Encyclopédie méthodique/Art aratoire et du jardinage/Batteur

Définition

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Batteur en grange ; c'est l'ouvrier qui frappe le bled avec un fléau pour faire sortir le grain de l'épi.

Article

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BATTEUR EN GRANGE ; c’est à la campagne l’ouvrier ou l’homme de journée qui frappe le bled avec un fléau pour faire sortir le grain de l’épi. (Voyez pl. XVI).

L’art, si simple en apparence, de séparer le grain de l’épi a été, pour les hommes, le sujet de bien des réflexions & d’un grand nombre d’expériences. La pratique la plus usitée dans l’antiquité, étoit de préparer en plein air une place en battant bien la terre, d’y répandre ensuite les gerbes, & de les faire fouler par des bœufs ou par d’autres animaux, qu’on faisoit passer & repasser dessus plusieurs fois. On se servoit aussi de grosses planches hérissées de chevilles ou de cailloux pointus, qu’on traînoit sur les gerbes ; c’est encore la méthode dont on se sert en Turquie : on étend les épis dans une grande place, on les dispose de façon qu’is forment un grand cercle, afin qu’on puisse passer également partout, que le bled sorte, & que la paille soit bien moulue ; pour cet effet, on a soin de retourner la couche de bled qui est fort épaisse, avec deux planches, longues de cinq pieds, larges d’un pied & demi, épaisies de trois pouces, terminées d’un côté en angle aigu, & attachées à un attelage de chevaux ou de bœufs : on enfonce dans ces planches une grande quantité de petits cailloux tranchans ; on étend cette espèce de herse sur la paille, on la charge d’une grosse pierre qui sert de siège à celui qui tient les guides d’une main, & un fouet de l’autre pour diriger ces animaux ; il se promène ainsi tout le jour, tantôt d’un côté, tantôt d’un autre, jusqu’à ce que la paille soit bien hachée, & que les épis soient dépouillés de leurs grains. Après cette opération, on jette le tout en l’air, le grain va s’accumuler en monceau à quelques pas de là ; & la paille hachée, emportée par le vent, va former un autre tas un peu plus loin. Cette paille ainsi hachée est excellente pour la nourriture des bestiaux, & se vend beaucoup mieux que la paille entière. Enfin on a imaginé de froisser les épis par le moyen de voitures pesantes, telles que les charriots, les traîneaux : en Italie & en Gascogne on suit cette méthode. A la Chine, la manière de battre le bled est de faire passer sur les épis un rouleau de marbre brut. Toutes ces pratiques subsistent encore aujourd’hui dans la plupart des pays chauds.

Parmi nous, la manière la plus ordinaire est de battre le bled au fléau. Le Batteur en grange bat le bled en hiver sur l’aire de la grange ; il range les gerbes par terre, en mettant les épis les uns contre les autres, & frappe le bled à grands coups de fléau, instrument très-simple, qui n’est qu’un long morceau de bois, au bout duquel est attaché, avec une forte courroie, un morceau de bois plus court, mais qui conserve toute sa mobilité : c’est à l’aide de ce petit morceau de bois qui reçoit le mouvement qu’on lui imprime en haussant & en baissant le fléau, que l’on sépare le bled de son épi, en retournant plusieurs fois les différentes poignées de chaque gerbe : par cette méthode, on détache très-bien les grains sans les écraser.

Quelque bons que soient tous ces procédés, ils sont cependant un peu longs, & comme tout ce qui tend à abréger la main-d’œuvre doit être précieux à la société, nous allons donner le détail d’une machine avec laquelle on peut battre plus de bled en un jour, sans qu'il reste un seul grain dans les épis, que quarante hommes ne sauroient en battre dans leur journée, en suivant les méthodes ordinaires.

