Encyclopédie anarchiste/Explicitement - Extradition

Collectif
Texte établi par Sébastien Faure, sous la direction de, La Librairie internationale (tome 2p. 734-740).


EXPLICITEMENT adv. De façon précise ; de manière explicite ; en termes clairs et formels. Poser explicitement une question. Le mot explicitement est le contraire de implicitement. Dans un discours, dans un exposé, surtout lorsqu’on s’adresse à un public de culture rudimentaire, il est indispensable, si l’on désire être compris, de développer explicitement les idées que l’on propage. Le peuple, peu habitué aux subtilités du langage, ne comprend pas toujours les clauses, les conséquences, qui découlent implicitement d’une formule ou d’une proposition ; il faut donc, lorsqu’on s’adresse à lui, exposer ses idées et ses opinions de manière explicite et en termes qui ne permettent aucune confusion.

C’est en énonçant explicitement nos désirs, nos aspirations et nos espérances parmi la classe ouvrière, en lui démontrant de façon lumineuse les vices d’une société injuste et cruelle, que l’on arrivera à éveiller son esprit, obscurci par des siècles et des siècles de servage.


EXPLOIT n. m. On se sert de ce mot pour signaler une action éclatante, un fait remarquable de caractère militaire. Il s’est, hélas, de tout temps, et dès la plus lointaine antiquité, trouvé des poètes pour chanter les exploits d’hommes semant sur leur passage la misère et la mort. Notre siècle ne fait pas exception à la règle et, malgré sa prétendue civilisation, il chante les exploits des poilus de la « grande guerre du Droit », comme se chantèrent, il y a plus d’un siècle, les victoires napoléoniennes. De tels exploits conduisent l’humanité à sa ruine. Quel que soit le courage des hommes qui accomplissent des exploits guerriers, les conséquences de leur action sont néfastes et ce courage inutilement dépensé, pourrait l’être plus avantageusement à des œuvres de vie, alors qu’il ne l’est qu’à des œuvres de mort.

Malheureusement, dès son enfance, l’homme, et plus particulièrement l’homme du peuple, soumis à l’éducation de la classe bourgeoise, entend à l’école glorifier les exploits des guerriers de son pays, et il est difficile par la suite d’effacer en son esprit les traces d’une admiration inconsciente pour tout ce qui est militaire. C’est à nous, qui avons compris, d’empêcher nos petits de se laisser corrompre, et de leur démontrer que les exploits militaires ne sont que des crimes provoqués par une classe intéressée, qui spécule sur la naïveté, l’ignorance et la lâcheté humaines.


EXPLOITATION Action par laquelle on utilise les capacités des personnes ou les ressources des choses, pour en tirer profit. Ce mot sert aussi à désigner le lieu où s’accomplissent les travaux, lorsqu’il s’agit d’arracher au sol ses richesses. L’exploitation d’une forêt consiste en la coupe des bois, pour les besoins immédiats ou pour la vente. Mais le chantier où se débitent les arbres, et s’apprêtent les expéditions, pourra être nommé aussi : l’exploitation.

Tant qu’il s’agit seulement de prendre dans la nature, pour le plus grand bien de la collectivité humaine, les métaux précieux, le charbon, et les multiples produits nécessaires à l’industrie, une exploitation n’est condamnable que lorsqu’elle aboutit au vandalisme, c’est-à-dire lorsqu’elle détruit, sans absolue nécessité, des merveilles naturelles, ou tarit, par ses stupides excès, d’abondantes sources de revenus.

Ce qui est particulièrement condamnable, et devrait disparaître de la civilisation, c’est l’exploitation de l’homme par l’homme.

Elle s’est exercée, tout d’abord, durant l’antiquité, et presque jusqu’à nos jours, par le moyen de l’esclavage, qui consistait à réduire en captivité des populations vaincues, et à les faire travailler pour le compte des vainqueurs. Les esclaves appartenaient au maître comme des animaux domestiques. Il pouvait disposer d’eux selon son agrément, les châtier suivant son caprice, et n’avait à pourvoir en échange qu’à leur entretien. Puis fut instauré, au moyen âge, le servage, offrant quelques maigres garanties de sécurité aux opprimés. Avec ce régime, les paysans avaient faculté de faire fructifier pour eux-mêmes la terre appartenant au seigneur. Mais c’était à condition de lui verser, en échange, de lourdes redevances. De plus, ils étaient attachés au sol qu’ils cultivaient, et pouvaient être vendus avec lui. Le servage ne disparut totalement en France qu’avec la Révolution de 1789. Il ne fut aboli en Russie qu’en 1865 ! On en retrouve les vestiges dans cette coutume, qu’ont encore aujourd’hui les États, de céder, acquérir ou échanger des territoires, sans tenir compte de la volonté des populations qui les occupent.

