Encyclopédie anarchiste/Fatalisme - Féodalité

Collectif
Texte établi par Sébastien Faure, sous la direction de, La Librairie internationale (tome 2p. 798-808).


FATALISME n. m. Doctrine philosophique qui attribue tout au destin, considère que tous les événements sont fixés à l’avance par une cause surnaturelle et doivent fatalement s’accomplir. Conséquemment, le fatalisme nie le libre arbitre, c’est-à-dire la doctrine philosophique qui présente l’individu libre de ses gestes et de ses actes et, en conséquence, responsable de ceux-ci ; mais il combat également le déterminisme qui conditionne une chose à une autre et prétend que toutes les actions de l’individu sont les résultantes d’effets et de causes qui s’enchaînent les unes aux autres.

A notre avis, et s’il est vrai que les problèmes philosophiques exercent une influence sur la vie sociale des hommes, nous pensons que le fatalisme est une doctrine de paresse, d’impuissance et de mort, surtout en ce qui concerne le fatalisme vulgaire des musulmans. Pour ce qui est du fatalisme panthéiste de Spinoza, nous croyons qu’il a ouvert de larges horizons au déterminisme.

Si nous disons que le fatalisme est une doctrine de mort, c’est, qu’en effet, si la vie de l’homme est définitivement réglée, si rien ne peut changer le cours tracé de son existence, toute lutte est alors inutile et l’individu n’a plus qu’à attendre les événements puisqu’il ne peut rien contre ceux-ci.

« Dans les âges primitifs, quand un héros était dévoré par un cancer, on le croyait mangé par un Dieu ; on offrait au Dieu de la viande fraîche, on supposait qu’il l’aimerait mieux que la chair du malade et qu’il lâcherait celui-ci. » (Renan, Dialogues philosophiques). Une semblable illusion ne peut être permise au fataliste. Dans le même cas, il n’a qu’à se laisser mourir et il n’a même pas la ressource de la prière pour espérer apitoyer son Dieu sur son sort misérable, puisque c’est ce dieu qui, irrévocablement, à tracé ce sort ; en cette circonstance, tout ce que le fataliste peut espérer, c’est la félicité dans un monde meilleur.

Une telle conception philosophique si contraire aux lois scientifiques annihile inévitablement toute volonté et toute énergie et ne peut être admise par les anarchistes qui considèrent la vie comme une lutte continuelle.

Pas plus que le fatalisme, nous ne pouvons admettre le libre arbitre. Nous savons que l’homme n’est pas libre, qu’il est le produit de circonstances, d’événements, d’effets et de causes, de l’ambiance et de l’hérédité. « Être véritablement libre, écrit Voltaire, c’est pouvoir. Quand je peux faire ce que je veux, voilà ma liberté ; mais je veux nécessairement ce que je veux ; autrement je voudrais sans raison, sans cause, ce qui est impossible. Ma liberté consiste à marcher quand je veux marcher et que je n’ai point la goutte. » (Voltaire, le philosophe ignorant).

Mais, diront les adversaires du déterminisme, votre déterminisme se rapproche sensiblement du fatalisme vulgaire. Qu’importe que les causes soient multiples, ou que la cause soit unique, si le résultat est le même et que l’individu déterminé par des causes extérieures à lui-même ne peut rien changer à sa destinée ? Argument simpliste, raisonnement à l’absurde.

Dans ses dialogues philosophiques, Ernest Renan fait ainsi parler un de ses sujets : « Hors de notre planète, l’action de l’homme peut être considérée comme nulle, puisque notre planète n’agit guère dans l’ensemble de l’univers que par la gravitation ; or, l’homme n’a pas changé et ne saurait changer la gravitation de sa planète. Cependant, la moindre action moléculaire retentissant dans le tout, et l’homme étant cause au moins occasionnelle d’une foule d’actions moléculaires, on peut dire que l’homme agit dans le tout d’une quantité qui équivaut à la petite différentielle qu’il y a entre ce qu’est le monde avec la terre habitée et ce que serait le monde avec la terre inhabitée. On peut même dire que l’animal agit lui-même dans l’univers à la façon d’une cause ; car une planète peuplée seulement d’animaux verrait se produire à sa surface des phénomènes naissant de la spontanéité de l’animal et différents des purs phénomènes mécaniques, où ne se décèle aucun choix. » Et, en effet, si nous abandonnons le terrain purement philosophique et abordons le terrain social, nous disons : bien que déterminé, l’individu apporte dans l’ordre des choses une part de lui-même, une part qui lui est propre, une part qui lui est individuelle. Et cette part particulière, associée à celle de ses semblables peut changer la face des choses, le cours des événements.

Lorsque nous disons que la Révolution est inévitable, qu’elle sera violente, ce n’est pas parce que fatalement elle doit être violente. S’il plaît aux hommes qui détiennent la richesse sociale d’abandonner leurs privilèges et de participer à l’organisation d’une société plus humaine, la violence ne s’exercera pas ; ce n’est pas parce que nous croyons au fatalisme que nous disons que la Révolution sera violente, mais justement parce que cette violence sera déterminée par le refus des classes oppressives d’accéder aux désirs du populaire. Le capital a le pouvoir — parce que lui aussi est déterminé et détermine —de changer le cours des événements, de même que le peuple a possibilité de transformer du tout au tout l’ordre social actuel. Cette possibilité n’est pas seulement consécutive aux causes qui déterminent le peuple, mais aussi aux effets dont le peuple est la cause.

Il y a un fossé entre le fatalisme et le déterminisme, et nous pouvons dire que le déterminisme est l’antidote du fatalisme.

Au mot déterminisme, on trouvera une explication plus étendue de ce que nous entendons par déterminisme, mais pour nous, il n’exclut pas la responsabilité.

Il est simpliste de prétendre que l’homme étant déterminé, il est entièrement irresponsable. S’il en était ainsi, je ne serais pas déterministe. Chaque individu a une part de responsabilité. Le juge qui condamne, le bourreau qui exécute sont peut-être le produit de la société, ils sont les effets d’une foule de causes, c’est entendu ; mais ils apportent aussi un peu d’eux-mêmes dans chacun de leurs actes et en conséquence, leur responsabilité, si elle n’est pas absolue, est tout au moins partielle. Et puis, la lutte sociale ne permet pas de s’arrêter à de telles subtilités. Sur le terrain philosophique, il est permis de se livrer à une gymnastique intellectuelle pour rechercher la part de responsabilité de chacun ; sur le terrain social, il faut batailler pour vivre et arracher à ceux qui nous oppriment la part de bonheur à laquelle nous avons droit.

Éloignons de nous cette idée que rien ne peut changer, que tout ce qui arrive est fatal, que tel événement ne pouvait pas ne pas se produire, que les fléaux sont inévitables, et pensons avec Louis Blanc que « jusqu’à présent » la civilisation a fait fausse route ; et dire qu’il n’en saurait être autrement, c’est perdre le droit de parler d’équité, de morale, de progrès. ‒ J. Chazoff.


FATALITÉ n. f. (du latin fatalitas). Destinée inévitable. Ce qui ne peut pas ne pas arriver. Une sombre fatalité ; une terrible fatalité ; être poursuivi par la fatalité. La « Fatalité » suppose une puissance occulte qui détermine le sort de chacun et contre lequel l’individu ne peut rien. Empruntons à P.-J. Proudhon une belle page sur la Fatalité :

« C’est à connaître et à pénétrer la fatalité que tend la raison humaine ; c’est à s’y conformer que la liberté aspire. Je ne demanderai plus : Comment l’homme a-t-il le pouvoir de violer l’ordre providentiel, et comment la Providence le laisse-t-elle faire ? Je pose la question en d’autres termes : Comment l’homme, partie intégrante de l’Univers, produit de la fatalité, a-t-il le pouvoir de rompre la fatalité ? Comment une organisation fatale, l’organisation de l’humanité, est-elle adventice, antilogique, pleine de tumultes et de catastrophes ? La fatalité ne tient pas à une heure, à un siècle, à mille ans ; pourquoi la science et la liberté, s’il est fatal quelles nous arrivent, ne nous viennent-elles pas plus tôt ? Car, du moment que nous souffrons de l’attente, la fatalité est en contradiction avec elle-même ; avec le mal, il n’y a pas plus de fatalité que de Providence. Qu’est-ce, en un mot, qu’une fatalité démentie à chaque instant par les faits qui se passent dans son sein ? Voilà ce que les fatalistes sont tenus d’expliquer, tout aussi bien que les théistes sont tenus d’expliquer ce que peut être une intelligence infinie qui ne sait ni prévoir ni prévenir la misère de ses créatures ».


FAUCILLE n. f. (du latin falsicula, de falx, faux). Instrument composé d’une lame d’acier courbée en demi-cercle, et d’une poignée en bois, qui sert à couper les céréales.

