En voyage, tome II (Hugo, éd. 1910)/Notes de cette édition/Éditeur/II

Texte établi par G. SimonLibrairie Ollendorff (p. 611-618).
II
REVUE DE LA CRITIQUE.



La critique salua dans Victor Hugo un cicérone incomparable, un reporter prodigieux, un Bædeker de génie. C’est qu’en effet, tout en décrivant les pays les plus connus et les plus fréquentés, il avait découvert des nouveautés qui avaient échappé à la perspicacité des guides patentés ; et on louait dans ce touriste improvisé la puissance de vision, la verve charmante, la richesse de la fantaisie, la fraîcheur du coloris, la bonhommie et la belle humeur, la faculté d’évoquer en images saisissantes les temps disparus, le mélange de philosophie profonde et de verve comique, la peinture éblouissante d’un site succédant à quelque généreux plaidoyer pour le triomphe de la fraternité ; et cette heureuse alliance de l’imagination et de l’observation qui produisait des tableaux d’une vie intense et colorée. C’est qu’en effet ces lettres et ces notes sont familières, amusantes, émouvantes, spirituelles, vibrantes, remplies d’idées nobles, d’impressions pittoresques, de sensations vraies avec cet imprévu qu’apporte le voyage accompli sous le régime d’une locomotion primitive ; et si vous avez parcouru jadis la France et la Belgique, les Alpes et les Pyrénées, si vous les revoyez avec les volumes de Victor Hugo en main, vous ferez, grâce à lui, des découvertes ; car nul mieux que lui ne comprenait toutes les beautés de la nature et ne scrutait avec une plus étonnante pénétration tous les détails d’une cathédrale ou tous les mystères d’une architecture. Voilà comment la critique apprécia les livres de voyage de Victor Hugo.

Ces récits qui pouvaient paraître monotones sont d’une lecture aimable et charmante parce qu’ils sont agrémentés d’anecdotes, de petites aventures et d’impressions personnelles ; Victor Hugo ayant été toujours le fervent admirateur des merveilles que, suivant son expression, Dieu fait avec du vert et du bleu, était bien le poète désigné pour nous promener dans ces paysages dont il nous révélait toutes les grandeurs en leur prêtant toutes les parures de son style. Aussi ne trouve-t-on dans la critique aucune note discordante.


I
FRANCE ET BELGIQUE.




L’Écho de Paris.

E. Lepelletier.

Évidemment ce nouveau volume ne pouvait ajouter rien à la gloire toujours rayonnante de Victor Hugo. Il fera nombre pourtant dans l’œuvre immense du géant dont la statue idéale, toujours debout, toujours immaculée, supporte avec l’impassible dédain de l’éternité les jappements du roquet de lettres qui trottine la plume en trompette ou les éructations des esthètes bourrés de leur orgueilleuse sottise qui se plaisent à lever la phrase le long des monuments.

Victor Hugo n’était pas tenu d’être toujours cramponné à la crinière de Pégase emporté ! Il lui était permis de cesser de planer et de monter dans des véhicules populaires. Dans ce volume de confidences voyageuses, Hugo ne se laisse pas emporter par les serres de l’aigle à travers les nues irritées, il prend tout bonnement, sa place tantôt sous la bâche de la diligence avec des soldats et tantôt dans la rotonde avec des nourrices.

C’est un recueil familier d’impressions, de choses perçues au croisement d’une route, en visitant une cathédrale comme Notre-Dame de Chartres, « une merveille », en faisant « philosophiquement ses six lieues à pied » de Dol à Saint-Malo, dans les pierres héroïques de ce champ de Crécy, aïeul funèbre de Waterloo et de Sedan, « où ses souliers de castor se sont crevés ».

Ses notes de voyage en France et Belgique resteront, comme le Rhin, un guide merveilleux, toujours actuel, toujours contemporain et que consulteront tous ceux qui voyagent les yeux ouverts et l’esprit en éveil.