Avec le salariat, qui est la forme moderne de l’exploitation de l’homme par l’homme, le travailleur pauvre n’a pas l’avantage de la pitance assurée qu’avaient autrefois les esclaves. Il est libre, en revanche, de changer d’emploi, de voyager, de s’établir, d’accepter ou de refuser un travail, de disposer de sa personne et de son temps, dans la mesure où ses économies le lui permettent. Cependant, il ne gagne de quoi satisfaire aux exigences de la vie qu’autant que la noblesse d’argent, qui a succédé à la noblesse d’épée et détient presque tout, a besoin de ses services. Lorsque son travail n’est pas nécessaire, lorsqu’il peut être remplacé par celui d’un animal ou d’une machine, on le congédie sans souci de savoir ce qu’il deviendra. Encore le produit de son travail ne lui est-il point payé à sa juste valeur, c’est-à-dire selon le prix de vente au consommateur, abstraction faite de quelques frais généraux. Pour son bénéfice personnel, l’employeur perçoit une plus-value, c’est-à-dire qu’il opère une majoration de prix, souvent scandaleuse, sous prétexte de dédommagement de ses risques financiers, majoration que vient aggraver la série des intermédiaires du grand et du petit commerce. De telle sorte que, lorsque les produits du travail utile reviennent sous forme d’objets de consommation à la masse de ceux qui ont peiné pour les fournir aux entreprises patronales, c’est à des tarifs tels qu’ils ne peuvent les racheter qu’en partie, abandonnant le reste à la puissance d’achat des parasites — ou tout au moins des trafiquants en surnombre — enrichis de leurs dépouilles.

La disparition définitive de l’exploitation de l’homme par l’homme suppose deux conditions primordiales : la première, c’est que l’ensemble des moyens de production : champs, usines, ateliers, mines, carrières, etc., cessant d’être la propriété d’une minorité, fasse retour à la collectivité tout entière ; la seconde, c’est que les produits du travail livrés à la consommation le soient sans qu’il y ait eu possibilité pour la spéculation de s’exercer, c’est-à-dire sans que personne ait eu la faculté, par une opération quelconque, d’en majorer les prix de revient, sauf pour ce qui concerne d’inévitables frais généraux, réduits au strict minimum par le contrôle commun.

Il est à remarquer que, ces conditions réalisées, l’exploitation de l’homme par l’homme pourrait s’exercer encore, si des dispositions importantes dans la loi, ou mieux, dans les mœurs, n’intervenaient pour en compléter l’efficacité.

Avec le collectivisme d’État, qui serait une généralisation du fonctionnarisme, l’exploitation de la classe ouvrière pourrait être représentée par une bureaucratie exagérément nombreuse, que les producteurs de l’industrie et des champs seraient obligés d’entretenir dans une demi-fainéantise, et sous le poids de laquelle ils pourraient bien, une fois de plus, être accablés.

Avec le communisme libertaire le plus large, et une paperasserie réduite à sa plus simple expression, l’exploitation de l’homme par l’homme aurait licence de s’exercer encore, partout où des citoyens, consommant sans mesure et ne produisant qu’avec parcimonie, obligeraient, par cela même, leurs camarades, soit à diminuer leur consommation personnelle, soit à se charger de tâches supplémentaires pour que reste assuré le bien-être commun, ce qui, même après la disparition de tout numéraire, demeureraient, quant au fond, en rapport avec ce qui se passe aujourd’hui.

Pour prévenir ces abus, il est indispensable que soit développée, par l’éducation, une conscience morale, basée sur le sentiment de la responsabilité individuelle, et le respect du bien social. Tant qu’une telle discipline, librement consentie par tous les humains, n’assurera pas sans contrainte l’harmonie de la société ; il se produira inévitablement, contre les excès individuels, des réactions plus ou moins brutales de la part de ceux qui en seront les victimes. Sous une forme quelconque, législative ou insurrectionnelle, la force, mise au service de la règle nécessaire, deviendra une fois de plus la dure mais suprême ressource de la sauvegarde publique. — Jean Marestan.

EXPLOITATION. — Système odieux par lequel, avec l’appui de l’État, les possédants obtiennent de ceux qui ne possèdent pas le maximum de production pour le minimum de salaire. Tout le système économique bourgeois de la Société actuelle a pour moteur le travail des salariés, producteur de la richesse sociale dont profitent les capitalistes.

Capital et Travail, l’un dominant l’autre, aboutissent à créer deux classes bien distinctes et de plus en plus antagoniques.

Il n’y a pas de conciliation possible qui ne soit une duperie nouvelle dont les exploités sont toujours les victimes. L’exploitation ne peut cesser que par une transformation sociale opérée par les exploités en révolte, s’émancipant soudain et organisant eux-mêmes la production en s’associant pour le travail, seule valeur sociale en société libre ! — G. Yvetot.


EXPLOITEUR n. m. (de : exploiter, verbe actif, du latin populaire : explicitare, mettre en œuvre, en valeur). Tel est le sens qu’avait exclusivement ce verbe ; il l’a conservé, d’ailleurs, bien qu’à côté de ce sens exact il ait pris, à l’usage, un sens péjoratif.

Généralement, quand il a pour complément direct un objet inerte, comme un terrain, une mine, un outillage, exploiter signifie simplement mettre en valeur. Quand le complément direct est humain, individu ou collectivité, le mot exploiter prend un sens péjoratif et signifie exploiter parasitairement.

De même, et toujours conformément à l’usage, quand on dit de quelqu’un qu’il est l’exploitant de ceci ou de cela, ce mot garde un sens bénin, tandis que le mot exploiteur a toujours un sens malin.

C’est en prenant le mot dans son sens le plus défavorable, le plus honni, que nous nous sommes posé cette question : qu’est-ce qu’un exploiteur ?

Et nous avons trouvé cette réponse :

C’est l’homme qui tire profit du travail d’un autre homme au préjudice de celui-ci.

On peut aussi formuler ainsi la réponse :

C’est l’homme qui profite abusivement du travail d’un autre homme.

Nous avons souligné au préjudice et abusivement, car on peut profiter légitimement du travail d’un autre homme.

Enfin, n’oublions pas que le mot travail, dans chacune des deux réponses, peut être remplacé par bien d’autres mots comme, par exemple, ignorance, sottise, enfin tout ce qui place un des deux contractants en état d’infériorité.