Depuis la Révolution russe, les bolchevistes ont fait de cet outil un symbole, et il figure entrelacé avec un marteau, sur tous les emblèmes ou drapeaux de la République des Soviets. Est-ce à dire que la Russie est un état dirigé par les travailleurs des champs et des usines ? Nous savons ce que valent les symboles. De même que la Marseillaise fut prostituée en France au lendemain de la Révolution, la faucille l’est à l’heure actuelle par les dirigeants russes et les conducteurs des divers partis communistes nationaux. En Russie, ce n’est pas celui qui manie l’outil — faucille ou marteau — qui est maître de la situation, et nous pouvons dire, sans crainte de nous tromper, que celui qui se sert là-bas de la faucille ne bénéficie pas du travail qu’il fait. Une paysannerie exploiteuse est née dans l’U.R.S.S., et elle est aujourd’hui le plus ferme soutien du gouvernement bolcheviste. C’est à son profit que la faucille fauche les récoltes, et le travailleur des champs comme celui des usines est un exploité rétribué, semblable à celui de nos pays démocratiques occidentaux. Et il en sera ainsi tant que le travailleur n’aura pas absolument aboli la propriété et l’exploitation.


FAUNE n. f. On désigne sous le mot de faune, l’ensemble des animaux d’une contrée ou d’un continent, vivant à l’état naturel ou sauvage. La faune australienne, la faune américaine, la faune asiatique. La faune varie selon les régions, le climat, etc… L’Asie est peuplée de tigres, de panthères, d’ours, d’éléphants de l’Inde, de rhinocéros, de tapirs, de chameaux, de buffles, de vautours ; l’Afrique produit des éléphants, des lions, des autruches, des chacals et de nombreuses variétés de singes ; l’Amérique donne des jaguars, des pumas, des ours, des tapirs, des bisons, des cerfs, des lamas, des castors, etc…, etc…

Certains de ces animaux sont un véritable danger pour l’homme, et leur destruction s’impose ; mais il en est parmi eux qui, une fois domestiqués, rendent d’énormes services, en raison de leur force et de leur intelligence. Tel est l’éléphant. Malgré tout le travail que peut produire ce pachyderme et son utilité, la race menace cependant de s’éteindre, grâce à la bêtise humaine. Il est, en effet, impitoyablement chassé pour l’ivoire de ses défenses et la faune africaine commence à s’en dépeupler.

FAUNE n. m. (du latin faunus). Nom donné chez les Latins, aux divinités champêtres qui défendaient le bétail contre les loups et protégeaient l’agriculture.


FÉCONDITÉ (du latin fecunditas). La fécondité est la qualité de ce qui est fécond, c’est-à-dire apte à la procréation. Une femme est dite féconde lorsqu’elle est capable d’avoir des enfants. On dit également des femelles des animaux et des végétaux qu’elles sont fécondes lorsqu’elles peuvent servir à la reproduction de l’espèce à laquelle elles appartiennent. Par extension, on dit d’une terre qu’elle est féconde, lorsqu’elle est susceptible de fournir en abondance des produits de culture. Au figuré, il est admis de dire qu’une matière est féconde lorsque l’on peut s’en inspirer pour de multiples ouvrages de l’esprit. Au figuré, encore, on peut employer le mot fécondité, en parlant d’un auteur, pour désigner sa puissance de production littéraire.

Soulignons, à ce propos, que de pouvoir, en quelques heures, sans effort apparent, noircir, d’une plume hâtive, tout un cahier et, en quelques années, remplir de gros volumes une bibliothèque, est un talent d’ordre plus que secondaire. Ce qui, en effet, compte principalement pour un écrivain, c’est l’originalité du style, la nouveauté des idées, la valeur de l’observation personnelle, et non l’importance numérique des pages écrites. Il n’est pas rare que de remarquables écrivains, tels Gustave Flaubert, travaillent avec une difficulté extrême et s’attardent très longuement sur un feuillet, Si Honoré de Balzac, Victor Hugo, Émile Zola, ont été à la fois des hommes de génie et des auteurs d’une fécondité impressionnante, il n’en est pas moins vrai que les grands records de la production se constatent surtout parmi les artisans peu consciencieux, les brouillons, d’esprit médiocre, nourris de lieux communs. Il en est des œuvres d’art comme de la génération humaine : pour celles-là, comme pour celle-ci, la quantité n’est estimable que lorsqu’elle s’allie à la qualité, et met en relief cette dernière, sans se développer toutefois à ses dépens.

Pour n’atteindre point à celle des microbes, inexactement dénommés « les infiniment petits », qui peuvent, en très peu de temps, par bourgeonnement, ou scissiparité, se reproduire par milliards, la fécondité des végétaux n’en est pas moins très remarquable. Une simple tige de maïs porte 2.000 graines ; un pavot, 32.000 ; un platane, 100.000 ; un orme, 300.000. Le pin en répand par millions, avant de périr de vétusté.

Les poissons et les insectes fournissent des nombres en rapport avec ceux des végétaux. Les araignées pondent chacune une centaine d’œufs ; la mouche, 150 ; les pucerons ont jusqu’à dix générations et plus, toutes considérables, en une seule année. Une abeille mère fait 8.000 œufs, en une seule ponte, et la femelle du termite dix fois plus dans sa journée. La perche donne 10.000 œufs, et l’éperlan, 25.000 ; le hareng, 36.000 ; la carpe, 350.000 ; la tanche, 40.000. Et nous n’atteignons pas le record pour les habitants des eaux, car la sole, avec un million, et la morue, avec sept millions d’œufs, sont encore dépassées par l’esturgeon, cet empereur des pères de famille, qui se donne, en une seule année, 10 millions de descendants !

Pour être très sensiblement inférieure, la fécondité des mammifères est digne encore de retenir l’attention : Le chat peut engendrer, avant l’âge d’un an, et s’accoupler toute sa vie, c’est-à-dire pendant neuf ou dix ans, pendant lesquels il pourra avoir, chaque année, de 8 à 12 petits en deux portées. Il en est de même, à peu près, pour le chien. Une truie peut reproduire, à l’âge de dix mois, et donner pendant plusieurs années deux portées par an, de 6 à 16 petits chacune. Une souris est capable de mettre bas de 4 à 6 petits, tous les mois. Enfin, le lapin, ce modèle des citoyens prolifiques, le lapin, qui vit huit ou neuf ans, et peut produire, dès l’âge de cinq ou six mois, se trouve suffisamment doué pour être père, en cinq à six portées, de 40 à 60 petits par année.

Les espèces sont, à part quelques exceptions, d’autant moins prolifiques, qu’elles occupent un degré plus élevé dans l’échelle des êtres, et que sont moins grandes leurs chances de destruction. L’espèce humaine, qui justifie cette règle, est très peu féconde par rapport aux insectes, aux poissons, et même à la plupart des mammifères. Cependant, sa puissance prolifique naturelle, lorsque nul obstacle n’intervient pour la limiter, est suffisante pour peupler, et surpeupler, en un petit nombre d’années, de considérables espaces. Une femme normale, c’est-à-dire en bonne santé, et qui ne fait rien pour éviter la maternité, est apte à concevoir depuis l’âge de seize ou dix-huit ans jusqu’à celui de quarante-cinq ans, parfois plus, c’est-à-dire pendant près de trente années, et, si elle s’unit tôt à un homme jeune et robuste, elle peut avoir de lui douze enfants. C’est là une moyenne qui n’a rien d’exagéré. Beaucoup de femmes en ont eu quinze, d’autres une vingtaine. On cite même une Canadienne qui en eut trente-deux !

Cette moyenne de douze enfants par famille a été observée, au début de la colonisation, dans tous les pays neufs et salubres, où des couples vigoureux ont été s’établir en pleine nature, et y ont fait souche sur de vastes territoires, où ne manquaient ni la place, ni les ressources en subsistances, et où le grand nombre des enfants, au lieu d’être un facteur de misère, était une condition de prospérité.

Si, dans les grandes nations modernes, les familles de douze enfants et plus constituent un fait exceptionnel, cela tient à deux sortes de causes bien différentes. Chez les riches, la recherche du luxe, et le goût de l’intellectualité, le souci de conserver des formes juvéniles, et de ne pas morceler en trop de parts les héritages, éloignent les femmes de la maternité. Chez les pauvres, la crainte de charges familiales venant compliquer une situation déjà précaire, maintient beaucoup de gens dans le célibat ou, mariés, les fait recourir à la fraude sexuelle ou aux terribles procédés de l’avortement clandestin. Et puis, les taudis, la misère physiologique, les tares alcooliques, syphilitiques ou tuberculeuses des parents se chargent de pratiquer des coupes sombres parmi l’enfance des bas quartiers.

