Traduction par Camille Vidart.
H. Georg (p. 35-53).


Chapitre III.

Une compensation.


De bonne heure le matin suivant, le docteur quitta Dörfli pour monter au chalet dans la compagnie de Pierre. Avec sa bonté accoutumée, il essaya plusieurs fois d’entamer une conversation avec le Chevrier, mais sans y réussir ; c’est à peine si celui-ci répondit à ses avances par quelques monosyllabes indécis ; Pierre ne se laissait pas si facilement décider à parler. Ce fut donc en silence qu’ils atteignirent le chalet où Heidi les attendait déjà avec ses deux chèvres, toutes trois gaies et fraîches comme le premier rayon du soleil sur les hauteurs.

— Tu viens ? demanda Pierre qui ne manquait pas chaque matin d’exprimer la même pensée sous forme de question ou de sommation.

— Mais oui, naturellement, si le docteur veut venir aussi, répondit Heidi.

Pierre jeta au Monsieur un regard de côté. Le grand-père parut à son tour avec le sac aux provisions. Il salua d’abord le docteur avec beaucoup de respect, puis s’avança vers Pierre et lui suspendit la sacoche au côté. Elle était plus lourde que d’habitude, car le Vieux y avait mis un bon morceau de sa viande séchée, en pensant que si le Monsieur se plaisait au pâturage il serait peut-être bien aise de manger son dîner là-haut avec les enfants. Pierre eut tout de suite le pressentiment de quelque chose d’inusité dans la sacoche, et sa figure s’épanouit en un large sourire qui allait presque d’une oreille à l’autre.

Alors commença l’ascension. Heidi fut immédiatement tout entourée de ses chèvres, chacune voulant être le plus près d’elle et poussant les autres de côté pour se faire place ; après avoir été pendant un moment entraînée par le troupeau, elle s’arrêta court et leur adressa cette petite exhortation :

— Maintenant vous allez courir en avant bien gentiment, sans revenir toujours me heurter et me pousser, parce que je veux aller un peu avec Monsieur le docteur.

Comme Bellette se frottait encore contre elle, elle lui passa tendrement la main sur le dos et lui recommanda tout particulièrement d’être bien obéissante. Puis, se frayant un chemin hors du troupeau, elle rejoignit le docteur qui la prit aussitôt par la main et ne la lâcha plus. Cette fois il n’avait plus besoin de chercher à grand’peine un sujet de conversation, car Heidi commença tout de suite à causer ; elle avait tant de choses à lui raconter sur les chèvres et leurs excentricités, sur les fleurs, les rochers, les oiseaux, que le temps passa sans qu’ils s’en aperçussent et tout à coup ils se trouvèrent en haut, au pâturage. Tout en montant, Pierre avait fréquemment jeté au docteur des regards de côté qui auraient pu lui faire bien peur, mais qu’heureusement pour lui il n’avait pas remarqués.

Heidi conduisit aussitôt son ami à l’endroit où elle allait toujours s’asseoir pour regarder à son aise, car c’était sa place favorite. Elle s’y établit comme d’habitude, et le docteur s’assit à côté d’elle sur le chaud gazon du pâturage. La radieuse lumière d’une matinée d’automne enveloppait de ses rayons d’or les cimes des montagnes et la large vallée verdoyante. Des alpages inférieurs montait le tintement des cloches des troupeaux dont la douce sonnerie faisait une impression de bien-être et de paix. Le grand champ de neige vis-à-vis brillait de mille étincelles, et le Falkniss tout gris élevait jusque dans l’azur profond du ciel ses grandes tours majestueuses. La brise du matin, fraîche et délicieuse, passait sur l’alpe en courbant tout doucement les dernières campanules qui seules avaient survécu à l’été et semblaient balancer avec bonheur leur petite tête au soleil ; l’oiseau de proie aussi décrivait ses grands cercles bien haut dans les airs, mais cette fois il ne croassait pas ; les ailes déployées, il planait avec lenteur dans l’azur tranquille, comme au sein d’une calme et profonde béatitude.

