Encyclopédie anarchiste/Substance - Suspect

Collectif
Texte établi par Sébastien FaureLa Libraire internationale (p. 2678-2688).


SUBSTANCE n. f. (du latin sub, sous, stare, se tenir). Le problème philosophique de la substance revêt un double aspect aux yeux du penseur moderne. D’une part, il concerne la perception du monde extérieur, la nature intime et profonde des objets que nous révèle l’expérience sensible ; d’autre part, il se préoccupe du fond invariable de l’être humain, de son moi, jugé distinct des phénomènes psychologiques que l’introspection fait connaître. Négligeant les creuses subtilités des scolastiques, touchant le problème de la substance, nous parlerons successivement de la perception des réalités extérieures et de celle du sujet pensant.

Pour l’ignorant, le monde extérieur existe bien tel que nous le percevons. Couleur, odeur, saveur, froid, chaud, et toutes les autres qualités sensibles sont des propriétés des choses elles-mêmes et, par conséquent, indépendantes de notre conscience. C’est avec des haussements d’épaules et un sourire dédaigneux ou compatissant, que maintes personnes, même non dépourvues d’instruction, écoutent l’homme qui se prend à douter de la valeur objective du témoignage de ses sens. En peuplant le monde de formes ou de qualités occultes, qui constitueraient les éléments des choses, Aristote et les scolastiques, ses admirateurs, sont restés proches de cette conception simpliste. Ils érigent en entités réelles des propriétés de nature subjective. Mais la physique a détruit radicalement cette croyance instinctive à l’objectivité de nos perceptions. Elle a ramené la lumière à un rayonnement d’énergie, le son, la chaleur, etc. à des vibrations de la matière. Dans l’univers qu’elle nous découvre, tout résulte, en définitive, d’ondes et de mouvements corpusculaires. De leur côté, physiologie et psychologie ont montré que nos perceptions sensibles dépendent, dans une large mesure, de la structure et de l’état des organismes nerveux, soit périphériques, soit centraux, et que la mémoire, l’association des idées, l’habitude et les autres facultés mentales jouent aussi un rôle des plus importants. De bonne heure, la simple réflexion philosophique avait conduit des penseurs, comme Héraclite et Parménide, à distinguer l’être réel et permanent des apparences variables et changeantes. L’opposition entre l’idée immuable, toujours identique à elle-même, et les données sensibles, dépourvues de stabilité, constitue la base essentielle de la philosophie platonicienne. Beaucoup d’autres philosophes rationalistes, pleins de défiance à l’égard de nos perceptions externes, ont demandé à l’intelligence de nous renseigner sur les qualités durables et constitutives des objets.

Raffinant à l’extrême la terminologie d’Aristote, les scolastiques distinguaient l’essence de la substance. Le premier terme désigna les qualités contenues dans la définition, les idées qui constituaient la compréhension du genre et de l’espèce ; le second s’appliqua à l’abstraite notion de matière indéterminée, notion que l’on érigea bien à tort en entité incompréhensible. Mille arguties, mille querelles extravagantes découlèrent de cette logomachie et firent les délices des philosophes du Moyen Âge. Elles intéressent encore les lecteurs d’un Maritain, mais ne méritent pas de retenir l’attention d’un homme sensé. Pour Descartes, ce qu’il y a de réel dans l’univers qui nous entoure, c’est ce que notre entendement conçoit d’une façon claire et distincte, non ce que nos sens perçoivent. L’étendue, voilà l’unique propriété vraiment constitutive des objets matériels. Un morceau de cire change de couleur, d’odeur, de forme, etc… lorsqu’on le fait fondre en le plaçant sur le feu ; mais, liquide ou solide, nous savons « par une inspection de l’esprit » que la cire est toujours étendue. Aussi l’espace, selon Descartes, ne diffère-t-il « de la substance que par cela seul que nous considérons quelquefois l’étendue sans faire réflexion sur la chose même qui est étendue ». S’inspirant d’idées semblables, Locke distinguera dans les corps les qualités premières, étendue, figure, solidité, etc… sans lesquelles on ne saurait les concevoir, et les qualités secondes, couleur, son, odeur, etc… qui peuvent être supprimées, au moins abstraitement, sans que disparaisse la notion de corps. « Les qualités premières sont dans les corps, soit que nous les y apercevions ou non », alors que « les secondes sont jugées y être et n’y sont point ». Mais il n’a pas été difficile de démontrer que l’étendue de Descartes et les qualités premières de Locke étaient aussi dépourvues d’objectivité que la couleur, le son ou la saveur. En conséquence le problème de la substance constitutive des réalités perçues par nos sens s’offre au penseur moderne sous un angle assez différent.

Voici devant moi un objet quelconque, une orange par exemple. Sa perception se réduit. en dernière analyse, au groupement d’un ensemble de sensations actuelles, d’images, de souvenirs, d’idées, d’habitudes mentales diverses. L’orange possède une couleur et une forme bien caractéristiques ; au contact, elle donne une impression de froid et de légères inégalités ; à la pression des doigts, elle oppose une résistance ; elle a de plus une odeur et une saveur très particulières. Et chacune de ces sensations peut être donnée séparément ; il existe une orange visuelle, une orange tactile et thermique, une orange olfactive, une orange gustative. Un aveugle de naissance, brusquement guéri de sa cécité, ne reconnaîtrait pas de prime abord, et par la seule vue, 1’orange qu’il distingue si facilement grâce à l’odorat ou au toucher. Une simple image, un souvenir des perceptions antérieures remplacent d’ailleurs fréquemment la sensation actuelle ; la vue d’une orange placée derrière la vitrine d’un magasin suffira, par exemple, à évoquer en moi le souvenir très précis de l’orange tactile, de l’orange olfactive, de l’orange gustative. Quand je perçois l’orange visuelle, je crois la saisir avec l’ensemble des qualités qu’elle présente d’ordinaire.

Mais ces propriétés de l’orange, que l’analyse psychologique nous montre nettement distinctes, nous leur supposons un substratum commun, la substance, qui se dissimule sous la couleur, qui engendre la forme et la résistance, qui provoque l’odeur et la saveur. Cette substance, nous ne la percevons pas directement ; néanmoins, nous ne pouvons douter de son existence, car toutes les fois que nos sens s’exercent ensemble, et sur le même objet, ils nous donnent les mêmes sensations. C’est simultanément que je saisis l’orange visuelle, l’orange tactile, l’orange olfactive et l’orange gustative, si mes divers sens s’appliquent en même temps à la percevoir. D’où la synthèse de ces images différentes, qui s’agrègent entre elles et donnent finalement un objet unique. Ajoutons que le déplacement de cet objet entraînera celui de toutes ses qualités : preuve nouvelle de l’existence d’un substratum soutenant ces dernières. Ce substratum, c’est la matière dont les combinaisons infiniment variées engendrent tout ce qui existe. Substance universelle, d’où jaillissent le mouvement et la vie, la matière n’est d’ailleurs point l’entité inerte et passive que les spiritualistes ont sottement imaginée. Inséparable de la force, elle répond à une prodigieuse condensation d’énergie, à un équilibre dont le dynamisme ne peut s’accommoder d’une stabilité définitive.

Considérons maintenant le problème de la substance du point de vue psychologique, en d’autres termes recherchons la nature du moi profond. Un flux incessant de faits hétérogènes qui se succèdent et se pénètrent, un tourbillon de sensations, d’idées, de jugements, d’émotions, de volitions, voilà ce que l’individu découvre quand il rentre en lui-même pour observer sa vie mentale. Pourtant au sein de cette multiplicité de phénomènes transitoires, de ce fluidique écoulement de faits instables, il croit atteindre une réalité qui dure, un centre permanent d’où émanent ces modifications si changeantes et si variables. À ce noyau solide il rattache les événements antérieurs de son existence, ainsi que ses états présents et quelquefois, par anticipation, certains états futurs. C’est le même moi, aujourd’hui occupé à réfléchir, qui accomplit telle action il y a dix ans et qui se dispose à partir en voyage demain. D’où la croyance à un support, à une substance qui demeure et ne disparaît pas avec chaque état, pour renaître avec l’état suivant. Ce substratum nous ne le saisissons jamais, il est vrai, comme une réalité distincte des phénomènes psychologiques, mais le raisonnement nous oblige à l’admettre ; car, seul, il parvient à rendre compte des caractères d’unité et d’identité que présente le moi profond.

Avec une belle impudence et un manque complet de logique, les spiritualistes affirment que ce support ne saurait être qu’un esprit simple et immatériel. Multiplicité et changement, ces deux caractères essentiels de la vie psychologique, seraient pourtant inexplicables si les états de conscience découlaient d’un principe indivisible, ne pouvant s’éparpiller en une poussière d’états. Wundt, philosophe bien peu révolutionnaire pourtant, reconnaît combien est faux l’argument spiritualiste qui s’appuie sur l’unité de la pensée.


« Où puise-t-on, écrit-il, la conviction que l’âme serait un être simple ? On remplace le concept d’unité par celui de simplicité. Mais un être un n’est pas pour cela un être simple. L’organisme corporel est un, et cependant il se compose d’une pluralité d’organes. Dans la conscience, nous rencontrons de même, aussi bien successivement que simultanément, une multiplicité qui témoigne d’une pluralité de sa base fondamentale. » Le cerveau, organe à la fois un et complexe, rend parfaitement, compte du double caractère d’unité et de multiplicité que présente la vie mentale. Et c’est à la mémoire, aux souvenirs emmagasinés dans son encéphale, que l’homme doit de se reconnaître identique aux diverses époques de son existence. Comment expliquer les dédoublements de la personnalité, si cette dernière avait pour substratum un âme simple et spirituelle ? Ce genre de maladie s’explique très bien, au contraire, lorsqu’on a compris que la substance pensante, c’est tout simplement la substance cérébrale. — L. Barbedette.


