Encyclopédie anarchiste/Métamorphose - Métapsychie

Collectif
Texte établi par Sébastien FaureLa Librairie internationale (tome 3p. 1527-1542).


MÉTAMORPHOSE n. f. (latin metamorphosis). Les métamorphoses sont des transformations profondes de l’aspect de certains animaux subies au tours de leur évolution depuis leur sortie de l’œuf jusqu’à leur forme définitive d’animal adulte et parfait. Ces transformations paraissent surprenantes en certains cas parce qu’elles s’effectuent assez brusquement sous nos yeux et que chaque forme différente dure un certain temps, comme par exemple dans le cas du papillon vivant tout d’abord sa vie larvaire de chenille rampante avant de se muer en chrysalide et de prendre son vol, mais tous les êtres vivants, sans exception, passent par des transformations aussi étonnantes, depuis la formation du germe qui les engendra jusqu’à leur forme adulte et définitive.

Chaque être actuel, étant le terme d’une longue série de transformations subies par tous ses ascendants partis des formes les plus primitives, résume plus ou moins nettement et brièvement une partie de ces formes intermédiaires, parce que chacune d’elles est le produit des réactions inévitables de la matière vivante en équilibre avec les forces physico-chimiques du milieu. C’est ainsi que la segmentation de l’œuf, la formation des cellules, l’assimilation, l’accroissement, etc., présentent, à peu près, les mêmes particularités dans tout le règne animal. Les premières manifestations de la vie des êtres soumis à des causes semblables se ressemblent donc quelque peu, mais chaque espèce actuelle a sa forme d’équilibre spécifique déterminée par la composition chimique de ses éléments, lesquels, par une suite d’actions et de réactions avec le milieu ambiant, évoluent, se fixent et se cristallisent en une forme ultime constituant l’animal adulte. Si l’être humain passe ainsi par toutes sortes de transformations, celles-ci sont graduelles et continues jusqu’à la formation du fœtus et s’effectuent hors de notre vue, tandis que les métamorphoses sont des transformations apparentes, accélérées et très accentuées. Chez certains insectes la différence entre la jeune larve et l’individu parfait n’est pas très grande et consiste en une différence de taille, ou d’apparition d’ailes. Tels sont les pucerons, sauterelles, criquets, blattes. Par contre les abeilles, fourmis, scarabées, papillons ont, au sortir de l’œuf, un aspect vermiforme et en cet état se montrent très voraces ; une deuxième transformation les mue en nymphe presque immobile avant leur forme finale.

Lubbock suppose que tous les insectes proviennent d’une même forme ancestrale, quelque peu semblable au tardigrade actuel et se rapprochant de l’état larvaire. Ce n’est que leur adaptation ultérieure aux conditions variables du milieu qui les aurait diversifiés et, de fait, la nourriture et la température paraissent avoir une importance considérable sur leur évolution.

D’autre part les têtards de grenouilles, privés de leur glande thyroïde, ou alimentés avec du thymus, grandissent sans jamais se métamorphoser ; mais ils y parviennent à l’aide de l’iode : inversement, si on les alimente avec de la thyroïde, la métamorphose s’effectue plus rapidement que la croissance et les grenouilles restent naines. Des pucerons, normalement aptères, vivant sur des rosiers arrosés avec des sels de magnésium, acquièrent des ailes. Certaines chenilles, vivant habituellement sur le pêcher, transportées sur des acacias se transforment en une espèce voisine de celle vivant sur ceux-ci.

Chaque mue serait ainsi déterminée par des réactions spéciales déterminées par le milieu, s’ajoutant les unes aux autres et le polymorphisme, apparemment volontaire, des abeilles, des termites et des fourmis s’expliquerait assez aisément. Les phénomènes internes des métamorphoses sont entièrement effectués par les globules du sang, fonctionnant comme phagocytes en lesquels se résorbent la plupart des organes, muscles, glandes, etc. pendant la nymphose. Ces globules eux-mêmes doivent subir une modification chimique très caractéristique et leur équilibre nouveau entraîne inévitablement des réactions nouvelles. C’est la période d’histolyse. Pendant la période suivante d’histogenèse, les tissus et organes se reforment et constituent l’être parfait. Les métamorphoses ne sont donc que les effets apparents des modifications chimiques intérieures produites soit par l’évolution même des êtres accumulant d’imperceptibles variations, soit par l’influence directe du milieu extérieur provoquant ces mêmes variations.

Les métamorphoses de certains polypes, semblables à des plantes, en méduses flottantes à forme de cloche munies de tentacules sont assez curieuses mais les plus extraordinaires transformations paraissent réalisées par les Sacculines, sorte de tout petits crustacés vivant en parasite sur le crabe vulgaire. À sa sortie de l’œuf l’être microscopique prend la forme larvaire d’un nauplius, c’est-à-dire un aspect ovale, transparent, avec un œil médian et trois paires de membres munis de filaments. Après quatre mues l’animal, enfermé dans une coquille bivalve semblable à une très petite moule, se fixe la nuit sous de tout petits crabes ; puis, en une cinquième mue, rejetant la plupart de ses organes, sauf les glandes sexuelles, il se change en une sorte de sac appelé kentrogou. En trois mues successives ce sac vivant enfonce une aiguille creuse à, travers la carapace du jeune crabe et par cet étroit canal les cellules informes pénètrent dans leur hôte et là, se développent sous formes de ramifications, envahissent totalement le crabe, depuis les pattes jusqu’aux yeux, mais respectant le cœur et les branchies.

Vivant de l’organisme même du crabe, la Sacculine n’a presque plus d’organe propre et se réduit à quelques muscles, des ganglions nerveux et des glandes sexuelles. L’accroissement du parasite devient tel qu’il perce la carapace de sa victime et fait une énorme saillie au dehors. C’est dans cette partie que se formeront les œufs, lesquels, à leur maturité, se détacheront et recommenceront le cycle des transformations.

Les découvertes ultérieures de la biologie éclaireront d’une façon plus précise le rôle des constituants chimiques de toute cellule et les conséquences morphologiques de leurs modifications créant non seulement les métamorphoses mais encore tous les phénomènes de la vie, y compris ceux de la sénilité et de la mort. ― Ixigrec.


MÉTAPHYSIQUE n. f. (du grec meta la phusika, Choses en dehors des choses physiques). Ce terme n’est pas toujours très nettement défini et maints penseurs lui ont donné un sens bien différent. Ainsi tandis que James affirme que : « La métaphysique n’est qu’un effort particulièrement obstiné pour penser d’une façon claire et consistante. » Sully Prudhomme dit : « Il n’y a de métaphysique dans l’être que l’inconcevable. La métaphysique commence où la clarté finit. » Ce même penseur dit aussi : « Est métaphysique toute donnée reconnue inaccessible soit au sens, soit à la conscience, soit à l’observation interne, soit à l’observation externe. Cette règle assigne du même coup leur objet aux sciences positives : une science n’est positive qu’à la condition de ne viser que des rapports. »

L’origine du terme paraît provenir du classement effectué par Aristote de ses ouvrages, dans lequel la partie abstractive ne venait qu’après les traités de physique ; mais le terme lui-même, créé par Andronicas de Rhodes qui recueillit les œuvres d’Aristote, n’apparaît qu’ultérieurement dans Plutarque, et n’est formulé en un seul mot que vers le moyen âge, par les grammairiens du temps.

La partie des ouvrages d’Aristote ainsi désignée recherche les principes et les causes premières et comprend la connaissance des choses divines. C’est la conception moyenâgeuse. Kant entendait la métaphysique comme une faculté transcendantale d’établir, à l’aide de principes et des connaissances synthétiques à priori, des propositions synthétiques dépassant le cadre de l’expérience. Pour saint Thomas d’Aquin la métaphysique était la science du surnaturel. Pour Descartes et Malebranche elle s’opposait au spatial et au sensible. Schopenhauer s’exprime ainsi : « Par métaphysique j’entends toute connaissance qui se présente comme dépassant la possibilité de l’expérience. » Dans la grande Encyclopédie, il est dit : « La métaphysique est la science des raisons des choses. Tout a sa métaphysique et sa pratique. » Paul Janet la définit : « La science des premiers principes et des premières causes et la recherche dus rapports du sujet et de l’objet, de la pensée et de l’être. » Ch. Dumas va plus loin : « Poser quelque chose soit comme existence, soit comme une vérité, c’est selon moi faire de la métaphysique. » Celle-ci, pour Bergson, est « le moyen de posséder une réalité absolument, intuitivement, sans traductions aux représentations symboliques ». Fouillée lui donne ce sens : « Connaissance du réel par l’analyse réflexive et critique aussi radicale que possible, et par la synthèse, aussi intégrale que possible de l’expérience, notamment de l’expérience intérieure, fondement et condition de toute autre. » Le Dantec précise également le rôle de la métaphysique : « Je considère comme ressortissant à la métaphysique toute opinion dont la vérification expérimentale est sûrement impossible. »

De ces quelques citations nous pouvons conclure que la métaphysique peut se ramener au moins à deux concepts ; l’un qui comprend l’étude de toutes les choses invérifiables expérimentalement et partant entièrement issues de notre imagination : c’est la métaphysique péripatéticienne et théologique ; l’autre qui relie des faits sensuels connus et expérimentés et par déduction conduit à la connaissance et la compréhension de faits nouveaux par le seul usage de l’intuition. C’est la conception de Fouillée mais il est clair qu’ici il y a confusion entre l’hypothèse scientifique et l’invention métaphysique. Le Dantec dans son ouvrage : « Contre la métaphysique », a nettement démontré la différence considérable qui sépare la métaphysique de la solide et constructive logique déductive appliquée aux expériences scientifiques. Il est évident que la connaissance, dans son fait le plus essentiel, ne signifie pas uniquement documentation, ni accumulation d’expériences, mais encore et surtout utilisation de ces données pour connaître, à priori, tout phénomène à venir, prévoir l’évolution ultérieure des faits, relier entre eux des effets à leurs causes, trouver l’enchaînement et le développement des choses affectant notre sensibilité.

L’homme façonné par les faits depuis des milliers de siècles porte dans sa structure cérébrale l’empreinte de leur évolution dans le temps et dans l’espace et sa logique n’est que l’ordre même de ces faits, leurs relations entre eux, leur alternance, leur succession, leur durée, etc., etc. Cette perception sensuelle et partielle du monde appliquée à la connaissance générale du monde sensuel peut conduire à des résultats toujours vérifiables puisque cela reste dans le domaine du sensuel. Ainsi donc le raisonnement intuitif quittant l’expérience directe mais s’appuyant sur elle au point de départ peut diriger nos recherches, leur donner un sens précis et sous forme d’hypothèses et de calculs, nous faire découvrir des vérités que l’expérience vérifiera plus tard.

L’astronomie et la physique nous donnent quantité d’exemples de découvertes de cette nature. Kepler trouva par ses calculs sur les planètes, un hiatus entre Mars et Jupiter et ce ne fut que deux siècles plus tard que Piazza découvrit le premier des astéroïdes : Cérès, circulant entre ces deux astres. Leverrier, partant d’un fait positif : les perturbations d’Uranus, entreprit par le calcul la découverte de l’astre causant ces perturbations, en indiqua le lieu précis et l’astronome Gall, de Berlin, le trouva en effet au point désigné. Ce qui montre la valeur du raisonnement et de la logique humaines, c’est qu’en même temps que Leverrier, un autre savant, l’astronome Adam, parvenait en Angleterre au même résultat, tout en ignorant les travaux de son collègue.

L’exemple le plus récent de la sûreté du raisonnement intuitif nous a été donné par Einstein au sujet de la pesanteur de la lumière déviée par les astres, phénomène constaté plusieurs fois depuis, lors de certaines éclipses demeurées célèbres.

L’étendue de notre faculté intuitive est apparemment très vaste et peut nous faire espérer de prodigieuses découvertes sur le mécanisme même de l’univers, et en particulier celui des êtres vivants. Si l’astronomie, la physique, la chimie nous révèlent quelque jour la constitution intime des corps, la biologie peut, sous les efforts géniaux de l’intuition humaine, atteindre la connaissance réelle du phénomène vital et triompher peut-être de la maladie, de l’usure et de la sénilité.

Par son intelligence et sa connaissance de la nature l’homme peut espérer vaincre les forces de l’univers, les asservir à ses fins, augmenter sa durée et sa sécurité.



La véritable métaphysique ne poursuit point de tels buts. Si la nécessité de prévoir, d’imaginer l’inconnu, de rechercher les causes a créé tardivement la déduction scientifique, notre imagination et notre curiosité spéculative, fruits de ce fonctionnement cérébral, nous ont déterminé à rechercher le pourquoi des choses en vertu de cet anthropomorphisme primitif qui attribue une volonté d’agir à, tout objet.

Le raisonnement scientifique recherche le comment, parce qu’il est, dans son essence même, orienté vers le déterminisme mécanique. La métaphysique recherche le pourquoi des choses parce qu’elle est entièrement dominée par l’idée anthropomorphique d’une volonté dirigeant toute chose, dont il faut deviner la raison agissante sinon les caprices. C’est ainsi que la recherche du commencement absolu des choses, de leur raison d’être, de la cause première sont essentiellement des attributions de la conscience humaine étendue à l’objectif.

L’homme croit, consciemment, produire des commencements absolus par sa volonté et n’être déterminé par rien d’autre que sa raison pure comme le croyait Kant. Il s’imagine être une cause première, une chose en soi, un noumène agissant sur l’objectif ou phénomène.

Puisque, par sa volonté toute puissante, il crée, anime, meut ou détruit ce qui est à son échelle, il suppose qu’à l’échelle universelle un être infiniment plus puissant crée et anime également cet univers. Il est compréhensible que la suppression du pourquoi anthropomorphique supprime radicalement la raison d’être de l’univers au point de vue humain et partant toute divinité, tout but volontaire, tout commencement, toute évolution intentionnelle du cosmos.

