoresques.

S’il étoit démontré que cet affoiblissement de coloris où tombe la plupart de nos Peintres, provient inévitablement de causes physiques prédominantes, il n’y auroit plus de conseils à donner à ce sujet ; mais Jouvenet, La Fosse, Le Brun sont restés coloristes en habitant le pays où vous êtes destinés à vous fixer.

Rappellez-vous tous les jours, en prenant votre


palette, & en la garnissant de couleurs, que la trop grande rupture, ou la fatigue que vous leur donneriez, les dénatureroit, comme la Société, trop activement désœuvrée, fait perdre aux hommes qui s’y livrent, leur caractère.

Pour éviter le premier inconvénient, qui vous regarde particulièrement, montez autant qu’il est possible & avec hardiesse votre accord, en commençant par vos fonds, par vos ciels, & leur donnant beaucoup de vigueur.

N’allez pas prévoir & craindre les difficultés d’arriver aux premiers plans : elles sont inévitables ; mais on les peut surmonter. Vous aurez, sans doute, à chercher pour trouver des tons propres à soutenir de plus en plus cette vigueur jusques aux premières figures de votre tableau ; mais vos efforts ne seront pas infructueux, s’ils sont obstinés, & si vous appellez à votre secours le Giorgion, Titien, Véronèze, comme les anciens Chevaliers invoquoient les plus célèbres Paladins, pour s’encourager dans les aventures difficiles.

Si vous devez vous garder de chercher l’harmonie en affoiblissant les tons, vous devez éviter, (je le répète) avec non moins de soin, d’affoiblir les autres parties constitutives de votre Art.

Car si vous altérez ou affoiblissez ; l’expression, sous prétexte de donner à vos figures plus de grace ; vous ferez ce que l’on pratique inhumainement en Italie, lorsqu’on ôte à la voix des Chanteurs leur énergie naturelle pour la rendre plus fléxible.