Encyclopédie méthodique/Architecture/Palladio

PALLADIO (ANDRÉ), architecte, né à Vicence, en 1518, mort en 1580. On voit par la date de la naissance de Palladio, et conséquemment par celle de l’époque où il put commencer à exercer l’architecture, que déjà cet art, retiré depuis un siècle de la barbarie du moyen âge, rappelé à ses anciens principes, à ses véritables types, aux pratiques du goût des Anciens, par les études d’un très-grand nombre d’artistes célèbres du quinzième siècle, et porté au plus haut point peut-être de la perfection moderne, dans les ouvrages de Bruneleschi, de Léon-Baptiste. Alberti, de Bramante, de Balthazar Peruzzi, des San-Gallo, devoit offrir à leurs successeurs une carrière déjà parcourue avec tant d’éclat, que de nouveaux succès y devenoient plus difficises. Lorsque les premières places semblent toutes occupées, il est assez naturel à ceux qui surviennent, ou de se faire les suivans de leurs prédécesseurs, ou de su créer une fausse célébrité, par la nouveauté qu’on cherche dans le caprice et la bizarrerie.

André Palladio eut le bonheur et le mérite d’échapper à ce double écueil. Après tant d’architectes originaux, il fut encore, non-seulement être original, mais devenir le modèle sur lequel se sont réglés la plupart de ceux qui, dans plus d’un pays, ont fait briller l’art de l’architecture. Son goût devint dominant, et il a donné son nom à une école, c’est-à-dire, à une manière qui n’a pas, depuis lui, eu de rivale ; tant il est vrai qu’il y a toujours une place nouvelle dans tous les arts, pour l’homme à qui la nature a donné le secret de voir, de sentir et de penser par lui-même.

Il faut avouer cependant, qu’en architecture surtout, il faut encore une autre condition. Cet art dépend, bien plus que tout autre, d’une rencontre de circonstances sans lesquelles, comme dans certains lerrains, les meilleurs germes peuvent rester inféconds. Pour qu’il se donne d’habiles architectes dans un temps ou dans un pays, il faut qu’il s’y donne le besoin d’avoir de l’architecture. Or l’architecture, pour être ce que son nom signifie, demande ce qu’elle ne sauroit obtenir, ni de toute sorte de société, ni dans chaque siècle. Une multitude de causes physiques et morales en développent ou en compriment la naissance ou l’essor ; une multitude de circonstances en font naître le besoin, mais sous des formes mes diverses, et à des degrés fort différens.

Les seuls noms des premiers architectes que nous venons de nommer, nous font connoître, dans les monumens qui les ont illustrés, c’est-à-dire par la magnificence, la richesse et la grandeur des temples, des palais, des édifices civils et religieux, une époque où l’architecture étoit comme le premier besoin de la société, où le luxe des grandes familles rivalisoit avec celui des governemens. Ce fut alors que se créa cette suite mémorable des grands ouvrages qui, en Italie, ont marqué l’époque de la grande architecture, c’est-à-dire, de l’art appliqué dans les plus grandes proportions, avec la plus grande solidité et le plus de richesse, à tous les ouvrages commandés par les grands intérêts de la société.

Palladio ne trouva ni dans l’Etat vénitien, ni à l’époque où il parut, c’est-à-dire, vers le milieu du seizième siècle, d’occasions aussi propices à la conception et à l’exécution de ces grandes entreprises. L’Etat de Venise, encore brillant alors par le commerce et par les armes, avoit dû à quelques monumens de l’antiquité, conservés dans ses provinces, à ses anciennes communications avec la Grèce, les traditions du bon goût, et les premiers ouvrages de son architecture ture en font foi. Son gouvernement aristocratique avoit favorisé le luxe des édifices particuliers. La démocratie l’étouffé sous le niveau de l’égalité ; mais le régime de l’aristocratie ne présente d’autre idée, que celle d’une royauté répartie entre plusieurs. Il est dans les intérêts de cet ordre de choses, que la classe privilégiée qui gouverne, fasse sentir au dehors son importance. Elle ne sauroit mieux le faire pour la multitude, que par la distinction et la supériorité des demeures. De-là l’espèce d’étiquette imposé à chaque membre du Gouvernement, de proportionner à son rang l’extérieur de son habitation, et de-là des causes favorables à l’architecture des palais, soumis toutefois à de moindres dimensions que ceux des princes et des monarques.

Telle fut la carrière qui s’ouvrit à Palladio : il n’eut à créer ni de vastes églises, ni de ces palais de souverains, ni de ces grands monumens d’utilité publique, dont l’inconvénient ordinaire fut d’user les talens successifs et divers de plusieurs architectes. L’état politique de son pays lui présenta une classe nombreuse de citoyens enrichis et distingués, jaloux de laisser un souvenir de leur existence, dans des demeures auxquelles ils attachaient leur nom. L’époque dont on parle fut aussi pour Venise, comme il arrive surtout dans les pays dont le commerce augmente les fortunes, une époque de renouvellement pour l’art de bâtir. Alors, une sorte de courant de mode porte chacun, de proche en proche, à suivre le ton dominant. Palladio contribua beaucoup à augmenter ce mouvemeut, C’étoit à qui auroit un projet de lui : les campagnes des environs et les rives de la Brenta s’embellirent d’une suite de palais ou de maisons de plaisance, qui sont devenues l’école de l’architecture civile.

