Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Étude

Panckoucke (1p. 270-272).
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ÉTUDE (subst. fém.) On a vu jusqu’à présent que presque tous les termes employés dans l’art de peinture, ont deux significations, & cela n’est pas étonnant. La langue d’une nation est formée avant que les arts y soient arrivés à un certain degré de perfection. Ceux qui, les premiers, pratiquent ces arts, commencent par se servir des mots dont la signification est générale ; mais l’art crée sa langue à mesure qu’il se perfectionne ; il adapte à des significations particulières une partie des expressions générales ; enfin il en invente. C’est


alors que plus les arts sont méchaniques, plus ils ont besoin de termes nouveaux & plus ils en créent, parce que leur usage embrasse plus d’idées qui leur sont particulières.

L’art poétique a peu de mots qui lui soient consacrés. Des idées générales peuvent exprimer ce qui constitue les ouvrages qu’il produit. La seule partie de cet art qu’on puisse appeller méchanique, comprend la mesure des vers, leurs formes différentes & leurs combinaisons ; & c’est la seule aussi qui ait des mots dont l’usage lui soit spécialement réservé, comme rime, césure, hémistiche, sonnet, rondeau, &c. La Peinture en a davantage, parce que la partie méchanique en est plus étendue. Cependant elle tient encore tellement aux idées universelles, que le nombre des mots qui lui sont propres est assez borné. Peut-être pourroit-on mettre la musique au troisième rang.

Mais pour ne pas m’écarter de mon sujet, le mot étude, dans l’art dont il est question, signifie premiérement l’exercice raisonné de toutes les parties de l’art ; ensuite il signifie le résultat de cet exercice des différentes parties de la Peinture ; c’est-à-dire qu’on appelle études, les essais que le peintre fait en exerçant son art. Dans la première signification, ce mot comprend tout ce qui constitue l’art de la Peinture. Il faut que l’artiste qui s’y destine, ou qui le professe, ne néglige l’étude d’aucune de ses parties, & l’on pourroit, autorisé par la signification peu bornée de ce seul mot, former un traité complet de Peinture ; mais le projet de cet ouvrage & les bornes plus commodes qu’on y garde, s’y opposent. Ainsi je renvoie le lecteur, pour le détail des connoissances qui doivent être un objet d’étude pour les peintres, aux articles de Peinture répandus dans ce Dictionnaire. Cependant, pour que celui-ci ne renvoie pas totalement vuides ceux qui le consulteront, je dirai ce que l’on ne sauroit trop recommander à caux qui se destinent aux beaux-arts & sur-tout à la peinture.

La plus parfaite étude est celle de la nature ; mais il faut qu’elle soit éclairée par de sages avis, ou par les lumières d’une raison conséquente & réfléchie. La nature offre, dans le physique & dans le moral, les beautés & les défauts, les vertus & les vices. Il s’agit de fonder sur ce mélange des principes qui décident le choix qu’on doit faire, & l’on doit s’attacher à les rendre si solides, qu’ils ne laissent dans l’esprit de l’Artiste éclairé & dans le cœur de l’homme vertueux, aucune indécision sur la route qu’ils doivent tenir.

Pour ce qui est de la seconde signification du mot étude, il est encore général à certains égards ; mais si l’on appelle ainsi tous les essais que font les peintres pour s’exercer, ils les distinguent cependant par d’autres noms : pas exemple, s’ils s’exercent sur la figure entière, ils nomment cet essai, académie. Ainsi le mot étude est employé assez ordinairement pour les parties différentes dessinées ou peintes. On dit une étude de têtes, de mains, de piés, de paysage, de draperies ; & l’on nomme esquisse le projet d’un tableau, soit qu’il soit trace, dessiné ou peint. On appelle ébauche ce même projet dont l’exécution n’est que commencée, & généralement tout ouvrage de peinture qui n’est pas achevé. (Article de M. Wateelet.)

Étude. Mengs, comme tous les maîtres de l’art, propose aux élèves, pour objets de leurs études, les chefs-d’œuvre des grands artistes ; mais il veut qu’on les copie moins qu’on ne les imite. En se contentant de copier un ouvrage, on ne se rend pas copable d’en produire d’autres qui lui ressemblent ; il faut sur-tout méditer les principes, les considérations qui ont guidé l’auteur, & qui sont la cause de son ouvrage.