SUGGESTION n. f. (du latin subqerere), placer au dessous, entasser des arguments, insinuer pour faire accepter ce qu’on désire, en agissant sur l’esprit de la personne.

L’étude de la suggestion est extrêmement délicate, car on côtoie, par les phénomènes que l’on découvre, tout un terrain où la science officielle n’ose pas encore s’aventurer.

Les faits sont indéniables mais leur interprétation est difficile à analyser.

Dès la plus haute antiquité, les phénomènes de suggestion ont été employés dans des buts plus ou moins avouables, car il est évident que tous les miracles, les mystères, les expériences des fakirs, les prédictions des pythonisses ou des augures n’avaient d’autres causes que des suggestions soit personnelles, soit collectives.

Un exemple de ces dernières est le « baquet de Mesmer ». On sait que ce médecin allemand, fondateur de la théorie du magnétisme animal sous le nom de mesmérisme, avait réalisé, à Paris, des expériences de chaîne magnétique, comme nous en avons tous vu sur différentes scènes par des magnétiseurs fameux, il y a trente ans. Ceci est de l’hétéro-suggestion, c’est-à-dire produite par des éléments extérieurs à la personnalité du sujet, en principe la volonté d’une autre personne.

L’auto-suggestion, elle, se manifeste par un travail du subconscient, et peut agir d’une façon merveilleuse sur tout notre organisme, même en dehors de notre volonté.

On se rappelle qu’en 1923, Coué et sa méthode firent beaucoup de bruit par la simplicité même de l’application de la suggestion et les résultats probants qu’il obtenait chez beaucoup de malades. Cette méthode consistait à dire soir et matin à haute voix, machinalement, sans faire effort de volonté : « Tous les jours, à tous points de vue, je vais de mieux en mieux. » Ou, si l’on a une crise névralgique aiguë ou une secousse morale très déprimante, on dit très vite comme dans un bourdonnement : « ça passe… ça passe… » Et les maladies physiques et les ennuis moraux, tout cela disparaît comme par enchantement.

Nous reviendrons tout à l’heure sur la méthode Coué et montrerons combien elle a été en progrès sur les anciennes écoles où toute la psychothérapie avait également la suggestion à sa base.

Il y avait, en ce temps-là, deux écoles rivales : l’École de la Salpêtrière et l’École de Nancy.

Rivales, elles l’étaient, et férocement, par des différenciations qui, disons-le tout de suite, ont disparu totalement aujourd’hui : car on ne voit plus dans les grandes névroses de la Salpêtrière, que des maladies mentales susceptibles de guérison par des soins normaux : suggestion, psychothérapie, électrothérapie, etc.

L’École de la Salpêtrière, illustrée par Charcot, Richet, Féré et beaucoup d’autres, voyait en tout névrosé un hystérique.

L’hystérie était une maladie aux manifestations diverses, dont le phénomène le plus frappant était l’attaque convulsive et dont la caractéristique était d’être sans lésions anatomiques. Angoissant et théâtral était le tableau de la grande attaque : au début, l’aura, c’est-à-dire cette boule qui remontait de l’épigastre au pharynx ; puis, la phase tonique, avec sa raideur de tout le corps ; la phase clonique, avec ses convulsions ; enfin la résolution, suivie souvent d’une crise de larmes. Au retour de la conscience, aucun souvenir.

À cette grande hystérie, Charcot adapta le grand hypnotisme avec ses lois immuables : léthargie, catalepsie, somnambulisme, dans leurs phases toujours semblables et parfaitement réglées. Il n’est pas un médecin de cette époque qui ne les ait reproduites expérimentalement et ne s’en soit même servi comme anesthésie naturelle pour les petites opérations.

C’est avec de semblables sujets que Charcot faisait la gloire de l’École de la Salpêtrière. A côté d’elle, comme une parente pauvre, vivait doucement, tranquillement, modestement, l’École de Nancy où Bernheim et Liebault dans cette ville même, Edgar Bérillon à Paris, Burot et Bourru à Rochefort, et beaucoup d’autres disciples un peu partout, soignaient également les psychoses de toutes sortes par une seule thérapie : la suggestion à différents degrés. Admettant avec tous les philosophes que nous avons deux états en nous, un conscient et un subconscient, le premier agissant par la volonté, le deuxième par l’automatisme, c’est par une action directe sur ce subconscient qu’ils purent obtenir toutes les modifications psychiques nécessaires aux guérisons. Mais c’est par l’hétéro-suggestion qu’ils agissaient, c’est-à-dire par une volonté étrangère à celle de l’individu. Nous verrons tout à l’heure que les méthodes modernes et celle de Coué entre autres, consistent à substituer à cette volonté étrangère, non pas même la propre volonté du malade, mais la seule imagination, seul élément capable d’agir automatiquement sur son subconscient, de lui-même, sans aucun facteur étranger.

Charcot mourut. Des années encore ses disciples purent croire à la véracité des phénomènes qu’ils observaient chaque jour ; mais peu à peu, la désagrégation se fit : on s’aperçut que les hystériques étaient capables, suivant certaines modalités de leur caractère ou de leur état social, de reproduire les symptômes les plus multiples. Consciemment ou non, par suggestion ou supercherie, l’hystérique présentait toutes les manifestations morbides constatées si souvent, et d’autant plus facilement qu’il y était encouragé par des examens médicaux répétés ou mal conduits, qui leur ont enseigné en quelque sorte la symptomatologie de leur maladie.

C’est pourtant un fidèle disciple du maître qui démolit ainsi le monument si durable, paraissait-il, de la Salpêtrière : c’est son ancien chef de clinique devenu à son tour un maître incontesté par l’éclat de sa science, j’ai nommé le professeur Babinski.

Pour Babinski, l’hystérie qu’il nomme de préférence Pithiatisme (du grec : persuasion guérissable) est un état pathologique se manifestant par des troubles qu’il est possible de reproduire par suggestion, chez certains sujets, avec une exactitude parfaite, et sont susceptibles de disparaître sous l’influence de la persuasion seule.

Donc, par la persuasion seule, une personne, ayant l’autorité nécessaire pour cela, arrivera facilement à créer dans un malade un état d’esprit tel qu’il croira fermement que sa guérison dépend entièrement de lui même.

Et c’est ce qu’enseignait Coué : « Je ne vous guéris pas, disait-il en substance, c’est vous qui vous guérissez vous-même : je vous montre seulement le pouvoir que vous avez en vous pour cela, et la façon de vous en servir. » Sa méthode était expliquée dans un petit livre : « La maîtrise de soi-même par l’autosuggestion consciente ». Entendez bien qu’il ne s’agit pas d’un de ces livres plus ou moins américains enseignant la façon de cultiver sa volonté pour renverser tous les obstacles de la vie. Coué, au contraire, supprime tout effort volontaire : c’est l’imagination seule qui agit, et quand il y a conflit entre la volonté et l’imagination, c’est toujours l’imagination qui l’emporte. Exemples : voulons-nous dormir ? Le sommeil ne vient pas. Voulons-nous trouver le nom d’une personne ? Le nom vous fuit. Voulons-nous nous empêcher de rire ? Le rire éclate de plus belle, etc…

Il est certain qu’aujourd’hui, des maîtres de la psychothérapie, les professeurs Bérillon, Pierre Vachet et Marcel Viard, pour citer trois des principaux, ne soignent pas autrement leurs malades. Le docteur Viard fait suivre souvent ses conférences d’exercices de suggestion collective, et il ne dit pas autre chose : « Soyez calmes, laissez vos muscles en résolution, ne pensez à rien, et vous sentirez une euphorie parfaite vous pénétrer, vos soucis s’atténueront, votre santé sera meilleure… »

Le professeur Louis Bénon a dit aussi : « Pour aider à guérir, l’influence morale a une valeur considérable. C’est un facteur de premier ordre qu’on aurait grand tort de négliger, puisqu’en médecine, comme dans toutes les branches de l’activité humaine, ce sont les forces morales qui mènent le monde.

Le bon médecin suggestionnera donc ses malades, mais à leur insu. Il devra créer en eux une autosuggestion, en leur persuadant qu’avec le temps et la patience, la guérison viendra. Il leur dira la façon de prendre leurs médicaments et l’action qu’ils auront sur leur organisme : cette action sera décuplée par l’assurance qu’ils auront de leur bon effet. »

Et les médecins de villes d’eau le savent bien qui prescrivent à leurs clients des dosages et une exactitude peut-être exagérés, mais qui rentrent pour une bonne part dans la réussite du traitement.

Je ne parlerai pas des miracles de Lourdes, ni de la part énorme que prend la suggestion dans les guérisons de malades nerveux subissant un doping formidable par le cadre et la mise en scène. Car là, comme en toute chose, il n’y a que ceci : la foi qui sauve ! — Louis Izambard.


SUICIDE n. m. du latin : Sui, de soi et Cœdere, tuer. — Si nous voulons tenter de définir ce qu’est le suicide, nous nous reporterons à la définition que E. Durkheim donne dans son introduction à son étude de sociologie sur le suicide.

« On appelle suicide tout cas de mort qui résulte directement ou indirectement d’un acte positif ou négatif accompli par la victime elle-même et qu’elle savait devoir produire ce résultat. »

Parmi les problèmes de la vie morale dont l’explication reste laborieuse, le suicide, en tant qu’acte psychologique, est certainement le plus malaisé à expliquer.

