Encore un mot sur Sadowa

Encore un mot sur Sadowa
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 73 (p. 801-821).
ENCORE UN MOT
SUR SADOWA

La campagne qui s’est terminée par la bataille de Sadowa a été jugée surtout par l’imprévu et la grandeur de ses résultats. Notre amour-propre s’était volontiers accommodé de l’idée que les Autrichiens, battus par nous en 1859, triompheraient à leur tour de soldats qui n’avaient paru sur aucun grand champ de bataille depuis Waterloo ; mais l’événement a trompé notre attente, et l’armée prussienne a remporté sur nos adversaires de Solferino des victoires dont la rapidité et la facilité nous ont confondus. Après avoir commis la faute d’apprécier trop légèrement la valeur de l’armée prussienne, après y avoir ajouté celle de ne rien faire pour prévenir les événemens qui allaient augmenter la puissance de cette armée, nous n’avons pas su envisager de sang-froid les faits accomplis, et nous nous sommes laissés aller à une émotion exagérée, peu digne d’un pays comme la France. Était-ce bien là réparer notre erreur ? Et la loi militaire, dont la pensée a été conçue au milieu de ce trouble des esprits, cette loi qui va imposer de si lourdes charges à nos populations et qui déjà y jette une perturbation si grande, était-elle bien nécessaire ? Il n’est plus temps de se le demander, aujourd’hui qu’elle a été adoptée par nos deux assemblées. Déclarée désastreuse par les uns, inutile et pleine de contradictions par les autres, désagréable à tous, elle n’en a pas moins été votée par scrupule patriotique. Jamais en France on n’a refusé au gouvernement, quel qu’il fût, ce qu’il réclamait comme nécessaire à la défense du pays. Il faut cependant s’entendre sur ce mot défense du pays. Il ne peut être ici question d’une nouvelle lutte à soutenir contre l’Europe entière. Il a fallu l’ambition de Napoléon pour affronter cette lutte, et son génie pour la rendre douteuse ; mais nos deux invasions de 1814 et de 1815 sont bien faites pour montrer l’inévitable résultat d’une pareille entreprise, et ce n’est pas à un danger comme celui-là qu’il s’agissait pour nous de parer. Ce qui nous a troublés, ce qui nous a fait prendre l’alarme, c’est uniquement la puissance prussienne, grandie à nos yeux d’une manière si soudaine et si démesurée par la victoire de Sadowa, que nous nous sommes crus menacés par elle. Avons-nous eu raison ? Sans doute l’armée prussienne rentrait en scène après cinquante ans de paix par un éclatant triomphe, sans doute elle allait ajouter à la force morale que ce succès lui donnait les ressources matérielles des états annexés par la conquête, elle allait se grossir et se fortifier de populations militaires célèbres par leur valeur, les Hanovriens, les Hessois, les Saxons ; mais avec un peu plus de sang-froid nous aurions reconnu que, malgré tous ces accroissemens, la Prusse était encore loin du chiffre de notre population, qu’elle était loin de posséder toutes nos ressources militaires, et surtout celles de notre marine, cet auxiliaire si puissant des guerres continentales. Nous ne croyons pas nous tromper en disant qu’il y a eu chez nous, peuple comme gouvernement, un effet d’imagination vraiment regrettable au lendemain de Sadowa ; nous avons trop paru nous défier de nos forces dans une lutte éventuelle avec la Prusse. Les esprits se sont peu à peu calmés ; un examen attentif et réfléchi est plus facile aujourd’hui.

Dix-huit mois se sont écoulés depuis les événemens dont l’Allemagne a été le théâtre. Peut-être ce laps de temps est-il insuffisant pour que la vérité se fasse jour tout entière ; cependant bon nombre de témoins et d’acteurs même ont parlé et écrit sur ce qu’ils ont vu ou fait sur les champs de bataille. Les états-majors eux aussi ont commencé à publier ces relations officielles dans lesquelles, à côté des petites altérations commandées par la politique ou l’intérêt dynastique, on trouve de précieux renseignemens. Enfin le temps dans sa marche a laissé échapper quelques-uns de ces secrets de la politique qui finissent toujours par tomber dans le domaine de l’histoire.

Or si de l’étude de tous ces faits et de tous ces récits ressortait la preuve qu’indépendamment des mérites réels et incontestables auxquels les Prussiens ont dû leurs dernières victoires sur les Autrichiens, ils ont été avant tout singulièrement heureux ; s’il est vrai que les hommes, les choses, les circonstances, les aient servis d’une manière exceptionnelle, et leur aient donné des supériorités passagères qui ont disparu aujourd’hui et ne se retrouveront plus ; si surtout il est facile de prouver qu’une lutte avec la France ne saurait leur assurer les mêmes avantages, peut-être devra-t-on reconnaître qu’on s’est bien hâté de prendre les mesures extrêmes de défense nationale dont notre pays se montre si fort ému, et dont le principal résultat jusqu’ici a été de grandir encore le succès de nos voisins.

Il n’entre pas dans notre pensée de raconter la campagne de Sadowa, ce qui a déjà été fait bien des fois et avec talent. Nous voulons seulement appeler ici l’attention sur les points caractéristiques de cette grande lutte et en tirer les conclusions à l’appui de l’opinion que nous venons d’émettre. Nous sommes conduits tout d’abord à parler du fusil à aiguille, de ce héros populaire de la campagne, dont toute la presse européenne a redit d’abord avec stupeur les effroyables merveilles, et dont peu après on s’est mis, suivant l’usage, à rabaisser l’importance. Un seul mot, et bien concluant, dira sur ce point toute notre pensée. En face d’un ennemi armé comme l’était l’infanterie autrichienne, le fusil à aiguille a multiplié par cinq les forces prussiennes. Deux exemples aussi palpables qu’ils peuvent l’être en vont donner la preuve.

Comme on le sait, la Bohême a été envahie à la fois par deux armées : celle du prince Frédéric-Charles, entrant par la Saxe, et celle du prince royal par les défilés de la Silésie. Le même jour, le 26 juin, ces deux armées ont eu leur premier engagement sérieux. Dans une affaire toute d’infanterie, le prince Frédéric-Charles emportait le village de Podol. Les morts comptés sur le champ de bataille et les blessés recueillis aux ambulances se trouvèrent entre vainqueurs et vaincus dans la proportion de un contre cinq. Sur un point de la levée du chemin de fer, le capitaine Hozier[1], à l’ouvrage duquel nous sommes redevables de tant d’intéressans détails, constata dix-neuf cadavres autrichiens pour trois prussiens.

Pendant que se livrait le combat de Podol, le même jour, à la même heure, le corps prussien du général de Bonin, appartenant à l’armée du prince royal, rencontrait à Trautenau le 10e corps de l’armée autrichienne sous les ordres du feld-maréchal lieutenant de Gablenz. Ici la fortune était autre. A la suite d’un combat très vif, les Prussiens étaient repoussés et rejetés par l’ennemi d’une journée de marche en arrière. Et cependant la redoutable supériorité du fusil à aiguille n’en éclate pas avec moins d’évidence ; la proportion reste la même entre Prussiens et Autrichiens gisant sur le champ de bataille. M. de Bonin, vaincu, accuse 1,300 hommes hors de combat, M. de Gablenz, vainqueur, 6,000 ! Honneur aux Autrichiens, qui surent faire reculer l’ennemi malgré de si grandes pertes ! Mais, comme la suite l’a prouvé, un succès aussi chèrement acheté, quand il n’est que partiel, équivaut à une défaite.