La supériorité du goût de Palladio, ou ce qui a donné à son école une plus grande autorité, tient à ce qu’il a plus soigné ses plans qu’on ne l’avoit fait avant lui, qu’il les a rendus plus accommodés aux besoins des temps modernes, et aux facultés des fortunes moyennes ; qu’il a su faire du grand sans de grandes dimensions, et de la richesse sans beaucoup de dépense ; qu’il a eu le secret d’approprier les ordres aux façades des palais avec une élégance toute nouvelle ; d’employer les ressources des matériaux divers, et d’en faire servir la variété à la décoration des bâtimens ; qu’enfin, il a mieux qu’aucun autre trouvé, dans l’imitation de l’antique, cet heureux milieu de correction sans pédanterie, de sévérité sans affectation, de liberté sans licence, qui a rendu l’architecture et les ordonnances des Grecs propres à tout pays, applicables à tous les usages, à tous les genres de matériaux, dans toutes les sortes de bâtimens, en petit comme en grand, et selon tous les degrés de fortune de ceux qui bâtissent.

De fait, après que l’architecte a formé son style sur les grands modèles de l’antiquité, et y a puisé les raisons fondamentales et les principes de proportion, sur lesquels repose tout le système de l’architecture, lorsqu’il a étudié dans les grands ouvrages de Rome moderne et de Florence, les applications faites de ces lois aux mœurs el aux convenances d’un ordre de choses tout-à-fait différentes, il semble qu’il ne peut pas se dispenser d’aller chercher dans les œuvres de Palladio le secret d’un genre d’applications encore plus usuelles aux travaux que noire état social exigera de lui, d’y étudier l’art de faire plier tour à tour et nos besoins aux plaisirs d’une belle


architecture, el l’agrément de celle-ci, aux nécessités et aux sujétions sociales actuelles.

C’est ainsi que le goût de l’école de Palladio a trouvé comme une seconde patrie en Angleterre, où Inigo Jones, Wreen, Gibb, Chambers et plusieurs autres ont naturalisé ses plans, ses façades de bâtiment, l’ajustement heureux de ses formes, de ses profils, de ses ordonnances, et la style de ses détails.

Le style de Palladio a une propriété qui devoit le propager ; c’est (comme on l’a dit) une espèce de moyen terme entre cette austérité de système, dont quelques esprits exclusifs abusent dans l’imitation de l’antique, et les doctrines anarchiques et licencieuses de ceux qui se refusent à tout système, parce qu’aucun ne peut recevoir d’application universelle, et qui soit sans exception. Il y a dans les édifices de Palladio, une raison toujours claire, une marche simple, un accord satisfaisant entre les lois du besoin et celles du plaisir ; une telle harmonie enfin, qu’on ne sauroit dire lequel a commandé à l’autre. Sa manière présente à tous les pays une imitation facile ; son mérite est bien ce qui a produit cette facilité, mais cette facilité même d’être adaptée à tout, est ce qui proclame son mérite. Aussi estil vrai de dire que Palladio est devenu le maître le plus universellement suivi dans toute l’Europe, et, si l’on peut dire, le législateur des Modernes.

L’homme qui eut tant d’élèves paroît ne l’avoir été lui-même de personne. On ne cite aucun architecte de son temps dont Palladioait suivi les leçons. Si on l’en croit, et ce qu’il dit de lui dans la préface et l’épître dédicatoire du premier livre de son Traité d’Architecture entraîné dès son jeune âge, par un goût naturel, vers l’étude de cet art, il n’eut pour guide et pour maître que Vitruve. Ses études faites ainsi dans sa jeunesse, démentent l’opinion fondée sur une simple tradition, qu’il auroit perdu ce temps si précieux dans des travaux mécaniques et subalternes. La seule intelligence de Vitruve suppose un sujet déjà versé dans plus d’un genre d’études. Aussi Temanza assure-t-il que, dès l’âge de vingt-trois ans, Palladio avoit déjà acquis des notions de géométrie el de littérature, premiers degrés nécessaires pour arriver au savoir qu’exige l’architecture.

Quelques-uns ont cru toutefois que le célèbre littérateur Trissino auroit pu contribuer à son instruction dans cet art, et influer sur la direction de son goût. On l’a encore conclu de la mention honorable que Palladio, dans son Traité déjà cité, a fait de Trissino ; mais de cela même qu’il n’en parle point, comme ayant été son maître, on doit conclure que cela ne fut point, tant l’intérêt même se seroit uni à la reconnoissance, pour engager l’artiste à se vanter d’avoir reçu les leçons d’un homme aussi célèbre.

Quoi qu’il en soit, il dut, sans doute, à son savoir et à son amitié, les encouragemens qui lui facilitèrent les moyens de faire de rapides progrès ; et, par exemple, on voit qu’il fit, avec son zélé protecteur, trois fois le voyage de Rome.