Que des êtres préfèrent, en certaines circonstances, la mort à la douleur, cela semble à première vue normal à concevoir ; mais, dès que l’on se penche sur l’impérieux attachement qui enchaîne l’individu aux manifestations de sa propre vie, on doit se rendre à l’évidence et constater que ce déséquilibre entre ces forces de vie et de mort, est plus compliqué que l’on pourrait se l’imaginer de prime abord.

Dans les asiles et les hospices, le fait de voir des malheureux sans famille, sans ami, sans argent, traînant des maladies incurables, supplier les médecins de leur prolonger la vie, montre que l’acceptation de la mort ne trouve guère d’adhésion. Cependant, nous enregistrons d’autre part, des êtres qui se refusent à supporter la moindre contrariété, ils se donnent la mort pour des motifs futiles, sinon dérisoires : les journaux sont riches d’anecdotes tant originales que douloureuses.

Ces réactions contre la mort, comme ces attraits pour la mort, s’enregistrent souvent sans que nous puissions en tirer les moindres conclusions ; tout au plus pouvons-nous, envisageant les motifs qui déterminent l’individu à se supprimer, tenter d’en déduire quelques généralisations, quelques constatations, voire esquisser quelques faibles explications, le problème reste en son entier énigmatique et, aujourd’hui encore, dans ce domaine, la spéculation et l’hypothèse se donnent libre cours.

Edmond Jaloux a noté, sur la psychologie du suicidé, quelques observations qui méritent d’être citées :

« Brusquement, la communication avec le monde extérieur est interrompue ; il ne se fait plus entre la sensibilité et lui cet échange distrayant qui nous permet de nous renouveler sans cesse et de ne pas nous épuiser. Une pensée unique fonctionne dans un cerveau à peu près obturé et se répète jusqu’à la satiété, créant une sorte d’exaltation qui supprime peu à peu tout contrôle. Tous les suicidés connaissent ces états d’exaltation qui se sont renouvelés souvent avant d’aboutir à la crise finale. Celle-ci est due à une saturation de l’esprit par lui-même. Le désespéré cherche à mourir, non plus pour échapper à la déception initiale qu’il lui arrive de perdre de vue, mais pour fuir ce délire conscient qui ne lui laisse aucun repos. Il ne voit plus la disproportion qu’il y a entre ce délire et sa cause ; il s’intoxique de ses propres réflexions au point de ne plus pouvoir se tolérer. Il faut admettre qu’en se tuant, le suicidé n’a pas une conscience exacte de sa fin totale ; tout se passe comme s’il se tuait sans croire à sa mort ; il ne la réalise à aucun moment et il se supprime avec l’intime persuasion qu’il ne supprime en lui que cet état de malaise. À ce moment, le suicide est conçu comme la seule délivrance possible, parce qu’il libère l’homme de son obsession destructrice. »


Le suicide, acte individuel, semble se rattacher par certains points aux manifestations de l’activité sociale ; par ce fait, il s’est vu étudier comme phénomène social — ce qui explique cette autre définition donnée par H. Denis :

« Le suicide est un acte volontaire qui s’accomplit suivant un processus psychique, un conflit plus ou moins complexe, long, douloureux, de motifs qui échappent à l’observation externe : l’observateur ne surprend que les manifestations intrinsèques d’un phénomène de conscience. »

Le suicide, dans l’état présent des choses, est une des formes par lesquelles se traduit l’affection collective dont les humains souffrent. Pour comprendre cet état nous devrions en étudier les formes et les aspects divers.

Certes, la question a été longuement examinée et certains auteurs ont éclairé le problème par de lumineuses recherches qui sont d’un apport incontestable.

Examiner les différents aspects sous lesquels se présente l’étude du suicide serait, sans doute, d’une utilité réelle, mais cela demanderait un exposé et un développement trop longs. Il faut se résoudre à renvoyer ceux qui s’intéressent à la chose, aux ouvrages cités dans la bibliographie, à la fin de cette étude.


H. Denis a classé les influences qui s’exercent sur le suicide, estimant que « le phénomène du suicide, comme phénomène social, doit être considéré dans toute sa relativité, c’est-à-dire qu’il doit être mis en rapport : 1° avec les autres phénomènes moraux étudiés par la statistique ; 2° avec toutes les conditions générales qui peuvent exercer une influence sur ce phénomène, en tant que phénomène social.

La classification générale de ces facteurs reproduit, à mes yeux, la classification hiérarchique des sciences, exprimant l’ordre de complexité et de dépendance des phénomènes de l’univers, de l’homme et de la société humaine. C’est la grande lumière qui éclaire aussi bien les phénomènes de pathologie sociale, comme le suicide, que les phénomènes de la vie collective. »

Facteurs mésologiques ou cosmiques du suicide : conditions telluriques, climat, température saisonnière, mois, heures du jour et de la nuit.

Facteurs biologiques : caractères anthropologiques et ethnologiques, hérédité, sexe, âge.

Facteurs sociologiques : a) société domestique : état civil, célibat, mariage, veuvage, divorce ; b) état social général.

D’autres auteurs ont groupé les suicides en différents types :

Le suicide maniaque qui détermine l’individu à se soustraire à un danger ou à une hantise imaginaire ou en vue d’obéir à un appel mystérieux qu’il a reçu de l’au-delà ;

Le suicide mélancolique qu’un état général d’extrême dépression conduit sur les chemins de la mort ; il prépare avec calme ses engins d’exécution, sa tristesse exagérée le pousse à voir tout en noir ;

Le suicide obsessif : dans ce cas, l’individu, hanté, parfois sans motif, de l’idée fixe de la mort, est en proie à l’obsession de ce désir impérieux ;

Le suicide impulsif et automatique qui, sans raison, conduit l’être, par une impulsion brusque, à attenter à sa propre vie.

Tout ceci ne peut cependant nous autoriser à voir, dans tout suicidé, un fou. L’histoire nous rapporte des cas d’individus qui prirent la résolution d’en finir avec la vie et donnèrent au monde de rudes leçons de volonté, de courage et de stoïcisme.

Le droit que prenaient certains individus de se supprimer devait provoquer des réactions violentes dans les sociétés policées qui, aidées des morales, des philosophies et des religions, ne manquèrent point de juger le suicide comme immoral, impie et ridicule et en qualifier l’acte de lâcheté.

Il importe peu que l’opinion publique oppose un veto impératif au droit au suicide ; à l’encontre des morales et des philosophies religieuses ou rationalistes, on peut non sans raisons, admettre le suicide.

Cela a amené certains esprits libres à se demander si le suicide ne se trouvait pas justifié par les souffrances physiques, morales ou éthiques.

Le Docteur Hotz écrivait : « Quand une société guillotine et amnistie les crimes passionnels, il est inadmissible qu’elle refuse de laisser les incurables se tuer ou de les tuer elle-même par un moyen qui présenterait toutes les garanties désirables de respect, de liberté individuelle. » et, déjà en 1909, le professeur G. Dumas déclarait à la Sorbonne : « Pourquoi refuserait-on la mort à un incurable ou à un homme qui la réclame, lorsque la mort est pour lui l’affranchissement de douleurs intolérables ? Rien n’est plus absurde que la souffrance inutile et rien n’est plus légitime que de chercher à s’en débarrasser. »

Le Docteur Binet-Sanglé, depuis, a écrit un petit traité : Art de mourir, afin d’aider de ses conseils ceux qui veulent se détruire.

Pour la plupart des moralistes — ceux qui soumettent au public une opinion — le suicide est une faute, voire un crime et se tuer est faire tort à Dieu ou à la société et certains vont jusqu’à affirmer qu’en agissant ainsi l’individu est un ingrat puisque, prétendent-ils, la société rend de tels services qu’il a une obligation de vivre pour payer sa dette envers elle. Sur 47 auteurs contemporains consultés : Bayer, dans son ouvrage Le Suicide et la Morale, en trouve 38 se prononçant contre le suicide.

Quoique la bible nous offre quelques spécimens de suicidés : Samson, Architophel, Eléazar, Razias, Zambri, Abimelech, Hircan, le roi Saül, Ptolémée Macron, il n’en reste pas moins vrai que c’est en se basant sur les saints évangiles que les Églises condamnèrent le suicide en invoquant tout particulièrement le « Tu ne tueras point ».

« Si quelqu’un s’est tué, ne l’honore pas, ne le maudis pas », écrit Akiba ; mais, jusqu’ici, signale le répertoire de Schwab, les rabbins interprètent les textes talmudiques en se prononçant pour l’indulgence ou la sévérité.

En 1320, cinq cents juifs assiégés dans une forteresse par les Pastoureaux, choisissent l’un d’entre eux, comme le plus fort ou le plus résolu, pour les soustraire à la cruauté de leurs impitoyables ennemis, et se font tous égorger de sa main », rapporte A. Legayt, dans son étude sur le Suicide ancien et moderne.