… Le livre nouveau de Victor Hugo est une excursion charmante à prix réduit, où l’on s’arrête quand on veut, conduit par un cicérone inépuisable, aux boniments toujours inattendus et surprenants. Lire en chemin de fer ce guide du voyageur en diligence est un contraste exquis.

…Tel est ce beau livre, vivant, actuel, d’une jeunesse permanente. Il n’ajoute rien à la gloire du Maître, parce qu’il n’est pas possible de grandir ce qui a dépassé les statures permises. L’eau bout à cent degrés, l’immortalité de Victor Hugo a depuis longtemps atteint son maximum de rayonnement.


Le Tintamarre.

Léon Bienvenu.

Nous n’avons jamais cru que Victor Hugo fût mort, le grand poète étant de ceux qui vivent éternellement par leurs œuvres, comme Homère, Virgile, Dante, Shakespeare. Mais ce qu’il y a de surprenant, c’est que ce génie extraordinaire qui a rempli l’univers pendant plus d’un demi-siècle, quoique couche là-bas sous la coupole, trouve encore moyen de nous éblouir chaque année par quelque nouvel éclaboussement d’étoiles, inattendu et superbe.

France et Belgique est un volume de notes de voyages qui nous révèle un Victor Hugo intime, primesautier, plein d’humour, d’entrain, de gaîté, qui voit tout, s’enthousiasme ou s’irrite, s’attendrit ou plaisante, laissant voir, même au cours de la fantaisie la plus familière ou la plus capricante, la griffe de lion du génie.

Au cours de ces lettres écrites à la hâte dans une chambre d’hôtel, sur le coin d’une table d’auberge, au hasard de la circonstance, l’âme du poète se délasse des bonds prodigieux qu’il a faits dans l’empyrée. Mais qu’un détail pittoresque apparaisse : ville flamande avec sa flèche-bijou, site sauvage en Bretagne, champ de bataille de Crécy, « aïeul funèbre de Waterloo et de Sedan », et le puissant épistolier, galopant sur la plus fantastique imagination qui fût jamais, évoque en une page où la bonhomie cède le pas à l’éloquence, avec une acuité de vision incomparable, le tableau qu’il a sous les yeux.

Il faut lire, relire, méditer, savourer cette nouvelle œuvre du grand poète, à qui rien ne fut impossible sinon d’être plat ou banal, et qui, au gré de son caprice énorme, volontiers dérangerait une montagne pour ramasser une perle. Ce livre démontre que le génie, même quand il fait l’école buissonnière, est toujours le génie, et que les miettes qui tombent de sa table sont dignes du festin merveilleux qu’il a servi à nos appétits intellectuels.


Le Radical.

Édouard Durranc.

… Ce livre, si nouveau dans l’œuvre, est fait de lettres intimes, d’une intimité qui — bien entendu — ne ressemble pas à celle des autres hommes. Hugo n’a jamais pu être intime avec la note de familiarité que comporte ce mot. Ce serait supposer qu’on ait jamais pu voir Olympio en pantoufles.

Et cependant il s’amuse énormément dans ces lettres, il joue, il badine, il descend jusqu’à la petite querelle.

Et ce sont précisément ces incessantes querelles avec les aubergistes spoliateurs, avec les portefaix d’Avignon, avec les sacristains de cathédrales qui veulent cacher leurs plus belles choses, qui donnent au livre son accent d’intimité particulière.

Ce ne sont là que les petits côtés amusants du livre…

… Mais le voyage ! Ah ! l’incomparable cicérone que Victor Hugo ! On retrouve là, comme sur une palette, négligemment jetées, toutes les couleurs que vous rencontrez dans son œuvre. Il fait des provisions de sensations qu’il note d’une ligne, souvent d’un seul mot.

La mer, surtout, attire Hugo. Il parle avec elle, comme une puissance avec une autre puissance.

Après la mer, ce sont les cathédrales, les églises, les tours, les clochers, les portails, les vitraux. Il y en a une éblouissante collection, vue avec cet œil qui ne trouvait aucun détail trop petit ni aucun ensemble trop grand, et à qui les mots du plus riche vocabulaire obéissaient comme au commandement.