Palladio ne tarda point à s’apercevoir de l’insuffisance des études restreintes aux écrits de Vitruve, de Léon-Baptiste Alberti et des autres maîtres, ses devanciers. Il se livra en entier à l’exploration des monumens antiques, mais non point superficiellement, comme ceux qui ne veulent qu’en copier les œuvres. Lui, il voulut les imiter dans leurs raisons et leurs principes, dans leurs détails et leur ensemble. Non content de relever les parties des édifices ruinés que le temps a épargnées, il interrogea leurs fondations, et recomposant, d’après leurs fragmens, ces restes mutilés, il fut des premiers à redonner, dans de savantes restaurations, l’idée complète de leur état primitif.

Une lettre de Trissino, en date de 1547, nous apprend que cette même année Palladio, âgé de vingt-neuf ans, revint se fixer dans sa patrie, qu’il devoit enrichir des dépouilles de Rome. On est assez d’accord qu’il eut quelque part dans la construction du palais ou hôtel-de-ville d’Udine, commencé par Jean Fontana : du moins Temanza, bon juge en cette matière, assure que le goût de Palladio y est écrit sur plus d’un endroit en caractères fort lisibles.

Mais une plus grande entreprise devoit bientôt donner l’essor à son talent : nous voulons parler de ce qu’on appelle la Basilique de Vicence, ancienne construction, dans le goût qu’on nomme tudesque ou gothique en Italie. C’est une vaste salle, jadis aussi environnée de portiques, où il paroît qu’on rendoit la justice, et qui fut, sans doute, une tradition des anciennes basiliques chez les Romains. Le laps des siècles et divers accidens l’avoient réduite à un état ruineux, et dès le quinzième siècle, on avoit fait, surtout aux portiques extérieurs, de graves réparations qui n’aboutirent qu’à retarder les progrès du mal. Il devint si menaçant, que plusieurs architectes furent consultés pour trouver le meilleur moyen de conserve au moins le corps de bâtiment ou la grande salle, en lui donnant pour contre-forts de nouveaux portiques extérieurs. Jules Romain, alors fixé à Mantoue, donna un projet de cette restauration, mais celui de Palladio obtint un plus grand nombre de suffrages ; il eut la préférence.

Rien de plus difficile en architecture, que de raccorder à un reste de bâtiment obligé, un ensemble nouveau, qui ne paroisse point un horsd’œuvre disparate, et où rien ne fasse sentir la gêne imposée à l’artiste. Ce fut certainement un coup de maître de la part de Palladio, d’avoir appliqué au support de cette ancienne construction, une ordonnance de portiques si bien en rapport avec elle, que personne ne soupçonnerait que ce fût un édifice dû à des temps si divers et à


des styles si étrangers l’un à l’autre. L’architecte imagina d’élever tout à l’entour deux rangs de galeries, dont l’inférieur a un ordre dorique, et le supérieur est orné d’un ionique. Ces colonnes, tant celles d’en haut que celles d’eu bas, sont adossées à des piédroits, et séparées par des arcades, dont la retombée porte sur de petites colonnes isolées. L’entablement dorique est orné de triglyphes et de métopes. L’ionique supporte une balustrade servant d’appui à une terrasse qui règne dans tout le pourtour, et au-dessus de laquelle s’élève comme une espèce d’attique orné de pilastres, percé de jours circulaires, qui sont de l’ancienne construction, et répandent la lumière dans l’intérieur de la salle. Il faut examiner le plan et les coupes de tout le monument dans son état actuel, pour pouvoir se rendre compte de l’intelligence avec laquelle Palladio a su établir la plus exacte correspondance, entre les colonnes de sa nouvelle ordonnance extérieure, et les piliers gothiques de l’intérieur. La beauté de la pierre, la pureté de l’exécution, la finesse et la correction des détails ajoutèrent un prix nouveau à cette entreprise. Voyez au mot BASILIQUE MODERNE, une plus ample description de ce monument.

La réputation qu’elle lui acquit lui valut l’honneur d’être appelé à Rome, où il retourna pour la quatrième fois. Il s’agissoit de concourir aux projets de la nouveIle basilique de Saint-Pierre, mais le pape Paul IIl mourut avant son arrivée. Trissino l’avoit recommandé au pontife pour succéder à San-Gallo, et Trissino mourut aussi bientôt après. Cependant Palladio fut mettre à profit ce nouveau séjour à Rome. Il se mit a mesurer encore, à revoir et à redessiner le plus grand nombre des édifices antiques, tels que théâtres, amphithéâtres, arcs de triomphe, temples, tombeaux, thermes, etc. Il est à croire que ce fut aussi alors qu’il eut l’occasion de faire exécuter, à Rome, quelques projets de son invention, à moins qu’on ne les rapporte à un autre voyage ; car Rome le vit cinq fois, et toujours occupé de ses antiquités.

C’est à ces études réitérées qu’il dut de publier, en 1554, un petit ouvrage sur les monumens antiques, qui, bien qu’assez abrégé, fut reçu avec applaudissement, et réimprimé, tant à Rome qu à Venise.

De retour, et définitivement fixé dans sa patrie, Palladio commença à y jouir d’une réputation exclusive. C’étoit à qui auroit un palais de ville ou de campagne exécuté sur ses dessins ; et ici commenceroit, si l’étendue de cet article le permettoit, la description de cette nombreuse série d’édifices si variés dans leurs plans et leurs élévations, si ingénieux dans leur composition si élégans et d’un goût si exquis, dont les villes et les campagues de l’Etat vénitien nous offrent le recueil.