Mais, pour que dans le profit tiré du travail d’un autre il y ait exploitation, encore faut-il qu’il y ait abus, duperie ou préjudice.

Exemple : dix sauvages habitent une caverne. Ils se protègent, la nuit, en roulant à l’entrée de leur caverne une pierre fort lourde.

Aucun de ces dix hommes n’étant assez fort pour rouler la pierre, chacun a besoin, pour être protégé, du concours des neuf autres. Donc, quand chacun, la nuit venue, repose en sécurité, il tire profit du travail de ses neuf compagnons.

Et cette coopération est indiscutablement légitime.

Si, parmi ces dix, se trouve un vieillard ou un infirme, il jouira encore légitimement de l’effort des neuf autres car, vieillard, il a devancé les autres dans cet effort ou d’autres quelconques, et ses camarades ont profité de ses expériences.

Il a payé antérieurement.

Infirme ? Il est probable que son infirmité a pour cause son effort dont ses camarades ont profité.

Donc, jusqu’ici, nous n’avons dans ces dix hommes que des profiteurs légitimes de l’effort des autres, du travail des autres, des expériences des autres.

Et c’est bien.

Mais voilà que, de ces dix, un compagnon plus robuste, plus fort, exerce sur ses camarades une autorité telle qu’il refuse de contribuer à l’effort dont, pourtant, il goûte ce fruit : la sécurité.

Celui-ci est un exploiteur parce que, dans sa façon de jouir de l’effort des autres, il y a abus et préjudice.

En voici un autre qui, lui aussi, veut jouir sans produire ; mais il n’a ni la force ni le courage de contraindre ses compagnons ; il recourt à la ruse, feint la faiblesse, la maladie, la blessure ou simplement la maladresse.

Celui-là aussi est un exploiteur.

Mais, en voici un troisième qui, lui aussi, veut jouir sans faire d’apport. Il est robuste, mais il ne veut pas dominer parce que, dominer, c’est faire un effort. Il ne veut même pas ruser : ce serait encore un effort.

Il ne veut rien faire.

Il sait que les autres, ayant la volonté de dormir en paix, rouleront la pierre, quoique devenue plus lourde du fait des trois parasites. La volonté et la bonne volonté des sept autres garantissent à ce saligaud la sécurité gratuite.

Il s’est fait une arme de son inertie.

Ce troisième exploiteur est plus répugnant que les deux autres.

Les temps ont changé. Il n’y a plus de caverne, plus de pierre à rouler, plus d’ours à redouter. Tout cela est remplacé par l’usine, le tribunal, la gent d’armes, en un mot : la société… Mais les trois types d’exploiteurs demeurent ; nous les retrouvons partout à l’état pur ou combiné.

Le régime patronal est la première ou la seconde forme d’exploitation (force ou ruse) et quelquefois les deux combinées. On peut en dire autant de l’État.

Quant à la troisième variété d’exploiteur : l’inerte, elle se retrouve dans toutes les classes sociales : le moindre effortiste pourrit à tous les échelons.

Celui qui, parce qu’il a hérité de ses ascendants une fortune, ne produit pas et vit de la production des autres, celui-là est un exploiteur.

Parmi ceux qu’il exploite, il y a des équipes de travailleurs dont le salaire individuel est basé sur la production commune. L’ouvrier qui, comptant sur l’effort de ses camarades, réduit son propre effort au minimum, sachant que l’effort des autres lui assure son salaire, celui-là est aussi un exploiteur, mais plus odieux que le précédent.

Certes, les représentants des classes dominantes sont des exploiteurs, mais, outre ces exploiteurs d’en haut, il y a les exploiteurs d’en bas.

Passons sous silence l’exploitation de l’apprenti et de la ménagère par l’ouvrier.

Mais voici un autre cas : dans la même fabrique de chaussures, deux ouvriers du même âge ont débuté en même temps. L’un s’est contenté de faire ses quarante-huit heures par semaine ; il a pris son apéritif, son tabac et des distractions. Il vit au jour le jour sans souci du lendemain.

Et il a parfaitement raison. Personne n’a le droit de lui reprocher de prendre de la vie tout ce qu’il peut. Il ne nuit à personne.

Mais, depuis dix ans que ces deux ouvriers travaillent côte à côte, l’autre, qui ne fume pas, qui ne va pas au café, consacre deux heures par jour à réparer à son compte les chaussures des voisins. Grâce à cet effort, il a pu louer une boutique, acheter un outillage, quitter l’usine, et il fait maintenant de la chaussure sur mesures.

Ses affaires prospèrent ; la demande devient si pressante qu’il ne peut plus y suffire seul. Il propose à son ancien camarade de venir travailler avec lui et ils établissent ainsi son salaire : déduction faite des frais généraux et de la matière première, l’affaire laisse un bénéfice hebdomadaire X, la moitié est allouée au camarade.

Les voici tous deux gagnant plus qu’à l’usine et chacun profitant du travail de l’autre.

Celui qui a conçu et réalisé l’affaire, qui assume la responsabilité de sa bonne marche, va pouvoir consacrer plus de temps à son administration. Il est devenu « patron ».

Or, non seulement ce patron n’est pas un exploiteur, mais il est exploité par l’autre, qui reçoit aujourd’hui un meilleur salaire grâce aux dix années de préparation de celui-ci.

Pour que celui qui n’a pas fourni cet effort ne soit pas l’exploiteur de son camarade devenu patron, il faudrait qu’il fit à l’entreprise, et cela sous une forme quelconque, un apport, équivalent à celui de l’autre,

Ceci nous amène à dire que pour qu’il y ait exploitation, toujours au sens péjoratif, il faut qu’il y ait abus, contrainte, surprise ou préjudice.