Dans l’Univers israélite du 4 octobre 1912, on lisait : « La loi juive, si elle réprouve le suicide, se montre extrêmement large en faveur des suicidés. Le moindre indice favorable suffit pour incliner à l’indulgence. C’est une règle générale qu’en matière de foi funéraire on doit suivre l’opinion la moins sévère. »

La morale catholique, elle, plus rigide, condamne le suicide comme une atteinte non seulement aux droits de Dieu, mais comme étant un acte de désespoir injurieux à la bonté divine et, sauf le cas où Dieu en inspire le dessein — pour excuser Samson, sainte Pélagie et les martyrs volontaires — l’Église a considéré le suicide comme un crime affreux, comme le triomphe du démon sur l’homme. Le concile d’Arles, en 452, celui de Bragues en 563, et celui d’Auxerre en 576, condamnèrent le suicide comme un crime qui serait dû à l’effet d’une fureur diabolique, défendaient de faire mémoire des suicidés au saint sacrifice de la messe et interdisaient le chant des psaumes aux enterrements. À travers les siècles, l’Église catholique ne cessera de se montrer intolérante à ce sujet, sa législation fut véhémente, elle justifia parfois les plus sanguinaires répressions, telles celles d’Abbeville, où les corps des suicidés étaient traînés sur une claie à travers les rues. Le droit coutumier emprunta au droit canonique sa législation avec quelques variantes et, aujourd’hui, si celles-ci absolvent le suicide, la jurisprudence punit toujours la complicité.

Quant à la morale protestante, elle condamne le suicide sans le punir ; car, s’il est interdit de mettre fin à sa vie, on peut la sacrifier pour l’accomplissement du devoir : « Il nous est permis d’exposer notre vie pour la gloire de Dieu. »

Certes, il serait attachant d’aborder cette question du suicide et de l’examiner à la lumière de la philosophie et de la littérature ; force m’est de renvoyer mes lecteurs à un autre ouvrage riche de documentation : Le Suicide et la Morale, par A. Bayet. Voici les deux impressions laissées à l’auteur de ce volumineux travail qui, parlant du suicide par rapport à la morale, écrit :

1° « Il n’y a pas, dans la morale contemporaine, comme on le dit trop souvent, une doctrine qui condamne le suicide et une doctrine qui l’approuve : il y a une morale simple qui condamne tous les suicides, en principe et dans tous les cas, et une morale nuancée qui, plus souple, distingue entre les cas et va de l’horreur au blâme et à la désapprobation, de la désapprobation à la pitié, de la pitié à l’excuse, à l’approbation, à l’admiration. »

2° « Le conflit de ces deux morales ne se ramène pas, au moins dans les formules, à un conflit entre la pensée catholique et ses adversaires. Les deux doctrines opposées se disputent et divisent le monde de la pensée, l’enseignement neutre, la presse neutre, sans qu’on puisse ranger leurs partisans en deux camps bien définis au point de vue religieux, philosophique ou politique. Et l’impression générale, lorsqu’on étudie la morale formulée, n’est pas une impression de lutte franche, mais d’incertitude et de désarroi. »

Répondant, jadis, à une enquête posée dans le journal l’en dehors, par G. de Lacaze-Duthiers, à l’époque de la mort de G. Palante, j’écrivais, à ce sujet : « Le pouvoir de disposer de soi est et restera toujours l’affirmation la plus haute de l’individualité qui, n’ayant pas demandé à vivre, se libère des contraintes que la société ne cesse de lui imposer. Pour ma part, je ne conçois aucune « morale » qui m’obligerait à prolonger une existence dans un milieu où la libre expansion de ma personnalité ne cesse d’être entravée. La pensée de Marc Aurèle : « Es-tu réduit à l’indignité ? Sors de la vie avec calme. » s’harmonise pleinement avec ma façon d’envisager le droit au suicide. Il serait superflu et vain, je pense, que je m’attarde à montrer l’illogisme du jugement que porte la société vouant au mépris le plus profond ceux qui s’échappent de cette vie. Cette condamnation préconçue est des plus arbitraires et ne repose d’ailleurs que sur une foule de préjugés que nous lèguent une éducation et une morale mensongères. Pourquoi condamner des « irresponsables » qu’un état physique ou moral détermine au suicide ? Quant aux « moralistes » qu’est-ce que cette haute vertu dont ils détiennent jalousement (il faut le croire) le monopole, qui les autorise à émettre cette insidieuse prétention de jeter l’anathème sur celui qui quitte l’horrible enfer dans lequel, résigné bien souvent, il a consenti à se consumer petit à petit ? L’odieuse imposture de « leur morale », la cynique comédie que joue « leur société » ne me paraissent nullement qualifiées pour qu’en leur nom ils se posent en censeurs ; car, non contente de laisser mourir de faim ceux qu’elle a pour mission de protéger, cette monstrueuse société se plaît à envoyer s’entr’égorger, au nom des entités les plus diverses et des plus stupides, ceux qu’elle devrait élever. Pères et mères, c’est vers vous que ma pensée se porte ensuite pour condamner l’absurde et odieuse autorité qui conduisit votre ou vos enfants sur le chemin du suicide. Votre conscience est-elle exempte de reproches ? Vous êtes-vous rappelé les réprimandes monstrueuses que vous décochiez à ces cœurs sensibles à qui vous refusiez votre assentiment dans le choix qu’ils s’étaient fait de leurs amours ? Et vous, potentats corrompus, détenteurs de pouvoirs usurpés, qui feignez de ne pas apercevoir la misère criante qu’engendre l’inégalité sociale du régime présent, ne sentez-vous pas peser sur vous le poids de toutes ces fins tragiques de miséreux s’échappant de « votre société », afin de fuir les affres de la faim ? Morale hautaine et vile, personnification perfide et fourbe dont sont victimes les naïfs de ce monde qui croient en votre sublimité, vous êtes la grande responsable. Suicidés : filles mères abandonnées, amoureux éconduits, détenus qu’une fatalité conduisit sur la route interdite par « nos codes », vous tous, victimes d’un milieu à plat ventre devant d’insensées idolâtries, que ne pouvez-vous ressusciter et vomir vos imprécations contre « notre » lâcheté, « notre » résignation en présence des devoirs mystificateurs ? Habile diplomate autant que perfide institution, afin de sauvegarder son « honneur et sa dignité », la société pousse la fourberie jusqu’à réprouver l’attentat contre soi-même, parce que le suicide la condamne. Mais il est un suicide qui, surplombant tous les autres, se dresse en accusateur devant notre société de tartufes, c’est le « suicide philosophique ». Maintes fois soulevée, la question du suicide philosophique a donné lieu aux plus contradictoires opinions. « Que celui qui ne veut pas vivre plus longtemps expose ses raisons au Sénat et, après en avoir obtenu congé, quitte la vie. Si l’existence t’est devenue odieuse, meurs ; si tu es accablé par la douleur, abandonne la vie. Que le malheureux raconte son infortune et que le magistrat lui fournisse le remède, sa misère prendra fin. » Tel était le décret par lequel Athènes avait reconnu « le suicide légal ». Cette autorisation première est certes superflue, mais c’était là une « liberté codifiée » que nous sommes loin de retrouver dans les codes actuels et même dans les préceptes moraux chrétiens et rationalistes. « S’il te plaît de vivre, vis ; s’il te déplaît, libre à toi de retourner d’où tu viens », écrivait Sénèque ; D’Holbach, dans son Système de la Nature, a fait l’apologie de la mort volontaire, et Littré s’exprimait de la sorte : « Quand un homme expose clairement les raisons qui l’empêchent de vivre et quand ces raisons sont réelles et non pas imaginaires, quel motif y a-t-il de lui dénier la liberté morale telle que nous la concevons, chez chacun de nous ? » Quant à P. Robin, il soutenait que l’homme incapable d’être utile à la société doit disparaître. Le suicide de M. et Mme Lafargue inspirait à Marcel Sembat ces quelques lignes : « Quelle belle mort : en pleine vigueur, à l’heure choisie pour partir ensemble avant le déclin ! Cette fin me paraît fière et magnifique comme un splendide coucher de soleil. Je ne sais rien de plus noble en ce genre depuis la mort des deux Berthelot. Paul Lafargue n’est mort ni en saint, ni en martyr, ni en héros, ni en désespéré ; il est mort en sage. » Mes citations pourraient s’allonger encore et je pourrais invoquer des noms tels que Socrate, Condorcet, E. Hureau, L. Prouvost, le lord-maire de Cork, etc…, mais je veux conclure. Le suicide philosophique prête à de nombreuses critiques. Je conviens, pour ma part, qu’il n’est pas une solution et que, bien souvent, il est le résultat d’un affaiblissement moral et physique chez l’individu qui s’y détermine ; mais à quel titre condamner ceux qui ne peuvent supporter la médiocrité de la vie et la veulerie de la foule ?

Mon ami Bailly, répondant également à cette enquête, s’exprimait : « Il est souvent très pénible de gravir les durs chemins de la vie et l’héroïsme n’est pas l’apanage de tous. Quand un être, dès sa prime jeunesse, offre — avec candeur — toute l’ardeur de son âme, la noblesse de ses sentiments et sa puissante générosité, et que les autres lui servent, en revanche, de la traîtrise et de la férocité, il se peut que les ans viennent user son enthousiasme et il lui est permis de douter de la bonté des humains. Le doute ! Quand il s’empare de vous, il vous donne quelquefois des apparences de joie, mais plus souvent il vous terrasse. Lutter, c’est vivre (selon le dicton)… Oui, c’est vrai. Tenter sans relâche d’affirmer sa puissance par des actes de grandeur et d’intelligence, c’est se montrer quelqu’un au milieu des quelques choses. Lancer un défi aux puissants et aux flagorneurs en s’insurgeant sans cesse contre les lois qui oppriment l’individu et contre les hommes qui les érigent, c’est se montrer de grande taille. Mais, hélas ! Il y a des différences de taille. Néo-stoïcien, j’aime celui qui, fièrement et courageusement, mène (sans haine) le combat pour son indépendance. J’aime le « fort » qui toujours espère dans son désespoir (je suis de ceux qui croient que, même les plus hardis, sont parfois désespérés). J’aime celui qui, sans arrêt, dénonce la nocivité de l’autorité et de son succédané, la contrainte. J’aime par-dessus tout celui qui va « jusqu’au bout ». Mais, encore une fois, je dis, hélas ! que les héros sont rares (même au temps des héros sans héroïsme) et il nous faut reconnaître que, même dans le domaine de la bonté et de l’intelligence, il y a des faiblesses qui sont humaines.