Pourtant, malgré ces fléaux divers, auxquels viennent s’ajouter la guerre, la famine, les épidémies, et l’émigration, la population, contrairement à ce qu’affirment les nationalistes, continue partout à s’accroître, même en France, quoique avec une lenteur de plus en plus marquée. C’est ce phénomène de réduction progressive dans le taux de la natalité que l’on est convenu, dans les sphères officielles, de nommer improprement « la dépopulation ». Il n’a pas empêché la collectivité européenne de doubler en bien moins de cent ans, au cours du xixe siècle. Il est donc évident que si une révolution, collectiviste ou communiste déterminait présentement en Europe une honnête aisance pour tous les habitants, la fin des conflits armés, et la possibilité du mariage jeune sans inquiétude pour l’avenir, c’est tous les trente ans, environ, que l’on verrait doubler le nombre des humains, sur un continent dont la surface n’est pas extensible, et dont le rendement, comme produits alimentaires, peut être augmenté par les méthodes scientifiques, sans pouvoir être néanmoins indéfiniment accru. Il en résulterait que la société nouvelle se trouverait, à très bref délai, en présence de difficultés vitales graves que seule la procréation consciente et volontairement limitée serait à même de résoudre. ‒ Jean Marestan.


FÉDÉRALISME. — Le fédéralisme est une forme d’organisation sociale, qui a pour but d’assurer : 1° les rapports des individus entre eux ; 2° les rapports de l’individu avec le groupement ; 3° les rapports des groupements entre eux. Il a pour bases essentielles : 1° la liberté de l’individu ; 2° l’indépendance et l’autonomie du groupement.

Il repose sur une grande loi naturelle : l’ASsociation, dont les fondements moraux sont : la solidarité et l’entr’aide.

Les principes qui se dégagent de l’application de cette loi naturelle consacrent, sans conteste possible, l’interdépendance absolue de l’individu et du groupement.

Et c’est de cette constatation qu’est issu le fédéralisme, comme forme d’organisation sociale, basée à la fois sur la nature et sur l’observation scientifique des faits.

Nul ne peut échapper à cette loi : ni les êtres animés, ni les êtres appelés, par erreur, inanimés.

Non seulement les hommes doivent s’y plier, pour vivre, se développer et se défendre contre les éléments ou les autres espèces qui leur disputent la possession de la terre, mais il apparaît clairement que les végétaux et les minéraux, comme les animaux, ne peuvent se soustraire à la loi d’association.

Ce n’est pas par hasard que les forêts existent, que les gisements de minéraux se rencontrent, que les animaux se groupent. La seule loi d’attraction ne suffirait pas à expliquer ces phénomènes de groupements, cette classification en espèces : animales, végétales, minérales.

Ces espèces se rassemblent, pour vivre, sous l’influence des éléments.

Ce n’est qu’en se groupant par catégorie qu’elles ont la possibilité de se défendre contre les autres espèces, de se donner en commun des conditions de vie.

D’autres l’ont dit et prouvé bien avant moi.

Il était donc naturel que les hommes, ces animaux supérieurs, paraît-il, obéissent, eux aussi, à la loi d’association, pour le bien comme pour le mal.

L’association s’est imposée à l’homme dès qu’il a voulu accomplir une tâche au-dessus de ses seules forces, dès que ses semblables ou les éléments lui ont imposé cette tâche.

Pour que l’association soit viable, il faut que les associés poursuivent un but commun et qu’ils soient d’accord sur les moyens à employer pour atteindre ce but.

Ceci les oblige à accepter tacitement un contrat, écrit ou non, qu’ils s’engagent à respecter volontairement et mutuellement, pendant toute la durée de l’association, que celle-ci soit limitée ou illimitée.

Il est clair qu’en s’associant avec d’autres hommes, avec lesquels il conclut un accord précis, nettement défini par le contrat qui le lie à ses associés, l’individu abandonne forcément quelques préférences personnelles qu’il conditionne, en quelque sorte, l’exercice de sa liberté. De même, il subordonne volontairement son intérêt particulier à un intérêt collectif, lequel donne tout naturellement naissance la constitution de l’association.

Il se crée donc des droits et devoirs. Ses droits, c’est ce qu’il reçoit et doit recevoir des autres associés, pour sa collaboration à l’œuvre commune. Ses devoirs, c’est ce qu’il doit à ses associés, pour leur participation à cette même œuvre.

S’il doit exiger l’intégralité de ses droits, il doit aussi remplir scrupuleusement ses devoirs.

A la spécification du but à atteindre, à la détermination des moyens à employer qui constituent la doctrine de l’association, viennent s’ajouter renonciation des droits et des devoirs de chacun, qui forment le Statut, la Charte de l’association, qui se meut désormais dans le cadre des principes adoptés par l’ensemble des associés.

A partir de ce moment, toutes les décisions prises par les associés devront être en accord avec les principes fixés.

A cet instant précis de ma démonstration, je tiens à établir la différence qu’il convient de faire entre le principe : immuable, et la décision : circonstancielle.

En effet, si le principe, base de la charte, ne peut être modifié que du consentement unanime des associés, la décision peut être prise par la majorité de ces associés.

Une seule condition suffit pour que la décision soit valable : Il faut qu’elle soit en accord, avec le principe ou les principes sur lequel ou lesquels l’association a été fondée.

Une décision est valable — et doit être appliquée — jusqu’à ce qu’une autre décision se rapportant au même sujet, à la même question, soit venue automatiquement remplacer la première, toujours dans le cadre des principes, bien entendu.

S’il en était autrement, si une partie des associés ou un associé seulement prétendait passer outre à la décision, l’association serait menacée dans son existence. Elle ne pourrait jamais atteindre les buts pour lesquels elle a été constituée.

Pour sortir de cette situation, il n’y a que deux solutions : ou l’associé part de son plein gré ou les autres associés lui notifient son départ.

C’est le résultat même de l’application du Statut de l’association, de la charte, à laquelle tous les associés ont accepté, par avance, de se discipliner volontairement.

C’est aussi la conséquence de l’application de la loi du nombre, qui oblige l’individu, associé à d’autres individus, à accepter de travailler selon les décisions de l’ensemble ou de la majorité.

Et tant que cette loi inexorable ne pourra être remplacée par une autre plus juste, plus logique, plus équitable, il devra en être ainsi.

On pourra dire de cette loi du nombre qu’elle est injuste, qu’elle paralyse la marche en avant, qu’elle asservit un individu à l’ensemble, une minorité à une majorité.

Ce qu’il importe de faire, c’est de trouver mieux avant de l’abolir. Or, on n’a, jusqu’ici, rien trouvé. On peut aussi dire que toutes les objections sont plutôt d’ordre sentimental. Raisonnablement, pratiquement, elles sont sans valeur. Si on les acceptait, il n’y aurait aucune association possible et, seul, l’individualisme s’imposerait.

S’il est évident que l’individu compose le milieu, pour partie, il est non moins évident que l’individu ne peut pratiquement se dissocier du milieu ; qu’il en dépend au même titre que tous les organes d’un même corps dépendent de ce corps et sont solidaires l’un de l’autre.

On doit donc admettre comme exacte l’interdépendance absolue du groupement et de l’individu, aussi longtemps que le second demandera quelque chose au premier, qu’il ne pourra se suffire complètement à lui-même.

Puisqu’il est obligé de s’associer, qu’il en reconnaît la nécessité, il est obligé de respecter le contrat auquel il a souscrit. Ceci implique forcément que l’individu accepte les décisions de l’ensemble, que la minorité accepte celles de la majorité, dans les limites du contrat, suivant le Statut.

On peut, évidemment, dire que la minorité a toujours raison, que l’individu est plus éclairé que la majorité. Ceci n’est pas toujours exact. De même que les majorités, les minorités ou l’individu peuvent être dans l’erreur.

Il convient de dire aussi qu’il y a deux sortes de minorités et d’individus : celles ou ceux qui marchent en avant et celles ou ceux qui restent en arrière.

Si on a affaire à une minorité — individuelle ou collective — qui voit plus juste et plus loin que la majorité, il n’est pas douteux qu’elle aura rapidement raison, que son point de vue, rejeté hier, sera adopté demain, après expériences, puisque aucune opposition d’intérêts ne dresse l’une contre l’autre la majorité et la minorité et que toutes deux, au contraire, tendent à réaliser une même chose, à atteindre un même but.

La minorité deviendra donc majorité. Détentrice de la vérité, elle sera un élément de succès, à la condition, toutefois, qu’elle accepte les décisions de la majorité, qu’elle les applique, qu’elle agisse dans leur cadre.

Ce sont les événements eux-mêmes qui lui donneront raison. Elle doit être disciplinée. Elle comprendra d’autant mieux la nécessité de cette discipline, qu’il est certain d’avance qu’elle donnera elle-même naissance, un jour prochain, à une majorité issue de son propre sein.