Mais comment faire connoître par le discours, des beautés sur lesquelles le discours n’a aucune prise ? Une nouvelle difficulté est venue se joindre à celles que de semblables descriptions font éprouver à l’écrivain. En effet, le plus grand nombre des ouvrages de Palladio, comme on l’a dit, fut exécuté pour les demeures de riches particuliers, de familles opulentes et illustres, dans leur pays. Or, par quel nom désigner aujourd’hui la plupart de ces élégans palais, de ces charmantes maisons de campagne, qui, par l’effet des révolutions et du temps, ont changé de propriétaires ? Il en faudroit aujourd’hui une description nouvelle, ou pour mieux dire, il faudroit faire une nouvelle œuvre de Palladio, où chacun de ses ouvrages seroit désigné par le nom de la ville, de la rue, de la campagne, où il existe. L’ancienne nomenclature ne peut presque plus nous servir.

Au lieu donc d’en suivre les notions, telles que les donnent les biographies, sous leurs anciens noms, nous allons nous contenter de classer les palais de ville et de campagne de Palladio, sous le seul rapport des variétés de leur architecture.

On peut affirmer qu’il y a épuisé presque toutes les combinaisons que les diversités des ordres grecs, leurs nombreuses applications aux formes et aux besoins de la construction, les procédés de l’art de bâtir, l’emploi de tous les types, de tous les matériaux, peuvent sournir au génie inventif de l’architecte.

Dans les palais de ville, Palladio sut réunir avec beaucoup de propriété l’usage des portiques et l’emploi des ordres de colonnes. Volontiers le rez-de-chaussée de ses édifices se compose d’arcades, quelquefois simples et sans bandeau, comme on le voit au palais qu’on croit avoir été construit par lui pour Trissino, où des niches carrées sont percées dans le massif des piédroits, lorsqu’au-dessus d’autres petites niches circulaires renferment des bustes. D autres fois ses portiques servent de soubassement rustique à l’étage supérieur ou à l’ordonnance qui le décore. Personne n’a employé avec plus de réserve et d’élégance à la fois, le genre rustique. Les bossages sont dans l’heureux emploi que l’architecte sait en faire, ce que, dans la peinture, sont les ombres et les moyens d’opposition, qui résultent de la diversité des tons et des couleurs. Tel est l’effet des matériaux rustiques, dans l’ensemble des devantures ou des façades des palais ; en même temps qu’ils servent à fixer par le plus ou le moins de force et de saillant qu’on leur donne, le caractère plus ou moins grave de l’ordonnance, ils forment un contraste plus ou moins sensible avec ce qui les environne. Mais ils ont surtout l’avantage de donner un grand air de solidité à la bâtisse. Palladio ne porta point, comme on l’avoit fait avant lui à Florence, l’abus du bossage à cet excès qui semble ne devoir convenir qu’à des murs de forteresses ou de prisons. Il fut en varier avec goût les compartimens, il fut en tempérer l’austérité par des nuances légères, et par un accord si bien raisonné entre les vides et les pleins, entre la masse générale et ses détails, que l’œil trouve dans ces variétés un agrément d’autant plus vif, que le genre sembloit le moins devoir s’y prêter.

Telle est l’impression que produit le magnifique palais, connu sous le nom de Tiene. Palladio lui-même, en nous apprenant qu’il avoit disposé le côté de ce palais regardant la place, de manière à admettre des boutiques, qui ont dans le cintre des arcades, un entre-sol, nous fait peut-être entendre que ce motif put le porter à donner un caractère massif à ce soubassement. L’étage principal ayant onze croisées de face dans chacun de ses quatre côtés, est orné de pilastres corinthiens, accouplés aux angles ou sur quelques trumeaux plus larges, isolés sur tous les autres, et se détachant sur un mur découpé de simples refends. Les fenêtres sont à frontons alternativement angulaires et circulaires, portées par de petites colonnes entrecoupées de bossages, lesquels, avec les claveaux également en saillie de la platebande des croisées, rappellent le style du soubassement.

Il est, sans doute, à regretter qu’un aussi bel ensemble n’ait pas reçu son entière exécution. On ne s’en forme l’idée générale que dans le grand Recueil des Œuvres de Palladio, publié à Vicence, en 1786.

Palladio, dans son Traité d Architecture, où il traite également des édifices de l’antiquité, s’est souvent permis de produire les dessins des siens propres, comme exemples d’autant mieux faits pour expliquer Vitruve, que nourri de tous les modèles des ruines de Rome et d’autres pays, ce fut souvent à l’instar des fabriques antiques, qu’il imagina, composa et distribua les palais dont il étoit chargé.