Nous avons choisi ces deux combats parce qu’étant les premiers de la guerre et livrés aux deux extrémités du front d’opérations, ils témoignèrent tout d’abord de la force respective des deux armées, et ne purent manquer d’exercer des deux côtés et en sens contraire une très grande influence morale. Un homme, dans un moment d’héroïsme ou de passion aveugle, peut une fois se battre avec succès seul contre cinq ; mais demander que cet effort soit renouvelé dans toutes les rencontres d’une campagne, c’est exiger plus que la troupe la plus brave n’a jamais pu faire. Et, pour donner au calcul un dernier degré d’exactitude, il faut ajouter ici que partout où le hasard mettait du côté des Prussiens la supériorité numérique, cette supériorité elle-même était multipliée par cinq, de telle sorte que là où les Autrichiens se trouvaient un contre deux, ils étaient de fait un contre dix.

Aujourd’hui, grâce à Dieu, cette effroyable inégalité dans les moyens de destruction n’existe plus. Toutes les armées d’Europe se sont empressées de changer leur fusil. Nous avons le Chassepot, qui est un fusil à aiguille perfectionné. Les Autrichiens, en attendant leurs nouveaux fusils, ont converti les anciens, et cette conversion doit maintenant être achevée. L’équilibre est rétabli, et la question reste désormais de savoir entre quelles mains les nouvelles armes auront le plus de puissance, ce qui est une affaire de général. Pour en revenir à 1866, il est hors de doute qu’il n’y a eu nullement méprise de l’opinion dans l’importance décisive qu’elle a tout d’abord attribuée au fusil à aiguille. Il est hors de doute que ni les combinaisons de la politique, ni la direction, ni la composition des armées, n’ont influé au même degré que cette arme sur le résultat de la campagne. S’il s’est rencontré quelques officiers autrichiens pour nier ce fait, ce ne sont pas, à coup sûr, les chefs de l’armée ; ce ne peut être que ceux qui, ayant fait à côté des Prussiens la campagne du Danemark, où les fusils à aiguille avaient fait merveille, ne surent pas reconnaître alors l’urgence qu’il y avait de changer l’armement de leur infanterie. A les entendre, il eût fallu tenir l’armée à une distance telle que la supériorité de portée du fusil autrichien eût compensé la rapidité de tir de celui des Prussiens, comme s’il était possible de régler la distance à laquelle doivent s’aborder des masses d’hommes aussi considérables que celles qu’on amène aujourd’hui sur les champs de bataille ! Ce qui est plus vrai, c’est qu’il y aurait eu moyen peut-être pour les généraux Autrichiens de racheter l’infériorité de l’armement par des combinaisons de stratégie qui, sur un point et à un moment donnés, leur eussent procuré une supériorité numérique très considérable, et, en assurant la défaite partielle et successive de plusieurs corps ennemis, eussent rendu impraticable la grande opération de guerre préparée par M. Moltke.

Il est impossible aujourd’hui, après l’événement, de nier qu’une chance de ce genre n’ait été offerte par le plan de campagne prussien à l’armée autrichienne. Son malheur est de n’en avoir pas su profiter, d’en avoir fait au contraire une occasion de désastre. Qu’y avait-il à faire en face de deux armées ennemies qui marchaient séparées l’une de l’autre par des espaces considérables avec la pensée d’opérer leur jonction ? Prévenir, à ce qu’il semble, cette jonction en se jetant avec toutes ses forces réunies sur celle de ces deux armées qu’on avait le plus à portée de ses coups, et faire effort pour l’accabler sous le nombre. Au lieu de cela, on en revient aux vieilles pratiques de la pédanterie militaire ; on prétend contenir l’ennemi, on prétend le battre, non où l’occasion s’en présentera, mais au lieu et au jour qu’on a déterminés à l’avance, et, pour atteindre ce but, trois corps de l’armée autrichienne s’en vont séparément et l’un après l’autre se faire écraser par un ennemi à qui chaque journée amenait de nouveaux renforts. Et c’est avec ces corps successivement mutilés, comme ils venaient de l’être par la désastreuse expérience du fusil à aiguille, qu’on ira livrer la gigantesque bataille de Sadowa. Franchement, c’était donner trop beau jeu aux armées du roi Guillaume.

Qu’on nous permette ici quelques lignes de détail sur les deux journées des 27 et 28 juin, où, près de Skalitz, au dire des officiers autrichiens, l’occasion de la victoire fut perdue par leur armée, et le sort de la campagne irrévocablement décidé contre eux. L’armée du prince royal sortait des défilés de la Silésie et entrait en Bohême sur deux colonnes. Celle de droite était arrêtée devant Trautenau par la résistance de Gablenz. Celle de gauche débouchait devant Skalitz par des passages étroits. À ce moment, six corps autrichiens étaient réunis autour de Skalitz et brûlaient de se mesurer avec l’ennemi. Le prince Frédéric-Charles et l’armée prussienne qui arrivait de la Saxe étaient au moins à deux journées de marche, et avaient sur leur route 60,000 Austro-Saxons sous les ordres de Clam-Gallas. Avant que cette autre armée pût venir au secours de celle du prince royal, les forces autrichiennes rassemblées devant Skalitz avaient donc tout le temps de faire au moins une tentative d’ensemble contre la colonne prussienne qui descendait des montagnes de la Silésie. Au moment dont nous parlons, les forces dont pouvait disposer le prince royal s’élevaient à 67,000 hommes. Celles du général Benedeck, le même jour, c’est-à-dire le 28 juin, se composaient de six corps d’armée, ensemble 150,000. Au lieu d’engager avec cette masse de troupes une action générale, l’état-major autrichien envoya le corps de Ramming se faire battre le 27, l’archiduc Léopold le 28, le comte Festetics le 29. Le 28 également, Gablenz, que l’on avait laissé à Trautenau sans secours, fut battu de son côté. Quant aux corps du comte Thun et de l’archiduc Ernest, on ne jugea pas à propos de les engager. Pourquoi ces attaques partielles au lieu d’une grande attaque d’ensemble ? Pourquoi ces corps successivement détachés pour aller s’offrir aux coups meurtriers du fusil à aiguille ? Il est bien difficile de le deviner. A mesure que l’effectif des armées va en augmentant, les hommes deviennent plus rares qui soient capables de les conduire, de les faire manœuvrer, de les nourrir et de les amener au moment opportun sur un champ de bataille favorable. L’état-major autrichien a évidemment fait une erreur, facile à reconnaître après coup, mais sans doute moins saisissable au moment de l’action, bien que l’opinion se soit aussitôt et généralement exprimée sur la faute commise. Il avait, dit-on, reconnu à Königinhof, à une journée de Skalitz, une position qu’il jugeait excellente, et c’était là qu’il se proposait d’attirer l’ennemi pour y livrer une action décisive ; mais il faut le génie de César ou de Napoléon pour choisir ainsi son terrain d’avance et contraindre l’ennemi à y accepter la bataille. Le résultat de cette malencontreuse combinaison fut que l’ennemi refusa de se laisser contenir, occupa lui-même Königinhof, et qu’il fallut se replier sur Königsgrätz, où se réunirent, poussées les unes sur les autres, toutes les masses de l’armée autrichienne ; mais elle avait cruellement souffert : la plupart des corps qui la composaient avaient été, chacun à leur tour, mal engagés et battus. Ils avaient perdu canons et drapeaux, et non-seulement on les avait exposés à l’action du fusil à aiguille de manière à fort ébranler le moral du soldat, mais on l’avait fait systématiquement de la façon la plus meurtrière.