Mais il reste d’autres questions qu’il paraît difficile au premier abord de classer soit dans la métaphysique, soit dans l’investigation scientifique. Ce sont les questions concernant la nature et l’essence des choses : matière, énergie, mouvement, étendue, conscience, durée, etc., etc. Pour limiter ici le terrain de la métaphysique et celui de la science il suffit de s’en tenir aux définitions de Le Dantec et de Schopenhauer sur ces deux aspects de la pensée humaine. Par cette méthode nous voyons que tant que les explications sont susceptibles d’expériences et de démonstrations, nous restons dans le domaine sensuel et scientifique. Dès que les explications dépassent l’expérience, et, par leur nature extra-sensuelle, s’opposent à toute vérification possible, nous faisons de la métaphysique.

Notre connaissance étant essentiellement sensuelle, toutes nos explications ou hypothèses scientifiques devront relier des faits entre eux, établir des rapports, des rapprochements, des liaisons, des ressemblances de telle manière qu’il n’y ait jamais d’affirmation basée uniquement sur la foi ou l’imagination et qui ne soit susceptible d’expérience et de démonstration.

Si nous examinons maintenant les concepts de matière, d’énergie, de conscience, nous voyons que, si loin que nous poussions nos investigations et nos explications, nous restons toujours dans le connu c’est-à-dire que nous ne pouvons cesser de douer la matière d’étendue, l’énergie de mouvement, la conscience de représentations, car ce sont précisément par ces caractéristiques qu’elles s’objectivent et deviennent réalité. Autrement dit, ces concepts ne se manifestent à nous que par des propriétés affectant particulièrement notre sensibilité et que nous nommons : mouvement, étendue, conscience, etc. Voulons-nous nous représenter ces concepts hors l’élément sensuel, nous tombons dans la métaphysique qui peut, par deux voies différentes, soit tout expliquer par des mots sans signification et satisfaire ainsi les intelligences puériles avec du verbe pur comme : Dieu, âme, infini, l’être-non-être, etc. ; soit prolonger dans l’inconnu, dans l’extra-sensuel, la connaissance sensuelle et permettre le jeu naïf du sectionnement indéfini d’un point que l’imagination grossit et recoupe sans cesse, sans parvenir à se représenter le moins du monde une étendue qui n’ait ni périmètre, ni milieu. Ici la métaphysique s’appuyant sur une réalité sensuelle ; le morcellement infinitésimal de la matière, prolonge indéfiniment, et au delà du compréhensible et du perceptible, cette perception des choses et croit démontrer ainsi l’existence réelle de l’infini dans la petitesse, comme nous admettons l’infini de l’univers. Mais l’absurdité de la métaphysique est ici manifeste. En effet, si l’infini existe entre deux points, tout déplacement, et partant tout mouvement est impossible car pour passer de l’un à l’autre il faudrait franchir l’infini, ce qui est ridicule, attendu qu’on ne peut véritablement, et d’aucune manière, entrevoir le franchissement de l’univers ; mais, par un des effets inévitables des raisonnements faux, les métaphysiciens mettent alors une borne à cet infini en admettant un Dieu créateur du temps et de l’espace.

La métaphysique s’appuie donc toujours d’un côté sur une réalité sensuelle, de l’autre elle plonge dans le vide des spéculations hasardeuses, fantasques et indémontrables. Elle est donc néfaste pour l’harmonie des humains et cela d’autant plus que, ne pouvant, chez les esprits droits, donner aucune réponse satisfaisante sur la réalité des choses qui ne soit une tautologie ou une divagation, elle essaie de discréditer notre connaissance directe, source de tout notre savoir, en croyant démontrer l’illusion des sens et l’insuffisance de notre expérience pour atteindre la vérité.

Sachant que notre sensibilité est le produit de notre réaction avec le milieu nous devons, au contraire, accorder toute confiance à nos sens, à notre raisonnement, à nos expériences, car ils sont le résultat d’une longue adaptation spécifique et nous font connaître les synthèses de la substance en mouvement que nous percevons à différentes échelles d’organisation et de condensation, vue à des plans différents, qui pour nous constitue le seul monde qui nous intéresse, car il nous donne la réalité de la joie de vivre. – Ixigrec.

Ouvrages à consulter. – Aristote : La MétaphysiqueMalebranche : Entretiens sur la métaphysique. – Emm. Kant : Critique de la raison pure ; Prolégomènes à toute métaphysique future ; Esthétique et dialectique transcendantales, etc. – Liard : La science et la métaphysiqueBrochard : Les sceptiques grecsH. Spencer : Les premiers principes ; Principes de psychologieRavaisson : La Philosophie au xixe siècle ; Rapport sur le prix V. CousinSaisset : Le scepticismeRabier : Leçons de philosophieFouillée : L’avenir de la métaphysique ; Le mouvement idéaliste ; L’évolutionnisme des idées-forces ; La philosophie de Platon, etc. – Le Dantec : Contre la métaphysiqueBergson. L’énergie spirituelle, etc. – Guyau : La genèse de l’idée de temps ; L’irréligion de l’avenir, etc. – Lodge : La survivance humaineBos : Psychologie de la croyanceDide et Juppont : La métaphysique scientifiqueDunan : Essai sur les formes à priori de la sensibilitéHume : Traité de la nature humaineGarnier : Traité des facultés de l’âmeStuart Mill : Philosophie de HamiltonLeibniz : Monadologie ; Correspondance avec Clarke ; Nouveaux essais ; ThéodicéeBoutroux : De la contingence des lois de la natureBouillier : Le principe vital de l’âme pensanteTaine : L’intelligence ; Les philosophes classiquesBûchner : Force et matièreLange : Histoire du matérialismeDescartes : Discours de la méthode ; MéditationsBossuet : Traité de la connaissanceFénelon : Traité de l’existence de DieuJanet : Les causes finales ; La moraleSecrétan : La philosophie de la libertéBertauld : Introduction à la recherche des causes premièresRibot : La philosophie de SchopenhaüerHartmann : La philosophie de l’inconscientVacherot : La métaphysique et la scienceCaro : L’idée de DieuPlaton : Le PhédonLamennais : Esquisse d’une philosophie – A. Bertrand : De immortalitate pantheistica – P. Leroux : L’humanité – Jean Reynaud : Terre et ciel – J. Simon : La religion naturelleSpinoza : ÉthiqueSchopenhauer : Le fondement de la morale, etc.

MÉTAPHYSIQUE. La métaphysique est un monde dans lequel on ne doit pénétrer qu’avec prudence, en s’entourant de toutes sortes de précautions, si l’on ne veut pas perdre tout bon sens. Nous sommes ici dans le domaine de l’absurde. Ici, l’esprit plane sur les confins de l’absolu. Il se perd dans les nuées. Il erre dans le vide. Il construit des mondes qui ne reposent sur rien, il plonge dans l’irréel et en retire le néant. On se trouve face à face avec ces monstres qui sont l’inintelligible, l’indéfinissable, l’inimaginable, l’indéterminé, l’inconcevable, l’invérifiable, le supra-normal etc. On conçoit que la science positive et la métaphysique ne fassent pas bon ménage, bien que la science positive ne soit guère plus positive qu’elle. La science positive a beaucoup à se reprocher. Son impérialisme finit par devenir insupportable. Ne condamnons pas toute métaphysique ; condamnons ses excès, et reconnaissons que le rêve, l’utopie, l’idéal, l’illusion, sont aussi nécessaires à l’homme que le pain. Ils ont leur réalité. Vous ne pouvez pas supprimer l’hypothèse. Les savants les plus endurcis sont forcés de lui faire une place. Et l’hypothèse, c’est du rêve, c’est de la métaphysique. L’imagination joue un rôle primordial dans l’existence humaine. La spéculation philosophique sert de contre-poids à la spéculation tout court. La métaphysique n’est qu’une forme de la poésie. Elle constitue pour l’esprit humain un allègement, un soulagement. Il a besoin parfois de s’évader en plein ciel, et même, s’il se trompe, il vaut mieux qu’il se trompe généreusement que d’avoir raison platement. L’esprit jette du leste, quitte la vulgarité et la bassesse pour voguer dans l’azur libre. Tout le monde ne peut en faire autant : c’est le privilège d’une élite de vivre de la vie de l’esprit, de renoncer au terre-à-terre. On ne peut pas toujours vivre au sein des réalités : il faut, comme Blanqui dans sa prison, rêver l’éternité par les astres. Ces gens qui ne croient qu’à ce qui tombe sous leurs sens, qui ne jurent que par la matière, sont désespérants. Leur bon sens est un non-sens. Au fond, ils rejoignent ceux qui ne vivent que dans l’irréalité, et dont la métaphysique, au lieu d’être le prolongement de la vie, en est la négation. La métaphysique a malheureusement subi le sort de tout ce qui essaie d’arracher l’homme à son égoïsme : elle est devenue la proie des mystificateurs ; ils l’ont exploitée afin de justifier leur conduite. Au lieu d’être une poésie supérieure, la métaphysique n’a cessé d’être un bavardage ennuyeux, aussi prétentieux que vide sur des sujets quelconques : c’est la plus haute forme du charlatanisme philosophique. Ce qui se débite sous ce nom est un pur verbiage. Sous prétexte de chercher à percer le mystère de l’inconnu – occupation noble et élevée – on n’a fait que l’embrouiller et l’obscurcir. On ne voit goutte dans les élucubrations des métaphysiciens : ce qu’il y a de plus clair là-dedans, c’est qu’ils se moquent de nous. On ne peut prendre au sérieux certains métaphysiciens. Avec eux, on perd contact avec toute réalité, on affirme, on ne prouve pas. On disserte, on ergote : on ne pense pas. On s’appuie sur différentes autorités qui, elles-mêmes, s’appuient sur d’autres, et toutes ces autorités se tiennent par la main et dansent la ronde macabre du néant. La métaphysique ainsi conçue me fait l’effet d’un film où l’on verrait défiler à une allure vertigineuse, à toute vitesse, pèle-mêle, au petit bonheur, dans un désordre indescriptible, se poussant les uns les autres, différents fantômes grimaçants et pervers symbolisant les théories les plus absconses sur Dieu, le Monde, l’Âme, la Matière, l’Infini et l’Indéfini, et autres problèmes insolubles « dans l’état actuel des connaissances humaines », dirons-nous en employant le cliché consacré ; problèmes que les abstracteurs de quintessence ne font que rendre plus obscurs encore, car ils les entourent de ténèbres épaisses, de façon à passer pour des êtres supérieurs en possession de la vérité.

Les métaphysiciens sont de tous les philosophes ceux dont l’esprit va le plus loin dans le domaine de la divagation. Ils doivent bien rire dans leur barbe. Les métaphysiciens ne doutent de rien. Ils affirment avec un aplomb imperturbable n’importe quoi. Leur langage hermétique n’en impose qu’aux amateurs d’obscurité.

La métaphysique groupe dans une armée disparate tous les fanatiques de l’au-delà, mystiques, mages, occultistes, théosophes, tous les pseudo-idéalistes au plumage aussi varié que leur ramage. Elle a pour adversaires peu intéressants les matérialistes, scientistes, mécanistes, et autres libres-penseurs qui ne sont ni plus clairs, ni plus raisonnables, ils font également de la métaphysique. Les premiers nient la matière, les seconds l’âme. Les uns et les autres se querellent, et de leurs querelles jaillit l’obscurité. C’est surtout des métaphysiciens, à quelque école qu’ils appartiennent, qu’on peut dire qu’ils sont des coupeurs de cheveux en quatre. La métaphysique a beaucoup d’ennemis, conscients ou inconscients, mais ses pires ennemis ce sont les métaphysiciens. Ils ont plus fait pour discréditer la métaphysique que tous ses adversaires réunis. Ils justifient par leurs extravagances tous les reproches qu’on lui adresse, leurs exagérations semblent donner raison au matérialisme le plus épais. La bêtaphysique, devrait-on dire pour désigner toutes ces psychopathies. C’est le bon sens qui manque aux métaphysiciens. Entendez par bon sens l’esprit critique.

Quand la métaphysique est une œuvre d’art, toutes les audaces lui sont permises, parce qu’elle sont créatrices. La métaphysique nous arrache alors à l’obsession du médiocre et du terre-à-terre. Elle nous transporte sur les sommets. Elle nous fait vivre d’une vie nouvelle, où tout ce qu’il y a de laid autour de nous est oublié. Elle incarne la poésie la plus profonde, elle constitue la plus haute réalité.

Vacherot, métaphysicien lui-même, disait : « Les métaphysiciens sont des poètes qui ont manqué leur vocation. » Nous croyons que les véritables métaphysiciens n’ont pas manqué leur vocation : ce sont de véritables poètes. Le métaphysicien est un poète : qu’il n’ambitionne pas d’autre titre. Qu’il se contente de cette gloire ! Toute métaphysique est Poésie, c’est-à-dire une création où la pensée a autant de part que le sentiment, l’imagination que l’observation, où le monde est transformé et transfiguré ; toute poésie est métaphysique, du moment qu’elle ne copie pas la réalité, et qu’elle parle à l’âme et au cœur. Considérons les métaphysiques comme des systèmes impérieux pour expliquer l’univers, exposés avec plus ou moins d’art et de génie. Loin d’être poètes, nos métaphysiciens sont les plus prosaïques des hommes. C’est la faune métaphysique que nous combattons, c’est la caricature, la parodie du rêve et de l’idéal. Elle nous rend plus précieuse la vraie métaphysique, qui est le droit pour l’esprit de concevoir une réalité plus harmonieuse que la réalité utilitaire. Il n’est point interdit à l’esprit humain de vagabonder loin des sentiers battus, de faire l’école buissonnière hors de la férule des pédagogues. L’utopie n’est point interdite au cerveau, car elle est la vérité de demain. Il y a utopie et utopie. Les bourgeois ont leurs utopies. L’utopie du bourgeois est mesquine : c’est de vivre en paix au sein de sa famille. Le bourgeois croit que sa domination est éternelle. Il ne peut concevoir un monde meilleur, sauf dans l’autre vie. L’utopie est créatrice d’action, elle nous arrache à l’obsession de la réalité présente pour nous faire entrevoir la réalité de demain. Elle est du domaine de la poésie, et la poésie est partout où il y a de la vie. Un esprit uniquement préoccupé par les choses matérielles, accaparé par l’affairisme, s’abstenant de toute incursion dans la sphère des idées, ayant banni le spirituel de la vie, serait un monstre. Et il y a beaucoup de monstres dans la société. Leur originalité consiste à se vautrer dans la boue. Aucun idéal n’ennoblit leur existence. Ce sont des êtres dont rien ne justifie la présence dans le monde, on se demande ce qu’ils sont venus faire sur la terre. Il y a parmi eux des utopistes qui ont fait de l’utopie une chose absurde, ils déshonorent l’utopie. Celle-ci aura toujours, pour l’arracher à la matière de nobles esprits, formant une élite au sein de la société, qui entendent conserver le droit de penser et de rêver malgré l’impuissance et la mort.