Heidi regardait les fleurs doucement agitées, le ciel bleu, le gai soleil, l’heureux oiseau dans les airs ; tout était si beau, si beau ! ses yeux étincelaient de bonheur. Elle se tourna vers son ami pour s’assurer qu’il voyait aussi toutes ces belles choses. Le docteur était jusqu’alors resté silencieux et pensif ; lorsqu’il rencontra les yeux de l’enfant si rayonnants de joie, il dit :

— Oui, Heidi, il pourrait faire bien beau ici ; mais si on y apporte un cœur triste, comment jouir de toute cette beauté ?

— Oh ! s’écria joyeusement Heidi, ici on n’a jamais le cœur triste, ce n’est qu’à Francfort !

Le docteur sourit, mais un instant seulement. Il reprit :

— Et si l’on est venu de Francfort avec toute sa tristesse et qu’on l’apporte jusqu’ici avec soi, Heidi, sais-tu un remède à cela ?

— On n’a qu’à tout dire au bon Dieu quand on ne sait plus que faire, répondit-elle avec confiance.

— Oui, ton idée est bonne, enfant, répliqua le docteur. Mais quand c’est Lui-même qui a envoyé ce qui nous rend triste et malheureux, que peut-on lui dire ?

Cette question fit réfléchir Heidi, quoiqu’elle fût bien convaincue que le bon Dieu peut nous aider dans toutes nos tristesses ; c’est dans sa propre expérience qu’elle chercha la réponse :

— Alors il faut attendre, dit-elle enfin avec assurance, et penser toujours : « le bon Dieu sait déjà maintenant quelle joie il m’enverra après, quand tout sera passé » ; il faut seulement attendre encore un peu et ne pas l’abandonner, et après, voilà que tout est changé, et on peut bien voir qu’Il gardait tout le temps quelque chose de bon pour nous. Mais avant, quand on ne voit que ce qui est triste, il semble que cela doit toujours rester comme ça.

— C’est une belle certitude, Heidi, garde-la toujours, dit le docteur.

Pendant un moment encore il contempla en silence les puissantes masses de rochers qui l’environnaient et la verte vallée illuminée par le soleil, puis il reprit :

— Vois-tu, Heidi, on pourrait être assis à cette même place et avoir sur les yeux une ombre épaisse à travers laquelle toute la beauté ne pourrait pénétrer. Alors le cœur est triste, doublement triste, parce qu’il devrait faire si beau ici ! Peux-tu comprendre cela ?

À ces paroles, une impression douloureuse traversa le cœur de Heidi. Cette ombre épaisse sur les yeux, dont parlait le docteur, lui rappelait la grand’mère qui ne pourrait plus jamais voir le soleil et tant de belles choses ; c’était un chagrin qui se réveillait avec force au fond de son cœur chaque fois qu’elle se le représentait de nouveau. Elle resta un moment sans parler, car elle avait été atteinte tout d’un coup au milieu de sa joie. Enfin elle répondit gravement :

— Oui, je le comprends bien. Mais je sais ce qu’il faut faire alors ; il faut répéter les cantiques de la grand’mère qui font de nouveau voir un peu clair et même quelquefois si clair qu’on redevient tout joyeux ; c’est la grand’mère qui l’a dit.

— Quels cantiques, Heidi ? demanda le docteur.

— Je sais seulement celui du soleil et du beau jardin ; et aussi dans le grand cantique les versets que la grand’mère aime, parce qu’il faut toujours que je les lise trois fois.

— Eh bien, dis-moi une fois ces versets, je voudrais bien aussi les entendre, dit le docteur en se redressant pour mieux écouter.

L’enfant joignit les mains, et après avoir réfléchi un instant :

— Faut-il commencer là où la grand’mère dit que cela remet de la confiance dans le cœur ?

Le docteur fit un signe affirmatif. Heidi commença :

Laisse, laisse sans crainte
Agir et gouverner
Cette volonté sainte
Qui doit tout diriger.
Quand de la délivrance
Sera venu le temps,
De son amour immense
Tu comprendras les plans.
Il tardera peut-être
À calmer ta douleur,
Et pourra te paraître
Sourd au cri de ton cœur.
De toi cachant sa face,
Il semble pour toujours
Te refuser sa grâce,
Te laisser sans secours.
Mais reste-Lui fidèle
Tant qu’Il veut t’éprouver,
Et sa main paternelle
Viendra te relever.
Du souci qui t’accable
Il ôtera le faix,
Et sa grâce ineffable
Te remplira de paix.