Un tableau, ajoute-t-il, offre deux parties essentielles : l’une comprend les motifs qui ont conduit les opérations du maître, & peut être regardée comme la trace de son génie ; l’autre n’est que son faire, c’est-à-dire, la manière qu’il s’est formée. C’est cette manière que ceux qui copient s’attachent communément à imiter ; & lorsqu’ils veulent ensuite faire d’eux-mêmes un ouvrage, comme ils ne trouvent rien dans la nature qui ressemble à cette manière dont ils ont fait leur principale étude, ils restent sans guide, & se trouvent avoir sait une étude inutile. Mais ceux qui étudient principalement les causes qui ont déterminé les grands artistes, peuvent employer ensuite ces mêmes causes pour produire des effets semblables, & s’ils n’atteignent pas au mérite des maîtres qu’ils ont pris pour modèles, ils ont au moins acquis des principes raisonnés dont ils retireront de grands avantages, & leurs études n’auront pas été perdues.

M. Reynolds conseille, pour objet d’étude, aux jeunes artistes, de dessiner de mémoire la figure qu’ils ont dessinée d’après le modèle, & de se rendre compte, le crayon à la main, des belles parties qu’ils auront admirées dans quelques tableaux. En suivant ce conseil, on acquerra tout ensemble de l’exactitude & de la facilité, & l’on se fixera pour long-temps dans la mémoire ce qui n’y laisseroit que des traces fugitives.

Mais si le jeune artiste, continue le même professeur, doit manier souvent le crayon, il ne doit pas oublier que le pinceau est l’instrument de son art. Qu’il peigne donc ses études encore plus souvent qu’il ne les dessinera : c’est le moyen d’acquérir un maniement facile du pinceau, & de se familiariser avec l’emploi des couleurs. L’art de peindre renferme le dessin


& le coloris : pourquoi ne pas se former à la fois aux deux qualités de dessinateur & de coloriste ? En faisant la plupart de ses études au pinceau, on parviendra à peindre aussi aisément qu’on dessine, & à faire l’un & l’autre aussi facilement qu’on écrit.

C’étoit la pratique des écoles qui se sont distinguées par la couleur, celles de Venise & de Flandre. Elles ont enrichi les cabinets de peu de dessins, & ces dessins ne sont en général que des esquisses indécises. Les maîtres de ces écoles faisoient le plus souvent leurs études leurs esquisses au pinceau, soit en couleurs, soit en grisaille. Les dessins finis qui portent leurs noms sont ordinairement les ouvrages de leurs graveurs ou de leurs élèves ; on les donne pour les premières idées de leurs tableaux, & ce n’en sont que des copies faites au lavis ou au crayon.

Cependant l’artiste doit se rendre, familier avec le crayon, pour l’employer dans les occasions où il ne pourroit faire usage du pinceau ; car il doit étudier par-tout, dans les compagnies, dans les promenades, dans les voyages. Tantôt c’est un effet de lumière qui mérite d’artirer ses regards ; tantôt c’est le ton d’une fabrique, la forme, les plis d’un vêtement, le feuillé d’un arbre, les gibbosités de son tronc, les rugosités de son écorce, les effets que produit sur le visage & dans le maintien des hommes la présence ou l’absence des passions, les variétés des proportions & des formes dans les différens individus. Aucun de ces objets n’est indigne d’entrer dans la mémoire de l’artiste, & quand il en aura la commodité, il fera bien de les confier au papier. Ce sont autant de richesses dont il ne manquera pas de trouver l’emploi.

Les plus grands maîtres ne sont parvenus qu’à force d’étude & de travail à produire leurs chefs-d’œuvre : c’est l’ignorance qui croit pouvoir sans peine fixer l’admiration. Leur méthode étoit lente & laborieuse ; mais le résultat n’offroit que de la facilité. « Quand ils avoient conçu un sujet, dit M. Reynolds, ils en faisoient d’abord plusieurs esquisses dont ils tiroient ensuite un dessin fini. Ils faisoient ensuite des dessins étudiés & corrects de chaque partie prise séparément. Après avoir étudié une figure entière, ils faisoient encore plusieurs dessins de la tête, des mains, des pieds de cette même figure. Après l’avoir drappée, ils étudioient séparément différentes suites de plis. Ces études préliminaires ne les empêchoient pas de prendre le modèle pour peindre le tableau, & de le reprendre encore à différentes reprises pour le retoucher. » Tant de travail effraie-t-il l’imagination ? un mot doit rendre le courage : le produit étoit un chef-d’œuvre. (Article de M. Levesque).