Les métaphysiciens sont des poètes. C’est pourquoi ils nous intéressent. Un métaphysicien est un poète qui est avant tout lui-même. Là encore, l’individualisme créateur joue un rôle. Méfions-nous des métaphysiciens qui ne sont pas poètes, qui ne sont que métaphysiciens. La véritable métaphysique est une poésie supérieure, qui traduit le tempérament de son auteur. Une métaphysique est l’expression d’une individualité. Elle est le reflet de son créateur : belle ou laide, elle reflète son visage. Suivant le cerveau qui l’élabore, la métaphysique aboutit, soit à une œuvre de génie, soit à une œuvre de folie.

La métaphysique n’est pas toujours cet « art d’apaiser les antinomies, de calmer les contradictions internes qui sont en nous », dont parle Han Ryner. Elle laisse ce soin à l’esthétique. Lorsqu’elle l’interroge, elle s’expose à moins d’erreurs. Elle est sur le chemin de la sagesse.

Il y a des métaphysiques absurdes. On ne peut les prendre au sérieux. Elles n’ont même pas l’excuse de la poésie. Tant vaut le métaphysicien, tant vaut la métaphysique. Il faut voir dans les métaphysiques des systèmes plus ou moins ingénieux pour expliquer l’origine du monde et de la vie. Sachons goûter toutes les métaphysiques, en restant fidèle à la nôtre. N’excluons aucun système, mais sachons choisir entre tous celui qui choque le moins notre harmonie intérieure.

Nous ne faisons pas assez de métaphysique et nous faisons beaucoup trop de pseudo-métaphysique. La métaphysique ouvre de vastes horizons. Elle est à l’avant-garde de la philosophie. Elle joue le rôle d’éclaireur. Si elle s’égare, le monde entier s’égare avec elle.

Toute science suppose une métaphysique. Sans métaphysique, une science est un corps sans âme. La métaphysique se tient à côté de la science, pour guider ses recherches. Compagne assidue, elle veille sur sa destinée. Nous ne pouvons nous passer d’hypothèses. Elles font progresser la science et la philosophie. Elles créent de nouvelles formes de beauté et de nouvelles raisons de vivre. Polir emprunter encore une définition de Han Ryner, je dirai : « La métaphysique est le prolongement rêvé de toutes les sciences et peut-être de tous les arts. »

Certains esprits myopes veulent chasser la métaphysique de la vie, c’est-à-dire en exclure toute poésie. Prétention que rien ne justifie ! La métaphysique, ou la poésie – c’est la même réalité – reprend toujours ses droits. On a beau la chasser de la vie, elle y revient sans cesse. Elle est diverse, comme elle. Elle épouse toutes ses formes ; unité, dualité, trinité, pluralité, le métaphysicien a le choix. Qu’il écrive un poème harmonieux, c’est pour nous l’essentiel. Qu’il fasse œuvre d’art, il fera œuvre de philosophie.

On ne peut se passer de métaphysique, mais on peut se passer de certains métaphysiciens. La métaphysique, cette « poésie des profondeurs » – ainsi la qualifie Han Ryner –, durera autant que l’humanité. L’humanité ne peut pas se passer de rêves. Il y a des rêves étroits, comme ceux que font les âmes bourgeoises. Il y a des rêves vastes comme l’univers. Ce sont ces rêves que les vrais métaphysiciens ne cesseront de faire, chaque fois que l’âme humaine se recueillera en présence de l’infini.

La métaphysique, ou ontologie (science de l’être), encore appelée philosophie première, envisage les problèmes de la psychologie, de la logique et de la morale, à un point de vue universel et absolu. Elle s’efforce d’atteindre la réalité cachée sous les apparences. À la métaphysique se rattachent le problème de la valeur de la connaissance, où s’affrontent le réalisme et l’idéalisme, – le problème de la matière, où l’on voit aux prises le mécanisme et le dynamisme, – le problème de la vie qui a reçu différentes solutions, parmi lesquelles l’hypothèse du transformisme, auquel s’oppose le créationnisme, – le problème de l’âme, qui engendre le conflit du matérialisme et du spiritualisme, – le problème de l’existence de Dieu, soulevant la question du dualisme et du panthéisme. D’autres problèmes aussi complexes sont abordés par la méthode métaphysique, qui a ses avantages et ses inconvénients, comme toute méthode. L’origine de la vie, la matière, la force, ont donné lieu à des hypothèses hardies. Dernièrement, les théories einsteiniennes (qui intéressent par certains côtés la métaphysique) ont modifié notre conception de l’univers. Vous savez tout le bien et le mal qu’on a dit d’Einstein. La presse lui a consacré des colonnes entières. L’Institut l’a boudé. Einstein est un génie, un homme, j’allais dire un surhomme, dans la plus noble acception du mot. Cet Allemand est un grand européen par son cœur et son esprit. C’est un grand pacifiste. On a beaucoup écrit en France sur la théorie de la relativité restreinte et généralisée (citons Nordmann, Fabre, Langevin, Becherel, Berthelot, Warnand, Painlevé), modifiant nos idées sur l’espace et le temps, ce qui démontre, une fois de plus, que rien dans la science n’est définitif, et que ce qui fait en somme son intérêt ce sont ces déplacements de perspective, ces perpétuels recommencements, choses consolantes et déprimantes tout ensemble. Les théories einsteiniennes viennent appuyer dans une certaine mesure le mouvement connu sous le nom de pragmatisme auquel ont collaboré, à des titres divers, des savants et des philosophes tels qu’Henri Poincaré, Boutroux, Bergson et William James.



Un des problèmes examiné par la métaphysique, c’est celui de la valeur de la science. La valeur de la science a été mis en doute par un certain nombre de métaphysiciens, et même par quelques savants. On a accusé la science de ne pas avoir tenu toutes ses promesses. On a eu raison. Pourtant, ne lui a-t-on pas demandé plus qu’elle ne pouvait donner ? La science apporte son explication des choses et s’arrête où commence la métaphysique.

On s’est trop empressé (Brunetière en tête) de proclamer la faillite de la science, au nom d’un pseudo-idéalisme. La véritable science est idéaliste et réaliste à la fois. C’est dans un esprit réactionnaire que s’est engagée la campagne contre la science, que les exagérations même de la science paraissaient justifier. La vraie science ne peut tuer le rêve : le rêve lui est nécessaire ; il l’entraîne avec lui sur les sommets. On a aussi reproché à la science – et ce reproche est le plus justifié – de s’être mise au service des forts, des maîtres de l’heure, des grands bandits légaux qui président aux destinées de l’Humanité. La science s’est faite la servante des hommes de guerre et de haine. Au nom de la science, comme au nom de la patrie, on assassine, on tue. Cette religion de la science est néfaste comme toutes les religions : elle a ses fanatiques. Elle a aussi ses martyrs. Les savants ont mis la science au service de la mort, rarement au service de la vie. Ils en ont fait une puissance de destruction, qui n’a pas dit son dernier mot. Cette science « assassin de l’oraison, et du chant, et de l’art, et de toute la lyre », comme disait Verlaine, est la honte de la civilisation. La science au service du crime doit être châtiée et découronnée de tout prestige. À bas la science au service du prétendu droit et de la prétendue civilisation ! Quand on voit les résultats auxquels a abouti la science, il n’y a pas de quoi être fier. La science doit cesser d’être humanitaire pour devenir humaine. La science a favorisé le progrès matériel au détriment du progrès moral. Les progrès matériels eux-mêmes tant vantés sont bien aléatoires. Ils multiplient les chances de mort parmi les hommes, en multipliant les moyens de locomotion, les explosifs, les prisons, etc. La science, dans ses applications multiples, soi-disant pratiques, ne tend qu’à substituer l’artifice à la nature, le mécanisme au sentiment. Une humanité des savants, ou plutôt de pseudo-savants, serait inhabitable. Quant à guérir la souffrance, les maladies, la science s’en préoccupe bien, mais si peu ! La médecine qui, parait-il, a fait d’énormes progrès, n’a guéri ni le cancer, ni la tuberculose, ni la syphilis. Elle n’est même pas capable de soulager les maux de dents. La chirurgie est fière de ses tours de force. Mais les frères coupe-toujours sont le plus souvent des brutes, dont il faut se méfier. Malheur aux patient qui tombe entre leurs mains ! C’est de la chair à chirurgie pour la table d’opération. Les grandes découvertes que font la T.S.F., l’Aviation, etc. ne valent pas un poème écrit avec son cœur par un poète qui a souffert. Il sera beaucoup pardonné à la science pour quelques découvertes utiles, profitables à tous, cependant il faut nous opposer de toutes nos forces à cet esprit scientiste, qui ne voit que la science et ne jure que par elle. Le Homaisisme est une plaie. S’il n’y avait hélas ! que la science pour faire notre bonheur nous serions bien malheureux. Il faut combattre cette confiance aveugle dans la science, qu’engendre des pédants, de froids calculateurs. La science, soit, mais complétée, dépassée, augmentée, renouvelée et humanisée par l’art. Cessons d’opposer l’art et la science. N’opposons à l’art que la science de mort. Le cœur et l’esprit sont faits pour s’entendre ; de leur union naît l’harmonie. Opposer la science et l’art, c’est absurde. Il y a de la science dans l’art, et de l’art dans la science. Il faut être un demi savant ou un demi poète pour opposer la science véritable et la véritable poésie.


À la métaphysique appartient encore le problème de la liberté et du déterminisme, auquel se rattache celui de la responsabilité, bien mal résolu par les criminologistes et autres psychiatres. Sommes-nous libres ? Sommes-nous responsables de nos actes ? Ne sommes-nous pas plutôt le jouet d’influences de toute nature ; hérédité, milieu, éducation, forces physicochimiques ? Problème redoutable que les religions et les morales ont résolu à leur profit. On ne peut le résoudre à la légère. Il semble bien que le déterminisme explique la plupart des actions humaines. Et cependant, l’individu possède le pouvoir de réagir. Il peut se libérer. Selon qu’on envisage le problème, tout l’édifice social est consolidé ou jeté à terre. La société a-t-elle le droit de punir ? Ne doit-elle pas soigner les criminels, comme elle soigne les malades ? Problème accroché aux précédents, et qui dépend de leur solution.

Que de problèmes ne propose-t-elle pas à nos méditations ! Le monde est-il l’œuvre du hasard ? Les choses marchent-elles vers un but défini, ou bien s’écoulent-elles pèle-mêle, en désordre, sans aucun plan conçu d’avance ? Que sommes-nous venus faire sur ce globe où le hasard nous a fait naître ? Y a-t-Il par delà cette planète passagère d’autres mondes habités ? D’où venons-nous ? Où allons-nous ? Que sommes-nous ? Existe-t-il une vie future et sous quelle forme pouvons-nous la concevoir ? La mort est-elle le terme de l’existence humaine ? Qu’y a-t-il après la mort ? Questions qui ont fait le désespoir des poètes et des philosophes. Questions peut-être insolubles ? Quand le penseur y songe, son front s’emplit de brume. Cependant, il finit par contempler sans trouble la vérité en face. Pour lui, rien ne commence et rien ne s’achève, tout meurt, tout se transforme. La création n’est qu’un flux et un reflux d’éléments contraires. La métaphysique s’adresse à la science, lui demandant de l’aider à sonder l’abîme. Par elle, elle acquiert quelques certitudes. Ensuite, elle interroge l’éthique. Elle lui pose cette question : « À quoi bon agir, à quoi bon s’agiter puisque tout est chimère ? Pourquoi vivre ? Pourquoi ne pas se suicider tout de suite, puisque tout passe, disparaît, se dilue… ? » L’éthique la conduit vers l’esthétique, qui lui apporte sa consolation, la politique et la morale ne pouvant constituer pour l’homme que des refuges illusoires. L’esthétique donne un sens à la vie. S’adressant à la métaphysique, à ses doutes, à ses atermoiements, elle lui confie sa foi : « Vivre, certes, malgré la souffrance qui est dans la vie, mais vivre en beauté. Lutter contre toutes les laideurs, même si cela est parfaitement inutile. S’affirmer un homme libre, au sein des brutes déchaînées… » Tout est là. Il n’y a pas d’autre existence pour l’homme. La, métaphysique reprend courage, et elle envisage désormais avec plus de sérénité tous les problèmes que pose la vie.

Le problème de la valeur de la vie, comme celui de la valeur de la science, est du ressort de la métaphysique. Celle-ci le résout, tantôt par l’optimisme, tantôt par le pessimisme. Optimisme et pessimisme ne signifient rien, au fond. La vie n’est ni bonne, ni mauvaise. Ce n’est pas un cadeau bien fameux que nous ont fait là nos parents, nous nous en serions bien passés. Mais puisque ce cadeau nous a été fait, sans que nous ayons été consultés, donnons-lui un sens. La vie vaut-elle la peine d’être vécu ? Pas toujours. Le problème de la valeur de la vie est angoissant. Les jouisseurs déclarent : « La vie est belle. » Les malheureux répondent : « La vie est triste. » Où trouver un refuge contre les maux d’origine naturelle ou sociale – ces derniers sont les plus nombreux – qui nous accablent pendant le peu de temps que nous vivons ? Est-ce la religion qui nous apportera un réconfort ? Ne comptons pas sur elle. Plus que la science, la religion a fait faillite. Elle n’a empêché ni la guerre, ni tout autre fléau. Elle n’est pas restée fidèle à l’esprit de son fondateur (c’est de la religion chrétienne qu’il s’agit ici). Tantôt elle résiste au mouvement des idées, tantôt elle s’adapte bien maladroitement aux idées. La religion est une affaire. Les prêtres tiennent commerce d’au-delà. Ils sont vendus au veau d’or ; ils s’agenouillent devant les puissances d’argent ; ils ne courtisent que les riches et, pour donner le change, ils font semblant de s’intéresser aux pauvres.