On construit un hangard, plus ou moins grand, dans un emplacement plat & commode, sur le bord d'une rivière ou d'un ruisseau, pour y former un canal ; on affermit le terrain où l’on veut établir la machine, & on l’unit de façon que la caisse du bled roule à plomb ; & afin que les roulettes qui la supportent ne puissent pas tracer sur le terrein des ornières trop profondes, on y met des plateaux en dessous. On plante ensuite deux piliers qui servent de pivots à un grand rouleau, dont la grandeur & le diamètre doivent être relatifs à l'étendue qu'on veut donner à la caisse ; on attache à ce rouleau plusieurs rangs de chevilles de bois ou de dents.

A un de ses bouts, qui est au-delà du pilier qui le soutient, ce rouleau a un petit lanternon qui s'engrène dans les dents d'une roue à éperon, que l’on a attachée à l'arbre de la grande roue à gourgolles, lorsqu'on peut avoir une chute d'eau ; ou à aubes ou palettes, qui sont des planches fixées à la circonférence de la roue, lorsqu'elle est placée dans le lit de la rivière, ou enfin à couronne, c'est-à-dire, dont les dents sont posées verticalement, lorsque ce sont des hommes ou des chevaux qui la tournent : dans quelque position qu'elle soit, il est aisé d'en arrêter le mouvement quand on le juge à propos.

La caisse ou plate-forme, sur laquelle le bled est étendu, doit être plus longue que large, avoir des bords d'un demi-pied de hauteur tout autour, afin que le grain ne puisse pas en sortir ; être soulevée par quatre rangs de roulettes qui servent à la faire aller & venir légèrement sur le plancher qui doit être deux fois plus long que la plate-forme. Les piliers qui soutiennent le rouleau, sont placés exactement à la moitié de la longueur du sol ou plancher, pour empêcher la caisse de s'en écarter, lui servir de borne, & la tenir toujours sous le rouleau, de façon qu'en avançant une fois, & en retournant au point où elle est partie, les épis sont parfaitement dépouillés, parce qu'il n'y en a aucun qui n'ait reçu un grand nombre de coup de fléaux, que le rouleau fait élever avec ses dents, & ensuite retomber. Plus les dents de la grande roue à couronne sont serrées, plus le jeu du rouleau est égal. Les chevilles dont il est garni dans sa circonférence, s'accrochent en passant à tous les battoirs ou fléaux, elles les soulèvent sans cesse & les relâchent ; en retombant, ils frappent les épis qui, lorsqu'ils font secs, se dépouillent sans peine de leurs grains par les coups successifs qu'ils reçoivent. Ces fléaux ne sortent jamais de leur place, & ne peuvent point se déranger, parce


qu'ils sont assez près & assez ferrés pour ne pouvoir pas se croiser les uns sur les autres. Lorsqu'ils s'élèvent ou qu'ils retombent, le liteau qui traverse la caisse, & auquel ils sont suspendus avec une corde, ne les laisse jamais sorrir du point où ils doivent être, soit en s'élevant, soir en tombant, parce qu'un boulon de fer les traverse & les unit tous. De cette manière de procéder, on ne perd pas un instant ; les hommes ou les chevaux qui ont servi à faire aller la machine, prennent haleine & se reposent pendant qu'on remet de nouvelles gerbes. Ces fléaux sont mis sur une barre de fer qui traverse la caisse, & qui tient à deux autres piliers, distants des premiers de la longueur des fléaux qui sont courbes des deux côtés, afin qu'en portant sur la barre de fer, & en s'engrenant aux dents du rouleau, ils tombent à plat sur la paille.