Et encore : que ce n’est pas la situation sociale d’un individu qui le fait exploiteur, mais son tempérament. On naît exploiteur et on le demeure, que l’on soit salariant ou salarié.

Le tempérament de l’individu se transforme par l’éducation, non par la situation sociale, celle-ci ne jouant qu’en tant que facteur d’éducation.

Croire que l’initiateur de production qui rassemble de la main-d’œuvre librement contractante est, de ce seul fait, un exploiteur, c’est commettre une erreur préjudiciable à toute grande entreprise et au mieux-être.

Si un cordonnier indépendant gagne quarante francs par jour, deux cordonniers associés gagneront chacun cinquante ou soixante francs pour une somme égale de travail.

Il y aura donc mieux-être.

D’autres métiers exigent un effort collectif : un seul homme peut faire beaucoup de chaussures, mais il faut plusieurs hommes pour faire une seule locomotive, un seul navire.

Il convient donc de distinguer entre exploiteur et initiateur ou réalisateur. — Raoul Odin.


EXPLOSIF n. m. Corps susceptible de faire explosion. D’après l’expérience courante, un explosif est un corps capable de réaliser, par sa décomposition, un violent déplacement de matériaux ; cet effet résulte d’une augmentation considérable du volume de l’explosif qui, pendant sa décomposition, passe brusquement de l’état solide ou liquide à l’état gazeux, en exerçant une forte pression sur les matériaux à déplacer.

De tels corps, capables d’une décomposition brusque, sont naturellement dans un équilibre moléculaire très instable, tandis que leur destruction violente donne naissance à des corps qui sont dans un équilibre moléculaire très stable. Or, d’après les principes de thermochimie, un tel changement d’équilibre s’accompagne d’un grand dégagement de chaleur qui, portant à une haute température les gaz produits, augmente énormément leur pression et, par suite, la puissance de l’explosif. Nous retrouvons ainsi, en partant de notions de sens commun, la définition classique des explosifs donnée par Sarrau :

« On appelle explosif tout corps capable de se transformer rapidement en gaz à haute température. »

Il y a deux classes d’explosifs : les explosifs de chargement et les explosifs de détonation ou d’amorçage… Il n’y a d’ailleurs pas de différence essentielle entre ces deux catégories, et tel explosif, comme le coton-poudre par exemple, se classe dans l’une ou dans l’autre catégorie, suivant la forme physique qui lui est donnée.

Quelle que soit la stabilité relative des explosifs de chargement, quelle que soit la sécurité habituelle de leur emploi, on ne doit jamais oublier, en les manipulant, qu’un explosif, par sa définition même, est un corps en équilibre instable et dont la moindre imprudence peut provoquer la décomposition. » (Paul Vérola : Chimie et fabrication des explosifs, A. Colin 1922). »

Les explosifs doivent présenter les qualités de stabilité suivantes :

1° Ne pas détoner entre bois et fer sous un choc inférieur à 2 kilogr. par centimètre carré.

2° Ne pas détoner par décomposition spontanée par suite de l’excès de l’un des réactifs ou d’une impureté de l’un de ceux-ci.

3° Résister pendant dix minutes au moins à une température de 700°.

Les matières premières utilisées dans la fabrication des explosifs peuvent être classées de la façon suivante :

Matières combustibles : charbon, soufre.

Sels oxygénés : Nitrate de potasse ou salpêtre, de soude, d’ammoniaque, de baryte, chlorate de potasse, fulminates, picrates.

Pyroxyles et matières organiques nitrées : Fulmicoton, fulmipaille, fulmison, fulmibois, nitroglycérine (C³H² [Az O³ H]³), nitrosaccharose, nitromannite.

Jusque vers la fin du dernier siècle, il n’existait qu’un explosif : la poudre noire, et sa fabrication, améliorée au cours des âges, avait acquis une perfection telle que cet explosif s’adaptait à tous les besoins.

Aujourd’hui, ces poudres ne présentent qu’un intérêt très relatif pour les besoins de la guerre, mais elles servent encore pour les armes de chasse. D’ailleurs, elles présentent un certain nombre d’avantages : prix de revient minime, fabrication facile et peu dangereuse, étant donné leur insensibilité partielle aux flottements et aux chocs, stabilité considérable et conservation commode ne nécessitant que l’abri de l’humidité.

Voici quelques formules :

Poudre grise ordinaire : Salpêtre 74, 84. Charbon 13, 32. Soufre 11, 84.

Salpètre 78, 99. Charbon 11, 17. Soufre 9, 84.

Poudre de guerre : Canon = Salpêtre 75. Soufre 12,5. Charbon 12.5. Fusil = Salpêtre 74. Soufre 10, 5. Charbon 15, 5.

Poudre de chasse : Salpêtre 78. Soufre 10. Charbon 12.

Poudre de mine : Salpêtre 65. Soufre 20. Charbon 15.

Poudre allemande de 1883 : Salpêtre 76. Soufre 9. Charbon 15.

Poudre russe d’Ochta : Azotate de potasse 75. Soufre 10. Charbon 15.

Poudre de la marine italienne, dite H/57 : Salpêtre 77. Charbon 20. Soufre 3.

Poudre Pebble : Salpêtre 76.50. Soufre 10, 25. Charbon 13, 25.

On a proposé un grand nombre de modifications de la poudre grise ordinaire. Une des plus importantes est sans contredit la « poudre chocolat », poudre brune « brown powder », ou « cocoa powder » ; inventée en Allemagne en 1882.