Trouverons-nous un refuge dans sa rivale, la théosophie ? Les théosophes nous prodiguent d’excellents conseils. Mais les belles paroles ne suffisent pas à panser les plaies. Il y a beaucoup à prendre dans la théosophie qui poursuit le bonheur de l’humanité par sa régénération. Enfin, l’esthétique apporte aux hommes un refuge contre toutes les formes de laideur. Elle apaise le tourment de l’individu qui cherche le sens de la vie, qu’il n’a découvert, ni dans la religion, ni dans la morale, ni dans la politique. Elle calme ses angoisses et l’aide à supporter les maux inévitables qui frappent tout être humain. Refuge, hélas ! momentané. Il faut nous résoudre à n’avoir que peu de joie, en échange de beaucoup de souffrance morale et physique. Plus la pensée s’élève, plus l’être est malheureux. Telle est la vie, et il faut se résoudre à souffrir. Il importe, en attendant la mort, de créer autour de nous le plus de joie possible, afin de n’avoir pas vécu inutilement. Celui qui porte un idéal vivant dans l’âme peut vivre sans n’avoir aucun reproche à s’adresser, cet idéal fait à la fois son bonheur et son malheur. Si la beauté, — qui est aussi la vérité et la justice —, l’encourage à vivre, la laideur le touche plus profondément que les hommes dont l’inconscience la perpétue. Cependant semblable existence est bien préférable à l’existence amorphe du troupeau qui n’a jamais réfléchi à quoi que ce soit. — Gérard de Lacaze-Duthiers.

MÉTAPHYSIQUE (selon le socialisme rationnel — Le livre que vient de publier M. Jules de Gaultier sur la sensibilité métaphysique, entrevue ou comprise sous le prisme déterministe du matérialisme historique nous a incité à faire connaître ce que le Socialisme Rationnel entend sous le même vocable.

Si, pour M. J. de Gaultier et la plupart des philosophes passés et présents, la métaphysique apparaît comme suprême efflorescence de la matière qui, à travers les espèces et les âges, trouve son épanouissement dans l’Humanité en s’appuyant sur les théories de Hégel relatives à la ruse des idées amenant à concevoir la possibilité de la mutation de quantité en qualité, Colins et son école philosophique et socialiste, se refusent à admettre, comme scientifiquement démontré le processus métaphysique qui va de l’atome au minerai, du minerai à la plante, de celle-ci au règne animal et, par suite, à l’homme tout entier. Si, pour M. J. de Gaultier comme pour Colins et son école il existe une sensibilité métaphysique, il faut convenir qu’elles sont d’essence différente. Il est cependant curieux et intéressant de constater que, partant de prémisses différentes, nous arrivons, d’une manière relative, au système moral dualiste que nous exposons depuis 1842. Nos philosophes modernes se sont aperçus qu’avec l’unité de nature il est impossible de concevoir l’idée de liberté autrement que comme une mécanique dirigeante, celle de l’égalité comme un stupide nivellement du reste impraticable, celle de la fraternité ou solidarité que comme un instrument de domination du fort sur le faible. Nous sommes d’accord sur les mots sensibilité métaphysique et non sur les idées que ces mots expriment et représentent. Les uns appellent métaphysique la science qui vient après la physique ; d’autres la qualifient : théorie de l’abstraction.

Pour le socialisme rationnel la métaphysique est l’opposé de la physique ; le non-physique, l’immatériel, le réel en tant qu’immuable et non-phénomène. Dès lors, la science sociale établit rigoureusement que la métaphysique est le domaine moral, celui du raisonnement, de la liberté, de la vérité, de la réalité. Le principe fondamental de la morale, de la liberté du raisonnement etc., est la sensibilité immatérielle réellement métaphysique. Rien d’identique entre les conceptions du socialisme rationnel et les Thèses de M. J. de Gaultier. Celui-ci en écrivant son livre dans un langage où les mots suivent la loi du transformisme, subissant des mutations comme les espèces, nous présente une métaphysique de l’instinct qui s’épuise jusqu’à l’intelligibilité.

Ce n’est pas le lieu de discuter minutieusement, par l’analyse, les thèses de M. J. de Gaultier. Notre devoir est de donner un raccourci de la thèse métaphysique telle qu’elle nous paraît se dégager de la Science Sociale de Colins et qui est la nôtre. Pour la compréhension facile de ce qui va suivre nous appellerons métaphysique : les mathématiques des réalités. À ce sujet, Liebnitz a dit : « Si quelqu’un voulait écrire en mathématicien dans la métaphysique ou dans la morale, rien ne l’empêcherait de le faire avec rigueur… Je crois que, si on l’entreprenait comme il faut, il n’y aurait pas sujet à le regretter. »

En général, les philosophes s’élèvent contre ce qu’ils appellent l’insoutenable prétention de vouloir appliquer à la philosophie la science rigoureuse des mathématiques. Réfléchissons qu’en dehors des sciences exactes il ne peut y avoir, en morale, que des à peu près. C’est donc la que doit se trouver la vérité qui importe le plus, la vérité sur laquelle nous devons rendre toute contestation impossible, avant de passer à ce qui n’en est qu’une conséquence. Il est superflu d’ajouter qu’une vérité ne peut et ne doit être confondue avec l’illusion plus ou moins empreinte de mysticisme.

N’est-il pas évident que, si nous ne savons réellement ce que nous sommes, et comment nous devons agir pour notre bien, tout comme pour celui de la société, à quoi nous serviraient, sous le point de vue moral ou social les sciences physiques avec leurs incessants et admirables progrès ? On peut en dire autant des sciences exactes avec leurs indubitables théorèmes. Mais on peut les appliquer pour opérer le mal comme pour faire le bien. Si l’ordre moral n’existe pas, s’il n’est d’autre ordre que l’ordre physique, nous n’avons pas de critérium du bien et du mal et nous ne pouvons distinguer les sciences, l’une de l’autre sans crainte de nous tromper.

Le défaut d’une règle morale dont la réalité n’est pas démontrée rationnellement nous livre sans défense à l’entraînement des passions. Les événements sociaux qui seraient l’opposé de ce qu’ils sont si la question morale était connue et en voie de réalisation, ne nous inciteraient pas à suivre les uns les autres, à troubler l’ordre social et à créer ou maintenir le mal que nous paraissons combattre. Le désordre et le despotisme financier de notre époque, qu’un empirisme volontaire entretient, feraient place à une société harmonique où chacun recevrait selon ses œuvres. En résumé, la méconnaissance du droit, l’ignorance de la métaphysique, l’entraînement vers un faux raisonnement sont autant de fauteurs de misères, d’exploitation de l’homme fort sur l’homme faible, de la ruse, comme dit Hégel, sur la loyauté ; c’est-à-dire de l’immoralité de la morale de notre époque.

La question sociale reste toujours une question d’honnêteté scientifique et de vraie moralité. La connaissance de la métaphysique vraie pourra, seule, opérer la rénovation sociale dans le domaine intellectuel aussi bien que dans le domaine économique. — Elie Soubeyran.


MÉTAPOLITIQUE n. f. et adj. (de meta, et politique ; en dehors, au-dessus de la politique). Ce néologisme paraît avoir été employé pour la première fois dans les documents de la République supranationale (voir supranational). Union mondiale d’individus contre les tyrannies nées de la fiction des intérêts nationaux.

H.-L. Follin, initiateur de cette communauté définit ainsi le mot « Métapolitique » en tant que substantif :

« Ce qui dépasse le domaine de la politique en le transformant ; la recherche et le service de l’intérêt public en dehors, au dessus et au delà de l’art et de la Science politique. Exemple : la Métapolitique supranationale : Philosophie de l’intérêt public qui s’élève au-dessus des nations et caractères nationaux et qui dépasse la politique. »

« Le mot « politique » justifie son étymologie en ce qu’il évoque l’intérêt public, que les anciens ne concevaient pas hors des limites de la Cité ; mais il a débordé son origine, et sa signification actuelle la plus certaine est celle qui caractérise l’emploi de la force : force des armes, de la loi, du chef ou du nombre ; ou l’emploi de l’habileté, soit aux fins de la poursuite de l’intérêt public plus ou moins limité, soit même à toutes autres fins. Le domaine politique est spécifiquement celui des États et des Gouvernements, détenteurs de la force par laquelle ils peuvent imposer leur volonté, sauf, pour économiser la dépense de force, à faire accepter ces volontés par leur habileté. »

« Le néologisme « Métapolitique » justifie donc sa double racine, en ce que les buts de la Métapolitique restent la recherche et le service de l’intérêt public généralisé (celui de la cité universelle), mais qu’elle repousse les moyens de la politique, substituant rigoureusement la persuasion à la force et la sincérité à l’habileté. »

L’adjectif « métapolitique » signifie : ce qui a trait à la métapolitique.

La République Métapolitique supranationale a pour but, comme nous l’avons dit plus haut, de combattre les tyrannies nées de la fiction politique d’intérêts collectifs nationaux et, éventuellement, internationaux. Elle veut défendre contre ces tyrannies les droits primordiaux des individus qui se placent sous sa sauvegarde, notamment le droit de ne pas tuer et apprendre à tuer.

Cette Union est purement morale et spirituelle. Elle est apolitique, ne poursuivant la conquête d’aucun pouvoir ni d’aucun prestige matériel, et répudiant jusque dans son fonctionnement intérieur toute velléité de contrainte et de souveraineté absolue, même d’une majorité.

Elle est antipolitique, en ce double sens : 1° qu’elle combat chez les institutions politiques cet esprit de domination coercitive et de souveraineté absolue qu’elle répudie pour elle-même ; 2° qu’elle a pour but de substituer, pour la protection de la sécurité et des libertés essentielles de ses membres en particulier, et de tous les individus humains en général, une autorité morale et spirituelle à celle de toutes les puissances politiques matérielles.

Enfin elle est surtout métapolitique, en ce qu’elle dépasse toutes les conceptions et organisations politiques ; et doit, dans sa sphère d’action, les dominer en les plaçant sous son propre contrôle moral.

La philosophie métapolitique supranationale vise donc à l’abolition de l’État sous son aspect tyrannique ; elle s’apparente par là, dans une certaine mesure, aux conceptions anarchistes. Elle se distingue pourtant de celles-ci, en ce qu’elle ne combat pas l’idée de l’État en soi ; mais elle n’admet cette forme de l’organisation humaine que si elle se limite à un rôle purement administratif et juridique, demeurant au service des individus sans les dominer.

Ceux-ci doivent être d’ailleurs libres de choisir l’État administratif et juridique auquel ils entendent se rattacher, ou de renoncer tout à fait à la qualité de citoyens d’un État quelconque.

Selon H.-L. Follin, il serait désirable que lorsque les États seront ainsi transformés, il soit maintenu entre les individus désireux de se protéger contre le retour offensif de la tyrannie politique, un lien moral métapolitique ; ils formeraient une Cité suprême ou Métapolis. Cette Cité ne comporterait aucun culte, emblème, ni symbole religieux ou patriotique ; aucune armée, ni aucun tribunal jugeant les faits et gestes de ses membres. La protection, par des moyens métapolitiques, des droits essentiels de ces derniers serait la seule fonction des représentants de cette Cité.

On voit donc les tendances libertaires, ou tout au moins autarchistes, qui se manifestent dans cette doctrine nouvelle et originale.

La devise des citoyens supranationaux est : « Laissons à César ce qui appartient à César, et rendons à l’homme ce qui appartient à l’homme. » – René Valfort.


MÉTAPSYCHIE n. f. (de mêta, en dehors, au-delà et psykhé âme). On sait la vogue qu’obtinrent, à la fin du xixe siècle, et au début du xxe, le spiritisme, l’occultisme, l’étude des phénomènes supranormaux en général. Mais à une constatation des faits, rendue souvent défectueuse par une crédulité sans borne, s’ajoutaient des hypothèses explicatives si manifestement enfantines que tout homme instruit et solidement équilibré ne pouvait s’empêcher d’en sourire. Aussi certains chercheurs d’esprit plus positif entreprirent-ils de constituer une science nouvelle, la métapsychie (au-delà du psychisme), étrangère a toute préoccupation théologique et métaphysique, qui traiterait le merveilleux d’après les méthodes admises par le biologiste ou le physicien et, délaissant les théories spiritualistes, se cantonnerait sur le terrain de l’expérience positive. Un peu partout l’on rencontre aujourd’hui des Instituts et des revues métapsychiques, d’innombrables volumes ont déjà paru sur cette branche du savoir humain et des Congrès réunissent, de temps à autre, ses partisans les plus connus.