Ainsi le voyons nous dans le palais qu’il bâtit à Vicence, pour un seigneur de cette ville, qu’il nomme Joseph de’ Porti, en établir le plan de la manière la plus symétrique, sur un terrain qui, faisant face à deux rues, lui donna lieu de répéter, d’un côté comme de l’autre, et la même distribution intérieure, et la même élévation extérieure. Ce sont comme deux maisons semblables, réunies par une seule et même cour. Celle de devant, dit-il, est à l’usage du maître, celle de derrière sera pour les étrangers selon la pratique des maisons grecques, qui avoient ainsi deux corps-de-logis distincts. Ce double palais se compose d’un rez-de-chaussée à arcades et en bossages peu ressentis, formant le soubassement d’une ordonnance de colonnes ioniques, qui séparent les sept fenêtres de la façade. Au-dessus s’élève un attique, percé d’autant de petites fenêtres carrées, dont les trumeaux sont occupés par des statues, à l’à-plomb des colonnes. Les fenêtres du premier étage sont à chambranles, ornés de frontons alternativement angulaires et circulaires. La cour est environnée d’une galerie formée par de belles colonnes à chapiteau composite, et coupées par la balustrade de la galerie supérieure, qui répond aux fenêtres du premier étage.

Palladio ne s’est presque jamais répété dans une seule de ses nombreuses compositions. Il dispose de tous les moyens de l’architecture avec pleine liberté. Ici il établit deux ordres de colonnes adossées ; là il use de pilastres, dont la hauteur embrasse l’étage d’en bas et l’étage supérieur ; tantôt il place les colonnes de ses devantures sur de très-hauts piédestaux, qui sont exhaussés eux-mêmes sur des socles ; tantôt il accouple les ordres, et donne aux colonnes une base commune ; tantôt il fait le contraire. Ici, comme au palais Valmanara, un soubassement d’arcades toutes lisses supporte un péristyle de colonnes doriques, dont les entre-colonnemens sont inégaux, et partout on sent l’action d’un génie rempli de toutes les richesses de l’art, toujours conduit par les principes du beau, mais jamais esclave d’aucune méthode exclusive. Tout ce qu’une sévérité de principes absolue pourroit regarder comme abus ou comme licence, reçoit de l’harmonie de sa composition et de l’élégance de ses formes, un tel charme, qu’on est toujours porté à croire que le mieux y auroit été l’ennemi du bien.

Il y a en architecture, comme en tout genre, des esprits portés à n’admettre que des règles inflexibles, et qui semblent croire que c’est aux hommes, aux temps, aux besoins, à se faire aux règles, comme si la règle du convenable n’étoit pas l’effet de toutes les causes préexistantes. Palladio semble avoir eu pour objet de montrer que tout ce qu’il y a de beau et de bon dans l’architecture des Anciens, peut convenir à tous les temps, à tous les pays, avec les modifications que les Anciens ont admises eux-mêmes dans leurs ouvrages. D’après sa manière d’imiter les Anciens, il paroîtroit n’avoir eu d’autre système que de faire, comme feroient les mêmes Anciens, s’ils revenoient exercer leur art chez les Modernes. De-là cette application libre, facile et spirituelle, des masses, des lignes, des plans, des ornemens de l’antique, a toute construction.

On ne sauroit parcourir la suite nombreuse des charmantes maisons de campagne, dont il a embelli le Vicentin et les Etats de Venise, sans se croire transporté dans l’ancienne Grèce, ou sur le territoire, si riche en ce genre, de Rome et de ses environs.

C’est là que Palladio a donné l’essor à son imagination : disposant à volonté de terrains bien moins circonscrits que ne le sont ceux des villes, il s’est plu à embrasser dans l’ensemble de ses plans, toutes les sortes d’accompagnemens, qui servent, si l’on peut dire, de cadre au corps principal du bâtiment.

Faute de pouvoir nous livrer, dans cet article, à la description détaillée de toutes ces inventions, c’est au Traité d’Architecture de Palladio que nous renvoyons le lecteur. Il y verra avec plaisir l’auteur lui-même énumérer et décrire, soit par le discours, soit par le dessin, cette multitude de maisons bâties par lui, et dont chacune semble un de ces projets composés de fantaisie, dont l’imagination de l’architecte aime à fixer sur le papier l’exécution peu dispendieuse. Ici, il verra la maison de campagne s élever au fond d’une spacieuse avant-cour fermée de portiques circulaires ; là, elle se trouve flanquée de bâtimens, dont les ordonnances viennent se réunir au corps principal. Ailleurs, le bâtiment d’habitation se compose de quatre corps chacun, avec son péristyle, et réunis dans le milieu par une coupole. De grands portiques conduisent ordinairement à la maison, et l’architecte s’est étudié à varier les plans de tous ces accessoires, autant que les façades et les élévations de son édifice. La plus grande symétrie règne dans les plans, et toujours on trouve dans l’aspect du bâtiment, un motif ingénieux qui naturellement y produit un effet pittoresque. Ajoutons qu’à toutes ces inventions président un goût sage, une exécution pure, un choix de formes et de matériaux heureusement combinés, sans que jamais la bizarrerie s’y montre. On n’y voit ni frontons rompus, ni ressauts inutiles, ni formes contournées, ni détails découpés ; toujours la ligne droite ou la courbe régulière ; rien de mixtiligne dans les plans ; point d’ondulation dans l’élévation, point d’entablemens brisés ou chantournés.

Disons-le enfin, telle fut l’abondance des inventions de Palladio, en ce genre, et telle la multitude des entreprises offertes à son génie, ou auxquelles son génie donna lieu, qu’on peut affirmer qu’il est peu de bâtimens exécutés depuis lui en divers pays, qui ne lui aient payé un tribut d’imitation. Une opinion généralement répandue le confirme. C’est du Palladio, dit-on, quand on veut louer, en fait de maison de ville ou de campagne, l’ouvrage d’un architecte moderne.