Sa composition est la suivante : Azotate de potasse 79. Soufre 3. Charbon 18. A la même poudre se rattache la poudre sans fumée C. S. ou « Chilworth special powder ». Elle est formée de : Azotate de potasse 42. Azotate d’ammoniaque 38. Charbon rouge 20.

Poudre de Schwartz : Azotate de Potasse 48,6. Azotate de soude 26,5. Soufre 9,2. Charbon 15,7.

Poudre de Freiberg : Azotate de soude 64. Soufre 18. Charbon 18.

Poudre amide ou Gabe : Azotate de potasse 101. Azotate d’ammoniaque 80. Charbon de bois 40.

Poudre S. A. 152 : Azotate de potasse 62. Azotate d’ammoniaque 11. Charbon 24,3. Soufre 1,3. Résine 1,3.

Poudre Wynant : Azotate de Baryte 77. Azotate de potasse 2. Charbon de bois 21.

Poudre Küp : Azotate de baryte 80. Soufre 10. Charbon 10.

Xantine : Azotate de potasse 68,5. Xantate de potasse 27,4. Charbon de bois 4,1.

Poudres chloratées

D’une puissance beaucoup plus considérable que les poudres ordinaires, elles ont des effets trop brisants. Un choc ou un frottement suffisent à provoquer leur explosion :

Poudre Cossigny : Chlorate de potasse 75. Soufre 12, 5. Charbon 12.5.

Poudre de Kohler : Chlorate de potasse 70. Soufre 20. Charbon 10.

Poudre Mundel : Chlorate de potasse 63,5. Soufre 31.5. Noir animal 1. Poudre de chasse ord. 4.

Poudre Hahn : Chlorate de potasse 36.7. Sulfure d’antimoine 169. Charbon 18. Spermaceti 46.

Rackarock : Chlorate de potasse 87,5, 63,4, 89,3, 23,5. Huile de naphte 12,5, 8,3. Nitrobenzine 8,3, 76,5. Térébenthine 10,7.

Poudre Gallica : Chlorate de potasse 75. Noix de galle pulvérisée 25.

Poudre Maréchal : Chlorate de potasse 84. Acide stéarique 16.

Poudre Monnier : Chlorate de potasse 71. Sucre 16. Charbon 6. Goudron de houille 7.

Bellfords powder : Charbon en poudre 19,5. Salpêtre 68. Soufre 12,5.

Poudre blanche anglaise : Chlorate de potassium 50. Ferrocyanure de potassium 25. Sucre raffiné 25.

Poudre de Pohl : Chlorate de potasse 49. Ferrocyanure de potassium 28. Sucre de canne 23.

Poudre de Feutons : Chlorate de potassium 16. Ferrocyanure de potassium 4. Sucre 4.

Il y a encore une quantité considérable de poudres. On trouve dans le commerce des ouvrages très documentés. Si l’on en croit certains auteurs, les révolutionnaires ont la curiosité de savoir et la composition et l’emploi des explosifs ; ils trouveront des ouvrages de vulgarisation dans les livres du Génie militaire et de l’Artillerie. — A. Lapeyre.


EXPORTATION n. f. (du latin exportatio, même signification ; de ex, hors, et portare, porter). Le mot exportation est un terme commercial qui signifie : transporter et vendre à l’étranger des produits du sol ou des marchandises de l’industrie. Nous avons démontré par ailleurs qu’aucune nation du monde ne pouvait vivre sans le concours de ses voisines proches ou éloignées, la fertilité du sol ou la production industrielle étant conditionnées à une quantité de facteurs, tels que le climat, la situation géographique, ethnographique, etc. Le régime économique du monde repose donc sur l’importation, dont la contrepartie est nécessairement l’exportation. Il serait pourtant puéril de croire que seuls les besoins matériels d’une population jouent dans les importations et les exportations d’un pays ; les intérêts commerciaux, la plupart du temps contraires aux besoins des consommateurs, figurent comme un des facteurs principaux en ce qui concerne l’exportation des produits bruts ou manufacturés d’une nation. Nous savons qu’en ce qui concerne les importations, de nombreux pays, où ne s’exerce pas encore le libre-échangisme, les produits étrangers sont frappés à l’entrée de droits de douane prohibitifs, afin de permettre au capitalisme national d’écouler à un prix élevé ses propres produits. Nous avons traité de cette question au mot « douane » et démontré que le régime du protectionnisme ne pouvait que profiter aux exploiteurs de la misère humaine. Urbain Gohier, dans une étude déjà vieille, puisqu’elle date de 1906, intitulée « Le nouveau pacte de famine », nous éclairait lumineusement sur les désirs intéressés des protectionnistes : « Envisageons, disait-il, un groupe de cent une personnes : cent ouvriers, et le patron, individuel ou collectif.

« Le patron dit aux ouvriers : « A cause de la concurrence étrangère, je serai contraint de diminuer vos salaires, si nous ne sommes pas protégés ; car je ne fais plus que 300.000 francs de bénéfice net par an. Donc, puisque vous êtes citoyens électeurs, exigez de vos élus des lois de protection. » Les ouvriers n’hésitent pas : ils ne savent pas en quoi consistera la chose ; ou bien ils croient qu’elle aboutira seulement à la prohibition du produit étranger, à l’obligation, pour tous les consommateurs, d’acheter l’objet qu’ils fabriquent. C’est si bon de se savoir « protégés » quand on est faible et, d’ailleurs, sans application pour étudier, sans intelligence pour comprendre, sans courage pour se défendre soi-même ! Être défendu, n’importe comment, par l’État-providence, par l’État-Dieu, au moyen d’une loi mystérieuse, d’un grimoire enchanté : quel rêve !