L’idée était bonne qui présida à la naissance de la métapsychie ; elle a provoqué des travaux dont plusieurs ne sont pas dénués de mérite, et nous ne mettons pas en doute la bonne foi des quelques vrais savants qui s’en sont occupés. Malheureusement, maints adeptes de la nouvelle science n’ont point dépouillé les préoccupations théologiques qui étaient les leurs ; en fait ils n’ont étudié les phénomènes supra-normaux que dans le but secret de parvenir à étayer sur des bases plus solides les chimères de la philosophie spiritualiste. Inconsciemment ou non, ils déforment donc les faits dans le sens de leurs théories, oublient de mentionner ceux qui les contredisent manifestement et s’empressent de parler d’âme ou d’entités spirituelles, lorsque la cause productrice n’apparaît pas du premier coup. Certains ne reculent point devant les faux les plus éhontés. Un livre parut, voici quelques années : « Le médium Mirabelli ; ce qu’il y a de vrai dans ses « miracles », sa médiumnité discutée et prouvée », dont la Revue Métapsychique donna un compte-rendu. Mirabelli était un médium brésilien ; les faits avaient eu lieu « en plein jour, en public » ; 72 médecins avaient signé le rapport où ils étaient relatés. Renseignements pris, Mirabelli n’avait jamais fait parler de lui au Brésil, et l’on ne put découvrir ni les 72 médecins, ni les 555 témoins qui s’étaient portés garants des merveilles accomplies par le prodigieux thaumaturge. Les Annales des Sciences psychiques publièrent un récit qui devint rapidement fameux. Une dame avait rêvé qu’un corbillard s’arrêtait devant sa porte et que son conducteur lui adressait ces paroles : « Madame, êtes-vous prête ? » Or, quelques jours plus tard, elle se disposait à monter dans l’ascenseur d’un grand magasin, de Chicago, quand elle reconnut le conducteur du corbillard dans l’homme préposé à l’ascenseur et, pour comble, ce dernier ajouta : « Madame, êtes-vous prête ! » D’où recul de la dame, qui refusa de monter. Heureusement pour elle, car la cage s’écrasa sur le sol quelques instants après. Mais une seconde version circula bientôt : la scène se serait déroulée à Paris non à Chicago ; le rêveur était un prince hongrois, non une dame américaine. Une enquête poursuivie, tant à Paris qu’à Chicago, prouva qu’aucun fait de ce genre ne s’était passé. Une sérieuse critique d’un grand nombre de phénomènes supra-normaux, colportés par des fourbes et admis par l’inépuisable crédulité populaire, donnerait des résultats de même ordre. Bien peu de récits merveilleux subsisteraient, et ceux que l’on conserverait, après contrôle, auraient perdu le caractère surnaturel que la légende leur avait complaisamment prêté. Cette adresse, trop grande pour être honnête, elle éclate à propos des prophéties que des voyantes célèbres se croient tenues de débiter, à l’occasion du premier de l’an. Jamais leurs vaticinations ne cadrent exactement avec la réalité ; pourtant elles se bornent à des affirmations vagues qui laissent beaucoup de jeu aux fantaisies de l’interprétation, ce sont des thèmes assez généraux pour s’appliquer à un grand nombre de faits qui se répètent souvent. Au cours de douze mois, il y aura toujours sur notre globe, soit des morts célèbres, soit des procès retentissants ; et malheureusement, dans l’état actuel, pas besoin d’être prophète pour déclarer que les hommes se battront sur l’un ou l’autre coin de la planète : « Voici venir (disait Mme de Thèbes, dans son almanach de 1914), après 1913, année aurorale, voici venir 1914 (du 21 mars 1914 au 20 mars 1915), l’année fulgurante, année des beaux gestes et des grands héroïsmes. Nous serons toujours dans le cycle de Mars, mais en conjonction avec Saturne, au summum, pour ainsi dire, des fatalités du sort, les plus graves, les plus décisives. Année heureuse entre toutes cependant pour nous, dont les cœurs se sont mis à battre pour les grands idéals, sauveurs et régénérateurs des peuples ! malgré le sang, malgré les larmes. Année glorieuse parmi les glorieuses du passé de la France ; année de discorde puis de concorde ; année de haine puis d’amour ; année de déchirements puis d’entente entre les peuples européens et d’autres grands peuples. Les temps sont accomplis, nous touchons aux moissons après tant de semailles où, si souvent, le bon grain tomba sur le sable ou fut emporté par le vent.

« Quel renouvellement d’hommes dans le monde ! Quel appétit de formes nouvelles !… Entendez bien que je ne dis pas que tout, en un moment, se trouvera accompli ; je dis seulement que les choses vont s’accomplir. Douze mois ne sont rien dans la marche du temps. C’est assez cependant pour que se dessine le chemin du destin. 1914 suffira à nous montrer la naissance d’une Europe nouvelle, d’un état d’esprit nouveau, d’une fulguration du réveil de l’idéal, d’un besoin d’amour et de paix pour les grands espoirs et les grands labeurs, et ce sera par le retour au culte du passé, de ce qu’il eut de meilleur, que nous serons encore une fois améliorés, sauvés, régénérés. La paix sortira de la guerre, et ce qui est proche s’arrangera dans la crainte de ce qui est lointain ; l’Europe se consolera de l’ébranlement de l’Asie… » Quelle bouillabaisse, que de vieux clichés, et pourtant, malgré une indéniable adresse à mêler les contraires, quelle preuve accablante de l’ignorance où se trouvait Mme de Thèbes d’un avenir très prochain ! Année heureuse entre toutes 1914 année d’entente entre les peuples et qui devait voir un réveil du besoin d’amour et de paix pour les grands labeurs ! On croit rêver ; heureusement pour les pythonisses, le peuple oublie avec une déconcertante rapidité, et les plus cinglants démentis infligés aux prophéties dont on gargarise sa crédulité ne sauraient avoir raison de son inextinguible besoin de merveilleux. Pour n’être pas agrémentées de formules astrologiques, les vaticinations du général X…, rapportées par R. d’Arman, dans Les Prédictions sur la fin de l’Allemagne, n’en sont pas moins pleines de mensonges. « La France, déclarait le général, déjà désolée par les factions, serait alors envahie et dans la nécessité de se défendre avec toutes ses ressources pour ne pas être ruinée, démembrée, asservie. Les égarements de cette vieille terre d’honneur et de foi étant alors punis, Dieu se souviendrait de l’empire de Saint-Louis et de Charlemagne. Il tournerait sa justice contre l’avidité et la malice des superbes, qui avaient juré le renversement du royaume très chrétien. Un premier appel aux armes n’aurait pas sur la nation un effet décisif ; mais un second appel est entendu. L’ardeur de la croisade se ranime comme au xiiie siècle. Le révélateur exhibe la découverte d’un engin de guerre formidable. L’enthousiasme est à son comble. Neuf jours après les démonstrations de l’engin puissant, une affaire s’engage avec l’ennemi. L’avantage demeure aux Français. Le général chef de ces derniers, hardi, prudent, religieux, doué en tout d’éminentes qualités, ne dédaignant pas les bons conseils se trouve à la hauteur de la situation. Tout d’abord, les ministres sacrés avaient été appelés sous les armes, mais sur l’avis de l’homme inspiré, ils sont laissés dans leurs foyers pour consoler les populations déjà si désolées des malheurs de l’État. L’agitation est extrême, tout change de face aussi. Les cœurs ouverts à l’espérance sourient à la joie d’une rénovation générale. Cependant, le plus pressé est de balayer l’étranger de notre territoire. La veille d’une bataille décisive, les Italiens osent réclamer Nice et se mettent en marche sur Lyon. Apprenant la défaite de leurs Alliés, ils repassent la frontière. Une nouvelle bataille se livre, les chances sont douteuses un moment mais c’est aux armes de la France que reste la victoire. L’étranger a 80.000 hommes hors de combat. Trois de ses armées reculent par des chemins différents. Metz est délivré, le Rhin est passé ; la coalition est détruite, la domination germanique finit. La prépondérance de la France est rétablie. L’Europe se réorganise. La Pologne obtient sa nationalité. » Les erreurs foisonnent dans ce morceau, inspiré au général X… par le dieu de Charlemagne et de Saint-Louis ; et comme cette bien-pensante prophétie vous a des allures religieuses et politiques ! Son auteur était réactionnaire, voilà le seul renseignement qui s’en dégage avec une clarté parfaite.

Elles abondent, d’ailleurs, les prédictions de ce genre, véritables machines de guerre, dont le but évident est de magnifier l’autel et le gouvernement, quand il ne s’agit pas de préparer les esprits simplistes à une guerre ou à un coup d’État. On dit que de 1914 à 1918, voyantes, cartomanciennes etc., reçurent, à Paris, l’ordre impérieux d’annoncer la victoire française, sous peine de voir fermer leur cabinet. La fameuse Mme  Lenormand n’affirmait-elle pas que « la guerre serait de courte durée », et ceci en 1913 ! Voilà qui doit retenir l’attention des indiscrets qui veulent connaître les secrets desseins des gouvernants, à l’heure où les prophéties éclosent dans le cerveau des devins en renom.

S’agit-il d’apparitions fantomales, de photographies transcendantales, de rayonnement magnétique, de lévitation à distance d’objets matériels, etc. la défiance ne saurait en rien diminuer. Car l’opinion des psychistes officiels n’est point faite pour rassurer ; constatant que le nombre des médiums diminue singulièrement depuis que le contrôle devient plus sérieux, ils voudraient que l’on se montrât moins sévère à l’égard des fraudeurs pris en flagrant délit. « Je ne comprends pas, écrit F. Niard que l’on rejette, sans rémission, des médiums qui semblaient avoir réellement une valeur parce qu’on les a pris en flagrant délit de fraude. L’expérience m’a appris que tout médium à effet physique fraude, quel que soit le monde auquel il appartient, quelle que soit sa valeur morale et intellectuelle – et il fraude d’autant plus que le milieu où il opère le soupçonne, croit à la fraude. – La suggestion joue un rôle indéniable dans l’obtention du phénomène. Or, que sont devenus par exemple des médiums tels que Carancini, et plus récemment Erto ?… En rejetant à tout jamais des médiums tels que Erto, les savants métapsychistes agissent comme les professeurs de Sorbonne qui ont examiné Eva et Guzik. Ils ont cru à la fraude et s’en sont désintéressés totalement. Pourtant, Eva et Guzik étaient indéniablement des médiums et l’ont prouvé dans d’autres milieux. Les médiums sont trop précieux et trop rares pour ne pas essayer de tirer parti de ceux que nous avons découverts ; même si beaucoup de scories se mêlent au pur métal. » Soyons donc indulgents pour ces pauvres médiums, ne les contrôlons pas de trop près, si nous voulons éviter les fraudes, et gardons-nous de les enlever au milieu où ils procèdent en toute liberté, pour les transplanter dans un laboratoire ou une salle de société savante ! Price écrit, à propos du médium Léonore Zugün : « Les phénomènes de télékinésie, dont nous fûmes témoins au Laboratoire National, n’étaient pas si importants que ceux que nous pûmes contempler à Vienne. Il en fut exactement de même avec Willy Schneider. Dans son pays, il fournit des phénomènes magnifiques ; à Londres, les phénomènes étaient plus faibles. Je ne puis imaginer autre chose, sinon qu’il se produit un changement psychologique de ces médiums exotiques, lorsqu’ils quittent leur pays. Il est possible que le fait d’être éloignés de leurs foyers – séparés de leurs amis et parents – ou l’étrangeté du nouvel entourage puisse avoir une certaine influence qui cause l’inhibition du phénomène. » Le Dr  Osty a fait des constatations identiques ; même dans le laboratoire de l’Institut Métapsychique de Paris, où le candide et somnolent professeur Richet signe à son réveil toutes les relations qu’on lui présente, d’excellents médiums perdent une bonne partie de leurs moyens. Avant eux, Alex Aksakof avait déjà déclaré, dans Animisme et Spiritisme, que la condition essentielle pour obtenir de bons résultats médiumniques c’est « un milieu approprié », que « tout dépend du milieu ». Or, si l’on observe que la salle où apparaissent les fantômes doit être plongée dans une obscurité totale ou tout au plus éclairée par une faible lueur rouge, reconnaissons que les fraudes deviennent étrangement faciles, quand le médium est entouré de parents et d’amis, disposés par avance à jouer le rôle d’esprits désincarnés. Aussi, que de supercheries grossières apparurent, des que des assistants moins crédules s’avisèrent de contrôler ! C’est la fameuse Albertine, attachée avant l’expérience dans un sac plombé, qu’un homme résolu empoigne, croyant saisir l’apparition ectoplasmique. Sortie du sac, malgré des précautions qu’on croyait sérieuses, Albertine glissait comme une ombre authentique, avec une moustiquaire sur la tête. Un autre médium, qui défrayait depuis longtemps les chroniques métapsychiques, cachait tout simplement une bande de gaze qui, dépliée avec adresse, passait pour un ruban ectoplasmique. Gardée dans son jardin secret, la gaze, par hasard, tomba en plein jour ; ce fut la fin d’une carrière déjà brillante. Feuilles de papier, ampoules électriques, pierres à briquet, maniées avec dextérité et discrétion, suffirent à bien d’autres pour s’extérioriser ; elle serait d’une longueur impressionnante la liste des médiums qui virent, après une impunité parfois longue, leurs trucs dévoilés. N’oublions pas celui-là, dont les mains étaient tenues par deux assistants, dans une salle obscure, et qui parvenait, l’habile homme, à dégager subrepticement sa main de l’étreinte d’un contrôleur pour lui donner à tenir celle du contrôleur voisin. On pense s’il se permettait de spirituels attouchements sur les joues et le menton des messieurs à portée de son bras. Une illumination inattendue de la salle mit en évidence les facéties de cet évocateur des esprits. L’affaire de Mantes est de fraîche date ; et l’on ne peut avoir oublié combien de pauvres dupes sur la foi de photographies transcendantales, se crurent environnés de trépassés, qui n’étaient que des mannequins adéquatement costumés.

Quant aux appareils construits pour déceler le fluide vital, aux déviations d’un pendule ou d’une aiguille, on a démontré de façon péremptoire que ces derniers se produisent grâce à l’électrification du verre qui les environne. Prenez une ampoule électrique dans les mains et frictionnez-la vigoureusement, elle apparaîtra bientôt lumineuse, si l’on se tient dans une pièce obscure ; d’une luminosité dont l’intensité dépendra du vide plus ou moins complet de l’intérieur. Effet du fluide, déclaraient les amateurs de merveilleux. Hélas ! on prouve aujourd’hui qu’il s’agit là d’un simple phénomène d’électricité statique. L’attraction par le doigt d’un léger pendule, placé dans un tube de verre (fait d’action à distance ou de télékinésie selon les métapsychistes), résulte de même d’une électrisation ; un chercheur consciencieux, Mondeil, l’a établi de façon définitive. Même constatation touchant l’aiguille d’appareils qui décelaient, disait-on, la présence du fluide vital : « Le frottement du verre qui entoure cette aiguille – ou comme je l’ai dit ailleurs, sa manipulation répétée à main sèche – écrit Mondeil, suffit à déterminer par induction, les déviations considérées. Cela d’autant plus facilement que le système est plus sensible. La chaleur, toutefois, ajoute à l’électrisation et peut la compléter lorsqu’elle est résiduelle. La complexité de l’équipage intérieur ne change rien au processus. » On conçoit dès lors la demande de nombreux savants qui, pour prendre au sérieux les phénomènes métapsychiques, voudraient que l’on allumât les lampes, dans la salle où ils se produisent, que l’on vît et que l’on touchât même et surtout lorsqu’il s’agit d’ectoplasme et d’apparitions de défunts.