Le nom de Palladio, déjà connu dans toute l’Italie, avoit aussi, depuis quelque temps, retenti à Venise. Il venoit de construire près de cette capitale, sur les rives de la Brenta, le beau palais Foscari, si remarquable par la simplicité de sa masse, la belle proportion et la noblesse de son péristyle en colonnes ioniques. Sansovino, âgé de quatre-vingts ans, touchoit au terme de sa longue vie : il fut des premiers à proclamer Palladio pour son successeur, et il lui céda le sceptre de l’art.

Le premier ouvrage de celui-ci, à Venise, fut le monastère des chanoines de Saint-Jean-de-Latran de la Charité. Nourri de toutes les idées de l’antiquité, Palladio forma le projet de réaliser, dans la conception de son édifice, le plan donné par Vitruve de la Maison des Romains. Sur ce programme, il construisit, à l’entrée, un bel atrium corinthien, conduisant à une cour environnée de portiques, qui, par toutes ses dépendances, se rattachoit aux bâtimens d’habitation, à l’église et aux salles de services nécessaires. Déjà beaucoup de ces constructions étoient achevées, lorsqu’un incendie vint en détruire la plus grande partie. De tout cet ensemble, il n’est resté qu’un côté de la grande cour, une des salles et l’escalier en limaçon.

Dans le même temps on construisoit, sur ses dessins, le beau réfectoire de Saint-George-Majeur. Les religieux, enchantés du style pur et gracieux de Palladio, résolurent d’abattre leur ancienne église, en le chargeant d’en construire une nouvelle. C’est un des principaux ouvrages de notre architecte, et il y fit preuve d’autant de goût que de jugement, dans la manière d’adapter les maximes, les formes et les proportions de l’architecture antique, aux données, aux besoins et aux habitudes des Modernes, dans les églises chrétiennes, si différentes en tout des temples payens.

C’est ici que se montre bien à découvert cet esprit dans lequel nous avons déjà dit que Palladio sut imiter les Anciens, non pas en se plaçant dans leur siècle, mais en supposant ce qu’ils feroient eux-mêmes si, revenant au monde, ils se trouvoient dans le sien. Le système des Anciens dans la composition de leurs monumens, et, pour mieux dire, dans le développement qu’ils donnèrent à leur architecture, fut d’asseoir la forme extérieure de chaque genre d’édifice sur une raison élémentaire, puisée dans la nature des choses, c’est-à-dire, sa nature des usages consacrés par le besoin. Ce fut ainsi qu’à partir des premiers types qui servirent de rudimens aux parties constituantes de leurs ordonnances, ils se réglèrent progressivement dans le caractère de chaque monument, sur la forme primitive que la nécessité et les convenances qui en procèdent, lui avoient imprimée.

Palladio fit de même. Il ne trouva plus de rapport naturel entre la forme du temple payen et celle de l’église chrétienne. Au lieu de faire violence aux usages, aux dimensions, aux constructions, aux opinions reçues, il partit du type des basiliques chrétiennes, comme d’une donnée à laquelle l’art de la disposition et de la décoration se devoit conformer. L’usage étant d’élever très-haut la nef principale de l’église en lui subordonnant les nefs collatérales des bas côtés, il conserva cette division dans le frontispice de Saint-George-Majeur. Son portail se compose donc d’un grand ordre, exhaussé sur des piédestaux, et portant un fronton qui arrive au sommet du toit de la grande nef. Il suppose ensuite que les bas côtés auroient reçu un fronton commun, qui se trouve coupé par le grand ordre, et dont l’architecture a conservé seulement les parties rampantes avec l’entablement, que soutient un ordre de pilastres, de la moitié moins hauts que les colonnes du milieu. Ainsi se trouve accusée et laissée à découvert la disposition du corps de In construction de l’église ; et ce parti, qui n’est pas sans objection si l’on veut y appliquer la mesure d’une critique absolue, paroîtra toujours plus raisonnable, que ces devantures de portail qui, ne tenant en aucune manière au système de la bâtisse, ne semblent être que des placages et des hors-d’œuvres postiches.

L’intérieur de l’église de Saint-George-Majour forme une croix latine, dont les quatre nefs sont réunies par une coupole. On y trouve partout un caractère sage, une exécution précieuse, et un style de détails simples, nobles et bien ordonnés. Le chœur, qui semble avoir été une addition au plan primitif, offre une imitation si exacte de l’antique dans l’ordonnance des fenêtres, qu’on croît y reconnoître la disposition des niches du temple vulgairement appelé temple de Diane, à Nimes, que Palladio avoit vu, dessiné et mesuré avec les autres antiquités de celle ville.

Il suivit le même système de façade dans le frontispice qu’il fut chargé de faire à l’église de San-Francesco della Vigna, ouvrage de Sansovino, qui lui avoit destine un autre portail. Mais le projet de Palladio eut la préférence. C’est encore un grand ordre corinthien, placé en avant et jusqu’à la hauteur de la grande nef, et coupant l’entablement d’un petit ordre adapté aux bas côtés, qui sont indiqués par une portion de la pente de leur toit.