Les cent ouvriers sont protectionnistes du coup ; ils élisent un protectionniste forcené, tantôt borné comme eux, tantôt prêt à tous les métiers pourvu qu’ils l’apportent, tantôt simple compère du patron. Les tarifs sont votés. Grâce à l’augmentation de 140 à 180 pour 100 des taxes, le patron relève ses prix ; au lieu de gagner 300.000 francs net, il place à la fin de l’année 400.000 francs ; il a bénéficié de 100.000 francs.

« Mais les ouvriers ? On n’a pas diminué leur salaire, puisqu’on le leur avait promis ; on ne l’a pas augmenté non plus. Seulement, par le jeu de tout le système, leur vie est devenus plus difficile ; leurs vêtements ou leurs aliments leur coûtent plus cher ; avec la même somme, ils se trouvent dans une détresse plus profonde.

« Toutes les marchandises qu’ils consomment sont « protégées », c’est-à-dire qu’elles coûtent plus cher. Une seule reste au même prix : celle qu’ils vendent leur travail. Ne recevant pas un sou de plus et dépensant beaucoup davantage, ils subissent indirectement une diminution de salaire. Leur salaire nominal n’a pas changé, mais il a perdu beaucoup de sa valeur utile. » (Urbain Gohier, La Révolution vient-elle ? « Le nouveau pacte de famine », Paris, 1906.)

Nous voyons, par ce qui précède que, si l’exportation est généralement libre, elle est entravée par les droits d’entrée, qui frappent les marchandises à leur introduction dans un pays étranger, et que c’est le consommateur, en grande partie le travailleur, qui en souffre.

« Pendant de longs siècles, dit le Larousse, les États frappèrent les marchandises de droits très élevés, non seulement à l’entrée, mais aussi à la sortie ; il fallait, croyait-on, entraver l’exportation des produits, et particulièrement du blé, pour éviter des famines ou empêcher le pays de s’appauvrir. En France, les droits à l’exportation furent supprimés en 1860. »

Si les droits à l’exportation ont été supprimés, non seulement en France, mais dans presque toutes les nations du monde — exception faite pour certains pays de l’Amérique du Sud qui poursuivent cette politique économique — ce n’est pas que les grands producteurs ou les gros industriels aient considéré le problème sous son angle social et pensé que la famine ou l’appauvrissement de leur pays n’était plus à craindre. Comme toujours lorsqu’il s’agit du commerce, ils ne furent animés que par un bas intérêt particulier. Il est indéniable que les droits à l’importation entravent la liberté du consommateur, en haussant les prix, des produits nationaux. Ces produits, qu’il ne peut pas écouler intérieurement, il faut qu’il les écoule extérieurement. Il importe peu, au commerçant, à l’industriel ou au financier, que la population de son pays meure de faim, marche pieds nus et n’arrive pas à se vêtir ; ce qu’il veut, c’est vendre cher, à n’importe qui. On nous avait dit que le régime de l’exportation était soumis à certains facteurs atmosphériques, climatériques ou géographiques. Prenons un exemple. Quelles que soient la volonté, le génie, l’intelligence du producteur français, il n’arrivera jamais à faire pousser sur son sol, du cacao ou du café ; pour consommer de ces produits, le peuple français aura recours à l’importation, ce qui comporte fatalement l’exportation des pays producteurs de ces produits. Et alors, se joue une double spéculation. Les pays producteurs, sachant que les pays importateurs ont absolument besoin d’eux, vendront leur marchandise au prix fort, ce qui, inévitablement provoquera la hausse dans le pays d’origine ; d’autre part, lorsqu’il s’agit d’un produit de consommation courante, tel le café, par exemple, l’État, le gouvernement du pays importateur le charge de droits de douane formidables afin de se procurer des ressources. Il apparaît donc évident qu’un régime qui repose sur le commerce, donc sur le vol légal, ne peut trouver dans la légalité, une mesure susceptible de mettre un terme à l’arbitraire de la spéculation commerciale.

Un autre exemple frappant nous est offert en France de ce qu’est le régime de l’exportation commerciale, et de la cupidité des exportateurs. La France est un pays de production vinicole, et le vin étant la boisson nationale, une grande partie de la production pourrait être écoulée sur le marché français. Le climat de l’Angleterre, par contre, ne permet pas la culture de la vigne et ce pays est obligé de s’adresser à la France pour sa fourniture de vin. Le propriétaire français en profite et l’Angleterre payant plus cher que la France, il préfère écouler ses produits de l’autre côté de la Manche. Il en résulte une hausse des prix dans le pays d’origine et le consommateur français paye cher un produit qu’il devrait pouvoir se procurer à un prix relativement bas. Il en est de même pour quantité d’autres denrées, entre autres : le lait, le beurre, les œufs, les primeurs, etc… De plus, depuis la guerre, les pays à monnaie dépréciée ont vu s’étendre le champ de leurs exportations, et les propriétaires et les industriels, sans tenir compte des besoins de la population, n’ont pas hésité à exporter les matières de première nécessité et à les échanger contre une monnaie saine, peu sujette aux fluctuations des spéculations et du change. En aucun cas, les gouvernements et plus particulièrement les gouvernements français qui se succédèrent de 1919 à 1926, n’envisagèrent de mesures propres à arrêter l’exportation de produits indispensables à la vie de la population française ; qu’importe aux maîtres du pouvoir politique, représentants directs des maîtres du pouvoir économique, que le consommateur français réduise sa consommation au strict minimum, du moment que le capitalisme réalise des bénéfices scandaleux ? Parfois, cependant, l’exportation de certains produits est prohibée momentanément ; mais généralement, cette mesure demeure sans effet, car elle survient trop tard, une fois que l’exportation desdits produits est accomplie.