Mais longtemps une crédulité béate permit d’écouter, comme vérités certaines, des divagations insensées. S’il s’agissait de faits survenus dans des régions lointaines, où tout contrôle était impossible, le merveilleux prenait des proportions fantastiques. Sur les fakirs en particulier, que n’a-t-on pas dit ! Rappelons quelques-uns des prestiges rapportés par des voyageurs. « Le fakir, raconte le docteur Hentsold, prit un large plat de terre, y versa quatre à cinq litres d’eau et le tint d’aplomb sur sa main gauche, tandis que l’autre main était élevée à la hauteur de son front. Tout à coup, le plat diminua de volume à vue d’œil et devint de plus en plus petit, si bien qu’on ne pouvait plus l’apercevoir qu’au moyen d’un verre grossissant. Enfin il disparut complètement. Il fallut, pour opérer cette étonnante diminution de volume et cette disparition totale, environ une minute et demie. Nous allions nous retirer, croyant la séance terminée, lorsque soudain, nous vîmes apparaître un petit point noir, pas plus gros qu’un grain de sable, ce point noir grandir sans qu’on puisse dire comment cela pouvait se faire, et en moins d’une autre minute, le plat de tout à l’heure, d’un pied de diamètre, rempli d’eau jusqu’au bord et du poids d’au moins quinze livres, reparut à nos yeux. » Hentsoldt assista, un autre jour, au miracle de la corde suspendue en l’air : « Le yogi prit une corde de quelques pieds de long et d’un pouce d’épaisseur, à peu près. Il tenait un bout de la corde dans sa main gauche, tandis qu’avec sa main droite, il lança l’autre bout en l’air. La corde, au lieu de retomber, resta suspendue en l’air, même après que le yogi eut retiré son autre main ; elle semblait avoir la consistance et la rigidité d’une colonne. Alors le yogi la saisit avec les deux mains, et à mon grand étonnement, il se mit à grimper le long d’elle, suspendu en dépit des lois de la gravité, alors que le bout extrême de cette corde était à au moins cinq pieds du sol. À mesure que le yogi s’élevait en grimpant, la corde semblait s’allonger au-dessus de lui en même temps qu’on ne la voyait plus au-dessous de lui, et il continua de grimper jusqu’au moment où on cessa de le voir. Je ne pouvais plus distinguer que le turban blanc du yogi et un tout petit bout de l’interminable corde. À ce moment, mes yeux ne purent supporter l’éblouissante lumière du ciel et, lorsque je m’efforçais de regarder encore une fois, le yogi avait complètement disparu. » Nous trouvons, sous la plume d’Osborne, officier de l’armée anglaise, le récit suivant de l’enterrement d’un fakir endormi : « À la suite de quelques préparatifs, qui avaient duré quelque temps et qu’il répugnerait d’énumérer, le fakir déclara être prêt à subir l’épreuve. Le maharadjah, le chef des Sikhes et le général Ventura se réunirent près de la tombe en maçonnerie construite exprès pour, le recevoir. Sous nos yeux, le fakir ferma avec de la cire toutes les ouvertures de son corps qui pouvaient donner entrée à l’air, en exceptant sa bouche, puis il se dépouilla de ses vêtements ; on l’enveloppa alors dans un sac de toile, et, suivant son désir, on lui retourna la langue en arrière de manière à lui boucher l’entrée du gosier. Après cette opération, le fakir tomba dans une sorte de léthargie. Le sac qui le contenait fut fermé et un cachet fut apposé par le maharadjah. On plaça ensuite ce sac dans une caisse de bois cadenassée et scellée, qui fut descendue dans la tombe ; on jeta une grande quantité de terre dessus, on foula longtemps cette terre, on y sema de l’orge ; enfin, des sentinelles fluent placées tout à l’entour, avec ordre de veiller jour et nuit. Malgré ces précautions, le maharadjah conservait des doutes ; il vint deux fois, dans l’espace de dix mois, pendant lesquels le fakir resta enterré, et il fit ouvrir devant lui la tombe ; le fakir était dans le sac, froid, inanimé, enfin tel qu’on l’y avait mis. Les dix mois expirés, on procéda à l’exhumation définitive. On ouvrit, en notre présence, les cadenas, on brisa les scellées et, après avoir enlevé la caisse hors de la tombe, on retira le fakir ; nulle pulsation au cœur, point de respiration, le sommet de la tête était resté seul le siège d’une chaleur sensible qui pouvait faire soupçonner la présence de la vie. Alors une personne lui introduisit très doucement le doigt dans la bouche et replaça sa langue dans sa position normale ; puis on le frictionna, on versa sur tout son corps de l’eau chaude ; petit à petit, la respiration, le pouls se rétablirent, et le fakir se leva et se mit à marcher en souriant. Il nous dit que, pendant son séjour sous terre, il avait fait des rêves délicieux, mais que le réveil était toujours très pénible ; avant de recouvrer sa connaissance, il avait, dit-il, des vertiges. Cet homme est âgé de trente ans (en 1888), sa figure est désagréable et a une certaine expression de ruse. Il s’entretint longuement avec nous et nous offrit de se faire enterrer une autre fois en notre présence. Nous le prîmes au mot et nous lui donnâmes rendez-vous à Lahor. Après avoir choisi un endroit convenable et fait construire une tombe en maçonnerie et une caisse bien solide, munie d’un système de cadenas et de clefs fort sûr, nous fîmes venir le fakir ; il arriva en protestant du désir qu’il avait de nous prouver qu’il n’était nullement un imposteur et nous dit qu’il était prêt à subir l’épreuve, mais il nous demanda quelle serait sa récompense. Nous lui promîmes une somme de 1500 roupies et un revenu de 2000 par an, qu’on se chargeait de lui obtenir du roi. Satisfait de ces conditions, il désira savoir quelles précautions on comptait prendre à son égard ; on lui montra les cadenas et les clefs, et on l’avertit que des sentinelles, choisies parmi les soldats anglais, veilleraient autour du tombeau pendant une semaine ; il ne voulut pas accéder à ces conditions et exigea que des doubles clefs fussent remises à ses coreligionnaires et que ce fussent eux qui seraient chargés de veiller autour de sa tombe. Les officiers ne voulant pas souscrire à ses demandes, il se retira, disant que l’on avait l’intention d’attenter à sa vie. »

Un juge de l’Inde française, Louis Jacolliot, a narré pareillement les merveilles, de moindre calibre il est vrai, dont il fut témoin. En sa présence, et autant de fois qu’il le voulait, un fakir fit monter des feuilles d’arbre le long d’une tige de bois qui les transperçait, grâce à une lointaine imposition des mains. Les mêmes feuilles s’agitaient chaque fois que, songeant à un ami décédé, il prenait une lettre mobile répondant à son nom. Et ce fakir fit résonner des sons dans l’espace, tracer dans l’air des caractères phosphorescents, voltiger une couronne de fleur. Un autre, nommé Covindassamy, fit apparaître un nuage lumineux d’où sortirent seize mains humaines ; l’une d’elles, arrachant un bouton de rose d’un bouquet qui se trouvait là, en fit don à Jacolliot ; d’autres mains écrivirent quelques phrases en caractères de feu. Après des incantations nouvelles, une forme vaporeuse, planant près d’un réchaud, prit l’aspect d’un brahmane sacrificateur qui jeta des parfums sur la braise ; puis apparut un musicien des pagodes qui joua d’un harmoniflûte qu’il tenait à la main. Covindassamy provoqua encore la germination et la croissance rapide d’une graine de papayer. Il avait laissé Jacolliot libre de choisir, à sa guise, le vase et la graine, mais avait exigé qu’il prît, dans un nid de fourmis blanches, de la terre saturée du liquide secrété par ces insectes. Après avoir planté la graine donnée par l’Européen, le fakir tomba en catalepsie et resta les bras étendus vers le vase, l’espace de deux heures. À son réveil il montra une tige de papayer haute de vingt centimètres ; on retrouva une marque faite par Jaccoliot sur les pellicules, encore adhérentes aux racines, de la semence productrice.

Après les désagréables aventures de Thara-Bey et des autres fakirs qui commirent l’imprudence, voici quelques années, de venir en Europe, il n’est plus besoin d’insister sur les tricheries continuelles de ces thaumaturges. Arrivés chez nous avec une auréole quasi divine, ils nous quittèrent avec le renom mérité de charlatans assez vulgaires, dont les fraudes percées à jour n’apparaissent pas supérieures à celles des prestidigitateurs ordinaires. Malgré la rage concentrée de nos métapsychistes occidentaux, Heuzé et quelques autres démontrèrent que leurs meilleurs tours, sans excepter l’ensevelissement, n’exigeaient qu’un peu d’adresse, jointe à une endurance que l’on acquiert aisément. Honteux comme des renards que des poules auraient pris, ils ont déserté les scènes parisiennes ou du moins ne s’y présentent plus comme apportant les preuves indéniables de l’existence d’une survie. Cette prétention pourtant était celle de Thara-Bey et des autres fakirs que le succès de ses mensonges avait séduits. Ajoutons, pour l’édification du lecteur, qu’on a enfin découvert le secret de la corde qui se maintient d’elle-même en l’air. N’en déplaise au docteur Hentsoldt, un naïf semble-t-il, c’est un tour de passe-passe, comme en témoignent des constatations faites dans l’Inde et que l’on a pu lire dans un écho du Mercure de France. Des comparses tendent un fil ténu mais solide, à une hauteur suffisante pour qu’il soit invisible, avant que l’opérateur lance d’en bas sa corde ; pour rester droite elle n’aura besoin, on le voit, d’aucun support immatériel. Et ne rions pas trop des moines hindous ; des croyants occidentaux font preuve d’une ingéniosité non moins admirable. En 1907, la pieuse librairie Blond et Cie publiait un livre du docteur Hippolyte Baraduc : La force curative à Lourdes et la psychologie du miracle. Ce dévot médecin avait photographié les forces miraculeuses qui, à Lourdes, se dégagent tant des prières qui montent d’en bas que des grâces versées, d’en haut, par la sainte mère du Christ. « Les eaux, écrit-il, sont couvertes d’un dynamisme intensif d’aspect fantômal, facteur de cure. » « Un cliché a été pris au moment du miracle de Fanny Combes ; il représente un ruban fulgurant. » Hippolyte Baraduc faisait, d’ailleurs, une autre constatation moins orthodoxe, et presque injurieuse pour la toute-puissance du Père Céleste, à savoir que les effluves divines de Lourdes ne guérissent pas en hiver. Pour l’envoi des malades il faudrait tenir compte des saisons : « Telle affection morale, mentale, serait envoyée en juillet et août ; telle autre, nerveuse, en septembre et octobre, suivant les données temporaires (ou plutôt de temps) que les observations nombreuses de cures recueillies par les médecins pourraient indiquer. » Ainsi la grâce divine, de nature invisible d’après les théologiens d’autrefois, laisse maintenant des traces sur les plaques photographiques ! Délicieux, n’est-il pas vrai ? Et les fakirs n’ont rien trouvé qui surpasse l’invention, trop peu connue, de Baraduc le pieux docteur. Bientôt, espérons-le, Notre-Dame en personne posera devant l’objectif de ses bons serviteurs.

Assurément nous pouvons conclure qu’elles ont lamentablement échoué, les démonstrations de l’existence de Dieu et de l’immortalité de l’âme basées sur l’étude des faits supranormaux ; c’est en vain qu’on cherche à jeter des ponts entre la terre et l’au-delà, entre le sensible et la sur-nature. Mais dans une métapsychie, définitivement libérée des doctrines et des préoccupations religieuses, il y aurait beaucoup à glaner. La science humaine n’est qu’à ses débuts ; à côté des forces connues de nous, il existe une immense gamme de radiations que nos sens ne perçoivent pas et que nous n’arrivons à étudier qu’indirectement, par le moyen de leurs effets. Rayons infra-rouges et ultra-violets, ondes hertziennes rentrent dans ce cas ; l’existence des rayons X ne fut prouvée que grâce aux plaques photographiques et aux corps phosphorescents. Si elle parvient à se cantonner dans le domaine des réalités purement expérimentales et des hypothèses strictement positives, la métapsychie expliquera un jour des faits tels que les prévisions, la télépathie, les mouvements de la baguette divinatoire, la vision à travers des corps opaques ou à des kilomètres et des kilomètres de distance. Certains prestiges des fakirs hindous, comme aussi nombre de phénomènes observés par les psychistes européens, perdront leur caractère surnaturel pour prendre rang parmi les manifestations normales des forces simplement humaines.

Il y a d’abord les faits d’action à distance ou de télékinésie ; de loin le médium provoque le mouvement d’objets plus ou moins lourds, l’infléchissement du plateau d’une balance, l’arrêt d’une horloge, etc. Eusapia Palladino se rendit célèbre dans ce genre d’exercices ; mais elle fut accusée de fraude par un expérimentateur qui, au cours d’une séance, vit entre ses mains un mince filet luisant, un cheveu ou un fil de soie à son avis. Les métapsychistes la défendirent. Bozzano en particulier. Il raconta qu’après une scéance, « Eusapia encore un peu épuisée, était assise auprès de la table. Tout à coup, le médium parut se réveiller de l’espèce d’engourdissement dans lequel il se trouvait ; il se frotta les mains ; après quoi, en les éloignant l’une de l’autre et en les poussant en avant, il les approcha d’un petit verre posé sur la table ; alors, en faisant avec les mains des mouvements tantôt en avant, tantôt en arrière, il parvint à imprimer au petit verre en question des mouvements analogues de traction ou de répulsion à distance… Pendant que se déroulait ce phénomène, tous les expérimentateurs furent à même d’apercevoir très clairement, à l’improviste, quelque chose comme un gros fil d’une couleur blanchâtre, lequel, en partant d’une manière indéfinie des phalanges des doigts d’une main d’Eusapia, allait se joindre d’une façon tout aussi indéfinie aux phalanges des doigts de l’autre main. Aucun doute : le médium trichait ; chacun des expérimentateurs ne put s’empêcher de songer, en ce moment, à l’épisode de Palerme. Mais voilà que le médium lui-même se prend à s’écrier avec un ton de joyeuse surprise : Tiens ! Regardez le fil ! Regardez le fil ! À cette exclamation spontanée, sincère du médium, le chevalier Peretti imagina de tenter une preuve aussi simple que décisive. Il allongea le bras et commença à presser légèrement et ensuite à tirer vers lui, lentement, ce fil, qui s’arqua, résista un instant, puis se brisa et disparut tout à coup ; une brusque secousse nerveuse fit tressaillir tout le corps du médium. Inutile de décrire l’étonnement général ; un tel fait suffisait à résoudre d’un coup toute incertitude : il ne s’agissait point d’un fil ordinaire, mais d’un filament fluidique ! » Quel dommage, diront ceux qui n’ont pas la foi de Bozzano, qu’un morceau du cordon fluidique ne soit pas resté entre les mains des assistants.