Chaque armée a une manière de combattre qui lui est propre et qui est peu susceptible de changement, parce qu’elle tient au caractère national. Aux uns, l’impétueux génie de l’attaque : ceci a toujours été le partage du soldat français ; à d’autres une force de résistance inébranlable : c’est là le mérite particulier du soldat anglais. L’histoire de la guerre d’Espagne, de 1809 à 1813, offre une suite de batailles toutes défensives, dans lesquelles la furie française vient continuellement se briser contre la fermeté britannique. C’est que lord Wellington, avec son génie prudent et réfléchi, ne demandait jamais à son armée rien qui ne fût en accord avec l’instinct national. Toutes les fois que les accidens du terrain ou d’autres circonstances ne lui permettaient pas de livrer une bataille défensive, une bataille anglaise, il se retirait sans combattre. De là ses succès.

Or le soldat autrichien tient beaucoup plus de l’Anglais que du Français ; l’immobilité lui va mieux que le mouvement, la défensive que l’offensive, et jamais il n’a été bien commandé sans que ses chefs tinssent grand compte chez lui de cette disposition. On ne le fit pas dans cette campagne. Parce qu’on avait vu à Magenta et à Solferino réussir les impétueuses charges de notre infanterie, on se figura que le même système d’attaque aurait le même résultat, et l’ordre fut donné d’aborder à la baïonnette les régimens prussiens. Cet ordre fut héroïquement exécuté. On vit les régimens autrichiens, leurs braves officiers en tête, se précipiter comme des fous contre l’infanterie prussienne ; celle-ci, étonnée d’abord, reprendre bientôt son sang-froid, et comprendre à merveille que ces charges insensées n’avaient d’autre effet que de lui fournir l’occasion de tirer impunément de son redoutable fusil le parti le plus meurtrier. Le carnage, on le conçoit, dans chacune de ces attaques dut être épouvantable, et c’est avec des troupes affaiblies par de telles pertes, n’ayant jamais vu l’ennemi, sauf à Trautenau, que pour essuyer des échecs, — avec des troupes fatiguées en outre par les marches et contre-marches, suite nécessaire d’une guerre défensive, qu’on allait livrer la bataille de Sadowa contre les forces réunies d’un adversaire à qui tout avait réussi jusque-là, même ses fautes. On connaît le résultat, et l’immense désastre qui frappa l’Autriche dans la journée du à juillet 1866.

La situation de l’armée de Benedeck n’a pas été là sans analogie avec celle de l’armée française à Waterloo. Elle avait devant elle deux armées, celle du prince Frédéric-Charles et celle du prince royal ; mais, bien que ces armées fussent en communication et que leur action combinée eût été arrangée dans la nuit qui précéda la bataille, le général autrichien pouvait espérer battre le prince Frédéric-Charles avant l’arrivée du prince royal, qui avait une longue route à parcourir, comme Napoléon avait espéré battre Wellington avant l’arrivée de Blücher.

Jusqu’à une heure de l’après-midi en effet, toutes les forces du prince Frédéric-Charles étaient venues se briser contre la bravoure des troupes autrichiennes. Celles-ci étaient établies dans des bois où les hommes s’embusquaient derrière les arbres, de manière à neutraliser l’avantage du fusil à aiguille. Ces bois étaient flanqués par leur admirable artillerie, une des meilleures de l’Europe, à l’absence de laquelle nos ennemis d’alors attribuent la perte de la bataille de Solferino. Placés dans ces conditions avantageuses, à l’abri des effets du fusil à aiguille, les Autrichiens tenaient avec une fermeté invincible. Le mouvement en avant de l’armée du prince Frédéric-Charles était arrêté, la division du général Home, qui s’était épuisée contre le bois de Sadowa, avait même dû être ramenée en arrière, et l’inquiétude commençait à se mettre au quartier-général prussien, où la pluie qui tombait et les mouvemens du terrain dérobaient la connaissance de l’arrivée du prince royal. On prononçait déjà le mot de retraite.

Mais à ce moment même l’armée autrichienne n’était plus en mesure de tirer parti des prodiges de valeur avec lesquels elle avait repoussé les attaques du prince Frédéric-Charles. L’apparition des casques prussiens en arrière de la ligne de bataille de Benedeck vint dissiper les alarmes conçues pendant un instant autour du roi Guillaume. C’était la garde formant les premières colonnes de l’armée du prince royal, qui venait occuper presque sans coup férir le village de Chlum, centre et point culminant de la position autrichienne. Les ingénieurs de Benedeck avaient fortifié Chlum pour servir de réduit à leur armée en cas d’échec, et se trouvaient ainsi avoir travaillé au profit de l’ennemi.

De Chlum, en effet, les Prussiens prenaient à dos toute l’aile droite autrichienne, qui faisait face au prince Frédéric-Charles, et on conçoit quelle cruelle surprise ce fut pour cette brave troupe d’être ainsi, au moment où elle s’y attendait le moins, foudroyée par derrière. Par un singulier hasard, ce fut le général Benedeck lui-même et son état-major qui reçurent le premier feu. Averti que l’ennemi se montrait en arrière de sa ligne, et refusant de croire ce qui lui semblait impossible, il courut en personne pour s’assurer du fait, et fut accueilli par une fusillade qui, en laissant plus d’une selle vide dans son état-major, ne lui permit plus le doute. Reprendre Chlum était nécessaire, et pour y parvenir les Autrichiens se consumèrent en d’inutiles efforts d’héroïsme. Que faire dans un pays découvert contre une troupe armée du fusil à aiguille et postée soit dans les maisons, soit dans ces ouvrages que les ingénieurs de Benedeck avaient élevés avec une prudence si mal récompensée ? Chlum resta au pouvoir des Prussiens ; l’aile droite autrichienne, prise entre deux feux, ne put que faire sa retraite avec des pertes énormes, et la vue de ce désastre ou la nouvelle qui s’en propagea rapidement produisit dans l’une et l’autre armée son effet inévitable. Que si l’on se demande par quel accident ou quelle incurie la seconde armée prussienne put arriver ainsi sans obstacle et presque inaperçue jusqu’au cœur de l’armée autrichienne, il est impossible d’y trouver une réponse satisfaisante. On doit supposer que le général Benedeck, malgré la surprise que cette arrivée inopinée lui causa, avait prévu quelque chose de semblable, car il avait adopté pour son armée un ordre de bataille inusité et dangereux, une formation à angle droit, le sommet de l’angle à l’ennemi. Un des côtés avait face au prince Frédéric-Charles, et l’autre à la direction par laquelle le prince royal pouvait s’avancer ; mais les troupes qui devaient former cette seconde ligne ne s’y trouvaient pas au moment critique, et ici encore la fatalité poursuivait la malheureuse armée autrichienne. Par un surcroît de mauvaise fortune, son chef d’état-major, M. de Henikstein, rendu responsable des premiers échecs de la campagne, avait été révoqué et remplacé la veille même de la journée de Sadowa. On se figure sans peine, pour peu qu’on ait la moindre expérience des opérations de la guerre, quel trouble un pareil changement, fait à un tel moment, dut apporter dans la transmission des ordres, des avis et dans le jeu si compliqué du mouvement d’une armée de 200,000 hommes. Penser à tout, tout prévoir est chose difficile et rare dans les occurrences communes de la guerre ; le nombre des troupes et l’immense étendue du terrain multipliaient ici les chances d’oubli. On oublia beaucoup au quartier-général de Benedeck. D’abord on oublia de garder Chlum, puis on oublia la simple précaution de mettre quelques hommes en observation sur le clocher du village, clocher qui se voyait de partout, et du haut duquel on aurait certainement aperçu à temps les mouvemens de l’ennemi. On oublia enfin de donner à temps les ordres nécessaires pour la bataille. Ils furent transmis fort tard aux généraux, et en des termes si laconiques que le de corps, qui par sa position aurait eu la mission de garder Chlum, ignora entièrement qu’une attaque était à craindre de ce côté. N’ayant personne devant lui, il obliqua à gauche pour se porter au secours de son voisin, rudement attaqué, laissant ainsi ouvert l’espace par lequel pénétra la garde prussienne. Ce fut en voyant Chlum aux mains ennemies que les chefs de ce 4e corps apprirent que Chlum était le point capital de la position, et qu’il avait été garni d’ouvrages qui devaient leur en faciliter la défense. Est-il besoin de dire que tant de circonstances désastreuses pour leurs adversaires ne serviront pas toujours les armes prussiennes ?