En vérité, on ne voit pas bien quelle réforme au statut commercial qui régit l’exportation et l’importation pourrait mettre un frein à un tel régime. Tout se tient dans la société bourgeoise et, même en supprimant les barrières douanières, on ne résoudrait pas le problème de l’exportation et de l’importation, qui provoque la hausse d’une matière, au gré du capitalisme qui la possède.

Que faire ? Pas grand chose en réalité dans le domaine de la légalité. Rien à attendre du Parlement, des ministères et des gouvernants. Le remède est en dehors de l’ordre social établi. Les échanges ne se font pas aujourd’hui, de nation à nation, en raison des besoins économiques de chaque nation, ou si le facteur « besoin » joue un certain rôle, le facteur « intérêt particulier » en joue un plus grand encore. Et il en sera ainsi, sous des formes différentes, tant que l’intérêt particulier ne sera pas subordonné à l’intérêt collectif, tant qu’un individu ou un groupe d’individus, pourront réduire la consommation de millions d’êtres humains pour satisfaire leur soif de bénéfice et d’argent. Notre conclusion ne peut être que ce qu’elle fut pour quantité d’autres questions se rattachant au régime social actuel. Seule la Révolution économique peut transformer la société ; seule la prise des moyens de production par les producteurs peut faire régner l’égalité dans la distribution et la répartition des richesses sociales. En dehors de cela, il n’y a rien de vrai ; tout n’est que bluff et démagogie. Les Parlements peuvent voter des lois, à l’importation ou à l’exportation. Ce ne sera qu’un trompe-l’œil pour les électeurs naïfs. Interdirait-on demain en France l’importation ou l’exportation des blés, les grands propriétaires se chargeraient bien vite de raréfier le produit pour en provoquer la hausse. Il n’y a rien à faire de véritablement efficace dans le domaine du régime actuel. C’est la roue qui tourne et apporte toujours de l’eau au moulin. Par la bêtise, l’ignorance et la lâcheté humaines, le capitalisme est plus fort et il en profite. Il tient le peuple courbé sous son régime économique, et ce dernier restera économiquement un esclave, tant qu’il n’aura pas conscience de sa force, de ses possibilités, de ses moyens, et qu’il ne se libérera pas par la Révolution de tout ce qui le tient enchaîné à une société qui est condamnée par tout être raisonnable, sensé, sincère et logique.


EXPULSION n. f. (du latin expulsio, même signification). Action de chasser, d’expulser des individus de leur résidence ; contraindre quelqu’un à quitter le lieu où il est établi ; évacuation d’un locataire de l’appartement qu’il occupe. Expulser d’une maison, d’une ville, d’un pays. L’expulsion, quelque soit son caractère, est une entrave à la liberté individuelle, et son action affecte politiquement et économiquement tous les déshérités de la société bourgeoise. Nous ne nous arrêterons pas à ce que l’on appelle l’expulsion locative. Chacun sait qu’en notre belle société le malheureux, réduit à la misère par le chômage ou la maladie, n’a pas le droit de se loger. Ne pas avoir d’argent est un crime et celui qui n’a pas de ressources pour payer le loyer périodiquement réclamé par le propriétaire rapace est impitoyablement expulsé de son logis. C’est normal et logique, conformément à la légalité. Mais il est une sorte d’expulsion plus terrible encore que l’expulsion locative c’est l’expulsion nationale, c’est-à-dire l’interdiction à un individu de résider sur un territoire. « Dès que le séjour d’un étranger » dit le Larousse « devient un danger ou une menace pour l’État qui l’a reçu, il peut être expulsé ». C’est la porte ouverte à tous les arbitraires, à toutes les infamies gouvernementales. En France, ajoute le Larousse, « l’expulsion a lieu en vertu d’un arrêté du ministre de l’Intérieur ou même du préfet dans les départements frontières, et l’étranger n’a aucune garantie contre la mesure dont il est l’objet ». Pour un dictionnaire d’esprit réactionnaire et à caractère officiel, c’est un aveu qu’il est bon d’enregistrer.

Avant la guerre, une seule nation en Europe ne pratiquait pas l’expulsion des étrangers : c’était l’Angleterre. Les étrangers jouissaient, comme les nationaux, de l’inviolabilité individuelle, et les mêmes lois étaient appliquées aux uns comme aux autres. En 1912, une tentative d’expulsion, dont notre vieil ami Malatesta aurait été victime, souleva une telle protestation, non seulement dans la classe ouvrière, mais dans tout le monde libéral, que le gouvernement britannique céda devant la réprobation unanime de tous les hommes de cœur. Hélas ! Tout cela a changé, et la « libre Angleterre » expulse aujourd’hui à son tour, trahissant tout un passé de libéralisme à l’égard de ceux qui cherchaient sur son sol un lieu de repos. Le dernier coin du globe où était respecté le droit d’asile a adopté les mêmes mesures répressives contre les étrangers que les autres nations et, à présent, le malheureux chassé d’une terre inhospitalière ne sait plus où aller pour trouver un refuge où la tranquillité et la sûreté lui seraient assurés.