Le Sénat chargea Palladio de la construction de l’église du Rédempteur, monument élevé en actions de grâce de la cessation de la peste, qui fit les plus grands ravages en 1576. On admire la simplicité du plan intérieur, la noblesse de son ordonnance corinthienne, et l’heureuse disposition des chapelles latérales qui occupent la place des bas côtés et en tiennent lieu, jusqu’à un certain point, par l’effet d’un passage qui conduit d’une chapelle à l’autre. Palladio fut encore fidèle au parti de décoration qu’il avoit adopté dans les frontispices d’église. Toujours portions rampantes de fronton pour les bas côtés ; toujours un grand ordre, avec fronton, pour la nef : ici toutefois le fronton s’élève moins haut. Il y a au-dessus un attique qui va chercher la croupe du toit de l’église.

On attribue encore à Palladio d’autres églises d’une moindre dimension, mais qui, quand même elles seroient son ouvrage, ajouteroient peu de chose à la gloire de leur auteur.

Ces grands travaux n’empêchoient pas le célèbre artiste vicentin de travailler pour sa ville, où l’on se faisoit un devoir de le charger de tous les ouvrages importans. Ainsi, en 1561, on lui demanda les plans d’un théâtre qu’on vouloit construire dans la grande salle de la Maison de ville, pour y représenter la tragédie d’Œdipe. A Venise, il éleva un théâtre que décora Frédéric Zaccaro : on le conserva long-temps comme modèle en son genre, jusqu’à ce qu’un incendie eut consumé la plus grande partie des bâtimens du monastère où il étoit situé.

Palladio eut encore d’assez fréquentes occasions de déployer les richesses de son imagination, dans les fêtes publiques auxquelles divers événemens donnèrent lieu de son temps. C’est alors qu’on le voyoit reproduire en monumens temporaires, toutes les magnificences de l’architecture antique : arcs de triomphe, colonnes triomphales, obélisques, fontaines, groupes de figures, colosses de tout genre. Le passage de Henri III par Venise, lorsqu’il quitta la Pologne pour monter sur le trône de France, donna aussi lieu à des réjouissances, dont le génie de Palladio fit les frais. La représentation de cette entrée triomphale s’est conservée dans un tableau d’André Vicentino, et fut décrite par Marsilio della Croce.

Un événement désastreux, arrivé en 1567, le mit dans le cas de montrer son talent dans un autre genre. La Brenta débordée ayant renversé le pont de Bassano, Palladio composa le dessin d’un nouveau pont en pierres, dont on voit la figure au chapitre IV du 3e. livre de son Traité d’Architecture. L’énormité de la dépense effraya les habitans : on se réduisit à lui demander un pont de bois, qui fut exécuté en 1570, et dont on voit la figure au chapitre IX du livre susdit. Ce pont de cent quatre-vingts pieds de long sur vingt-six de large, est d’une simplicité remarquable. Il est couvert d’une galerie à jour, supportée par des colonnes qui servent aussi à l’agrément du coup d’œil.

Palladio étoit aussi instruit dans l’art de l’antique architecture, que dans la science de la construction des Anciens et de leurs procédés mécaniques de charpente. Ayant lu, dans les Commentaires de César, la description du pont de bois que ce grand capitaine avoit fait jeter sur le Rhône, il essaya d’en réaliser, par le dessin, les savantes combinaisons, dans un pont, dont on peut voir, au livre déjà cité, les intéressans détails. On y admire encore le projet d’un pont de magnificence, pour une grande capitale. Palladio pensoit à Venise, et ce pont auroit dû être celui de Rialto, qu’on projetoit depuis long-temps de construire en pierres sur le grand canal. Déjà Michel Ange et Fra-Giocondo avoient présenté des dessins pour ce projet toujours resé sans exécution. D’autres concurrens se mirent sur les rangs, et on compte dans le nombre Sansovino, Scamozzi, Vignole, Palladio et Ant. Delponte. Le modèle de ce dernier fut préféré ; ce qui prouve que le résultat de la concurrence n’est pas toujours, en pratique, ce qu’on se le figure en spéculation.

Nous avons cru devoir supprimer, dans cet article, l’énumération très-inutile, si elle n’est accompagnée de descriptions, et la description toujours insuffisante sans le dessin qui parle aux yeux, des innombrables projets de palais ou de maisons de campagne, exécutés par Palladio, dans tout le territoire de Venise, et dans toutes les villes voisines. Le choix de quelques-uns de ces édifices n’eût pus été moins embarrassant, et chacun auroit pu se plaindre de la préférence qu’on auroit donnée à l’un au préjudice de l’autre. Il nous a semblé plus convenable de faire ressortir le goût de l’artiste, et d’indiquer l’influence qu’il a exercée sur toute l’Europe, par la manière ingénieuse, facile et agréable, dont il a su appliquer les formes de l’art antique aux besoins et aux sujétions des usages modernes.

Nous nous sommes donc bornés à parcourir ses nombreux travaux, sous le rapport qui peut le mieux en faire sentir le mérite, Nous n’avons point omis toutefois de faire une mention particulière des principaux monumens sur lesquels sa réputation se fonde avec plus d’éclat. Il nous reste à parler de celui qui occupa les dernières années de sa vie, et dans lequel il s’est montré le digne émule et continuateur des architectes grecs et romains.