Le docteur Julien Ochorowicz, métapsychiste notoire, s’aperçut de même que Mlle  Stanislawa Tomczyk, mise en état somnambulique, arrêtait à volonté l’aiguille d’un appareil de prestidigitation connu sous le nom d’horloge magique. Elle parvint plus tard à soulever de loin, différents objets : une boîte d’allumettes, un aimant, une grosse paire de ciseaux, une balle en celluloïd, etc. ; à arrêter, puis à remettre en mouvement le balancier d’une pendule. Ochorowicz constata la présence d’un fil, comme Bozzano. Dans une circonstance analogue à celle d’Eusapia, écrit-il, « je n’ai pas réussi à saisir le fil qui disparut trop tôt, et malgré cela la secousse nerveuse éprouvée par le médium fut tellement forte, que la contracture douloureuse du bras droit persista plusieurs minutes. Mais en gardant certaines précautions j’ai pu, dans d’autres occasions sentir ce fil sur ma main, sur mon visage et sur mes cheveux. Lorsque le médium écarte ses mains le fil s’amincit et disparaît, et la sensation tactile qu’il procure ressemble beaucoup au contact d’une toile d’araignée ». Avec le cordon fluidique de Bozzano et d’Ochorowicz nul besoin assurément d’esprits pour expliquer les faits d action à distance, la force nerveuse suffit. Néanmoins regrettons que le fil de Stanislawa Tomczyk, tout comme celui d’Eusapia, n’ait pas été l’objet d’une étude scientifique, capable de lever les légitimes suspicions des saints Thomas d’aujourd’hui.

La télépathie, par contre, apparaît comme un fait bien établi ; des milliers de constatations l’étayent. On en trouve des exemples, dont beaucoup n’éveillent aucun soupçon de fraude, dans les recueils de Warcollier, Flammarion, Bozzano, Richet, etc., ainsi que dans les nombreuses revues psychiques et métapsychiques. « En 1872, écrivait à Wiétrich l’un de ses amis, j’étais attaché à l’administration des télégraphes de Charleroi. J’eus, une nuit, un rêve où je voyais d’abord un poseur de télégraphe, agent dont la fonction est de poser et d’entretenir les fils conducteurs. Immédiatement après, j’eus la vision d’un homme tué. Quand j’arrivai le lendemain au bureau, j’appris la nouvelle qu’un poseur avait été tué, dans la nuit, par un train, du côté de la gare de Lodelinsart, localité voisine de Charleroi.

En 1877, où au début de 1879, pendant mon service militaire, je rêvais que je voyais une jeune fille de ma connaissance. Immédiatement après j’éprouvais une sensation indéfinissable, mais qui, pour moi, évoquait l’idée de mort. Au réveil, je fus si impressionné par ce rêve, que j’eus la très claire impression que j’allais recevoir de fâcheuses nouvelles. Les deux distributions postales passèrent néanmoins sans m’apporter autre chose qu’un journal que je lus en entier, y compris les annonces de décès. N’y ayant rien découvert ayant trait à la mort de cette jeune fille ni même d’une personne de ma connaissance, je me dis que mes pressentiments étaient trompeurs. Mais voilà que vers 9 heures du soir arrive un de mes camarades retour de congé, habitant Courcelles, petite ville du Hainaut ; il m’apportait, de la part de mes parents, une lettre mortuaire, qui m’annonçait la mort d’une jeune fille voisine de chez nous, enfant pleine de vie et de santé. Ce n’était pas la jeune fille de mon rêve, mais elle lui ressemblait comme taille, corpulence et vivacité de caractère. Particularité curieuse, les deux jeunes filles avaient les mêmes noms et prénoms. »

Sous la signature de Jeanne Jean, nous lisons dans Psychica : « Une cousine s’était trouvée dans un état d’anémie si inquiétant que plusieurs médecins l’avaient déclarée atteinte de tuberculose. Je l’avais fait soigner sérieusement et le mal avait pu être enrayé. Quelques années plus tard, elle s’était mariée et avait eu une petite fille. Cette enfant avait deux ans quand j’eus à son sujet un rêve étrange et impressionnant : je voyais la jeune mère près du lit de son enfant malade ; elle me tendait ensuite un mouchoir en me suppliant de trouver de l’eau fraîche pour l’y tremper et l’appliquer, ensuite sur le front brûlant du bébé. Mais j’essayais vainement de la satisfaire ; je parcourais des lieues et des lieues dans la campagne sans rencontrer la moindre source, le moindre ruisseau. À tout instant, j’apercevais une mare, un étang, mais toujours pleins d’une eau si verdâtre, si boueuse et si fétide que je n’osais y tremper le mouchoir. Et je me réveillais dans un paroxysme de découragement. Je contai à mes filles ce rêve, d’autant plus singulier, que je n’avais pas vu ma cousine depuis un an et ne savais rien d’elle ni de son enfant. Le premier courrier m’apporta le lendemain la lettre de faire-part du décès de la pauvre petite ; le jour suivant j’assistai à son enterrement et j’appris qu’elle était morte d’une méningite. Comment ne pas supposer que la nuit de la mort de sa fille, la maman avait envoyé une pensée désespérée à la parente qui l’avait sauvée autrefois et que peut-être elle aurait souhaitée près d’elle ? » Si la transmission télépathique s’opère, de préférence, pendant le sommeil du sujet récepteur, elle peut aussi avoir lieu à l’état de veille, en plein jour, et concerner les événements les plus divers de l’existence, insignifiants ou très graves, peu importe. Fréquemment elle précède de peu la mort d’une personne aimée ; et, comme elle frappe davantage alors, l’on en garde un souvenir bien précis. Mais pas plus que la télékinésie, la télépathie ne requiert la présence d’entités surnaturelles. Comparable à notre télégraphie sans fil, elle lui reste nettement inférieure par la difficulté de son maniement et par l’imprécision habituelle des renseignements transmis. Aussi n’est-il pas probable qu’elle puisse la remplacer de sitôt ; même lorsqu’on parviendra, comme c’est déjà le cas chez certaines personnes, à la produire à heure fixe, par un effort intentionnel du cerveau. Chacun s’aperçoit aujourd’hui que des ondes nerveuses rempliraient avantageusement le rôle attribué, par nos pères, aux esprits. La lecture de pensée, sa transmission sans paroles, ni signes visibles, phénomènes qui valurent un si grand renom à quelques saints catholiques, au curé d’Ars en particulier, n’ont plus rien d’extraordinaire pour le savant. On sait quelle fut la vogue, durant plusieurs années, du cumberlandisme ou lecture de pensée, ainsi appelé du nom de Cumberland le prestidigitateur qui l’avait propagé. On cache un objet, à l’insu du sujet jouant le rôle de devin, de « percipient ». Une personne, qui connaît la cachette, imagine fortement l’endroit où se trouve l’objet ; le « willer » touche la main ou la tempe du sujet qui, généralement, se dirige assez vite vers le lieu pensé par son conducteur involontaire. On peut varier cet exercice en choisissant une action à faire, un numéro à trouver, etc., plutôt qu’un objet à découvrir. « J’ai eu l’occasion, écrit Pierre Janet, d’assister une fois à une séance de ce genre donnée par un russe, Osip Feldmann, qui a eu, il y a quelques années, une assez grande réputation comme émule de Cumberland. Quoique des séances de ce genre, surtout lorsqu’elles sont publiques, laissent toujours quelque doute et ne puissent pas être rapportées avec autant de confiance que des expériences personnelles, je crois que, dans ce cas, les mesures de précaution contre des supercheries possibles étaient assez bien prises. Dans cette séance de « mentévisme », comme il disait, Osip Feldmann arrivait, non pas toujours, mais assez souvent, à exécuter l’acte auquel on pensait en lui serrant fortement le poignet. Il réussissait mieux les expériences compliquées que les plus simples, celles qui comportaient beaucoup de mouvements que celles qui devaient être faites sur place. Il réussissait également mieux avec certaines personnes qu’avec d’autres ; ainsi j’essayai en vain de le diriger, il ne comprit rien à ce que je pensai, tandis qu’il comprenait très bien plusieurs de mes amis. Il parvenait même à comprendre une personne qui ne le touchait pas, mais se contentait de le suivre partout en restant à un mètre de distance : cette expérience est déjà décrite en Angleterre. Mais voici un tour de force de ce genre que je n’ai vu rapporté nulle part. Au lieu de se faire tenir directement par la personne qui avait choisi l’action à accomplir et qui jouait le rôle de « willer », il interposait entre elle et lui une troisième personne totalement ignorante de ce qu’il y avait à faire et dont le rôle consistait uniquement à tenir d’un côté le poignet du devin et de l’autre la main du willer sans penser elle-même à rien de précis. J’ai vu cette expérience curieuse réussir avec beaucoup de précision. » Et Pierre Janet expliquait la lecture de pensée, grâce à l’existence de mouvements accomplis par les sujets sans qu’ils le sachent et sans qu’ils le veuillent. C’est dans l’automatisme psychologique, dans l’activité mentale inconsciente, nullement dans une révélation divine, que réside le secret de la transmission des idées, pensait de même le docteur Grasset, un catholique pourtant. Il fait remarquer, à la suite de Pierre Janet, « que l’expérience réussit d’autant mieux que le sujet à mouvements inconscients est naturellement dans un état plus voisin de la désagrégation psychique (de la misère psychologique), comme l’est par exemple un hystérique anesthésique ». De plus il a rencontré des sujets qui, dans l’état d’hypnose, se souvenaient des mouvements qu’ils avaient accomplis, inconsciemment, à l’occasion de la lecture de pensée. À cette conception, qui reste vraie, dans une large mesure, il convient, lorsqu’il s’agit d’une transmission opérée sans contact, de surajouter ce que nous avons dit touchant les faits télépathiques. Pas plus les anges que les démons n’ont, certes, besoin d’intervenir ; un homme instruit qui lira Kephren avec intérêt, ne pourra que sourire en parcourant les divagations théologiques de M. de Mirville, il y a moins d’un demi-siècle encore si estimées des croyants.

Baguette divinatoire et pendule explorateur ont perdu pareillement leur vieux caractère diabolique. La première est une baguette de coudrier en forme de fourche ; le devin prend ses deux branches, une dans chaque main et s’avance sur le terrain qu’il doit explorer. Il ne bouge pas volontairement les bras, mais si la baguette oscille et s’incline malgré lui, c’est que la source ou le trésor cherché gît là. Le pendule explorateur, qui remplace fréquemment aujourd’hui l’antique baguette divinatoire, se compose essentiellement d’un corps lourd, un anneau par exemple, suspendu au bout d’un fil. On tient l’extrémité du fil au-dessus d’un récipient, verre, boîte, cuvette, etc. ; et la réponse aux questions posées se traduit par les battements du corps lourd contre la paroi du récipient. Chevreul a établi que les déplacements du pendule explorateur résultent des mouvements, involontaires et inconscients, de la personne qui tient le fil dans ses doigts. Imagine-t-elle que le pendule doit osciller dans un sens, frapper tant de coups, il obéit fidèlement, mû par une agitation imperceptible du bras, que l’on est parvenu à mettre en évidence ; se le représente-t-elle immobile, il s’arrête parce que tout mouvement musculaire s’évanouit. Simples manifestations de cette loi bien connue : l’idée, qui est une force, tend à se réaliser et se réalise en fait lorsqu’elle n’est pas contredite par des représentations contraires. Cette explication vaut encore, lorsqu’il s’agit de la baguette divinatoire qui tourne grâce aux mouvements inconscients du sourcier. Maintenant nous ne dirons pas, comme Sollas et Edw. Pease : « Tout dépend de la perspicacité du devin et la baguette n’y est pour rien ». Nous ne croyons pas le problème définitivement tranché. Il est possible que des radiations spéciales, décelant la présence d’eau ou de métaux enfouis dans le sol, soient perçues plus ou moins consciemment par les personnes capables de faire tourner la baguette. Peut-être s’agit-il, comme plusieurs le pensent, d’un courant électrique ordinaire. Peut-être l’unique cause des réussites obtenues serait-elle l’aptitude du devin à découvrir, inconsciemment, la vraie nature des terrains qu’il explore, comme les psychologues, de la fin du dernier siècle l’admettaient d’ordinaire. Mais une chose est désormais certaine c’est que nul esprit n’intervient lorsque se meut soit la baguette soit le pendule. Pas plus que n’interviennent les trépassés, lorsque les tables tournent et répondent dans les séances que les spirites organisent. Elles tournent et répondent, sans jonglerie ni tromperie, mais ce sont les assistants, dont les mains s’appuient sur elles, qui, involontairement, inconsciemment, les meuvent et les poussent. Chevreul, Pierre Janet, le docteur Grasset et d’autres chercheurs consciencieux l’ont prouvé définitivement. La seule intelligence qui intervienne dans les réponses, c’est celle, souvent très bornée, des assistants. Comment les spirites ne s’aperçoivent-ils pas que les élucubrations reçues de l’au-delà sont en général d’une sottise déconcertante. « Corneille, quand il parle par la main des médiums, ne fait que des vers de mirliton, et Bossuet signe des sermons dont un curé de village ne voudrait pas pour son prône. » De plus, ces messages reflètent, avec fidélité, les doctrines et les tendances chères aux assistants ; aussi les tables se comportent-elles de façon très différente en pays catholique et en pays protestant. « Chez des catholiques, écrit Pierre Janet, l’abbé Bautain voit une corbeille se tordre comme un serpent et s’enfuir devant le livre des Évangiles qu’on lui présente, demander des prières et des indulgences. Chez des protestants, les tables n’ont plus peur de l’eau bénite, n’ont plus de respect pour les scapulaires et annoncent avant dix ans la chute de la papauté… Chez ceux qui croient à l’ancienne magie noire, les esprits obéissent aux formules magiques et tremblent devant les triangles sacrés. » Et les même divergences, produites par des causes identiques, se retrouvent, lorsqu’on utilise l’écriture automatique ou l’un quelconque des autres moyens dont nous disposons, pour converser familièrement avec de prétendus trépassés. Tant il est vrai que les messages d’outre-tombe émanent des vivants, non des morts.