. . . . . . . . . . . . . . .

Oui, vivre !… c’est très bien, mais mourir ! c’est parfois beau. Quand vivre veut dire : être indompté et indomptable, posséder une solide santé, trouver sur son chemin des âmes qui vibrent à l’unisson de la sienne et qui, dans les passages difficiles, vous tendent, sans arrière-pensée, fraternellement la main, je crie : « Vive la Vie !… ». Mais (malgré mon ferme désir d’aller jusqu’au bout, vu mes conceptions et quoique atteint d’une maladie incurable), quand la sensibilité est trop forte, la dignité trop élevée, l’intelligence trop éveillée pour le cadre et le composant d’une société rapace et criminelle ; quand les armes que possédait le combattant — santé, énergie et volonté — ne sont pas assez fortes, mieux vaut — c’est mon idée — qu’il accomplisse l’action qui le précipite, au lieu de se laisser choir dans la vile indifférence de ceux « d’en bas » ou dans la fameuse crapulerie de ceux « d’en haut »… »

L’individualiste souffre davantage de la laideur de notre société. De quel droit l’empêcherions-nous de se libérer ? C’est pourquoi je revendique pour l’individu la libre disposition de sa personnalité, m’insouciant peu de la prétention de la collectivité qui veut, par je ne sais quel devoir social, la retenir malgré lui ! — Hem Day.


Bibliographie. — Bayet Albert : Le Suicide et la Morale, éd. Alcan ; Durkeirn Emile : Le suicide, étude de sociologie, éd. Alcan ; Legoyt A. : Le suicide ancien et moderne, éd. A. Drouin, ; Sur le suicide (enquête, « Le Disque vert », Bruxelles) ; Rizzardi Luca : Le suicide, éd. « La Société Nouvelle » ; Denis H. : Le suicide et la corrélation des phénomènes moraux en Belgique, (Académie Royale de Belgique) ; Jacquart : Essais de Statistique morale. Le Suicide, éd. Dewit ; Dr Binet-Sanglé : L’Art de Mourir ; « Clarté », n° 72 : Le Suicide est-il une solution ?  ; « En dehors », n° 64-66-67-68, 4e année : Enquête, Un individualiste a-t-il le droit de se suicider ?


SUPERSTITION On connaît le mot de Voltaire : « La superstition est à la religion ce que l’astrologie est à l’astronomie ; la fille très folle d’une mère très sage. »

Si la comparaison est juste en ce qui concerne l’astrologie et l’astronomie, la première n’étant — on le sait — qu’une science purement empirique, consistant en l’art de prédire ( ?) l’avenir par l’inspection ( ?) des astres et qui n’a jamais pu passionner que des esprits prévenus et plus ou moins teintés de religiosité, alors que l’astronomie est une science positive, basée tout entière sur l’observation méticuleuse, patiente, délicate des astres, dont il s’agit de rechercher la constitution, les positions relatives, les diverses lois qui président à leurs mouvements, observation renouvelée mille fois et dont les résultats sont toujours sujets à révision, science qui, entre toutes les siences naturelles, est, aux dires du grand Laplace, celle qui présente le plus long enchaînement de découvertes ; si, nous le répétons, la comparaison est juste dans ce premier cas, nous estimons qu’elle est foncièrement inexacte lorsqu’elle s’applique à la superstition et à la religion, ces deux vocables pouvant indifféremment servir à exprimer les sentiments, à traduire les diverses manifestations d’une même mentalité qui, dans l’un et l’autre cas, ne peut que s’accommoder des principes, base de toute foi : Credo quia absurdum, quia ineptum, ce qui se traduit par ceci : « Je crois parce que c’est absurde, parce que c’est inepte, et je crois d’autant plus que c’est absurde, d’autant plus que c’est inepte !… »

Le Dieu des religions dites révélées, ne se révèle-t-il pas, en effet, par la négation même du naturel, et le mystère n’est-il point le seul, l’unique moyen de preuve ? Toutes les « vérités » enseignées, imposées par les religions ne procèdent-elles pas de conceptions, d’opinions, d’appréciations, d’idées a priori qui toutes sont du domaine de l’incontrôlable et même de l’inobservable ? Ces « vérités éternelles et nécessaires » dont la puérile métaphysique a gâté, empâté nos esprits, que sont-elles, au fait, si ce n’est l’antithèse même des éternelles et inflexibles lois de la nature ? La foi ne découle-t-elle pas des affirmations — et non des démonstrations faites par les maîtres (parents et éducateurs) et acceptées par des esprits forcément dociles, où le sentiment joue le plus grand rôle ? « Le cœur bien souvent affirme, alors que l’esprit nie. »

La religion, on le sait, n’est vraiment facile à définir que pour l’adepte d’une religion particulière. Celui-ci ne saurait admettre comme conforme à la vérité que sa religion propre, toutes les autres croyances étant délibérément, sans examen, rangées dans la catégorie des superstitions grossières. Pour lui évidemment — mais pour lui seul — la religion c’est sa religion, type absolu, indiscutable, à l’égard duquel les autres cultes ne sont que des formations fausses, imparfaites, indignes de la moindre considération !

Qu’on ne nous oppose pas certains croyants dont les connaissances, dont le savoir, dont l’acquis scientifique seraient considérables et indéniable la rectitude de jugement. Nous répondrions que s’ils admettent le mystère, les faits invérifiés et indémontrables, ils font tout simplement bon marché de leur intelligence et de leur esprit critique ; que d’ailleurs, c’est aller à l’encontre même de l’affirmation invariable des autorités ecclésiastiques de tous les temps, que c’est nier l’enseignement archiséculaire de toutes les Églises en prétendant pouvoir s’acheminer vers la croyance, vers la religion par la raison ! Non, la foi, c’est-à-dire cette adhésion irraisonnée du sentiment à ce qu’on croit reconnaître comme la vérité, la foi seule peut animer ces « savants religieux » !

En vain objectera-t-on qu’il y a religion et religion et que celle de certains prêtres et de quelques savants, tel Pasteur par exemple, que nos catholiques se plaisent tant à nous opposer comme le modèle associant la foi à la science, que cette religion des prêtres et savants est une religion épurée, qu’elle est une doctrine ésotérique à laquelle on ne saurait décemment assimiler les superstitions des peuples fétichistes.

Encore une fois, nous répondrons que, seule, la foi du charbonnier étant digne d’un certain respect, du fait qu’elle repousse tout compromis de quelque nature qu’il soit, il ne saurait y avoir d’autre religion que celle qui, tous les jours et depuis des siècles, est enseignée par des milliers de prêtres à des millions d’enfants ; d’autre Religion que celle du peuple, qui n’est qu’un ramassis de bourdes, d’invraisemblances, d’inepties, de contresens, d’absurdités pour tout dire, de superstitions et que nul par conséquent, ne peut prétendre, au regard de l’intraitable orthodoxie, revendiquer le droit de choisir ses croyances !

Il n’existe donc pas de distinction appréciable entre ces deux formes de la croyance : la religion et la superstition et les quelques faits, parmi les milliers que nous pourrions citer, empruntés aux cultes abolis ou toujours en vigueur et que nous allons très succinctement exposer ci-dessous, corroboreront notre assertion.

Dans le langage courant d’autrefois, nous dit Élie Reclus, dans son admirable ouvrage : « Les croyances populaires », les esprits des morts étaient dénommés génies ou démons. Ces génies et démons composent toute la substance des religions. En mourant, croyaient nos lointains ancêtres, les hommes passaient génies ; les génies passaient divinités — tantôt bonnes, tantôt mauvaises — mais dans leur immense majorité, mauvaises, il faut bien l’avouer. Rappelez-vous l’empereur romain qui, sentant venir la mort, dit aux amis qui s’empressaient à son chevet : « Je me sens passer Dieu ». Les mauvais démons étaient certainement en majorité, pusqu’ils avaient été des hommes comme nous. Néanmoins, les bons n’étaient pas rares. Chacun avait son bon démon et son mauvais. Qui n’entendit parler du « démon de Socrate », du « démon de justice », « de morale », « de bon sens et de bonté » ?

Le christianisme naît et se développe dans cette partie de notre planète qui, précisément, avait vu se former tant de « génies ». Et l’Église catholique, à la faveur de ce formidable mouvement religieux, s’édifie à son tour. Quel sera son premier souci, son premier soin ? De proscrire « tous les démons de l’ancien régime », de les « mettre hors la loi », de les traiter en diables et de les considérer comme autant de manifestations saugrenues de la superstition la plus coupable !

Allons chez les mahométans. Ils sont, eux aussi, en possession du seul vrai Dieu ! Aucune concurrence n’est tolérée !

Non loin de Tunis, on trouve un tombeau célèbre, celui de Sidi Fethallah. Situé à une lieue environ de la capitale, dans un site charmant, près d’un rocher haut de cinquante pieds, abrupt et très glissant, ce tombeau est toujours l’objet de la profonde vénération, de l’idolâtrie de nombreux musulmans résidant en Tunisie. Tombeau et rocher sont devenus un lieu de pélerinage et, chaque samedi, qui est le jour saint, on peut assister à ce spectacle assez réjouissant — à moins qu’il ne soit attristant — qu’offre un grand nombre de femmes qui, tour à tour, ayant une pierre plate appliquée sur le ventre, descendent le rocher sacré au risque de se rompre le cou. Il arrive même qu’elles renouvellent deux et trois fois ce pieux et périlleux exercice, dans l’unique espoir d’acquérir une fécondité que la nature leur a refusée jusqu’alors !