Heidi s’arrêta tout à coup n’étant pas bien sûre que le docteur l’écoutât toujours. Il avait mis sa main devant ses yeux et restait ainsi sans faire le moindre mouvement. Aussi pensa-t-elle qu’il s’était peut-être un peu endormi et que si, à son réveil, il voulait encore entendre d’autres versets, elle n’aurait qu’à les lui réciter alors. Tout était silencieux. Le docteur ne disait rien, mais il ne dormait pas ; la voix de l’enfant l’avait transporté bien, bien loin, dans le passé ; il se revoyait petit garçon, à côté du fauteuil de sa mère ; elle l’entourait de son bras et lui disait le cantique que Heidi récitait et qu’il n’avait plus entendu depuis si, si longtemps. Puis il lui sembla entendre la voix même de sa mère, il vit ses yeux s’arrêter sur lui avec tendresse, et lorsque le cantique fut fini, il entendit cette voix aimée lui murmurer d’autres paroles encore ; il fallait qu’il aimât bien à les écouter et à les suivre dans son souvenir, car il demeura encore longtemps ainsi, immobile, le visage toujours caché dans ses mains. Lorsqu’il releva enfin la tête, il vit que Heidi le regardait avec étonnement ; il prit la main de l’enfant dans les siennes :

— Heidi, ton cantique était bien beau, dit-il d’un accent plus joyeux qu’auparavant. Nous reviendrons ici, et tu me le rediras encore une fois.

Pendant tout ce temps, Pierre avait été fort occupé à décharger son indignation : il y avait tant de jours que Heidi n’était pas venue au pâturage ! et maintenant qu’elle y était bien réellement de nouveau, voilà que le Monsieur restait assis tout le temps à côté d’elle, et que lui, Pierre, ne pouvait pas s’approcher ! Son dépit était extrême. Il s’avança à quelque distance derrière le Monsieur, qui ne pouvant pas le voir, ne se doutait de rien ; alors il dirigea vers lui un poing agressif, puis deux, et plus Heidi restait à côté de son compagnon, plus les poings de Pierre s’agitaient terribles et menaçants pour celui qui lui tournait le dos.

Sur ces entrefaites, le soleil ayant atteint dans le ciel la hauteur qui indique le moment du dîner, Pierre qui connaissait cela parfaitement cria de toutes ses forces :

— Il faut manger !

Heidi se leva pour aller chercher la sacoche, afin que le docteur pût prendre son dîner à la place même où il était assis. Mais il déclara n’avoir pas faim et demanda seulement à boire un verre de lait, après quoi il voulait se promener un peu sur l’alpe et monter encore plus haut. Aussitôt Heidi découvrit qu’elle n’avait pas faim non plus et qu’elle aimerait mieux aussi ne boire qu’un verre de lait et mener le docteur tout en haut, jusqu’aux grosses pierres moussues, près de l’endroit où la Linotte avait failli tomber dans le précipice et où croissaient les herbes les plus aromatiques. Elle courut donc vers Pierre, lui expliqua la chose et lui dit de traire d’abord une tasse de lait de Blanchette pour le docteur, puis une seconde pour elle-même. Pierre fort étonné regarda un moment Heidi, puis il demanda :

— Qui est-ce qui aura ce qu’il y a dans la sacoche ?

— Toi, si tu veux, répondit-elle, mais commence par donner le lait, et dépêche-toi.