La bataille perdue, il fallut couvrir la retraite. Là aussi les pertes furent immenses. Dans les bois et les villages, partout où quelque abri avait compensé la supériorité du fusil à aiguille, le carnage avait été égal des deux côtés. On trouvait autant d’habits bleus que d’habits blancs sur le terrain ; mais autour de Chlum, de Rosberitz, des villages qu’on avait essayé de reprendre sur les troupes du prince royal, le sol était exclusivement jonché d’habits blancs. Même remarque aux endroits où l’infanterie autrichienne avait tenté des retours offensifs pour contenir ses adversaires : elle avait été littéralement fauchée. La poursuite cependant ne fut pas de longue durée. On vit là ce qui ne s’est guère vu dans aucune armée, un prince de sang impérial, l’archiduc Joseph, à pied, blessé, ayant eu trois chevaux tués sous lui, rester le dernier avec quelques fantassins à disputer le terrain à l’ennemi. Ce noble exemple, la bonne contenance de quelques régimens d’infanterie, surtout des Saxons, qui se retiraient superbement avec tous leurs canons et la plupart de leurs blessés dans le rang, le feu admirablement dirigé de l’artillerie autrichienne, et non moins que tout cela l’inévitable lassitude du soldat après les émotions d’une pareille journée arrêtèrent de bonne heure l’armée prussienne. Quelques charges partielles essayées par ses escadrons n’eurent aucun succès. La grosse cavalerie et les obus autrichiens leur ôtèrent le goût de recommencer.

Ce fut le lendemain de la bataille et les jours suivans, sans nouvelle attaque de l’ennemi, par une espèce de réaction morale, grave sujet de réflexions pour les organisateurs de l’armée autrichienne, que le désordre se mit dans les rangs et rendit impraticable le renouvellement des opérations défensives. Les Prussiens marchèrent sans obstacle jusqu’à Vienne, et les vaincus se retirèrent avec leurs débris sur la rive droite du Danube. Il était clair que l’armée de François-Joseph, à moins d’être secourue par un puissant allié, ne pourrait pas rentrer en campagne. Elle chercha cet allié, elle lui offrit même la Vénétie, qu’elle pouvait abandonner avec honneur le lendemain de Custozza ; mais, après cette période de patriotique angoisse dont M. le ministre d’état a parlé au corps législatif, nous repassâmes la Vénétie aux Italiens, et les consolâmes du malheur de leurs armes par le don d’une province. Sans espoir de secours, et avec les Prussiens aux portes de Vienne, ne pouvant songer à une réorganisation de son armée, qui eût été nécessairement hâtive et incomplète, le gouvernement autrichien fut contraint à demander la paix.

Elle se fit à la grande gloire et au grand avantage des vainqueurs, sans qu’aucun nuage eût le temps de se former qui vînt assombrir l’éclat de leur fortune. L’intervention de la France, en se réduisant à être toute diplomatique, ne fit que rehausser leur triomphe auprès des imaginations populaires, et, comme nous l’indiquions plus haut, l’empressement avec lequel notre gouvernement, comme pour rassurer le pays, annonça le bouleversement de nos institutions militaires eut pour effet d’ajouter encore au prestige si excessif déjà des armes prussiennes.

Nous avons essayé de signaler les circonstances tout exceptionnelles, et peu probables dans une guerre avec la France, qui sont venues en aide à l’habileté des généraux et aux qualités militaires des troupes du roi Guillaume dans cette mémorable campagne : il nous reste à montrer comment, hors des champs de bataille, la Prusse n’a pas été moins heureusement servie par les événemens, comment dans l’ordre politique d’autres circonstances non moins exceptionnelles l’ont rendue si aisément et si complètement victorieuse.

Nous ne ferons que répéter ce que tout le monde sait en disant qu’avant comme après la guerre toute l’action diplomatique de l’Europe, tous les grands incidens de la politique internationale, ont tourné au profit de la Prusse et ont été exploités par elle, sinon toujours avec une parfaite loyauté, au moins avec une habileté extrême. Nous rappellerons de même un fait assez généralement connu en ajoutant que la Prusse se préparait de longue main à cette guerre devenue si heureuse pour elle, et personne ne niera que l’admirable prévoyance, la science profonde d’organisation avec laquelle elle a conduit ses préparatifs, ne méritent une étude sérieuse.