Il faut entendre les catholiques du Protectorat faire des gorges chaudes à la vue de pratiques qui ne sauraient relever que de la… superstition la plus répugnante et du magisme le plus primitif !

Faisons à présent — car il faut être équitable — une incursion dans le domaine sacré de la religion catholique, cette religion si pure, si éthérée, qui se flatte d’avoir impitoyablement écarté tous les rites, toutes les formules, toutes les pratiques et tous les sacrifices qui faisaient la honte et l’horreur des cultes antiques. Prenons, au hasard, le mystère de l’Eucharistie.

La religion catholique professe, avec une imperturbable assurance, qu’un miracle d’ordre matériel s’accomplit ; que le changement réel bien qu’invérifiable (toujours !) de la substance du pain et du vin en la substance du corps et du sang du Christ (lequel, d’ailleurs, en tant que glorifié, n’a ni corps, ni sang qui ressemblent à ceux des êtres vivant sur la Terre), que ce changement s’opère par la simple répétition des paroles qui sont attribuées, par saint Paul et par les évangélistes, à Jésus instituant le rite. Et notez bien que ces paroles n’expriment pas une intention de Jésus, ni une intention du consécrateur qui les répète. Elles sont efficaces par elles-mêmes. Il suffit qu’elles soient prononcées, dans les conditions rituelles voulues, et par une personne qualifiée pour que le miracle invisible s’opère aussitôt !

Que le lecteur veuille, à présent, conclure. Mais peut-être sera-t-il plus convaincu encore de l’identification profonde, indéniable, de la superstition — forme originelle de la Religion — et de la Religion — dont le fond même n’est fait que de superstitions — s’il a le loisir de se rendre à Beauraing où il assistera, consterné, à l’indigne et burlesque comédie si magistralement jouée depuis plusieurs mois par le clergé belge et où des milliers et des milliers d’adeptes de la religion du vrai Dieu (elle aussi !) attendent patiemment, sans se décourager, l’apparition, pour le moins problématique, d’une Vierge, faite comme vous et moi, de chair et d’os, qui, il y a quelque dix-neuf siècles, accoucha d’un Dieu, conçu pourtant de toute éternité bien qu’immatériel, et dont la fonction obligatoire fut de créer l’univers ! — A. Blicq.


SURVIE n. f. Il n’est pas de mensonge plus cher aux nations occidentales que celui d’une survie pour la personne humaine, d’une existence individuelle continuée après la mort. Rien n’est épargné pour faire croire aux humbles qu’un sort meilleur les attend par-delà la tombe, s’ils obéissent docilement ici-bas à tous leurs maîtres, petits et grands. Fortement soutenus par les autorités civiles, seuls chargés d’instruire la jeunesse et de façonner l’opinion, les prêtres réussirent longtemps, chez nous, à maintenir la croyance à un enfer et à un ciel dont ils donnaient, sans rire, les descriptions minutieuses. Mais ces gendarmes spirituels ont beaucoup perdu de leur prestige, depuis que les peuples devenus plus défiants refusent de les prendre au sérieux. Aussi, les pouvoirs civils leur ont-ils adjoint des équipes de philosophes, d’écrivains, voire de farceurs ou de malades, qui, sans admettre les dogmes absurdes de la théologie chrétienne, déclarent que l’âme humaine demeure vivante, même après la disparition du corps. Comme la Royauté et l’Empire, la Troisième République réserve à des philosophes spiritualistes les principales chaires de ses grandes écoles. Un Paul Janet, un Caro, phraseurs aujourd’hui universellement méprisés, furent les oracles du monde universitaire à la fin du XIXe siècle. Ils cédèrent la place à l’insignifiant Boutroux et à Bergson, la fine mouche, dont l’alchimie verbale devait éblouir les bourgeois du XXe siècle commençant. Un Brunschvicg, leur digne successeur, s’imagine qu’il a dit des choses profondes quand il a pondu une phrase obscure et alambiquée ; il trône en Sorbonne à notre époque, soucieux avant tout de plaire aux maîtres de l’heure quels qu’ils soient. Aidé par d’autres pontifes, il endoctrine une jeunesse avide de parchemins. Les romanciers gâteux de l’Académie diluent les formules du nouveau spiritualisme dans de fades volumes destinés au grand public. De leur côté, spirites, théosophes, médiums et sorciers divers se jettent sur le troupeau des gens crédules en quête d’un nouveau messie. Thaumaturges, voyants, mages, instructeurs se multiplient d’une façon invraisemblable ; et la variété de leurs doctrines, leurs chicanes, les injures et les reproches qu’ils s’adressent mutuellement ne les empêchent pas de tomber d’accord pour affirmer, conformément aux directives des chefs de la police bourgeoise, que l’âme survit après la mort. À cette condition seulement, ils ont droit d’ouvrir boutique et de monnayer les mystérieux pouvoirs qui les élèvent au-dessus de l’humanité ordinaire. C’est en 1877 qu’une obédience maçonnique, celle du Grand Orient de France, cessa de rendre obligatoire pour ses membres la croyance au Grand Architecte de l’Univers et à l’immortalité de l’âme. Mais les obédiences étrangères, en particulier la Grande Loge d’Angleterre, rompirent immédiatement toute relation avec le Grand Orient. L’immense majorité de la maçonnerie universelle est restée fidèle aux vieilles sornettes de la philosophie spiritualiste ; et, en France même, les loges du rite écossais continuent d’invoquer le Grand Architecte de l’Univers. Quelques membres courageux et clairvoyants réclament toutefois l’élimination des plaisanteries théologiques qui déparent les rituels de la Grande Loge de France. En voyant quelles puissantes institutions s’intéressent au maintien de la croyance à l’immortalité de l’âme, l’on s’étonne moins de la persistance d’une doctrine si contraire à toutes les données de la science expérimentale.

Pour l’individu infatué de sa personne et persuadé de l’importance essentielle de son moi, il est en outre fort pénible de songer qu’un jour il ne restera de lui qu’un peu de cendre ou de terre. Contre cet anéantissement, son orgueil et sa vanité se révoltent ; après sa mort, il veut continuer d’entendre les éloges dont il se gargarisa de son vivant ; il veut savourer les larmes que verseront, du moins il le suppose, ses proches et ses amis. S’il n’a pu étancher son besoin de plaisir, sa soif de jouissances multiples et renouvelées, il rêvera de délectations infinies, de bonheur ineffable, d’amours inextinguibles, de délices enivrantes pour les sens comme pour l’esprit. Et, parce que l’on croit sans peine ce que l’on désire, il se persuadera aisément que ces suppositions illusoires répondent à de solides et consolantes réalités. En concrétisant les plus nébuleux espoirs des hommes dans un ciel que les artistes ont rendu tangible en quelque sorte, et leurs craintes dans un enfer et un purgatoire dont les hagiographes nous ont fait des descriptions horrifiques, en s’attribuant de plus le droit d’expédier au ciel les âmes que Dieu condamna d’abord au purgatoire, les prêtres catholiques ont fait preuve d’un génie commercial hors ligne. S’ils avaient conservé la messe et les indulgences, les pasteurs protestants jouiraient de revenus supplémentaires qui ne sont point négligeables. Sans avoir l’esprit mercantile des fonctionnaires du Pape, les disciples d’Allan Kardec ont compris qu’il fallait faire intervenir les morts pour mieux capter l’attention des vivants. Les âmes des défunts réclamaient invariablement des messes, lorsqu’elles apparaissaient aux moines ou aux saintes du Moyen Âge ; aujourd’hui, elles se bornent à faire tourner des tables, à remuer des chaises ou des crayons, fournissant ainsi gratis de spirituelles distractions aux personnes du meilleur monde. Et l’émotion des assistants est profonde, lorsque chacun croit reconnaître dans le défunt secouant le mobilier, qui son parent, qui son ami. Beaucoup, en effet, n’arrivent pas à se persuader qu’ils sont à jamais disparus, les morts qu’ils ont tendrement aimés. En spéculant sur l’égoïsme individuel et sur le désir de revoir ceux que l’on a chéris, moines et spirites furent incontestablement bien inspirés. Feu de l’enfer et feu du purgatoire ont suffi, durant de longs siècles, à faire bouillir la marmite des premiers ; et, parmi les seconds, d’ingénieux escrocs réussissent fréquemment des coups très peu surnaturels mais des plus fructueux. La survie s’est révélée utile au moins pour ceux qui l’ont inventée.

Quant aux arguments invoqués par les penseurs spiritualistes en faveur d’une existence personnelle continuée après la mort, ils sont extrêmement piteux. « Certes, avoue Bergson, l’immortalité elle-même ne peut pas être prouvée expérimentalement ; toute expérience porte sur une durée limitée, et quand la religion parle d’immortalité, elle fait appel à la révélation. Mais ce serait quelque chose, ce serait beaucoup que de pouvoir établir, sur le terrain de l’expérience, la possibilité et même la probabilité de la survivance pour un temps x. » Cette survivance, Bergson n’a pu en fournir la preuve, malgré ses outrecuidantes prétentions et malgré l’aide que lui apportèrent avec empressement les spirites, les mystiques, les faiseurs de prodiges de toutes les religions. Il n’a aucunement démontré que la pensée humaine déborde la capacité du cerveau et que ce dernier est un simple instrument utilisé par l’âme, non la source productrice de la vie consciente. Nous ne reviendrons pas sur la puissance médianimique, les visions, les pressentiments, les guérisons soudaines, les conversions religieuses et les autres faits de ce genre dont il a été longuement parlé dans d’autres articles de cet ouvrage. Des recherches méthodiques et consciencieuses ont démontré qu’il s’agit ou de simples fumisteries, de vulgaires tours de prestidigitation (quand ce ne sont pas le résultat d’inconscientes simulations), ou de phénomènes nerveux, rares, et souvent pathologiques mais toujours parfaitement naturels. L’étude impartiale des prétendues manifestations de l’au-delà rapportées par W. James, Bergson et leurs disciples, oblige à rejeter complètement l’intervention d’entités surnaturelles et d’esprits désincarnés. La tentative de ces adversaires de la raison et de la science pour constituer une métaphysique expérimentale a échoué radicalement. Et avec elle disparaît la dernière planche de salut laissée au spiritualisme philosophique.