Chaque nation, cependant, aussi réactionnaire soit-elle, prétend respecter la tradition du droit d’asile et n’user de l’expulsion que pour garantir la sûreté de l’État. Cela est complètement faux et l’on peut remarquer que ce ne sont d’ordinaire que des révolutionnaires que l’on chasse d’une nation. En dehors des liens qui existent entre les divers gouvernements mondiaux il y a une solidarité capitaliste lorsqu’il s’agit de lutter contre les forces de transformation sociale. Aussi divisé, nationalement ou internationalement, que puisse être le capitalisme lorsqu’il faut à certains de ses groupes défendre des intérêts particuliers, il est cependant uni dans sa lutte contre la Révolution. Un révolutionnaire italien ou espagnol est considéré comme nuisible aussi bien dans les autres pays que dans son pays d’origine et, quelle que soit la partie du monde où il posera les pieds, il sera poursuivi et chassé comme un malfaiteur par les classes dirigeantes. « Sûreté de l’État » veut dire simplement « Sûreté du Capitalisme » et c’est pourquoi l’homme d’avant-garde est condamné, comme le Juif Errant, à marcher toujours s’il ne veut pas se courber devant les forces de régression sociale.

La terre appartient à tous et l’expulsion d’un individu est la plus lâche des infamies, la plus terrible des agressions du capitalisme. Il existe des hommes qui sont condamnés à traîner une existence misérable parce qu’en vertu de leur passé, de leur action, aucune nation ne veut les recueillir, et qu’ils sont, en conséquence, continuellement obligés de se cacher, de se terrer pour échapper aux griffes de la police internationale. Le nombre de camarades que l’on arrache à la bourgeoisie, lorsque le scandale d’une expulsion par trop arbitraire éclate, est infime ; et ils se comptent par milliers, les pauvres bougres que l’on expulse sans autre forme de procès qu’une simple signature ministérielle. En France, ce sera la honte de la démocratie de s’être servie, de cette arme : l’expulsion, pour défendre les intérêts d’une caste de privilégiés.

Un projet de loi qui, probablement, sera voté dans le courant de l’année 1927, retirera aux ministres la possibilité d’expulser les étrangers, Ce soin incombera aux magistrats. Est-ce mieux, est-ce plus mal ? A nos yeux, il ne peut y avoir de demi-mesure. Nous ne pouvons accorder ce pouvoir d’expulser qui que ce soit à un ministre ou à un magistrat. Si le législateur, en réformant une pratique gouvernementale, considère que l’expulsion ouvre la porte à tous les abus, il doit aussi comprendre que le magistrat est toujours un agent gouvernemental, et qu’il agira par ordre lorsque le besoin s’en fera sentir. Et c’est pourquoi ce n’est pas codifier « l’expulsion » qu’il faut, mais la supprimer et permettre à tout homme de vivre, là où il en a le désir.


EXTERMINATION n. f. (du latin exterminare, anéantir). Action de détruire, d’anéantir. Extermination d’un peuple ; extermination d’une race. Les tribus de race rouge habitant l’ancien territoire des États-Unis ont été totalement exterminées par les hommes de race blanche. Rien de plus répugnant que cette extermination qui s’accomplit sous le couvert de la civilisation. Pour s’emparer des richesses et des territoires appartenant aux « Indiens », les blancs les parquèrent, les empêchèrent de se reproduire, les massacrèrent en masse, et enfin arrivèrent au but poursuivi. De nos jours, les hommes rouges ont presque totalement disparu.

Une guerre d’extermination ; travailler à l’extermination d’une peuplade ; l’extermination d’une classe, d’une caste, etc., etc… La nature brutale et indifférente accomplit parfois un véritable travail d’extermination. Les raz de marée, les cyclones, les éruptions volcaniques sont des fléaux qui dévastent des contrées entières ; pourquoi faut-il que les hommes ajoutent encore à ces désastres en s’exterminant eux-mêmes ? Plus féroces que les fauves, ils s’entre-tuent, se dévorent, s’arrachent, se détruisent, s’exterminent, alors qu’un peu de sagesse et de bonté leur permettrait de vivre en harmonie. La science ne sera-t-elle donc toujours qu’un facteur d’extermination, et jamais une source de bienfaits et d’amour ?


EXTRADITION n. f. (du latin extraditio, même signification ; de ex, hors de et de tradere, livrer). L’extradition est l’action qui consiste, pour un gouvernement, à livrer un individu réfugié sur son territoire à un autre gouvernement qui le réclame. Il ne faut pas confondre extradition et expulsion, car ce sont deux actions bien différentes. L’expulsion est un acte de police intérieure ; c’est un gouvernement qui chasse un individu qu’il considère indésirable, même s’il n’a pas commis d’actes répréhensibles. L’extradition, elle, ne s’applique qu’à la demande d’un gouvernement étranger et lorsque l’individu réfugié a commis une infraction de droit commun sur le territoire du gouvernement demandeur. L’extradition ne s’accorde généralement que pour des délits d’une certaine gravité et il est même certains États qui ne l’accordent que lorsqu’ils y sont contraints par un traité. En vertu d’une tradition, l’extradition n’est en principe jamais accordée, pour des faits d’ordre politique ou pour la désertion des soldats. Nous disons, en principe, car, en réalité, les gouvernements s’arrangent assez facilement entre eux pour se livrer mutuellement les réfractaires politiques ou militaires. Durant la « grande guerre », la Suisse, qui était pourtant un pays neutre, n’hésita pas à livrer à la France un grand nombre de déserteurs. Il faut aussi signaler cette différence entre l’extradé et l’expulsé, c’est que l’expulsé a le droit de choisir le pays où il veut se rendre, alors que l’extradé est livré à la police de la nation qui le réclame.