N’est-ce pas là le résultat d’une évolution naturelle incontestable contre laquelle aucun argument ne peut être apporté ? Si, au contraire, on a affaire à une minorité d’arrière-garde retardataire, figée, convient-il de l’écouter ? Non. Il faut s’efforcer de la faire évoluer, sans la brimer et de l’amener à rythmer son action sur celle de la majorité d’avant-garde, sans la brusquer, en utilisant, pour cela, la leçon des faits. Les événements ne tarderont guère à lui démontrer son erreur.

La loi du nombre est donc la seule qu’une association puisse accepter. Et ceux qui ne l’admettent pas ne peuvent participer effectivement à l’œuvre commune.

Cela veut-il dire que l’individu abdique toute liberté, toute initiative ? Du tout ; au contraire, l’individu est pleinement libre de discuter sur toutes les questions qui se réfèrent à la vie de l’association ; il a le droit d’exprimer son point de vue, son opinion sur toutes les questions et de tenter de faire prévaloir cette opinion, ce point de vue.

Mais lorsque tous les associés qui désirent user de ce droit — qui est en même temps un devoir — ont discuté et qu’il faut décider, la discipline s’impose à tous.

La décision de la majorité ne souffre aucune discussion. Il faut l’appliquer. Ainsi, en pleine souveraineté, l’association a discuté et décidé. Il lui reste à agir. Tous les associés doivent le faire, dans le cadre des principes d’abord, suivant les décisions ensuite.

Discussion, décision et action caractérisent donc les stades successifs que traverse toute idée dont l’association a reconnu la nécessite d’application pratique.

Au premier stade se place le droit, au deuxième, l’expression de ce droit, au troisième, le devoir.

Ce n’est qu’en utilisant le premier, qu’en exprimant le second et en acceptant le troisième, que les associés pourront permettre à l’association de vivre, de se développer naturellement et normalement, en marchant constamment vers ses buts.

La solidarité et l’entr’aide, bases morales de l’association permettront à l’individu de recevoir de ses associés ce qui lui est dû, en même temps qu’elles assureront à ces derniers le concours du premier.

On peut donc dire que l’association est la loi fondamentale, parce que naturelle et scientifique, qui s’impose aux hommes qui veulent vivre en société.

Quant aux autres, s’ils ne veulent rien devoir au milieu, ils doivent, en revanche, ne rien lui demander.

C’est l’évidence même.

L’association engendre automatiquement l’alliance, le fédéralisme.

En effet, si une association est forcément limitée à un milieu restreint, un très grand nombre d’associations peuvent avoir une communauté de vue, d’intérêts matériels et moraux, immédiats et futurs.

Ceci les oblige à se réunir, à reconnaître l’identité de leurs buts, à déterminer les moyens à employer pour les atteindre, à se donner une doctrine commune, à établir un contrat, à dresser un statut pour agir ensemble.

À ce moment, le fédéralisme est né. Les nécessités économiques, à chaque époque, lui assignent la forme convenable.

C’est ainsi que, de nos jours, le monde, partagé en deux classes rivales, est obligé de se donner une organisation fédérative, que les syndicats, patronaux et ouvriers, sont devenus la forme-type de cette association. Les uns œuvrent pour conserver les privilèges capitalistes, les autres pour établir l’égalité sociale.

C’est entre ces deux forces, qui représentent les classes en présence, que se livrera la véritable bataille sociale. Le succès de l’une sera fait de l’écrasement de l’autre. Celle qui triomphera sera celle qui aura le mieux compris le fédéralisme associatif.

En dehors d’elles, rien d’autre n’existe vraiment. Tout leur est obligatoirement subordonné, et l’accessoire : le politique tend de plus en plus à disparaître devant le principal : l’économique. Et le jour n’est pas éloigné où les partis : bourgeois ou ouvriers, de même que les gouvernements qui en sont les conséquences, devront disparaître devant les classes ayant rassemblé toutes leurs forces : politiques, économiques et sociales dans de vastes associations, fédérées entre elles, chacune sur son propre plan.

Il n’est pas exagéré de dire dès aujourd’hui que le syndicalisme révolutionnaire et anti étatiste exprime la synthèse de la force de classe ouvrière, comme il est déjà la synthèse du mécanisme social de l’avenir.

Il a dû, tout naturellement, se préparer à la tâche qui lui incombera et s’efforcer de fonctionner dès maintenant, selon les principes qu’il veut appliquer intégralement plus tard.

Il s’est donc donné, pour cela, une structure adéquate à la besogne à accomplir et dotée des organismes qui doivent lui permettre de réaliser sa tâche.

Ces organismes sont : le syndicat fonctionnant sur la base des comités d’atelier et des conseils d’usine ; l’union locale, l’union régionale, la confédération générale du travail et l’internationale syndicale. Pour accomplir la partie technique de son programme, il a institué des fédérations nationales et internationales d’industrie qui doivent, dès que possible, donner naissance à un comité économique du travail, sur le plan national et international.

Tous ces rouages se meuvent suivant les principes-fédéralistes, de la base au faîte et du faîte à la base, accomplissant ainsi un cycle complet formé de deux courants : l’un ascendant, l’autre descendant.

Le courant ascendant va de l’individu à l’internationale, en passant de l’unité au nombre, du simple au complexe, par l’intermédiaire des rouages existants, en désindividualisant de plus en plus l’intérêt particulier pour le transformer de plus en plus en intérêt collectif social.

Le second, descendant, va de l’internationale à l’individu, en passant du nombre à l’unité, du complexe au simple, par l’intermédiaire des mêmes organismes, en restituant à chacun des rouages sa liberté d’action dans le cadre général et en donnant à chaque rouage et, en définitive, à l’individu, une pleine liberté, dans le cadre particulier de son activité, en complet accord avec les principes et les décisions de l’association à ses divers degrés.

C’est ainsi qu’on retrouve à tous ces degrés les trois principes qui se dégagent du fédéralisme : discussion, décision et action, dont la continuation constante assure la bonne marche pratique de l’organisation.

Pour que les individus associés puissent participer comme il convient à la vie de l’association constituée par eux, on procède de la façon suivante :

Dans le syndicat, tous les syndiqués discutent en assemblée générale les questions qui les intéressent. Après ample discussion, l’assemblée prend une décision, à l’unanimité ou à la majorité, en ayant soin de se tenir dans le cercle des principes déterminés par le groupement général fédératif, auquel le syndicat appartient.

Dès que cette décision est prise, tous les syndicats doivent l’appliquer dans leur sphère d’activité, et mettre tout en œuvre pour atteindre les buts fixés. Il n’y a plus de majorité, ni de minorité, mais un groupement tout entier qui agit après avoir discuté et décidé.

En ce qui concerne l’union locale, qui est composée de tous les syndicats d’une même localité et de ceux qui appartiennent à sa zone de rayonnement préalablement déterminée, les syndiqués participent à la vie de cet organisme par une représentation directe nommée par les assemblées générales des syndicats, et contrôlés constamment par ces assemblées.

Toutefois, dans les localités de peu d’importance, il ne serait pas mauvais que les délégués fussent nommés par l’ensemble des syndiqués réunis en assemblée, et même que tous les syndiqués puissent participer directement à la gestion syndicale ou sociale.

Les décisions prises au sein de l’union locale soit par les délégués directs dûment mandatés ou par tous les syndiqués sont applicables par l’ensemble des syndicats et des syndiqués composant l’union locale, suivant les principes déjà exposés pour le fonctionnement du syndicat. La vie de l’union régionale et le fonctionnement de cet organisme sont assurés de la même façon que ceux de l’union locale et les décisions prises sont appliquées de la même manière, dans les mêmes conditions.

Toutefois, on comprendra que, devant l’impossibilité de réunir tous les syndiqués d’une région, on soit dans l’obligation de s’en tenir aux délégations directes des syndicats, nommées et contrôlées par les assemblées générales.

Enfin, de même que tous les syndicats d’un pays se réunissent en congrès fédéral industriel pour fixer leur action sur plan et préparer la besogne technique de l’ensemble de l’association, ces syndicats se réunissent, dans les conditions fixées par eux lors de l’établissement du statut de l’organisation, en congrès confédéral national.

Dans ces assises, où les syndicats sont représentés par des délégués directs nommés par les assemblées générales des syndiqués, on discute et on décide de la ligne de conduite générale de l’organisation, de l’association de tous les syndiqués. On établit un plan d’action général, en laissant place aux formules régio'nales, locales et syndicales qui, de proche en proche, viendront s’ajouter à ce plan et en faciliter l’application par le jeu des unions régionales et locales, des syndicats, conformément aux nécessités, et suivant la situation particulière des régions, unions locales et syndicats.

Pour fixer l’action internationale de la classe ouvrière de tous les pays, dont la solidarité doit être totale dans tous les domaines, les centrales nationales, les groupements de tous les syndiqués de chaque pays affilié, se réunissent en congrès international et là, par le canal des délégués nommés par les congrès nationaux, s’établit le plan d’action international de tous les associés, unis sans distinction de nationalité.