Peut-être certains individus sont-ils doués de sens que ne possèdent pas les hommes ordinaires. D’où l’allure merveilleuse de phénomènes pourtant très naturels. Au milieu de gens privés d’odorat il passerait pour un sorcier incomparable, celui qui n’aurait qu’à flairer pour savoir qu’ici furent des violettes, là des fromages, qu’une fuite de gaz rend un péril imminent, qu’un cadavre est caché, depuis plusieurs jours, dans telle caisse ou tel appartement. Au dire des métapsychistes sérieux bien des faits étranges s’expliqueraient, de la sorte, par l’existence de perceptions inconnues du grand nombre ; ce sont elles qui permettraient à quelques devins de nous renseigner sur les possesseurs successifs des objets que l’on dépose entre leurs mains. Les prémonitions d’événements prochains auraient même origine. Il est vrai que, dans ce domaine, les chercheurs gardent une réserve prudente. « La préconnaissance de l’avenir en général est tout au moins extrêmement rare et, si l’on veut, problématique. » écrit le Docteur Osty, Les Miracles de la Volonté. On a remarqué que certaines prémonitions ne requéraient pas la connaissance de faits vraiment imprévisibles. Témoin ce récit extrait du livre de Flammarion : La mort et son mystère. « La narration suivante, écrit l’auteur, m’a été adressée de Biarritz le 9 juillet 1917, en réponse au désir que j’avais manifesté à Mme  Storins Castelet, mon érudite collègue de la Société astronomique de France, qui m’avait raconté le rêve, d’en recevoir directement le récit par l’observatrice. C’est la vue, trois jours à l’avance, d’une mort subite.

« … Malgré toute la tristesse qu’une telle communication puisse réveiller en moi, je peux vous affirmer que la mort de mon fils Jean me fut annoncée le jeudi qui précéda le dimanche où mon cher enfant, alors à l’étranger avec son frère Louis, nous quitta pour toujours. Ce rêve très simple le voici :

Je voyais dans une maison inconnue mon fils Louis, en larmes ; et comme je lui demandais la raison de son chagrin, il me répondit : « Oh ! maman, Jean est mort !… » Mon cher enfant avait dix-neuf ans, une santé superbe, et rien ne pouvait faire pressentir une fin si foudroyante… Une embolie, pendant une tranquille promenade à bicyclette, en compagnie de son frère et d’un oncle. Longtemps après, je sus que le jeudi où j’eus l’affreux pressentiment, mon enfant avait eu une syncope provoquée par une coupure au doigt : coïncidence étrange ! » À propos de ce cas, remarquons qu’une embolie peut résulter d’un traumatisme même sans gravité ; et la blessure dut être assez grave puisque le jeune homme tomba en syncope. Par ailleurs la mère, alertée lors de l’accident, ne l’a pas été au moment de la mort. Ne serait-ce pas que l’inconscient soit du blessé, soit de son frère, pronostiqua les fâcheuses conséquences que cette lésion provoquerait. Dès lors nous serions en face d’un fait télépathique, non d’une prophétie véritable. Dans d’autres cas, et fort nombreux, c’est la coïncidence qui fait croire à l’existence de la prédiction. Combien de femmes rêvent que leur mari, que leurs enfants sont morts ; mais elles oublient leurs visions lorsqu’elles sont démenties par les faits et ne gardent le souvenir que de celles qu’un hasard réalisera ; une sur mille ou dix mille peut-être. « Quand, pour justifier la réalisation d’une prophétie, écrit Delage dans Le Rêve, le savant invoque la coïncidence, on est tenté, en général, de voir là une échappatoire. Or cela est parfaitement inexact. La coïncidence a ses droits au même titre que dans toute la science physique ou naturelle. Rien n’est plus injustifié que l’opinion courante d’après laquelle invoquer la coïncidence fortuite, est faire appel à l’arbitraire, à une cause verbale, à une mauvaise raison mise en avant faute de mieux. Les droits du hasard peuvent être calculés avec une précision qui devient très nette quand on opère sur un nombre de cas suffisamment élevé et le calcul des probabilités donne le moyen de l’exprimer en chiffre. » Pour un individu qui aura rêvé les nombres exacts devant sortir dans une loterie, des milliers d’autres seront tombés dans l’erreur en croyant aux chiffres que des songes leur avaient prédits. Seulement le premier racontera partout sa bonne fortune, alors que les autres tiendront secrets leurs déboires ; grâce au hasard, une prophétie authentique s’ajoutera à la liste de celles que les métapsychistes connaissaient déjà. Sans peine nous admettons, d’ailleurs, la prévisibilité des choses déjà existantes, au moins dans leurs causes cachées. Fréquemment la mort pourrait être annoncée à l’avance par un médecin expérimenté, et cela malgré les apparences d’une robuste santé. Pourquoi l’inconscient de certaines personnes ne jouerait-il pas le rôle de médecin ? Et nous pourrions faire des remarques identiques touchant les événements politiques, les crises économiques, etc., virtuellement réalisés dans leurs antécédents. L’insuccès qu’éprouvent, à tour de rôle, les prophètes les plus huppés, dès qu’il s’agit de fixer l’avenir au delà de quelques semaines ou de quelques mois, prouve qu’ils ne participent en rien à la prescience divine dont parlent les prêtres et les métaphysiciens.

Bien d’autres phénomènes métapsychiques mériteraient de retenir notre attention. Leur étude nous entraînerait trop loin ; nous devons nous limiter. Quels qu’ils soient, d’ailleurs, des plus complexes aux plus simples, il appert dès aujourd’hui qu’ils n’ont rien de surnaturel, rien qui relève de volontés extraterrestres. Loin d’établir de façon scientifique l’existence de l’au-delà, les expériences métapsychiques aboutissent à l’effondrement des espoirs qu’avaient mis en elles les penseurs spiritualistes. – L. Barbedette.

Ouvrages à consulter. – Richet : Traité de Métapsychique ; Notre sixième sensFlammarion : La Mort et son Mystère ; L’Inconnu et les problèmes psychiquesBozzano : Phénomènes psychiques au moment de la mort ; À propos de l’introduction à la métapsychique humaine ; Pensée et VolontéDr  Bret : Précis de MétapsychiqueDelannes : Les apparitions matérialisées des vivants et des morts ; Recherches sur la MédiumnitéDr  Gibier : Spiritisme – Olivier Lodge : La Survivance HumaineMaxwell : Les Phénomènes psychiquesMontandon : Les radiations humainesDr  Ochorowicz : L’état actuel des recherches psychiques – R. Sudre : Introduction à la Métapsychique humaine. – Dr  Vachet : Lourdes et ses mystères – H. Kephren : La Transmission de penséeMondeil : Le Fluide Humain, etc.

MÉTAPSYCHIE. Notre époque pourrie de matérialisme, qui ne voit rien au-delà de la jouissance immédiate, nie le mystère qui est partout, qui nous enveloppe des pied à la tête. Mystère auquel les métaphysiques et les religions ont apporté différentes réponses et que les sciences psychologiques et physiologiques tentent d’expliquer à leur tour. Mystère qui recule à mesure que notre pauvre savoir tente de le dissiper. Ne désespérons pas, cependant. Un jour viendra peut-être où nous pourrons enfin connaître la réalité cachée sous les apparences. Quelques-uns de ses « secrets » nous ont été révélés. En ce qui concerne la vie mystérieuse du « moi », des faits inexpliqués, qualifiés de surnaturels par les cerveaux malades, deviennent explicables : l’auto-suggestion explique jusqu’aux « miracles ». La vie est pleine de miracles ; ils obéissent à des lois aussi naturelles que la chute des corps ou l’attraction universelle. Dans la vie humaine tout entière, l’inconnu joue un rôle, et bien sot qui ose le nier.

Le mystère nous entoure. Nous vivons dans le mystère. Nous en sommes imprégnés. Quand il n’existe pas, nous le créons. Tout est mystère en nous et hors de nous. La vie ? La mort ? Que sont-elles, nous n’en savons rien. Un phénomène physico-chimique ? Mais cela n’explique rien. Ne compliquons pas les choses en les obscurcissant par nos théories.

Dernière venue parmi les sciences nées de l’étude du mystère, la « métapsychie » a apporté sa précieuse collaboration à la psychologie et à la métaphysique. Elle tient d’ailleurs de ces deux disciplines. On ne peut nier le puissant intérêt que présentent les recherches métapsychiques. Elles tendent à démontrer qu’un ensemble de phénomènes qu’on considérait à tort jusqu’ici comme surnaturels peuvent être étudiés expérimentalement. Tout un côté obscur de l’âme humaine est ainsi mis en lumière. On explique désormais normalement des faits qui semblaient anormaux. Rien de plus naturel que ces faits. Encore une science qui combattra la superstition. La métapsychie peut avoir de grosses conséquences en sociologie et en morale. Le surnaturel – ou ce qui passe pour l’être – imprègne tous nos gestes. Par l’étude de ces faits peut être modifiée la conduite de l’individu. Il peut agir sur sa destinée.

J’entends d’ici les journalistes, gens prêts à blaguer ce qu’ils ne comprennent pas : « Les métapsychistes sont des fumistes. Leurs expériences sont truquées. Elles ne prouvent rien. Tout le monde peut en faire autant… La métapsychie, quelle bonne blague ! Aimez-vous les médiums ? On en a mis partout. Méfions-nous des médiums, ce sont gens capricieux. Il y en a pour tous les goûts et même pour tous les dégoûts. Ectoplasme rime avec cataplasme… » etc… Ces gens-là confondent tout : spiritisme, magnétisme, tables tournantes, maisons hantées, marc de café, médiumnité, fakirisme, satanisme, magie, corps astral, sur-âme… Ils embrouillent les questions, selon leur habitude. Ne portons pas grande attention aux critiques qu’ils adressent aux chercheurs désintéressés. Suivons avec intérêt les travaux de ces derniers. Il y a une vraie et une fausse métapsychie. Ne tenons compte que des recherches sérieuses dues à de véritables savants. La métapsychie n’en est qu’à ses débuts. Faisons lui crédit, comme nous le faisons à toutes les parapsychologies de l’avenir.

Ne nions pas ce qu’il y a de sérieux au fond de cette « métapsychie » blaguée par les sceptiques du boulevard. L’après-guerre lui donne un aspect de nouvelle religion : la religion de ceux qui n’en ont pas. Elle est la preuve que l’esprit ne peut se contenter du fait brutal qui tombe sous les sens. Il y a d’autres faits qui, pour ne pas tomber immédiatement sous les sens, n’en sont pas moins réels. On expliquera un jour ou l’autre par la télépathie ou la médiumnité certains faits qualifiés d’étranges, aussi facilement qu’on explique la forrnation des nuages ou la condensation de la pluie. La physico-biologie dira son mot dans ce domaine, comme elle le dit dans tant d’autres. N’excluons pas de la science ce que nous ne comprenons pas. Nous savons peu de chose en face de ce que nous avons encore à connaître. Laissons lui le temps de mettre au point ses méthodes. La psychanalyse pourra également venir en aide à la métapsychie en recourant elle-même aux méthodes de la science. La métapsychie ne pourra pas plus se passer de son concours que de celui de la chimie ou de la physique mathématique.

Il y a tout un ensemble de sciences occultes qui côtoient la métapsychique : chiromancie, onomancie, astromancie et autres. C’est un legs que nous a fait le Moyen Âge, entre tant d’autres legs. Il sied de ne pas trop s’attarder en leur compagnie : on deviendrait fou. Il faut n’en prendre qu’une faible dose si l’on veut conserver son équilibre. Certes, l’occulte vaut d’être étudié, mais avec prudence. Il convient de contrôler les preuves apportées par les occultistes et de ne pas prendre à la lettre tout ce qu’ils racontent. Gardons-nous d’ajouter foi aux boniments des charlatans. Des gens ont l’habitude d’accepter les yeux fermés tout ce qui sert leurs théories. Ils sont aveugles. Ils permettent aux charlatans de se faire prendre aux sérieux. Les recherches occultes offrent de l’intérêt. Ne les repoussons pas de parti-pris. Mais méfions-nous des mystificateurs. Ils sont légion. Leurs « fumisteries » jettent le discrédit sur des recherches louables. Le mercantilisme fait ici des siennes, comme partout ailleurs. Les pires indésirables prennent part aux « expériences », « séances » et autres « réunions » plus ou moins spirituelles. Il y a là d’étranges abus. Charlatans et naïfs font autant de mal. Il est bien difficile de démêler ici la bonne foi du mensonge. Il importe de se méfier, non seulement des « fumistes », mais des gens qui voient partout de la « fumisterie ». Ils sont aussi dangereux.

Dans le domaine des sciences occultes, que d’erreurs à combattre ! Les charlatans sont ici les maîtres. La mystification fait son œuvre. Agissons avec prudence et ne nous fions pas au premier venu. Robert Houdin nous amuse, sans essayer de nous convaincre. Il n’est que prestidigitateur. Combien de gens essaient de nous convaincre de ce qui n’existe pas, sans être eux-mêmes convaincus. – Gérard de Lacaze-Duthiers.