Nous voulons parler du théâtre olympique de Vicence.

L’académie olympienne de cette ville venoit de remettre en honneur le théâtre des Anciens, dans des imitations faites en italien, des œuvres des poëtes grecs et romains. C’étoit pour de semblables représentations, comme pour la Sophonisbe de Trissino, que Palladio avoit élevé, en plus d’un endroit, des théâtres temporaires. L’académie, fatiguée d’avoir à changer sans cesse de lieu, résolut d’établir, dans son emplacement, un théâtre fixe et durable. Comme tout étoit à l’antique alors, pièces, sujets, mœurs et facture des poëmes ; l’idée d’imiter aussi l’antique dans la construction, la forme et la décoration, tant de la scène pour les acteurs, que du théâtre pour les spectateurs, fut une idée toute simple et toute naturelle. Vicence possédoit encore l’artiste le plus versé dans l’intelligence de l’antiquité, sur ce point, et qui avoit déjà fourni à Daniel Barbaro, pour son Commentaire sur Vitruve, les lumières que la pratique et l’étude de cette partie lui avoient fait acquérir.

Palladio fut donc chargé de cette entreprise, où il montra autant de savoir que d’intelligence ; mais surtout il y fit preuve, comme dans tout le reste, de ce bon esprit qui sait accommoder aux lieux, aux terrains, aux sujétions données, les types et les formes des modèles antiques. Gêné par le terrain, Palladio s’écarta des règles de Vitruve, dans la formation de son théâtre, auquel il donna la forme elliptique, au lieu de celle d’un demi-cercle. Au-dessus des gradins du théâtre, il éleva une belle colonnade corinthienne, supportant un entablement avec des statues, et procurant une galerie supérieure et inférieure, à laquelle toutefois il ne put donner une entière continuité, gêné qu’il fut par l’espace de la rue qui lui est contiguë. Mais l’aspect et la symétrie y perdent fort peu.

Il disposa la scène selon la méthode antique, c’est-à-dire, qu’il construisit, en face des gradins du théâtre, une magnifique devanture, formée de deux ordonnances de colonnes, l’une au-dessus de l’autre, et couronnées par un attique. Rien n’est plus propre à nous donner une juste idée de la décoration de la scène, dans les théâtres des Anciens, où, comme l’on sait, l’architecture se permettoit des libertés, qu’on doit appeler quelquefois excessives. C’est là, et les notions de Pline, sur ce sujet, nous le confirment, que le luxe décoratif et l’abus de la richesse ne connoissent point de terme. Palladio, à cet égard, nous paroît être resté dans des bornes très-raisonnables. Il y a une grande sagesse dans la disposition des ordonnances, et beaucoup plus de sobriété d’ornemens qu’on ne pourroit le croire. Les statues étoient jadis prodiguées par centaines à l’embellissement des théâtres. Il semble que Palladio se soit aussi étudié à les multiplier. Si cependant on excepte celles qui s’adossent aux colonnes du second ordre, on avouera que toutes les autres y sont placées avec autant de convenance que d’économie.

Quant aux détails, ils sont parfaitement conformes aux pratiques de l’antiquité. Ce sont les mêmes percées, laissant voir par les ouvertures des portes les décorations peintes sur des prismes mobiles. Palladio n’eut pas l’avantage de terminer ce monument. Il fut achevé par son fils, sur ses dessins. Comme ce fut son dernier ouvrage, nous terminons aussi par lui la mention de ses travaux.

Les études, les voyages, les fatigues de son état, paroissent avoir altéré sa santé et abrégé ses jours, à un âge où il auroit pu produire encore beaucoup d’ouvrages, et donner la dernière main à ceux qu’il avoit commencés. Il mourut à Vicence, le 19 août 1580, âgé de soixante-deux ans, vivement regretté des habitans d’une ville qu’il avoit illustrée et embellie par les œuvres de son génie.

Les académiciens de la Société olympique lui rendirent les derniers devoirs, et composèrent, en son honneur, un grand nombre de pièces de vers.

Palladio avoit eu trois fils, Léonidas, Horace et Scilla. Un sonnet d’Horace, qui s’est conservé, prouve que ce jeune homme avoit profité de l’éducation qu’il avoit reçue. Scilla fut celui qui succéda à son père dans les entreprises d’architecture. Léonidas l’aida dans quelques-uns de ses travaux littéraires, comme les notes sur les Commentaires de César.

En effet, Palladio réunissoit à la science de l’architecture, une érudition peu commune. Son Traité d’Architecture est un monument qui dépose à la fois de son talent, comme artiste, et de son savoir comme érudit et antiquaire. Le succès de ce traité fut tel, que dans l’espace de soixante-douze ans, on en fit, à Venise, trois éditions. Depuis, il a été publié et traduit dans toutes les langues.

C’est surtout en Angleterre que le style de Palladio s’est propagé et reproduit avec le plus de succès : il y est devenu classique. On y a construit un nombre infini de maisons et de palais qui semblent des répétitions exactes des masses, des formes, des ordonnances et des proportions de Palladio. L’habile architecte Inigo Jones, qui fut son élève, contribua surtout à cette transplantation. Voyez Inigo Jones.