Les décisions prises sont d’ordre général. Elles sont applicables à l’ensemble des associés dans tous les pays.

C’est la première partie du cycle, le courant ascendant qui a permis de discuter et de décider à tous les échelons, suivant les mêmes méthodes. Et on peut dire que, directement ou par des délégués nommés par lui et constamment contrôlés, l’associé participe à la marche de l’association et au contrôle de tous ses rouages.

Pour que s’accomplisse la seconde partie du cycle, par le courant descendant, après avoir discuté et décidé, il faut que les associés agissent. Ils le font par la mise en mouvement en sens inverse de tous les rouages fédérés, sur le plan social et sur le plan industriel, dans le cadre des principes de l’association, et suivant les décisions prises.

C’est ainsi que l’Internationale syndicale indique à la C. G. T. de chaque pays l’action générale à entreprendre et que cette dernière détermine, dans le cadre arrêté par le Congrès international, la forme d’action particulière qui correspond le mieux à la situation de ce pays qui constitue le lieu de son activité.

De même, étant mises en possession de la décision de l’Internationale et du plan national arrêté par le Congrès national confédéral, chaque fédération, dans le domaine industriel, et chaque région, dans le domaine social, établit en conformité des décisions prises, sa formule d’action la plus appropriée.

Les unions locales et les syndicats opèrent de façon identique. Ainsi, dans le cadre des décisions d’ordre général, de l’Internationale syndicale viennent prendre place normalement, à leur heure précise, toutes les décisions particulières prises successivement par les C. G. T., unions régionales et locales, fédérations et syndicats, organes de consultation et de liaison de l’association de la base au faîte et du faîte à la base.

À ce moment, le syndiqué se trouve, en pleine communauté avec tous ses associés, en possession de toutes les décisions prises par eux. Il lui reste à agir suivant les principes et les décisions, à se diriger vers les buts indiqués en utilisant les moyens d’action indiqués, par ordre descendant, par les divers rouages de l’association.

Il dépendra alors complètement de lui, de son intelligence, de son courage, de sa compréhension, de son initiative, du sentiment qu’il aura de sa responsabilité, que le succès ou l’insuccès couronne ses efforts.

En définitive, l’associé seul agit, mais il agit en accord avec tous les autres associés avec lesquels il s’est préalablement uni et on peut déclarer que l’initiative et la responsabilité, qui sont les facteurs essentiels à la réalisation de toute œuvre, quelle qu’elle soit, lui appartiennent constamment, que c’est lui, avec ses associés et fédérés, qui exerce, dirige et exécute.

Mais, pour que le fédéralisme porte tous ses fruits, un tel système doit fonctionner sans à-coups, normalement et à plein rendement.

Pour cela, chaque associé, chaque groupement, doit accomplir intégralement sa tâche, toute sa tâche, mais rien que sa tache, sans empiéter sur celle du voisin d’à-côté, au-dessous ou au-dessus.

Toute négligence d’un associé, tout arrêt dans le fonctionnement d’un rouage, tout ralentissement ou tout rythme trop vif dans le fonctionnement d’un rouage risquent de rompre l’harmonie de l’ensemble.

Cette négligence, cet arrêt, ce ralentissement, ce rythme désordonné, auraient pour conséquence fatale de détraquer le système infiniment sensible qu’est ce fédéralisme.

L’insouciance des associés d’un syndicat, d’une union locale et régionale, leur désintéressement de la bonne marche de l’association, du respect des décisions prises auraient pour conséquence l’établissement, par voie de substitution, d’une sorte de dictature collective, qui pourrait fort bien, par la suite, se transformer pour les mêmes raisons, en dictature de clan — ou de parti — pour aboutir à une véritable dictature individuelle.

Donc, pour naturel qu’il soit, le fédéralisme est bien le système le plus difficile à appliquer, parce qu’il requiert, pour cela, l’activité constante de tous : individus et groupements.

Adversaire irréductible de la théorie du moindre effort, il nie l’utilité et surtout la possibilité d’existence des messies, des hommes-providence. Il n’attend de réalisations que de l’individu et de ses associés, et il affirme ne pouvoir rien obtenir que par eux.

Lui seul garantit la liberté dans le groupement et ne limite pas son expansion ; lui seul permet d’établir entre les individus, entre les groupements et les individus, entre les groupements entre eux, des rapports véritablement normaux.

Il apparaît comme le système de l’avenir très proche. L’humanité ne sera libérée que par son application, et la société de demain ne verra la suppression des classes, l’abolition du salariat, la disparition de l’inutile État, par le nivellement des classes, l’intégration de tous les individus dans la production, que par le fédéralisme, seul capable d’assurer à la fois, la liberté, de chacun et le bien-être de tous dans l’harmonie et l’égalité sociale réalisées. ‒ Pierre Besnard.


FÉDÉRATION n. f. (du latin fæderatio). Union de plusieurs États en un seul État collectif. Les États-Unis d’Amérique, la République helvétique, l’Union des Républiques socialistes soviétiques sont des fédérations. L’Empire germanique était également une fédération de petits royaumes. Dans une fédération d’États, chaque état fédéré conserve une certaine autonomie locale, mais la politique générale est conduite par le centre et, dans les mesures considérées d’intérêt commun, l’indépendance disparaît et chaque État est astreint à respecter les décisions prises par les dirigeants de la fédération. La fédération d’État n’a rien de commun avec ce que l’on entend par « fédéralisme ». Le fédéralisme d’État est ce qu’il convient d’appeler du fédéralisme centraliste et repose sur l’idée et l’esprit démocratiques. C’est en effet, une fédération d’État, un gouvernement unique, central et une diplomatie commune à tous les états fédérés. Si nous prenons en exemple les États-Unis ou la Russie, nous nous apercevons de suite que la politique de ces pays est générale et dirigée non pas par chaque état particulier, mais par le centre.

On donne aussi le nom de fédération à l’ensemble des groupes politiques ou corporatifs s’associant dans un but commun. Chaque organisation nationale a ses fédérations, et l’association de ces diverses fédérations s’appelle une confédération (voir ce mot).

Les fédérations d’industrie sont les organismes qui groupent les syndicats corporatifs de la même industrie. Les fédérations régionales sont composées par l’ensemble des syndicats d’industrie diverses de la, même région. Dans les différentes organisations politiques et sociales actuelles, la fédération est un organisme de centralisation, et fait organe d’office dirigeant. Ce n’est pas ainsi que les fédéralistes anarchistes comprennent la fédération. A leurs yeux, celle-ci ne doit être que le reflet des aspirations venant de la cellule, c’est-à-dire le groupe ou le syndicat, et ne doit servir qu’à relier entre elles les diverses organisations qui y adhèrent. La fédération ne peut être réellement fédéraliste que si elle n’a aucun pouvoir décisif et s’inspire toujours de la base. On trouvera au nom fédéralisme une démonstration plus complète de la fédération, telle que la conçoivent les anarchistes.

FÉDÉRATION (fête de la). Fête qui fut célébrée à Paris le 14 juillet 1790, premier anniversaire de la prise de la Bastille. Les délégués de 83 départements français formant une armée de 60.000 hommes s’y trouvèrent réunis. Cette fête se célébra sur le Champ-de-Mars et, devant toute cette foule, La Fayette prononça le serment de fidélité à la Constitution, auquel le roi souscrivit.


FÉMINISME (du latin femina, femme). Le féminisme est une doctrine ayant pour objet de faire admettre universellement, pour les femmes, des droits égaux à ceux des hommes dans la société humaine. Aucune doctrine n’est plus que celle-ci conformé à un élémentaire esprit d’équité. Cependant, elle a rencontré, et rencontre encore, nombre d’oppositions, dictées par la routine, le fanatisme religieux, ou plus simplement par l’intérêt. Dans beaucoup, de milieux qui se prétendent « avancés », c’est-à-dire ayant là prétention de précéder notablement leurs contemporains sur la voie du progrès, on fait beaucoup de réserves sur la question de l’égalité des sexes. La crainte de compétitions plus nombreuses autour des urnes électorales, et de surprises désagréables quant au résultat du scrutin, paraît être surtout en jeu. Cependant, on dissimule cette appréhension derrière des considérations philosophiques : On prétend que la femme est inférieure à l’homme, physiquement et intellectuellement ; qu’elle est dépourvue de sens administratif, et incapable de se diriger elle-même ; enfin, que son éducation sociale n’est pas faite. Examinons ce que valent ces arguments :

La femme est, en moyenne, de taille et de musculature plus faibles que l’homme, c’est exact. Mais ce qui est une condition rédhibitoire pour des travaux de force, tels le terrassement ou la forge, ne l’est nullement pour d’autres tâches aussi utiles, telles la couture, les soins ménagers, l’infirmerie, ou l’enseignement, pour ne citer que ces exemples. On pourrait même dire que, à notre époque où, de plus en plus, la puissance mécanique remplace avantageusement l’effort musculaire, la collaboration des bras solides est de celles qui offrent de moins en moins d’intérêt pour la production. Le manœuvre disparaît progressivement devant le technicien. Et ce qui fait le technicien, c’est le savoir et l’ingéniosité, non la rudesse de la poigne. Sauf pour ce qui est de la carrière militaire, on ne demande pas aux jeunes hommes qui sortent des grandes écoles un minimum de taille et de tour de biceps. On exige d’eux simplement une suffisante connaissance des matières du programme. Alors qu’un débile, doué, du sexe masculin, peut être reçu dans ces conditions, pourquoi la fragilité féminine, si souvent unie, d’ailleurs, à l’intelligence et à la beauté, serait-elle une infranchissable barrière ?

