Encyclopédie méthodique/Arts académiques/Art de nager/Description du scaphandre de m. l’abbé de la chapelle

Panckoucke (1p. 439-440).
Description du Scaphandre de M. l’abbé de la Chapelle.

Le Scaphandre dont nous allons parler, est le résultat de toutes les observations qu’on vient de passer en revue. Cet accoutrement, quoiqu’en dise son auteur, n’est que la copie des habits imaginés par Bachstrom & par ceux qui se sont occupés du même objet ; mais cette copie a été enrichie de tant d’augmentations importantes, essentielles même, qu’elle peut passer à bon droit pour un original. Je dois dire aussi à la louange de M. l’abbé de la Chapelle, que personne n’a mieux approfondi que lui la matière dont il s’est si longtemps occupé, Pour donner à son corselet la proportion qu’il a cru a plus convenable. Il a examiné 1°. jusqu’à quelle profondeur le corps doit être plongé, pour que l’homme soit à son aise & sans courir aucuns risques. 2°. Quel est le poids du volume d’eau, mesuré par la partie du corps plongé. 3°. De combien le poids total du corps excède le poids du volume d’eau de pluie. 4°. Quelle est la pesanteur spécifique du linge, comparée à celle de l’eau. 5°. Quel doit être en conséquence le volume du corselet, relativement à sa pesanteur propre, & à l’excès de celle du corps sur celle du volume d’eau de pluie. 6°. Quelles sont les parties du corps que l’on doit revêtir de linge préférablement aux autres.

Après avoir fait ces recherches préliminaires, l’auteur passe à la construction de son scaphandre. Si vous voulez vous former un corselet d’après ses principes, taillez-vous un gillet de coutil, ou d’une forte toile, également large de haut en bas, & dont le pourtour soit de quatre pieds deux pouces, & la hauteur de deux pieds. Avant d’assembler les épaulettes de ce corselet, étendez-le sur un plan ; sur toute la largeur, tirez une ligne a trois pouces de distance du bord inférieur ; à dix pouces plus loin, & au-dessus de cette ligne, tirez-en une autre parallèle & semblable à la précédente. C’est dans cet intervalle que vous placerez des morceaux de liège, de forme cubique, & épais de deux pouces & demi ; quatre rangs de ces cubes suffiront pour remplir l’espace de dix pouces que vous voulez couvrir.

Les échancrures du gillet s’avanceront jusqu’à cette dernière ligne, à un pouce & demi prés, que vous laisserez pour les replis ; ainsi vous avez déjà pris quatorze pouces & demi sur la hauteur du corselet ; en partant de son bord inférieur, huit pouces au-dessus, tirez encore une ligne qui doit terminer toute la hauteur de l’habit ; il ne vous restera plus qu’un pouce & demi que vous employerez aux replis du bord supérieur.

M. l’abbé de la Chapelle entre ensuite dans une foule d’autres détails, qui sont d’autant plus inutiles ici, qu’on peut avoir recours à son tailleur, pour se procurer un de ses scaphandres, J’observerai seulement qu’il ajoute une espèce de queue ou suspensoir, terminée par un plastron qui, après avoir passé entre les cuisses, vient s’attacher sur la poitrine. Ce plastron qui est garni de petits morceaux de liège, taillés & placés régulièrement comme dans le scaphandre, est destiné à deux usages également essentiels. Le premier, d’empêcher que le corselet ne remonte trop haut sous les aisselles, ce qui gêneroit beaucoup le mouvement des bras ; le second, de fournir à celui qui en fait usage, un siège sur lequel il peut se reposer aussi longtemps qu’il lui plaira. Les scaphandres qu’on destineroit aux soldats, doivent avoir leur plastron d’une seule pièce de liège, courbée au feu, pour qu’il puisse mieux s’ajuster sur la poitrine, il peut être plus épais, & monter plus haut qu’à l’ordinaire, avec une échancrure vers les clavicules en forme de hausse-col ; & cette espèce d’armure suffiroit pour parer le coup de fusil & de sabre qui porte vers la poitrine & le cou. M. l’abbé de la Chapelle a aussi imaginé une espèce de pantalon, garni d’étriers par le bas, qu’on attache au corselet par le haut, & qui aide à marcher avec moins de fatigue quand on est à flot. Pour rendre son habillement complet, l’auteur y ajoute la description d’un bonnet, dans lequel on peut déposer des choses qu’on a intérêt à ne vas mouiller.

On n’éprouve aucune difficulté à faire usage de ce scaphandre ; on peut s’en revêtir en aussi peu de temps qu’il en faut pour prendre une veste commune. Après avoir noué les cordons par-devant, on passe le suspensoir entre les cuisses, & l’on attache ce plastron sur la poitrine ; on est alors en état de se mettre à l’eau, dans laquelle, moyennant cet habit, on n’enfonce que jusques vers la région des mamelles ; on s’y trouve dans une position verticale, la tête & les bras hors de l’eau, & à portée d’en faire tel usage qu’on voudra. Si l’on veut avancer, il faut faire usage du pantalon, qui diminue beaucoup le travail qu’on éprouveroit sans ce secours. Alors on chemine dans l’eau par un mouvement des jambes, à-peu-près semblable à celui par lequel nous marchons sur la terre, avec, cette différence, que les mouvements des jambes sont beaucoup plus grands, & la progression plus lente & plus pénible, à cause de la résistance du fluide dans lequel on avance.

Les commissaires nommés par l’académie des sciences pour examiner ce scaphandre, assurent que M. l’abbé de la Chapelle a exécuté plusieurs fois devant eux ces mouvements, & dans l’eau courante & dans l’eau dormante ; ils observent que dans les rivières dont le courant est un peu rapide, il est impossible de remonter vers leur source, on peut seulement traverser la rivière, mais en dérivant beaucoup ; dans l’eau dormante, on avance dans telle direction que l’on veut. M. l’abbé de la Chapelle a parcouru devant les mêmes commissaires deux cents seize pieds en cinq minutes de temps.

Les mêmes savans ont cru devoir conseiller à ceux qui se serviront d’un scaphandre, de ne pas se jetter sans précaution dans l’eau, sur-tout dans les endroits qu’on ne connoîtroit pas ; on pourroit rencontrer au fond, des choses capables de blesser ou d’arrêter l’homme, de manière à le faire périr, malgré sa légéreté respective.

A ces préceptes de M. Thévenot, nous allons joindre ceux ne Nicolas Roger, plongeur de profession.