Ajoutons qu’aucune preuve rationnelle de la survie n’a pu être apportée par les métaphysiciens. De lyriques mais creuses déclamations, où l’on ne précise rien, où l’on reste dans de vagues généralités, capables d’être interprétées dans les sens les plus divers, voilà ce que l’on trouve sous la plume des penseurs les plus vantés. « Non seulement, écrit Ravaisson, ce qui a pensé une fois éternellement pensera, mais chacune de nos pensées contient quelque chose de tout ce que nous pensâmes jamais, quelque chose de tout ce que jamais nous penserons. Comme, en effet, il n’est point de mouvement qui ne dépende de tous les mouvements qui se sont jamais accomplis, et qui ne doive contribuer à tous ceux qui jamais s’accompliront, il n’est point de pensée en laquelle ne retentisse plus ou moins obscurément tout ce qui fut, et qui ne doive subsister et se propager elle-même sans s’éteindre jamais, comme en vibrations éternelles. Chaque âme est un foyer où se réfléchit de toutes parts, sous mille angles différents, l’universelle lumière, et non seulement chaque âme, mais chacune des pensées, chacun des sentiments par lesquels se produit sans cesse, du fond de l’infini, son immortelle personnalité. » Comme tous les métaphysiciens professionnels, Ravaisson savait faire cascader les grands mots qui ne recouvrent aucune idée. Il connaissait l’art de parler pour ne rien dire, ainsi qu’en témoigne le passage cité. C’est d’ailleurs un reproche que l’on doit adresser à tous les philosophes spiritualistes ; ils prennent la paille des mots pour le grain des choses et s’imaginent qu’ils sont profonds lorsqu’ils s’expriment dans un jargon que très peu de personnes comprennent. L’art des grandes constructions métaphysiques, c’est avant tout l’art de berner le lecteur avec des termes prétentieux et des phrases compliquées. Les imbéciles admireront d’autant plus qu’ils saisiront moins le sens des pages qu’on les invite à méditer.

Notre instinctive horreur du néant, nos aspirations vers plus de justice et de bonheur ne démontrent pas davantage l’immortalité de l’âme. Elles répondent à des tendances parfaitement naturelles, mais s’égarent lorsqu’elles situent leur objet, loin du monde présent, dans un chimérique au-delà. L’intérêt et le désir sont les plus dangereux des guides, quand on recherche la simple et nue vérité. « Touchant l’immortalité de l’âme, je demeure, avouait récemment un spiritualiste sincère, dans une tragique, dans une déchirante incertitude. En effet, le spectacle du monde tend à nous convaincre de notre individualité passagère et du sacrifice de l’individu à l’espèce. » On insiste beaucoup sur les consolations qu’apporte la foi en une survie ; il conviendrait aussi de rappeler les angoisses et les tourments qu’elle procure aux esprits restés naïfs. Renan affirme, il est vrai, que l’incertitude où nous sommes concernant l’immortalité de l’âme constitue une preuve de cette immortalité. « On peut dire sans paradoxe, assure-il, que si les doutes qui planent sur les vérités de la religion naturelle étaient levés, les vérités auxquelles ils s’attaquent disparaîtraient du même coup. Supposons, en effet, une preuve directe, positive, évidente pour tous des peines et des récompenses futures ; où sera le mérite de faire le bien ? Il n’y aurait que des fous qui, de gaîté de cœur, courraient à leur damnation. Une foule d’âmes basses feraient leur salut, cartes sur table ; elles forceraient en quelque sorte la. main de la divinité. Dans l’ordre moral et religieux, il est indispensable de croire sans démonstration ; il ne s’agit pas de certitude, mais de foi. Des croyances trop précises sur la destinée humaine enlèveraient tout le mérite moral. Qu’avons-nous besoin de ces preuves brutales qui gêneraient notre liberté ? Nous craindrions d’être assimilés à ces spéculateurs de vertu ou à ces peureux vulgaires, qui portent dans les choses de l’âme le grossier égoïsme de la vie pratique. » Sans l’avouer franchement, Renan admet, avec raison, que la croyance très ferme au ciel et à l’enfer aboutit toujours à un honteux marchandage, que la différence est minime entre l’avare qui entasse des richesses périssables dans un coffre-fort et le pieux chrétien qui multiplie les orémus afin de grossir le trésor de ses biens célestes. Mais il a tort de supposer que le risque, né de l’incertitude, ennoblit ce marchandage. Spéculateurs de la Bourse, chevaliers d’industrie, aventuriers qui, dans tous les domaines, exploitent la crédulité des gogos, vivent aussi dans l’incertitude et courent des risques parfois terribles. Ceux qui spéculent sur l’au-delà sont à ranger parmi les usuriers les plus rapaces ; ne les plaignons pas s’ils sont tourmentés par la crainte d’effectuer un mauvais placement.

La science n’admet qu’une survie, celle des composants ultimes qui constituent l’individu. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Synthèse transitoire et passagère, notre moi s’évanouira pour ne jamais renaître ; comme les animaux, comme les plantes, comme les corps bruts eux-mêmes, l’homme doit faire retour aux grandes forces cosmiques qui, seules, possèdent l’éternité. Peut-être notre espèce sera-t-elle un jour mieux armée contre la mort ; à ce moment elle sourira de la survie que prêtres et métaphysiciens promirent longtemps en guise de consolation. Certains morts continuent, d’ailleurs, de vivre dans le souvenir de nombreuses générations. Et cette survie subjective peut adoucir le chagrin de ceux qui, bien à tort croyons-nous, se désolent de savoir qu’ils ne seront un jour qu’une poussière d’atomes, agglomérés dans des synthèses nouvelles. — L. Barbedette.

SURVIE n. f. La survie est un terme de jurisprudence qui exprime l’état de celui qui survit à un autre. Au figuré, c’est le prolongement de l’existence et, par extension, c’est le fait de demeurer en vie après la mort.

En Droit, les gains de survie sont les avantages qui sont promis, sur les biens de la communauté, soit à celui des deux époux qui survivra à l’autre, soit à un seul d’entre eux, s’il survit à l’autre.

Albert Wahl, dans sa présomption de survie, explique que lorsque deux personnes meurent dans le même événement et qu’elles sont appelées à la succession l’une de l’autre, il est important de déterminer laquelle est morte la première, puisque celle d’entre elles qui a survécu à l’autre, ne fût-ce que d’un instant, a succédé à cette dernière. La preuve de l’ordre des décès peut être administrée par tous les moyens, même par témoins et par présomptions de faits ; par exemple, on peut décider qu’un incendie s’étant déclaré au second étage d’une maison, la personne qui habitait cet étage est présumée être morte avant celle qui habitait à un étage supérieur ou inférieur. Lorsque toute preuve ou présomption de fait manque, les deux défunts sont réputés être morts au même instant, car, pour que l’un pût succéder à l’autre, la preuve devait être apportée qu’il est décédé après lui, ce qui, par hypothèse, est impossible.

Cependant les articles 720 à 722 du Code civil ont émis certaines présomptions légales connues sous le nom de « théorie des comourants ou des commorientes ». Ils divisent la vie humaine en trois périodes : 1° de la naissance à l’âge de 15 ans ; 2° de 15 ans à 60 ans ; 3° à partir de 60 ans. Les solutions données par la loi se rattachent à l’idée que, dans la première période, les forces croissent avec les années, qu’elles restent stationnaires dans la seconde et qu’elles diminuent dans la troisième. En conséquence, lorsque les deux défunts appartiennent à la première catégorie, le plus âgé, qui est réputé avoir offert la plus grande force de résistance, est présumé avoir survécu si les circonstances du fait ne permettent pas de déterminer l’ordre du décès. Dans la seconde période, la loi présume que les décès se sont produits dans l’ordre naturel de l’âge, c’est-à-dire que le plus jeune est présumé avoir survécu ; toutefois si les deux défunts n’étaient pas du même sexe, et si, en outre, ils étaient du même âge ou qu’il y eût entre eux une différence d’âge n’excédant pas un an, le mâle est présumé avoir survécu. Enfin, dans la troisième période, la force de résistance décroissant avec l’âge, le moins vieux est présumé avoir survécu.

Mais il peut arriver que les deux comourants appartiennent à deux périodes différentes. L’article 721 dit seulement que si l’un d’eux avait moins de 15 ans et l’autre plus de 60, le premier est réputé avoir survécu. Il néglige les hypothèses, soit ou l’un a moins de 15 ans et l’autre de 15 à 60 ans, soit ou l’un a de 15 à 60 ans et l’autre plus de 60 ans. L’opinion commune veut que, dans le premier cas, le plus âgé et, dans le second cas, le plus jeune, soient réputés avoir survécus. Mais, comme les présomptions légales sont de droit étroit, il y a des doutes sur ce point.