La plupart des grandes découvertes scientifiques, et des magistrales œuvres d’art, sont dues au sexe masculin. C’est exact encore. Mais leurs auteurs ne sont qu’une infime minorité dans l’espèce humaine. L’immense majorité est représentée par des ouvriers, des artisans, des comptables, aux professions à peu près équivalentes pour les deux sexes. Au manuel qui sollicite une carte syndicale, on ne réclame pas le brevet d’une invention. Au citoyen qui se présente à la mairie, pour avoir sa carte d’électeur, on ne demande ni un certificat médical d’aptitude, ni même la preuve qu’il sait lire. Pourquoi donc des travailleuses habiles, des institutrices, des doctoresses, des poétesses, des artistes de talent seraient-elles tenues à l’écart, alors qu’est reconnu digne de prendre part, à la gérance des affaires publiques, n’importe quel crétin illettré, pourvu que l’état-civil ait témoigné qu’à son bas-ventre était appendu le douteux ornement d’un pénis, alourdi de testicules ?

Pourquoi faut-il que le langage populaire ait fait de ces objets l’emblème du courage civique, dans le même temps que la discrète entrée des paradis charnels ne demeurait prise que pour emblème de la stupidité ?

Pour ce qui est de la thèse de l’incapacité des femmes à régir quoi que ce soit, et se suffire à elle-mêmes, l’expérience de la grande guerre en a fait bonne justice. Pendant que des millions d’hommes étaient mobilisés, des millions de femmes qui, pourtant, n’avaient, en très grande partie, fait aucun apprentissage sérieux de leurs nouvelles fonctions, étaient appelées à les remplacer à l’usine, au bureau, à l’atelier, aux champs, dans les hôpitaux, à la direction de quantité d’entreprises industrielles et commerciales. Or, elles surent fort bien s’adapter à ces exigences imprévues de la vie sociale. Ce qui éloigne surtout la femme de nombre d’activités, qui semblent devoir être éternellement l’apanage du sexe masculin, ce n’est ni la débilité mentale, ni la faiblesse physique, mais bien l’absorbant souci du ménage, et principalement de la maternité, qui a pour mission de perpétuer la vie, et devrait, dans une organisation bien construite être à elle seule suffisante pour conférer, au sein de la société, une place honorable et des égards.

C’est un lieu commun de prétendre que, dans la famille, l’épouse représente, par excellence, l’élément volage, dépensier, frivole. En vérité, ceci ne résiste pas à l’examen des faits. L’homme est aussi fréquemment que sa compagne joueur, débauché, égoïste, prodigue. Il est en revanche, d’ordinaire, beaucoup moins sobre. Ce qui ne doit point signifier que le sexe féminin puisse être pris pour modèle des vertus de l’espèce. La préoccupation de guerroyer pour le droit des plus faibles ne justifie ni l’injustice ni les contre-vérités !

Cependant, discuter sur le féminisme en recherchant qui, de l’homme ou de la femme, a le plus contribué à la prospérité humaine, c’est discuter à côté de la question. De deux choses l’une : Ou, pour être admis à défendre ses intérêts et se prononcer dans les assemblées publiques, on doit être en possession de brillantes facultés intellectuelles, et d’un minimum de savoir, et alors, seule, une élite d’hommes et.de femmes, instruits et capables, aura qualité pour s’occuper de l’organisation sociale, les autres citoyens des deux sexes n’auront qu’à obéir. Ou bien seront jugés dignes de défendre leurs droits et d’exprimer une opinion tous ceux qui participent, à un titre quelconque, à l’activité de la société, en tant que travailleurs manuels ou intellectuels, et alors tous ceux qui se rendent utiles, et sont de bonne volonté, doivent être également pris en considération par l’ensemble. Ce n’est plus le sexe, masculin ou féminin, qui doit compter, mais la qualité de travailleur. Ce n’est plus la forme des génitoires qui doit être retenue, en vue d’une sélection pour un emploi quelconque, mais l’aptitude physique ou intellectuelle à remplir convenablement cet emploi.

On prétend que l’éducation sociale de la femme est en retard. Mais est-elle bien sérieuse, celle du citoyen « conscient » qui ne possède, en fait de connaissances, d’autre bagage sociologique que la lecture de quelques brochures et de son journal préféré ? Les citoyens ne s’expriment-ils pas en conformité de leurs besoins personnels et immédiats, beaucoup plus qu’en raison de données historiques qu’ils ignorent, d’ailleurs, presque tous ? Et si le droit de prendre part aux décisions dans la collectivité c’est le droit, finalement, de faire valoir ses revendications et d’exposer ses doléances, comment pourrait-on admettre, contre toute évidence, que la femme, même si elle n’avait à s’exprimer qu’en tant que fille, épouse et mère, serait seule, dans le genre humain, à n’avoir rien à dire ?

Rien n’a fait plus de mal au féminisme, rationnellement compris, que cette sorte de masculinisme de fait, sinon de théorie, dans lequel se sont complu certaines militantes féministes, en s’efforçant de contrefaire les hommes presque dans la coupe de leurs vêtements, jusque dans leurs vices et leurs laideurs, Une telle attitude n’est pas en faveur du sexe féminin — que l’on semble répudier tout en se faisant son avocat — mais au contraire tout à la louange du sexe masculin — dont on paraît regretter de ne point faire partie tout en le décriant.

Les véritables féministes sont trop épris des qualités particulières et des charmes inhérents au sexe féminin, trop convaincus de leur importance considérable dans les destinées humaines, pour souhaiter leur disparition, en faveur de quelque type nouveau d’humanité ridicule et hybride. Prôner l’égalité des sexes, c’est reconnaître en eux des vertus complémentaires, également nécessaires au bonheur commun ; c’est vouloir les exalter, sans accorder aux unes plutôt qu’aux autres la prééminence. C’est, sans avilir l’homme, rétablir, au profit d’Aphrodite libérée, un culte disparu. ‒ Jean Marestan.

FÉMINISME. — Doctrine qui revendique l’émancipation sociale et politique des femmes. Il y a beaucoup de sortes de féminisme comme il y a bien des espèces de socialisme. Le féminisme peut être timoré et se borner à la revendication pour la femme des droits civils, excluant les droits politiques ; il peut être intégral et prétendre à l’égalité complète de la femme et de l’homme dans la société.

Le féminisme, comme le pacifisme et le socialisme, est très ancien. Dès l’aurore des civilisations, il s’est trouvé des femmes supérieures et aussi des hommes épris de justice pour s’élever contre l’esclavage dans lequel la moitié féminine de l’humanité était tenue ; mais on peut dire que le féminisme conçu comme un mouvement d’ensemble est de formation relativement récente, il est une conséquence de la démocratie.

Pendant la grande révolution française, le mouvement féministe a atteint de très fortes proportions. A côté des clubs masculins, il y avait des clubs de femmes, et ils couvraient toute la France. Ces réunions discutaient des questions de l’actualité politique, mais aussi des revendications spéciales aux femmes. A la déclaration des Droits de l’Homme, Olympe de Gouges opposa la déclaration des Droits de la Femme.

En 1830 et en 1848, nous voyons l’agitation révolutionnaire atteindre aussi les femmes. Elles se joignent aux hommes dans les émeutes de la rue ; mais elles tentent aussi de profiter du mouvement d’affranchissement populaire pour obtenir l’émancipation politique et sociale de leur sexe. En 1848, Jeanne Deroin imposa à l’attention de tous, les revendications du féminisme.

Durant la seconde moitié du dix-neuvième siècle, le féminisme prit les proportions d’un mouvement mondial, quoique à la vérité timide et en général assez peu actif.

Presque partout il a été un mouvement bourgeois ; en ce sens qu’il était dirigé et suivi par des bourgeoises. Cela s’explique fort bien. Seule la femme de la bourgeoisie était assez instruite et éclairée pour comprendre la situation inférieure dans laquelle était placé son sexe et vouloir la modifier. La masse des ouvrières et des paysannes, plongées dans l’ignorance, élevées dans les préjugés, subissaient sans murmure le millénaire esclavage dans lequel était tenu leur sexe.