Jamais encore Pierre n’avait accompli aucun acte avec la promptitude qu’il mit à exécuter l’ordre de Heidi, car il voyait toujours devant lui la sacoche dont il n’avait pas encore regardé le contenu. Dès que ses compagnons furent tranquillement occupés à boire leur lait, Pierre ouvrit la sacoche et y jeta un rapide coup d’œil ; en apercevant le magnifique morceau de viande, tout son être frémit de joie, et il lui fallut s’assurer par un second regard qu’il ne se trompait pas. Puis il plongea la main tout au fond pour en sortir le précieux morceau et s’en délecter ; mais soudain il retira sa main comme s’il n’osait pas le saisir : il lui revenait à la pensée qu’il avait fait le poing au Monsieur derrière son dos, — et voilà que maintenant le même Monsieur lui cédait un dîner sans pareil ! Pierre eut des remords de son action ; c’était comme si ce souvenir l’empêchait de tirer du sac ce beau présent et d’en jouir à son aise. Tout d’un coup il se leva et courut à la place même d’où il avait envoyé ses menaces au docteur ; là, il étendit les mains bien ouvertes en avant pour annuler l’effet des poings, et resta ainsi un bon moment jusqu’à ce qu’il eût le sentiment d’avoir dûment rétabli l’équilibre ; puis, en quelques sauts il revint à la sacoche, et se sentant de nouveau la conscience à l’aise, il put se livrer de tout son cœur à la jouissance d’entamer à belles dents le friand morceau qui composait ce dîner exceptionnel.

Heidi et le docteur s’étaient longtemps promenés ensemble en s’entretenant de toutes sortes de choses, lorsque ce dernier s’aperçut qu’il était temps pour lui de redescendre ; il pensait que sa petite amie aimerait rester encore un peu avec les chèvres ; mais Heidi n’y songeait point : comment pourrait-elle laisser le docteur descendre tout seul de l’alpe ! Elle voulut absolument l’accompagner jusqu’au chalet du grand-père et même un peu plus loin. Elle marchait toujours à côté de son ami, la main dans la sienne, lui racontant mille choses tout le long du chemin, lui montrant les places où les chèvres aimaient à brouter, et celles où, en été, se trouvaient le plus d’hélianthèmes d’un jaune éclatant, de rouges centaurées et d’autres fleurs encore ; elle connaissait tous leurs noms, le grand-père les lui ayant enseignés durant l’été tels qu’il les savait lui-même. À la fin, le docteur déclara que c’était le moment de partir ; ils prirent congé l’un de l’autre, et il continua sa descente ; mais de temps en temps il se retournait et voyait Heidi debout à la même place, le suivant des yeux et lui faisant des signes de la main, comme autrefois sa propre fille chérie lorsqu’il quittait la maison.

C’était un mois de Septembre doux et tout brillant de soleil. Chaque matin le docteur montait au chalet, et l’on partait presque aussitôt pour quelque belle excursion. Le Vieux de l’alpe l’accompagnait fréquemment et le menait beaucoup plus haut, jusqu’aux sommités rocheuses où se balancent les vieux sapins battus de la tempête, et où le grand oiseau de proie devait avoir son nid, car plus d’une fois il passa en sifflant et en poussant des croassements aigus au-dessus de la tête des deux hommes.

Le docteur trouvait beaucoup de plaisir à la conversation de son guide, et il s’étonnait sans cesse de l’exactitude avec laquelle le Vieux connaissait et nommait toutes les plantes à la ronde, sachant toujours à quoi elles étaient bonnes ; partout il découvrait des choses utiles et précieuses, soit dans les sapins résineux ou les sombres pins aux aiguilles odorantes, soit dans les mousses frisées qui garnissaient les racines des vieux arbres, soit enfin dans les plantes et les fleurs les moins apparentes qui poussaient encore à une grande hauteur sur le vigoureux sol alpestre. Le vieillard connaissait tout aussi exactement le caractère et les mœurs des animaux petits et grands habitant ces hauteurs, et il racontait au docteur les choses les plus amusantes sur la manière de vivre de ces hôtes des rochers, des cavernes et des hauts sapins. Le temps s’écoulait bien vite pour le docteur dans ces excursions, et souvent, le soir, lorsqu’il se séparait du Vieux avec une cordiale poignée de main, il lui répétait encore :

— Mon cher ami, je ne vous quitte jamais sans avoir appris quelque chose de nouveau !