Que si les deux défunts sont du même âge — (et en dehors du cas indiqué plus haut, où ils appartiennent à la seconde période et sont de sexes différents) — ils sont, à défaut de présomptions légales, réputés être décédés en même temps ; la succession de chacun d’eux est donc dévolue comme s’il avait survécu à l’autre. Mais des jumeaux ne sont pas considérés comme étant du même âge. On admet généralement que le premier qui est sorti du sein de la mère est le plus âgé au point de vue de l’application des articles 720 à 722.

Ces questions de survie se posent fréquemment lorsque la mère et l’enfant succombent ensemble pendant le travail de l’accouchement. Si les circonstances de fait ne peuvent donner la solution, on admet que la mère a survécu.

L’application des présomptions fournies par ces textes n’est pas aussi large qu’on pourrait le supposer. Elle est limitée à deux points de vue. En premier lieu, la loi suppose le décès de « plusieurs personnes respectivement appelées à la succession l’une de l’autre ».

Si donc un seul des comourants était héritier présomptif de l’autre, sans réciprocité (par exemple s’il s’agit de deux frères dont l’un a des enfants), les présomptions ne s’appliquent plus. Elles ne s’appliquent pas davantage si les deux défunts étaient appelés à se succéder réciproquement, non pas comme héritiers légitimes, mais comme légataires ou donataires. Ils sont alors réputés être décédés au même instant. D’autre part, la loi suppose que les deux défunts sont considérés comme étant morts en même temps, si les événements dans lesquels ils sont décédés sont différents. L’incendie d’une maison est un événement unique ; il en est de même du naufrage d’un bâtiment. L’assassinat de plusieurs personnes est, au contraire, un événement multiple, alors même qu’il a été commis par une même personne dans un même local ; c’est ce qui a été décidé à propos des assassinats de Pranzini.

Toutefois, une loi spéciale, du 20 prairial an IV, a décidé que si plusieurs personnes appelées à se succéder réciproquement sont condamnées à mort et exécutées, le plus jeune est présumé avoir survécu, lorsque le moment exact de leur décès respectif ne peut être fixé. Ce texte, qui est toujours en vigueur, mais dont la jurisprudence n’a jamais eu à faire l’application, établit une présomption légale dans une hypothèse où les événements ayant occasionné le décès n’est pas unique. La loi de prairial diffère encore du Code civil, en ce qu’elle établit une présomption invariable, quel que soit l’âge respectif des défunts.

En ce qui concerne le prolongement de l’existence, au sens propre, après la mort, la survie n’existe pas… ou si peu. L’expérience en fut faite il y a une cinquantaine d’années sur des condamnés à mort à qui, avant la décapitation, on avait demandé d’ouvrir et de fermer régulièrement les paupières après la décollation. Les décapités se livrèrent à cette expérience, ouvrirent et fermèrent leurs paupières deux ou trois fois et ce fut tout. La survie avait à peine duré quelques secondes.

Philosophiquement, la survie existe et se perpétue.

Toutes les religions se perpétuent et continuent à exister grâce à ce moyen. La chrétienté a connu son succès et se continue par la survie de son Christ qu’elle fait succomber et ressusciter si miraculeusement.

Les penseurs et les savants se survivent par les travaux accomplis leur vie durant et qu’ils ont laissés après leur mort, à l’humanité tout entière, et, pour que le nom de la plupart de ceux-ci ne soit pas ignoré par les générations qui se succèdent, on les statufie et on donne leurs noms à des places ou à des voies publiques. C’est de cette façon seule que la survie peut être considérée au figuré.

Il est incontestable que les philosophes et les savants de l’antiquité et les hommes remarquables de tous temps : de Démosthène à Caton, de Phidéas à Pline, de Vercingétorix à Napoléon, d’Ambroise Paré à Pasteur, etc., se sont survécu par la trace qu’ils ont laissée dans leur existence, sur leur passage dans la vie et dans les souvenirs qu’ils ont imprimés.

Et que la modestie de notre ami Sébastien Faure m’excuse de le citer en exemple : pionnier et vulgarisateur de l’anarchie, il se survivra par l’exemple de son existence apostolique et par le monument impérissable qu’il laissera aux générations futures : L’Encyclopédie Anarchiste. — Pierre Comont.


SUSPECT. Adjectif employé pour qualifier tout ce qui est ou mérite d’être l’objet de quelque soupçon évidemment défavorable : un homme suspect ; un document suspect ; une intervention suspecte. On dit également d’une chose qu’elle est suspecte, lorsqu’on la soupçonne d’être fausse, de ne pas exister, ou encore d’une chose dont les qualités sont plus ou moins douteuses : une boisson suspecte.

Ce vocable fut employé comme substantif une fois dans l’histoire. Il s’agissait de la Loi des suspects, loi que promulgua la Convention, le 17 septembre 1793. En vertu de cette loi, tous les suspects, c’est-à-dire tous ceux qui ne manifestaient pas assez ouvertement, ou avec un enthousiasme jugé suffisant, leur attachement à la Révolution, pouvaient être arrêtés. Les comités révolutionnaires chargés d’arrêter les suspects étaient soumis à un Comité de Sûreté générale à qui ils envoyaient « leurs motifs », ainsi que tous les papiers et documents saisis. Les suspects étaient enfermés dans les prisons nationales et devaient supporter tous les frais de leur détention. Le 9 thermidor, la liberté était rendue à tous les suspects et, abolis, le 4 octobre 1795, la loi ainsi que les divers décrets qui s’y rapportaient.

Les « suspects » n’ont point disparu de notre planète. Il n’est même pas exagéré de dire que, à la faveur du régime capitaliste dont la grande vertu est de corrompre les individus et d’adultérer les consciences, à la faveur aussi de l’après-guerre qui a rendu les « situations » de plus en plus difficiles, le genre n’a fait que se développer !

Les suspects ? Mais ils sont légion ceux qui véritablement le sont, en tous cas devraient l’être.

Suspect, l’homme d’État (qu’il soit blanc, noir, brun, rouge ou tricolore, peu importe) qui, à toute occasion, proteste solennellement et avec des gestes calculés, de la pureté et de la sincérité de ses intentions qui le portent à tout sacrifier, même son propre bien-être, à la grandeur et à la prospérité du pays dont il a la délicate et noble tâche, l’insigne honneur de diriger les destinées… alors qu’il est tout simplement, ou le pantin dont on tire adroitement les ficelles, ou, le plus souvent, si pas toujours, le valet, d’ailleurs grassement rémunéré, des oligarchies financières ou industrielles qui, en fait, sont les véritables maîtres des États.

Suspect, le prêtre — le prêtre de toutes les Religions — qui, pour justifier sa raison d’être, c’est-à-dire son parasitisme, et perpétuer le maintien des privilèges dont il vit et s’engraisse, va partout clamant, et la légitimité des biens honnêtement acquis (s’abstenant bien de préciser la limite des richesses honnêtes !), et la sainteté de la résignation, ce qui permet à tous les exploiteurs de ne rien restituer de leurs exactions, tout en confirmant les exploités dans cette idée qu’ils feraient œuvre sacrilège en songeant à la reprise des biens dont on les a dépossédés !

Suspect, le franc-maçon, le rationaliste, le libre-penseur, en un mot le citoyen affranchi qui pousse l’inconséquence, l’impudeur, l’inconscience jusqu’à livrer ce qu’il a de plus cher : ses enfants, aux abrutisseurs des religions, soucieux qu’il est, paraît-il, de ne point déplaire à Madame son épouse qui se souvient, en certaines circonstances de sa vie, d’avoir jadis été plus ou moins pratiquante, épouse dont il sait pourtant bien, en d’autres occasions, transgresser les lois !

Suspect, le gouvernement dit prolétarien, qui entretient de cordiales relations avec les États fascistes, mais qui, traîtreusement, abandonne ses « frères en communisme » aux pires violences des tortionnaires hitlériens ou mussoliniens !

Suspect, le politicien — ce caméléon de toujours et de partout — qui, partisan farouche, quoique en principe seulement, d’une transformation sociale, de la destruction de l’ordre établi, de la libération de l’individu, toutes choses qui ne se conçoivent même pas sans le préalable accomplissement d’une révolution totale et profonde, rêve, en même temps, « d’aller porter la lutte de classes… dans les ministères bourgeois » où, — ses emportements factices subitement évanouis — il n’aura cure que de collaborer fraternellement avec les défenseurs du Régime tant exécré… en principe !

Suspects également, et au degré le plus élevé, le catholique libéral, le prêtre moderniste, le démocrate-chrétien, le socialiste-chrétien, le syndicaliste-chrétien, tous vocables jurant d’être accouplés, qui n’expriment que des antinomies, des incompatibilités, tout homme avisé sachant pertinemment que voila bien longtemps que le Christianisme, en général, et l’Église catholique, en particulier, ont impitoyablement condamné Libéralisme, Modernisme, Démocratie, Socialisme, Syndicalisme, qu’ils considèrent comme de « funestes erreurs », des « pestes mortelles » !

Et enfin, suspect le « militant », le « propagandiste » qui apporte, dans « ses fonctions », dans ce qu’il ose appeler « son apostolat », un zèle par trop ardent. Qui ne saurait souffrir qu’une action soit engagée sans lui, qui est de tous les groupements, de toutes les associations et généralement aux postes de commande, qui se dépense sans compter, qui crie très fort et estime que l’action n’est jamais assez révolutionnaire, mais qui serait, par contre, fortement embarrassé si on l’obligeait — ce qui serait prudent et salutaire — à prouver l’origine de ses « moyens » d’existence !… — A. Blicq.