Depuis cinquante ans, les Prussiens n’avaient tiré l’épée que pour aller étouffer les insurrections de Bade et de Dresde ; mais cette longue paix, qui devenait chaque jour plus pesante pour leur aristocratie militaire, humiliée de se voir seule sans services de guerre au milieu des grandes armées de l’Europe, avait été mise à profit par le gouvernement avec une silencieuse persévérance pour être prêt à la première occurrence de guerre qui se présenterait. Les préparatifs avaient été particulièrement poussés avec activité depuis 1850. On se souvient qu’à cette époque la Prusse ne s’était pas trouvée en mesure de répondre à une provocation de l’Autriche, et avait dû faire des concessions dont l’amour-propre national avait souffert. Il y allait de l’honneur d’un peuple et d’un gouvernement militaires à ne pas se retrouver dans cette situation, et de là l’impulsion chaque jour plus vive donnée au grand travail de réorganiser et de fortifier l’armée. Les lois qui la constituaient avaient suffi pour donner d’admirables résultats en 1813, quand le pays était plein de vieux soldats brûlant du désir de rentrer sous le drapeau pour venger leurs affronts ; mais ces mêmes lois, après plus de trente ans de paix, étaient impuissantes à procurer une forte armée avec la rapidité nécessaire de nos jours, où celui qui est le premier prêt à entrer en campagne s’assure par là tant d’avantages. Sans accroître la durée du service en temps de paix, qui est de trois ans, on accrut le temps que les jeunes gens durent passer dans la réserve, et l’on augmenta les cadres. En fait, on ajouta à la force numérique de l’armée régulière au détriment de cette fameuse landwehr qui avait dû son renom à l’élan patriotique de 1813, mais sur l’utilité de laquelle on s’était depuis lors fort refroidi, les chances de l’enthousiasme ne suffisant pas à compenser celles de l’indiscipline. Ces changemens eurent une prompte efficacité. Ils donnèrent à l’armée prussienne une grande rapidité de rassemblement et une cohésion qui lui manquaient, lorsqu’au moment d’entrer en campagne il y avait un travail de fusion à opérer entre la landwehr et l’armée active. Il n’y avait plus qu’une espèce de soldats. Pas de mouvemens dans les cadres, ils n’avaient qu’à se remplir, et sous l’empire de la plus sévère des disciplines le lien indissoluble entre l’officier et les nouveau-venus était promptement rétabli. On peut ranger cette réorganisation parmi les causes si nombreuses des succès de la Prusse.

Mais l’opinion du pays et la chambre des députés, qui la représente, étaient contraires à ce changement, qui imposait des charges pécuniaires- assez lourdes, et la chambre élective refusait obstinément sa sanction aux plans du roi Guillaume. Le roi et ses ministres passèrent outre ; la résistance parlementaire en devint plus vive, et le moment arriva où le conflit, qui s’aggravait chaque jour, menaçait d’aboutir à une crise révolutionnaire, s’il n’était démontré avec éclat que l’accroissement des dépenses militaires avait pour résultat définitif un accroissement de puissance et de gloire pour la nation prussienne et la patrie allemande. La question des duchés s’offrît à propos pour fournir cette démonstration. On a peine à comprendre comment l’Autriche, encore puissante dans le corps germanique, ne s’opposa point par tous les moyens possibles à la guerre contre le Danemark ; encore moins s’explique-t-on le manque de clairvoyance avec lequel elle s’engagea elle-même dans cette guerre, comme si son intérêt eût été le même que celui de la Prusse à agrandir sur la Baltique la patrie allemande, comme si c’eût été à elle de combattre pour ce principe des nationalités qui était la négation de sa propre existence. Elle en fut vite punie ; c’était contre elle que depuis quinze ans s’amassait à Berlin un orage qui n’attendait que le moment d’éclater ; elle le fit crever sur sa tête. La guerre du Danemark avait servi au gouvernement prussien à essayer ses moyens, ses forces, ses hommes. On avait fait l’expérience du fusil à aiguille. On avait essayé la nouvelle organisation militaire. Ainsi que la nouvelle arme, elle avait répondu à ce qu’on en attendait. Le prince Frédéric-Charles et nombre d’officiers dont on avait pris note avaient fait preuve de vrais talens militaires. Enfin, ce qui n’était pas de moindre importance, on avait étudié le tempérament de l’Europe et comme tâté le pouls à sa diplomatie. Personne n’avait bougé pendant que l’on assassinait et dépouillait le Danemark. L’Angleterre et la France s’étaient livrées à quelques colloques chevaleresques en faveur de ce petit état si digne de respect dans sa faiblesse. Elles avaient même témoigné quelques velléités d’intervention ; mais, au moment d’en venir à l’action, chacune avait voulu céder le pas à l’autre, et toutes deux avaient fini par se croiser les bras. Malheureux Danemark, vieil et fidèle allié de la France ! Il n’avait pour nous attirer aucun avantage immédiat à nous offrir, et il ne représentait pas une de ces idées pour lesquelles seules il est convenu que nous devons faire aujourd’hui la guerre. Ce qu’il y a de certain, c’est que cette indifférence européenne encouragea puissamment M. de Bismark à oser et à jouer une partie bien autrement sérieuse que la conquête du port de Kiel. Ainsi qu’il fallait s’y attendre, les dépouilles du Danemark devinrent un sujet de querelle entre la Prusse et l’Autriche. La première les voulait garder, l’autre les lui eût volontiers abandonnées, si elle n’avait pas cru, en agissant ainsi, signer sa déchéance en Allemagne. Les Prussiens n’entendant rien rabattre de leurs prétentions ambitieuses, et les Autrichiens s’obstinant à y résister par point d’honneur, on marchait à une guerre inévitable.

Quelle était à ce moment la situation diplomatique de la Prusse ? Dissimulant habilement ses projets de conquête, elle ne combattait, affirmait-elle, que dans l’intérêt de la patrie allemande. Or l’idée d’une grande Allemagne ne pouvait déplaire ni à l’Angleterre ni à la Russie. La première ne trouvait là rien qui menaçât sa prépondérance maritime, et s’accommodait volontiers de voir se former en Europe une puissance militaire rivale de la nôtre. Même motif pour la Russie, liée d’ailleurs à la Prusse par de vieux souvenirs, des services rendus et des relations de famille. Il va sans dire que, combattant à la fois contre l’Autriche et en faveur des unités nationales, la Prusse était sûre d’avoir l’Italie avec elle.

Restait la France. Il ne saurait entrer dans nos prétentions de pénétrer le secret de ce qui a pu se passer entre l’empereur et M. de Bismarck ; mais il est impossible de ne pas être frappé d’une certaine ressemblance entre l’entrevue de Plombières et celle de Biarritz. Tout le monde a présentes à l’esprit les promesses de Plombières et les résultats qu’elles ont produits. M. de Bismarck fît-il à Biarritz des promesses analogues à celles de M. de Cavour ? La France fut-elle engagée par son gouvernement ? Sur ce point, nous sommes réduits aux conjectures. On a prétendu trouver le mot de l’énigme dans une parole qui aurait été dite de très liant à un diplomate italien inquiet du trop long silence gardé alors dans nos régions officielles, et pressé de savoir si c’était à l’alliance de l’Autriche ou à celle de la Prusse que son pays avait le plus de chances de devoir la Vénétie. « Mais si la France, lui aurait-on répondu, se prononce pour l’une ou pour l’autre, il n’y aura point de guerre. » Évidemment M. de Bismarck ne demandait à la France que de ne pas se prononcer. En emporta-t-il l’assurance ? Nul ne le sait. Ce que personne n’ignore, c’est qu’un des premiers soins du gouvernement prussien, quand les hostilités devinrent inévitables, fut de dégarnir les provinces rhénanes et d’envoyer aux armées actives les troupes qui les gardent ordinairement. Le cabinet de Berlin ne redoutait donc rien du côté de la France, et celui de Florence partagea bientôt cette conviction.

Il résulte de tout ceci que c’était du consentement de tous les gouvernemens de l’Europe que la Prusse et l’Italie allaient se jeter sur l’Autriche. L’Autriche avait bien pour elle les petits états allemands, qui voyaient clair dans les projets de M. de Bismarck ; mais au moment de la déclaration de guerre l’Allemagne du sud était, à ce que nous apprend l’état-major prussien, un ennemi à naître. On savait à quel point de ce côté on s’était peu préparé à la guerre.