Sans agitation violente, le féminisme obtint peu à peu des succès ; victoires au compte-gouttes si l’on peut ainsi dire. Les universités ouvrirent l’une après l’autre leurs portes aux jeunes filles. Tout d’abord très peu en profitèrent ; les mœurs étaient à cet égard en arrière des lois ; la bourgeoisie ne voyait pour, ses filles d’autre carrière que le mariage ; seules, quelques exceptions ; personnalités supérieures ou plus simplement filles de savants, de professeurs osaient s’asseoir à côté des jeunes gens sur les bancs des facultés.

La grande guerre a précipité la victoire du féminisme universitaire comme du féminisme en général.

La situation des classes moyennes devenue instable par la crise des changes ; le mariage rendu plus problématique par la grande hécatombe de jeunes hommes déterminèrent la bourgeoisie à donner à ses filles une profession libérale qui leur permît, au besoin, de vivre sans le secours d’un homme. Les jeunes filles envahirent les universités où elles étaient parfois durant les années de guerre plus nombreuses que les jeunes gens. L’étudiante longtemps mal tolérée, considérée par les professeurs et les collègues comme une originale, a obtenu aujourd’hui droit de cité ; le baccalauréat est devenu la sanction des études secondaires pour les deux sexes.

Depuis le milieu du dix-neuvième siècle, des États de l’Amérique avaient accordé aux femmes le vote politique ; mais le mouvement était lent.

L’Angleterre, où déjà Stuart Mill avait obtenu en faveur du vote des femmes une forte minorité à la Chambre des Communes réussit à donner au mouvement dit des « Suffragettes », une extension inconnue jusque-là à aucun mouvement féministe. Sans atteindre à l’émeute sanglante qu’elles repoussaient en principe, les féministes anglaises firent pendant une dizaine d’années une propagande des plus actives. Une suffragette sacrifia délibérément sa vie en se jetant sous un cheval du Derby d’Epsom, afin que sa mort serve à la cause du vote des femmes. C’est là une forme originale de propagande par le fait.

La guerre, qui mobilisa pour la première fois les hommes par millions força les États à recourir à la main-d’œuvre féminine. La ménagère déserta sa cuisine pour l’usine et l’atelier, où, pour la première fois, elle eut le plaisir de gagner de hauts salaires dont elle pouvait disposer à son gré, puisque les hommes étaient absents.

L’ouvrière commença alors à comprendre le plaisir de la vie indépendante, même lorsque cette indépendance est chèrement achetée par un long séjour à l’atelier.

Dans l’industrie, dans les emplois divers où on voulut bien l’accepter, les femmes montrèrent qu’elles étaient une force sérieuse de production. Bien des préventions anti-féministes tombèrent, et nombre de pays ont accordé aux femmes le droit de vote, et même l’éligibilité.

Aujourd’hui, les femmes votent, même en Turquie, le pays des harems, où il y a seulement quinze ans, les femmes ne pouvaient sortir que voilées.

La France, à cet égard, reste en arrière, ce qui prouve que nous sommes en réalité un pays très conservateur.

Les anarchistes, qui ne reconnaissent pas la valeur du suffrage universel, ne s’intéressent pas aux revendications politiques des femmes. Mais la société présente n’est pas l’anarchie, et il est naturel que les femmes éprises de justice et d’égalité, revendiquent le droit dans la société d’être ce que sont les hommes.

Si les Françaises n’ont pas eu de succès jusqu’ici sur le terrain politique, la guerre a marqué dans les mœurs un mouvement très net d’affranchissement féminin.

Les modes, tout en restant très féminines, se sont en partie affranchies de tout ce qui dans la mise entravait les mouvements de la femme. Plus de lourds chignons, mal retenus par des épingles ; plus de corsets baleinés qui comprimaient la taille ; plus de jupons empesés ; plus de longues robes incommodes.

Par le sport, la jeune fille a cessé de mettre sa coquetterie dans la faiblesse. Nombre de sports réputés masculins, sont pratiqués par des femmes ; elles forment des sociétés et briguent des championnats.

Enfin, la jeune fille, renonçant aux vieux préjugés, se détermine à vivre la vie sexuelle. La vieille fille éternellement vierge, n’existe plus guère aujourd’hui. Nombre de jeunes personnes, loin de mettre en le mariage tout l’espoir de leur existence, le repoussent, au contraire, comme un esclavage. Mais, à défaut de mari, elles prennent volontiers un ami et elles ont appris à éviter les charges de la maternité. ‒ Doctoresse Pelletier.


FENIAN n. m. (d’un vieux mot irlandais, fiami, qui servait à désigner une caste de guerriers). Les fenians étaient les membres d’une association révolutionnaire nationaliste, qui se forma secrètement, en 1861, et dont le but était d’arracher l’Irlande à la domination anglaise. Les fenians eurent leur époque héroïque. De 1865 à 1868, ils se signalèrent par des attentats contre les fonctionnaires du roi et la lutte, ouverte et franche, leur étant interdite, ils usèrent de l’action directe. Ils furent naturellement vaincus par des forces supérieures et leur association s’éteignit. Mais l’idée subsista ; elle fut reprise d’abord par la ligue des Invincibles, ensuite par la ligue agraire et, en dernier lieu, par les Sinnfeiners, qui luttent courageusement pour l’indépendance irlandaise.


FÉODALITÉ n. f. — I. Comme vivant sous le régime féodal, on classe assez souvent des peuplades comme Abyssins, Albanais, Druses, Kurdes, Rifains, etc. Dans l’antiquité, les anciens Gaulois, les anciens Germains, les Achéens (c’est-à-dire les Grecs avant Homère) avaient le même régime social. Le plus souvent, avec le temps, cette organisation disparaît, ou, tout au moins, ne persiste que dans quelques pays montagneux, dont la nature favorise l’indépendance des tribus, et, au point de vue économique, maintient la vie pastorale.

La féodalité primitive, que j’appellerai ainsi, pour l’opposer à la féodalité proprement dite, celle du moyen-âge européen, comporte la division de la peuplade en tribus ou clans (ou gentes, chez les latins primitifs) indépendants. Chaque clan ou tribu groupe des familles d’hommes libres sous l’autorité d’un chef héréditaire (pater latin, roi ou seigneur) ; et tous se considèrent comme descendants d’un même ancêtre, ont les mêmes emblèmes (ou totems).

Les tribus sont souvent en dispute et en guerre, les unes contre les autres. Il n’y a accord, dans la tribu, ou entre les tribus, que lorsqu’il s’agit d’organiser un coup de main pour aller piller une tribu voisine, ou pour faire une expédition en pays plus éloigné, ou bien lorsqu’il faut défendre la fédération contre un ennemi menaçant. Alors, la tribu, ou l’ensemble des tribus, choisit un chef d’expédition, un roi des rois, un chef de guerre (Agamemnon, Samson, Vercingétorix, Abd el Krim, etc…), dont l’autorité d’ailleurs est précaire et temporaire. C’est pourquoi quelques écrivains ont donné le nom de république à ces groupes sociaux.

Dans ces sociétés primitives, chaque seigneur, ou chef, ou pater latin, ou roi est indépendant. Ce hobereau est à la tête d’hommes libres, plus ou moins nombreux, parfois une douzaine, parfois quelques centaines, ou bien davantage. Mais la condition d’homme libre s’entend par rapport à la condition d’esclave, lesquels sont d’ailleurs très peu nombreux. Il n’y a pas de liberté véritable chez les primitifs. L’homme libre ne peut pas sortir de la tribu. Dans les temps les plus lointains, il est lié d’obéissance au totem, à la coutume, plus tard, à celui qui a accaparé la puissance du totem, c’est-à-dire au chef de la tribu.

La vassalité caractérise le régime féodal. Quand le royaume parvient à se constituer, les chefs de tribu deviennent les vassaux du chef de la fédération. Prérogatives et rapports sociaux sont héréditaires et fixés par la tradition.

Ce qui caractérise cette féodalité primitive, c’est encore le caractère familial des rapports sociaux. La hiérarchie est compensée par une certaine familiarité. Le seigneur est le protecteur de ses vassaux et de ses clients. Les mœurs appartiennent au régime patriarcal, qui n’est pas essentiellement idyllique, car il comporte tous les abus d’une autorité monopolisée par une seule famille et non contrôlée, et où la violence sans espoir est le seul recours contre l’injustice.

L’appropriation individuelle existe déjà. Les familles nobles sont les plus riches, c’est-à-dire qu’elles possèdent la plus grande partie des troupeaux. Les forêts, landes, friches, pâturages, continuent à rester indivis. Lorsque la culture apparaît chaque famille cultive ce qu’elle peut. Le seigneur s’approprie la plus grande partie des terres cultivables, que ses esclaves ou serfs, ou ses métayers, cultivent pour lui. Cette appropriation a toujours tendance à s’accentuer aux dépens des pauvres, qui passent à la condition de colons ou métayers, ou serfs.