D’autres fois cependant, et en général par les plus belles journées, le docteur préférait se promener avec Heidi. Ils allaient alors s’établir ensemble sur la saillie du pâturage où ils s’étaient assis le premier jour, et Heidi répétait au docteur les versets du cantique et lui racontait tout ce qui lui venait à l’esprit, tandis que Pierre, à quelque distance derrière eux, restait assis sans mot dire, mais tout à fait apprivoisé et ne songeant plus à faire le poing.

Ainsi s’écoula le beau mois de Septembre. Puis, un matin le docteur arriva au chalet avec un visage moins joyeux que d’habitude : c’était son dernier jour, dit-il, il fallait qu’il retournât à Francfort ; mais cela lui faisait beaucoup de peine, parce qu’il s’était attaché à l’alpe. Cette nouvelle causa du chagrin au Vieux qui avait aussi beaucoup joui dans la société du docteur ; quant à Heidi, elle s’était si bien accoutumée à voir tous les jours son bon et affectueux ami, qu’elle ne pouvait comprendre que tout cela dût si subitement prendre fin. Elle leva vers lui un regard inquiet et interrogateur, mais elle vit que ce n’était que trop vrai. Le docteur prit congé du grand-père et demanda à Heidi si elle voulait l’accompagner encore un peu ; elle descendit donc avec lui le long du sentier, la main dans la sienne, mais sans pouvoir encore croire qu’il partît pour tout de bon. Au bout d’un certain temps le docteur s’arrêta et déclara que Heidi était venue assez loin, qu’il était temps pour elle de retourner. Il passa la main tendrement et à plusieurs reprises sur les cheveux frisés de l’enfant.

— Maintenant, Heidi, il faut que je parte, dit-il ; si seulement je pouvais t’emmener à Francfort et te garder auprès de moi !

Heidi vit aussitôt se dresser devant elle tout Francfort avec ses maisons innombrables, ses rues pavées, et Melle Rottenmeier, et Tinette ! aussi répondit-elle avec quelque hésitation :

— J’aimerais encore mieux si vous reveniez chez nous.

— Eh bien, oui, cela vaudra mieux. Adieu donc, Heidi, répondit le docteur en lui tendant la main. L’enfant y plaça la sienne et leva son regard vers l’ami qui allait partir. Les bons yeux qu’elle rencontra se remplirent de larmes ; puis le docteur se détournant brusquement, se mit à descendre la montagne d’un pas pressé.

Heidi était demeurée immobile à la même place. Les larmes qu’elle avait vues dans ces yeux si pleins d’affection la travaillaient intérieurement. Soudain elle éclata en pleurs et se précipita sur les pas du voyageur en criant de toutes ses forces d’une voix entrecoupée de sanglots :

— Monsieur le docteur ! Monsieur le docteur !

Il se retourna et s’arrêta. Heidi l’avait rejoint ; les larmes ruisselaient le long de ses joues tandis qu’elle lui disait à travers ses sanglots :

— Je veux bien aller à Francfort tout de suite et rester avec vous aussi longtemps que vous voudrez ; il faut seulement que j’aille vite le dire au grand-père.

Le docteur caressa l’enfant agitée et chercha à la calmer.

— Non, ma chère Heidi, dit-il de sa voix la plus affectueuse, pas maintenant ; il faut que tu restes encore sous les sapins, ou tu pourrais retomber malade. Mais écoute, je veux te demander une chose : si jamais j’étais souffrant et seul, voudrais-tu venir et rester avec moi ? Puis-je compter que j’aurai alors quelqu’un pour prendre soin de moi et m’aimer ?

— Oui, oui, j’irai, bien sûr, le jour même, et je vous aime presque autant que le grand-père ! affirma Heidi sans cesser de sangloter.

Le docteur lui serra encore une fois la main et se remit rapidement en route. Mais Heidi, debout à la même place, continua à lui faire signe de la main aussi longtemps qu’elle aperçut un point noir sur le sentier. Lorsque le docteur se retourna pour regarder une dernière fois l’enfant et l’alpe soleillée, il se dit tout bas à lui-même : — Il fait bon là-haut ; c’est là que l’âme et le corps peuvent guérir et qu’on se reprend à aimer l’existence ! —