L’événement prouva bien vite si les informations du gouvernement prussien étaient sûres. Malgré la bravoure des Hanovriens à Langensalza et des Bavarois à Kissingen et ailleurs, quelques corps détachés sous la très habile direction du général de Falkenstein suffirent pour désorganiser de ce côté toute résistance. L’assistance de l’Italie, sans être d’un beaucoup plus grand poids dans la balance des événemens que celle des troupes de la confédération, eut pourtant pour effet de retenir 80,000 Autrichiens au-delà des Alpes, et ce fut encore là pour la Prusse un avantage incontestable.

Comme si, à la veille d’une si grande lutte, ce n’eût pas été assez des désavantages que nous venons de signaler, l’Autriche allait y joindre, on pourrait le dire à plaisir, celui d’abandonner aux Prussiens la supériorité que l’initiative donne aujourd’hui à la guerre. Elle allait les laisser apporter sur son territoire l’invasion et les ravages qui l’accompagnent au jour et à l’heure où ils seraient entièrement préparés. Elle allait créer en outre à ses généraux des difficultés immenses en les obligeant à deviner les projets de l’ennemi et à subordonner leurs mouvemens à ses combinaisons. La concentration des armées de 200 à 300,000 hommes, avec lesquelles on se dispute aujourd’hui les batailles, n’est pas chose qui puisse s’improviser : les ordres à expédier, les approvisionnemens à réunir, l’encombrement des diverses voies de communication, ne permettent pas d’accélérer les mouvemens de masses d’hommes si prodigieuses au gré des exigences d’une situation difficiles ou des impatiences du chef. Il faut du temps, et un temps souvent assez long pour que de telles opérations s’accomplissent : de là pour celui qui a su prendre l’initiative un avantage presque toujours très considérable. Cet avantage, comme nous le disions tout à l’heure, l’Autriche le laissa à la Prusse, et tout porte à croire que cette faute lui fut suggérée par le souvenir de la faute contraire qu’elle avait commise en 1859.

En 1859, l’empereur François-Joseph s’était cru menacé, tout comme il l’était alors, d’une attaque que motivaient les convenances seules de l’adversaire. Aux préparatifs qui se faisaient ouvertement contre ses états, il avait répondu par une déclaration de guerre, et son armée avait franchi le Tessin ; mais cette résolution hardie, qui aurait pu avoir de grands résultats, accomplie avec mollesse et hésitation, était devenue, pour n’avoir pas réussi, une grave faute politique, et avait fait de toutes parts rejeter sur l’Autriche les torts de l’agression qui se méditait depuis si longtemps contre elle. Dans une situation qui, pour avoir quelque ressemblance, était loin d’être la même, le gouvernement autrichien crut sage d’éviter devant l’opinion européenne la responsabilité de l’offensive, et il se flatta, en forçant l’ennemi aux premiers actes de violence, d’exciter les sympathies publiques en sa faveur. Grande erreur ! Au point où en étaient les choses, le succès obtenu par la force pouvait seul mettre de son côté la justice. Pour son malheur, l’Autriche avait trop peu de foi en ce succès ; la nécessité de se battre lui répugnait tellement que jusqu’à la dernière heure elle ne voulut rien faire qui pût fournir à la Prusse et à ses adhérens le prétexte de dire que c’était elle qui avait porté les premiers coups. Non-seulement elle ne prit pas l’initiative de l’entrée en campagne, mais, pendant cette longue période d’incertitude apparente qui précéda les hostilités, elle ne fit à ses frontières aucune accumulation de troupes qui eût été aussitôt signalée par la Prusse comme une menace et une provocation. Le cabinet de Vienne, jusqu’au premier coup de canon tiré, sembla beaucoup plus soucieux de se mettre en règle vis-à-vis de la diplomatie étrangère, occupée avec plus ou moins de sincérité à prévenir la guerre, que de se préparer à la lutte contre la Prusse, et n’expédia aucun ordre pour presser la concentration des troupes.

La Prusse pendant ce temps était en droit de dire qu’elle aussi tenait ses troupes éloignées des frontières ; mais quelle différence dans la situation des deux pays ! et comme le cabinet de Berlin savait bien tout ce qu’il y avait pour lui d’avantages dans cette immobilité respective des deux armées ! Tout était si bien disposé de son côté pour la rapide concentration de la masse dispersée de ses forces, tout l’était si peu de l’autre, qu’on serait tenté de se demander si les tentatives de conciliation in extremis faites par la diplomatie n’eurent pas pour résultat unique, quoique sans doute involontaire, de permettre à l’armée prussienne de gagner sur l’ennemi une avance considérable.

On a beaucoup admiré au commencement de ce siècle la merveilleuse promptitude avec laquelle Napoléon, faisant voyager en poste les troupes du camp de Boulogne, assura ses succès d’Ulm et d’Austerlitz. Avec les proportions colossales qu’ont prisés les arméniens de nos jours, avec les inévitables indiscrétions de la télégraphie actuelle, il ne saurait y avoir assez de puissance et de rapidité, ni assez de secret dans ce mode de transport. Lorsqu’on n’a pas à sa disposition la mer et des flottes à vapeur, c’est avec les chemins de fer que s’opèrent les grandes concentrations de troupes, que l’on approvisionne et alimente ces grandes armées, qu’on leur donne les moyens de se porter en avant et d’agir.

Tandis que la Prusse avait quatre voies ferrées indépendantes les unes des autres, et convergeant des diverses parties de son territoire vers la frontière ennemie, l’Autriche ne disposait que de la ligne de Vienne sur Lundenbourg, et de là, par un double embranchement à une seule voie, sur Prague et Olmutz. Lorsque vint le moment de l’action, ce chemin de fer fut complètement insuffisant à sa tâche, insuffisant surtout à rivaliser avec les quatre lignes de la Prusse. Là encore a été pour celle-ci un avantage immense, et il faut dire, à l’honneur de l’état-major prussien, que, profitant des grands enseignemens de la récente guerre des États-Unis, où les chemins de fer ont joué un rôle si considérable, il avait su ajouter à la puissance de ce moyen de succès par une organisation aussi soigneuse qu’habile, et digne de la plus grande attention. Tout l’ensemble du réseau avait été divisé en zones placées chacune sous la direction d’un comité composé d’un officier d’état-major, d’un des administrateurs civils de la ligne et d’un ingénieur. Le mode de réunion du matériel de transport sur les divers points d’embarquement avait été étudié et réglé ainsi que le temps nécessaire à l’opération. A chaque zone, on avait assigné sa tâche dans le grand mouvement qui se préparait, et désigné les troupes qu’elle devait transporter. Enfin le nombre des trains à employer et leur parcours avaient été aussi réglés d’avance, de telle sorte qu’on savait exactement à Berlin en combien de jours et d’heures, après l’ordre de concentration expédié, l’armée se trouverait rassemblée à la frontière. Nous ne saurions trop insister sur le rôle que les chemins de fer ont joué dans cette campagne, sur la supériorité qu’ils ont donnée à la Prusse, et sur celle qu’ils promettent à toute puissance militaire qui saura, les employer comme elle. Non-seulement la Prusse gagna d’être prête alors la première, non-seulement elle ne fut pas condamnée à voir ses villes et ses campagnes livrées aux dévastations de la guerre, et réduisit au contraire l’ennemi à l’inconnu de la défensive ; ce furent outre cela les chemins de fer qui approvisionnèrent et alimentèrent son armée, évacuèrent les blessés et les malades, et permirent à toutes les opérations de la guerre d’être poussées avec une sûreté et une rapidité sans exemple.