II. — Féodalité proprement dite. — L’invasion des Barbares détruit le cadre administratif de l’empire romain. Il n’y a plus d’Etat. Tout le système fiscal, qui pesait si lourdement sur les populations, s’écroule. Chaque chef de clan s’établit sur la terre conquise, comme seigneur à peu près indépendant, sauf rapport de vassalité, souvent assez vague, avec le roi. Il a le droit de justice dans son domaine. S’il s’est établi dans une région où la vie commerciale est importante, il prend le droit de battre monnaie, qui, dans la suite des temps, est toujours une fausse monnaie (la monnaie du roi ne vaut pas mieux). Ses hommes s’installent comme seigneurs de moindre importance, ou comme francs alleutiers (propriétaires libres et indépendants).

L’établissement des Barbares n’est pas définitif immédiatement. Des bandes parcourent longtemps le pays en conquérants. Un des fils de Clovis, Thierry, fait deux expéditions en Auvergne, qui fait partie de ses États, pour donner à ses troupes l’occasion de piller. Les envahisseurs ne se fixent que lentement. En fait, l’organisation féodale ne se réalise qu’à l’époque carolingienne. À ce moment, si l’on cherchait les origines de l’aristocratie, on trouverait, parmi ses ancêtres, les conquérants de race étrangère, descendants des chefs de clan, et aussi les chanceux, les débrouillards, devenus serviteurs, truchements et compagnons des chefs barbares, et encore les gros propriétaires gallo-romains ayant pu traiter avec les envahisseurs (au moment de l’ « hospitalité », on partage des terres). Les simples hommes libres, d’origine germanique, les francs alleutiers du début ont disparu sous la pression des conditions sociales, trop faibles pour se protéger eux-mêmes dans les guerres et les compétitions incessantes.

Sous l’autorité des seigneurs, le peuple travaille et peine. La bourgeoisie est peu importante : quelques artisans et marchands dans les villes dépeuplées. Toute la vie économique est agricole. Or, déjà, sous le Bas Empire, la classe rurale moyenne avait complètement disparu. Sous la dépendance de très gros propriétaires, il n’y avait plus que des colons, asservis à la terre. La conquête barbare n’a pas beaucoup changé les conditions sociales. Ces colons sont devenus pour la plupart de véritables esclaves (servus ou serf veut dire en latin esclave), des serfs de la glèbe, véritables bêtes de somme, sans aucun droit, subissant le droit du bon plaisir, du plaisir sexuel (droit de cuissage, racheté plus tard), de tous les caprices d’un pouvoir absolu. Ce sont des esclaves, et c’est tout dire. Il est remarquable que l’Église chrétienne n’a fait aucun effort pour libérer les serfs. Elle est devenue féodale, et toute sa politique a tendu à accaparer des biens et des richesses. Elle s’est montrée souvent plus dure pour ses serfs que les seigneurs laïcs.

Aucun espoir pour le serf de se libérer. Il n’a pas le droit d’entrer en cléricature. Les couvents accueillent des vilains, des bourgeois, des nobles, mais pas des serfs ; ceux-ci appartiennent à leur seigneur. Les prêtres, même s’ils sont d’humble extraction, sont, eux aussi, de libre origine ; ils se recrutent parmi les enfants bien doués des vilains, des bourgeois surtout, parmi les cadets des familles nobles, et à ceux-ci sont réservées les grasses prébendes ; quelquefois un fils de serf (peut-être un bâtard), protégé par le maître et affranchi, sera, avec son consentement, instruit pour entrer dans les ordres.

Il y a certes souvent des maîtres passables, parfois de bons maîtres. Mais il faut se souvenir de la brutalité des mœurs de cette époque où comptent pour rien la souffrance et la vie humaines. Malgré le triomphe du christianisme, malgré la puissance de l’église, l’état de guerre est permanent. Ce qui le prouve, ce sont les châteaux-forts, ce sont les bourgs fortifiés, les églises fortifiées. Tout le monde se garde. Les seigneurs font métier de faire la guerre pour en tirer profit.

Plus tard, avec l’adoucissement des mœurs, cette guerre pourra devenir un sport ; il y aura des règles d’honneur et de courtoisie entre les chevaliers, mais pas vis-à-vis des gens du peuple. À ce moment, quand la vanité de paraître l’emporte sur la brutalité, ce sont les serfs et les vilains qui pâtissent des dépenses démesurées. Le domaine doit pourvoir aux dépenses du maître, et c’est aux dépens de l’entretien du travailleur. Le luxe avec une technique peu évoluée (donc à faible rendement) a pour conséquence la misère des producteurs (note de Christian Cornelissen).

La condition des serfs change au cours des temps. Taillable et corvéable à merci, à la merci du maître, le serf n’avait la propriété, ni la disposition de rien : ni de son pécule, ni, non plus, d’un bien, si minime fût-il, à laisser à ses enfants. Lui mort, le seigneur pouvait reprendre la vache qui aurait fait vivre les orphelins. Mais travail d’esclave n’est pas profitable. Peu à peu les maîtres se rendirent compte qu’ils avaient intérêt à laisser au travailleur une part de la production en toute propriété. Le serf devenait vilain, toujours attaché à la terre, mais libre de son pécule, maître du petit bien qu’il pouvait avoir ; il travaillait mieux et le seigneur y trouvait profit.

Car la servitude économique ne changeait guère. Le vilain a l’illusion de travailler pour lui, et il s’acharne à la peine. Mais il reste soumis à des redevances abusives, par exemple à toutes les obligations des banalités : obligation, moyennant payement d’une taxe, d’aller moudre son blé au moulin du seigneur, de se servir exclusivement du four banal, du pressoir banal, de la forge banale, etc. Il n’a pas le droit de vendre son vin avant que le seigneur ait vendu le sien, etc. Tout cela, sans compter les corvées, les taxes et les dîmes. L’avidité des maîtres, avidité qui croît avec les besoins et la vanité, les conduit à l’exploitation abusive des pauvres gens, d’autant plus facilement qu’ils ont droit de justice et qu’ils sont ainsi, à la fois, juges et partie.

Les paysans, malgré des révoltes sporadiques (jacqueries) restent sous la domination des seigneurs. Ils sont trop isolés et trop faibles pour s’affranchir. L’effort de libération est parti des villes. Par l’effet des besoins grandissant et aussi de l’ingéniosité des hommes, un essor économique avait développé les cités et fait prospérer les corporations d’artisans. L’effort de ces corporations contre l’oppression féodale, qui s’est appelé le mouvement des Communes, a commencé au xe siècle. Les chartes de franchise s’étendirent au cours du xie et du xiie siècle ; elles sont générales aux xiiie. La bourgeoisie est née. Les bourgeois ont la libre disposition de leur personne ; la charte leur permet de fixer l’impôt, elle les met à l’abri du caprice éhonté du suzerain (seigneur ou abbé) dans l’établissement des taxes et redevances. On a dit que le pouvoir royal a favorisé le mouvement communal. C’est faux. Il s’y est opposé de toutes ses forces sur son propre domaine. Plus tard, il s’en servit pour saper le régime féodal.

S’il y eut une civilisation féodale, cette civilisation, qui eut en France son plein épanouissement au xiiie siècle, coïncida avec l’effort d’affranchissement du peuple. C’est le peuple qui construit les cathédrales, c’est grâce à la bourgeoisie naissante que se fondent et se développent les universités, que fleurissent les arts et les travaux de l’esprit. Les progrès spirituels amènent l’adoucissement des mœurs. Tant que la féodalité a été souveraine maîtresse, elle n’a rien produit.

Le roi, c’est-à-dire le plus puissant seigneur féodal qui arrive à imposer sa suzeraineté à ses rivaux, finit à la longue par évincer les autres seigneurs féodaux. Il y est aidé par l’effort de la bourgeoisie. La féodalité disparaît ainsi peu à peu. En France, elle se perd insensiblement à l’avènement du xvie siècle. L’administration, la fiscalité, la justice passent aux mains du pouvoir royal. Mais les coutumes et les servitudes (banalités, dîmes, etc.) persistent jusqu’à la Révolution. L’affranchissement des paysans ne date que de 1789, et, à cette date encore, il y avait des serfs de mainmorte sur les domaines de l’abbaye de Saint-Claude. C’est l’église qui a maintenu l’esclavage le plus longtemps.

Pour conclure, on peut dire que ce qui caractérise la féodalité, c’est que les seigneurs possédaient, à titre héréditaire, tous les pouvoirs administratifs, judiciaires, et, bien entendu, fiscaux. Il a fallu des siècles avant que le peuple prît conscience de cette iniquité : l’héritage donnant des droits sur autrui. Et pourtant, aujourd’hui existe une nouvelle féodalité capitaliste, en ce sens qu’elle détient par droit héréditaire, elle aussi, tout le pouvoir économique. — M. Pierrot.