La plate-forme est mise en mouvement par une manette destinée à guider une barre ou pièce de bois qui entre à chaque bout dans l'un des crans de la roue à crochet, qui est arrêtée à chaque dent par un cliquet ou ressort, de façon que les épis vont & reviennent successivement sous les fléaux. Ce cliquet arrête la plate-forme, lorsque la branche se retire pour venir reprendre la dent suivante. L'arbre de la roue à crochet traverse le sol ; on y entortille une corde aussi longue que la caisse à laquelle elle est attachée : à mesure que la roue à crochet tourne, la corde se roule dans son arbre, & tire nécessairement la caisse, jusqu'à ce qu'elle le touche ; alors on ôte le cliquet, on sort de la manivelle la branche de bois ou de fer avec une fourche, on pose une autre branche & un autre cliquet sur la roue à crochet qui est du côté opposé de la caisse ; la corde s'entortille de nouveau à l'arbre dans un sens différent, & par ce moyen elle est obligée de revenir à l’endroit d'où elle étoit partie ; après son retour, on arrête la roue pour donner le temps d'enlever la paille & de mettre d'autres gerbes.

Cette opération est si prompte qu'on bat, au moyen de cette machine, quatre paillées pendant le temps que huit hommes en feroient une ; & comme les batteurs ne peuvent en faire tout au plus que huit par jour, on en gagnerait vingt-quatre de plus, sans compter celles qu'on seroit pendant le temps qu'ils prennent leur repas ou qu'ils se reposent ; ainsi on auroit au moins par jour trente paillées de plus.

Quel avantage n'en résulteroit-il pas pour les fermiers qui sont souvent obligés d'attendre longtemps pour faire battre leurs bleds, parce que les batteurs sont rares ou qu'ils sont occupés à achever de lever leur récolte ! Une ou deux de ces machines suffiroient pour toutes les fermes qui dépendent d'un village ; il en coûteroit beaucoup moins de frais ; le bled seroit plus net, n'y ayant ni terre ni gravier, inconvénient qu'on ne peut éviter en battant les bleds dans des aires, parce que les coups redoublés des fléaux en font toujours sortir de la terre, du graviers ou un sable très-fin qui s'incorpore avec le grain, & se mêle si bien avec la farine, quand on le fait moudre, qu'il n'est pas possible de l'en séparer au blutoir, ce qui rend la farine graveleuse, & ce qui doit altérer la santé.

Quoiqu'au premier aspect cette machine paroisse devenir inutile pendant plus des trois quarts de l'année par le défaut d'exercice, on peut cependant en tirer parti en y mettant à côté un moulin à moudre du bled, que le même courant d'eau feroit aller. Pour cet effet, il n'y a qu'à substituer à la grande roue une roue à couronne dont les dents s'engrènent dans le lanternon du rouleau, & une autre roue à couronne qui tourne horizontalement, & s'engrène de même audit lanternon. Un cheval, attaché au bris qui tient à cette roue, peut la faire tourner, ou, a défaut d'un cheval, deux hommes la feront mouvoir en poussant ce même bras.

Lorsque les grains sont séparés de leurs épis, le batteur les met dans une espèce de grande corbeille d'osier, de forme semi-circulaire, qui n'a point de rebord d'un côté, & à laquelle, de l'autre côté, sont attachées deux mains aussi d'osier ; cette corbeille se nomme le van : il met dedans une certaine quantité de bled, & se tenant debout, il imprime à ce van qu'il pose sur ses genoux, & qu'il agite par le mouvement de ses bras & de son corps, une sorte de mouvement circulaire qui fait rapprocher d'un des bords, à raison de la force centrifuge, les enveloppes du grain & toutes les matières étrangères les plus légères, qu'il sépare & rejette avec la main. Ce van demande une certaine adresse pour être bien manié.

L'ancienne manière de vanner le bled pour le nettoyer, & qui subsiste encore aujourd'hui en Italie & dans plusieurs pays chauds, consistoit à avoir une pelle de bois, à jetter en l’air le grain mêlé avec la paille, & à se placer de manière que le vent emportât la paille.

Lorsque le bled est bien nettoyé, avant de le porter au grenier, il le mesure dans une espèce de seau que l’on nomme minot, de hauteur & de largeur toujours constantes dans chaque pays, & dont un certain nombre donne la mesure qu'on nomme le septier.