Rien de pareil, nous avons dit pourquoi, ne fut possible aux Autrichiens ; mais ce qu’on a peine à comprendre, c’est comment, voyant le parti que l’ennemi avait tiré de ses voies ferrées, ils ne songèrent pas à lui ôter le bénéfice des leurs lorsqu’il eut envahi leur territoire, comment ils ne les mirent pas hors de service en se retirant, et n’usèrent point de leur nombreuse cavalerie pour les maintenir dans cet état de destruction momentanée par des pointes rapides faites sur les derrières des colonnes prussiennes.

Nous pourrions nous dispenser d’ajouter que le rôle des chemins de fer, si considérable dans la guerre de Bohême, n’a pas été moindre dans la campagne du général de Falkenstein contre les Hanovriens et les contingens de l’Allemagne du sud. L’issue de cette campagne a tenu presque uniquement à des saisies ou des interruptions de chemins de fer, à un train qui a été trouvé là et dont on s’est servi comme de cavalerie pour aller occuper un poste important. Il y a dans cet emploi stratégique des chemins de fer une grande leçon donnée à toutes les puissances militaires ; toutes auront à étudier, comme l’a fait l’état-major prussien, les nombreux avantages qui peuvent être retirés de ce nouvel auxiliaire. Déjà l’expérience de cet état-major, si intelligent et si studieux, lui a permis de formuler une loi qui ouvre un vaste champ aux réflexions et aux combinaisons des hommes de guerre. C’est que la distance influe très peu sur le temps nécessaire au transport d’un grand corps de troupes, la réunion et l’organisation du matériel de transport jouant le principal rôle dans cette opération. Jusqu’au dernier moment d’une entrée en campagne, les troupes destinées à agir peuvent donc être gardées sur des points très éloignés du théâtre de la guerre pour apparaître tout à coup là où leur concentration offensive aura été le moins prévue. L’étude que les officiers prussiens avaient faite de leurs chemins de fer était si approfondie, le tracé de leur réseau était si excellent, que vingt et un jours après l’ordre donné 197,000 hommes, 55,000 chevaux et 5,200 voitures étaient amenés sur les rails de tous les points de la monarchie à la frontière austro-saxonne. Le vingt-deuxième jour, l’armée prussienne était en état d’entrer en campagne, et si elle dut attendre dix journées encore, au grand déplaisir de ses chefs, cela tint uniquement à des considérations politiques.

Transportons-nous dans l’autre armée. Nous y voyons les Autrichiens, malgré ce retard, qui leur était si favorable, ne pouvant rien faire de plus, avec leur unique chemin de fer, que de se concentrer aux environs de Pardubitz. Surpris par la rapidité des mouvemens de l’ennemi, ils ne purent ni occuper la Saxe, ni envahir la Silésie, ni défendre les défilés de la Bohême. Nous avons dit comment, hésitant entre les deux armées prussiennes, ils laissèrent échapper à Skalitz l’occasion de vaincre, pour accepter à Sadowa une bataille qui était perdue d’avance. En terminant ces considérations sur une campagne qui restera l’un des plus grands événemens de notre siècle, nous n’avons pas besoin de dire que rien n’a été plus éloigné de notre pensée que d’amoindrir les mérites de la brave armée autrichienne, si héroïque dans son malheur. Tout ce que nous avons dit prouve que, dans cette guerre si désastreuse pour elle, elle a succombé sous les vices de son administration et les fautes de ses chefs autant que sous les coups de l’ennemi. Encore moins avons-nous songé à diminuer la gloire si légitimement acquise à l’armée prussienne, en recherchant, comme nous l’avons fait, les causes accessoires d’un succès auquel rien n’a manqué, pas même le contraste de la mauvaise fortune de ses alliés. Si la combinaison qui a fait envahir la Bohême par deux armées que séparaient au début de si grands espaces est sujette à critique, et n’eût pas été tentée impunément devant des capitaines comme Napoléon ou même l’archiduc Charles, elle n’en a pas moins été justifiée par le plus éclatant succès. Et n’est-ce pas d’ailleurs une des plus grandes qualités d’un chef de guerre que de savoir mesurer ce que son adversaire lui permet d’oser ? Quant aux braves troupes qui ont combattu à Soor, à Skalitz, Gitschin, pris part aux luttes terribles des bois de Sadowa et de Benatek, enlevé et ensuite défendu Chlum, ce serait leur faire injure que de mettre leur valeur un instant en discussion. Le plan de campagne, quels qu’en fussent les risques, a trouvé d’habiles et énergiques instrumens pour l’exécuter. Comme nous demandions un jour à un officier prussien à qui parmi les généraux on devait attribuer le principal mérite de cette exécution : « Mon Dieu, nous répondit-il, à aucun en particulier. La machine militaire, bien montée, a marché toute seule, et s’il fallait attribuer le mérite à quelqu’un spécialement, ce serait aux officiers subalternes, aux capitaines et aux lieutenans. »

Et mon interlocuteur avait raison. La grande, la principale force de l’armée prussienne a été dans son corps d’officiers. Nul doute qu’il n’y ait à faire une large part d’honneur au gouvernement dans cette organisation préparée par de longues années, dans cette patiente étude de tous les perfectionnemens de l’art militaire, dans cet esprit de progrès, libre des entraves du préjugé et de la routine, qui a fait adopter le fusil à aiguille, emprunter aux Américains l’application des chemins de fer et de la télégraphie électrique aux opérations de la guerre, prendre enfin, à l’exemple des anciens Romains, ce qu’on trouvait partout de bien et de bon ; mais tout cela, le gouvernement ne l’a fait qu’au moyen d’un corps d’officiers instruits, laborieux, appliqués sans relâche à un travail jugé souvent excessif, mais ayant la conscience que la supériorité de leur éducation ne leur permettait pas la médiocrité. Ces officiers, les faits l’ont aussi attesté, ont été admirablement secondés par leurs soldats. Sous le drapeau en effet, toutes les classes de la société se trouvaient représentées, et l’intelligence venait au secours de la discipline. La qualité était une garantie de succès plus sûre que la quantité. Et, qu’on le remarque bien, cette excellente armée, qui s’est montrée si puissante sur le champ de bataille quarante jours seulement après sa mise sur le pied de guerre, ne comptait dans ses rangs que des soldats de trois ans de service et au-dessous. Sur un seul point, elle s’est trouvée notoirement inférieure. Son artillerie n’a pas répondu à ce qu’on attendait d’elle. Ses canons d’acier à chargement compliqué par la culasse n’ont pu soutenir la comparaison avec l’artillerie autrichienne, dont les canons et les projectiles sont identiques aux nôtres ; mais ce désavantage isolé, quelque grave qu’il fût, ne suffisait pas à faire perdre aux Prussiens la supériorité que leur assuraient la puissance de leur organisation et la faveur des circonstances. Quant aux Autrichiens, ce n’était pas assez de l’excellence de leur artillerie pour compenser tout ce qui leur manquait, mal armés, mal préparés, portant en eux tous les vices d’un grand corps mal organisé, et conduits fatalement à faire une de ces campagnes mal engagées où les efforts les plus héroïques ne parviennent pas à ramener la fortune.

Plaçons-nous maintenant au point de vue français pour envisager ces événemens ; détournons un moment nos regards de l’enjeu prodigieux de cette guerre et de l’énormité du gain qui nous a éblouis, accoutumés que nous étions à des résultats plus modestes, même dans les guerres les plus heureuses. La question à nous poser est celle-ci. — De ce que les Prussiens, dans la campagne de Sadowa, ont si promptement et si facilement mis l’Autriche à merci, y a-t-il raison de conclure que toujours et partout ils trouveront la fortune aussi favorable ? Ou nous nous trompons, ou nous avons fait voir que ce succès si merveilleux a été dû à un ensemble de circonstances exceptionnelles dont la plupart n’ont guère de chances de se reproduire. Que si nous venons ensuite à mesurer les agrandissemens de la Prusse, à calculer avec exactitude l’augmentation de ses forces militaires, on trouvera, comme nous l’avons déjà indiqué, qu’elle n’est pas encore arrivée à égaler ni la population ni les ressources de tout genre de la France. Le temps n’est point venu, s’il doit venir jamais, pour la Prusse, de disposer des immenses moyens d’action que nous donne notre marine, et sur terre même il ne nous semble pas que le soldat français de nos jours ait témoigné qu’il a dégénéré de ses devanciers.

Cette grande Allemagne d’ailleurs n’est pour nous une cause de préoccupation que tant qu’elle laisse toutes ses forces militaires aux mains de quelques hommes audacieux. Mais qui l’a poussée à cette agglomération ? Qui’ a fait naître au-delà du Rhin la pensée de l’unité ? Croit-on que les habitans des petits états germaniques eussent été si faciles à annexer, qu’ils eussent aussi volontiers échangé leur modeste, mais très heureuse existence, contre les lourdes charges imposées par l’hégémonie prussienne, s’ils n’avaient été dominés par un sentiment profond d’insécurité, un besoin irrésistible de protection ? Depuis le traité de Vienne, ces paisibles populations avaient adopté les maximes pacifiques du roi d’Yvetot et vivaient fort bien sans gloire. D’où leur est venu tout à coup cet empressement à endosser l’uniforme prussien et à subir toutes les exigences de la bureaucratie de Berlin ? Le seul remède aux inquiétudes que nous avons inspirées aux Allemands, et qu’ils nous inspirent à leur tour, consiste-t-il seulement dans de nouveaux et plus redoutables armemens ? Où serait la limite de ce cercle vicieux ? Si, pour répondre à ce que nous croyons exigé par la situation, nous faisons des préparatifs plus apparens que réels, plus menaçans qu’efficaces, ne commettons-nous pas une double erreur ?

Nous n’entendons pas dire par là que les circonstances actuelles ne commandent rien de nouveau à la France ; puisque malheureusement, après quarante ans de paix, la guerre semble être redevenue une des tristes nécessités de notre époque, notre nation ne doit pas être la dernière à s’y préparer, et ses efforts doivent tendre à ce que la durée du fléau, quand il reparaîtra, soit abrégée par tous les moyens d’une action rapide et décisive. Ayons pour cela une armée aussi bien organisée, aussi forte par son armement, aussi prompte et aussi facile à manœuvrer qu’elle pourra l’être. Quelque excellente que soit notre organisation militaire, elle a ses progrès à faire. Le temps marche d’un tel pas aujourd’hui qu’il ne permet à aucune chose de demeurer stationnaire. Convertir nos fusils, mettre nos places fortes à l’abri des coups de la nouvelle artillerie, renforcer notre flottille de manière à joindre le commandement des fleuves à tout ce que nos forces navales nous donnent déjà de puissance dans une guerre continentale, tout cela est sage, opportun, nécessaire. Nous ne manquerons pas certainement d’y ajouter l’organisation du service de guerre sur nos chemins de fer, dont l’admirable réseau, à la fois perpendiculaire et parallèle à nos frontières, est si bien conçu pour les opérations militaires. Sans doute aussi l’attention se portera sur tout ce qui peut rendre notre cavalerie plus efficace et prouver, contre une opinion fort mal à propos répandue, que le rôle de cette arme n’est pas fini dans les grandes guerres ; on verra si, indépendamment des services qu’elle a toujours rendus et qu’elle rendra encore, un nouveau champ d’action ne s’ouvre pas pour elle dans ces expéditions destinées à détruire les chemins de fer et à jeter un trouble fatal dans les communications de l’ennemi ; on étudiera ce nouvel emploi des escadrons, qui, plus d’une fois dans la dernière guerre d’Amérique, a fait du cavalier un fantassin, un sapeur, un ingénieur. Toutes ces améliorations, et d’autres que nous ne saurions mentionner ici, nous les appelons de nos vœux, nous les espérons comme un gage de plus de la supériorité des armes françaises.

Tel n’est pas, selon nous, le caractère de la nouvelle loi militaire, dont nous avons signalé déjà le double tort, celui de ressembler trop à un cri d’alarme et d’être, avec ses deux catégories de soldats, plus menaçante qu’efficace, — celui en outre de dépasser la limite, atteinte par la loi de 1832, des sacrifices qu’un pays doit demander en temps de paix à sa population. Exiger davantage, écraser outre mesure notre race, qui donne déjà, hélas ! quelques symptômes d’épuisement, c’est vouloir (qu’on nous passe la familiarité de l’expression) tuer la poule aux œufs d’or ; c’est donner raison à la triste théorie qui veut que les peuples, au lieu de tirer de leur sein des armées pour leur défense, ne soient que des machines destinées à fabriquer des milliers de soldats avec lesquels on joue, comme avec des pions, sur le vaste échiquier de la folie humaine.

Nous le disons avec conviction, ce système de recrutement à outrance ne saurait durer ; le temps, et un temps qui ne sera pas très long, en fera nécessairement justice : ni la population en effet, ni la fortune publique ne suffiront à le soutenir. Pour être justes, nous excepterons de notre blâme deux des dispositions de la nouvelle loi. Elle a abrogé celle de 1855 et supprimé l’exonération, cette cause si fatale d’épuisement. Elle a en outre rétabli, quoiqu’en dénaturant l’institution, la garde nationale mobile. Nous aimons ce mot, qui représente si bien l’élan national dont chacun serait saisi le jour où un danger réel menacerait la patrie. Nous aimons en particulier l’article qui abolit le remplacement dans les rangs de cette milice. Lorsque toutes les classes de la société sauront qu’un signal de guerre enverra tous leurs enfans s’exposer aux chances du champ de bataille et de l’hôpital, peut-être feront-elles quelques efforts pour obtenir que dans la décision des grandes questions de guerre leur opinion recommence à être comptée pour quelque chose. Ce jour-là, la France aura reconquis sa liberté, et on pourra dire sincèrement et de manière à être cru : L’empire c’est la paix !


L. BULOZ.

  1. Correspondant du Times à l’armée du prince Frédéric-Charles.