Le Gil Blas.

Paul Ginisty.

… Il est intéressant de surprendre le grand homme dans la simplicité de ses récits, volontiers enjoués et pleins de rondeur, dans le sans-façon de son carnet de promeneur à travers des pays nouveaux pour lui. C’est un Hugo bonhomme, narquois aussi, résigné avec belle humeur à toutes les petites mésaventures fatales, qui apparaît souvent, lorsque quelque spectacle d’une beauté imprévue ou quelque émotion intense ne fait pas brusquement rentrer en scène, comme à son insu, le poète de génie ; et c’est précisément par ce mélange de terre à terre et de coups d’ailes que le livre formé par ses lettres intimes garde, malgré les années lointaine, d’où elles sont datées, une saveur singulière.

… On sent, à travers toutes ces notes de route, que Hugo a été le prestigieux évocateur de Notre-Dame de Paris. Partout où il la rencontre, l’architecture gothique le ravit. Surtout il se plaît à errer dans les vastes cathédrales, pestant contre l’importunité des sacristains, dont l’obséquiosité intéressée ne peut laisser le visiteur s’abandonner aux pensées qui l’emplissent, aux rêveries profondes qui sont comme un crépuscule qui tombe dans l’esprit.

… Une page saisissante (la concision de ces notes ne les empêche pas d’avoir une furieuse couleur romantique) est celle que Hugo consacre au bagne de Toulon. Dans le tas des forçats, il aperçoit des incurables et un fou, enchaînés comme les autres, et il frémit. Le pêle-mêle des condamnés le révolte aussi. Le compagnon de chaîne d’un assassin est un pauvre diable qui a gagné dix ans de bagne en essayant de changer six liards faux, « sachant qu’ils étaient faux » a dit l’arrêt ! Ce qui étonne Hugo, c’est la vieillesse de beaucoup de ces misérables : sous la casaque d’infamie, quelques-uns ont un air vénérable. Hugo, ici, se souvient qu’il n’est pas seulement poète, mais homme politique, et il jette sur le papier des notes pour la question, grave à traiter, de la répression.

Ainsi, avec ses lettres, est-on, pour ainsi dire, dans le commerce familier d’un grand esprit, et on peut se plaire à rapprocher telle pièce de vers célèbre d’Hugo d’une des pensées qui ont jailli chez lui au cours de ses excursions de touriste.

Une impression se dégage, une idée naît, et le jour viendra où elle prendra sa forme littéraire.

Quand il s’agit d’un pareil poète, ce travail est curieux à suivre.


La Justice.

Camille Pelletan.

…Victor Hugo apparaît tout d’abord avec deux puissances maîtresses, le lyrisme et l’épopée. Nul ne possède à un plus haut degré le génie créateur. Et pourtant, c’est un besoin auquel on revient si forcément de retrouver la réalité sous l’œuvre d’art, qu’il y a des moments où l’on est plus saisi par la page écrite d’après nature que par les créations les plus audacieuses et les plus magnifiques.

Or, par un contraste qui se comprend aisément, nul ne donne un accent plus saisissant à ce que les peintres appellent « une étude d’après nature » que les génies de grande envergure. Ils sont aussi grands quand ils touchent le sol que quand ils prennent leur élan.

… Ce dernier volume n’est pas mis au point comme le Rhin. C’est une suite de lettres et de morceaux détachés. Mais Victor Hugo n’a pas écrit peut-être de plus belles pages que quelques marines et quelques paysages qui se trouvent là. Il y a, à côté de ces tableaux de la plus grande puissance, des croquis familiers d’auberges et de diligences tout à fait extraordinaires.

Des recueils comme celui-ci offrent un intérêt d’histoire littéraire particulier. Quand Victor Hugo disait, en tête d’un livre comme le Rhin, qu’il s’était borné à donner ces lettres écrites au jour le jour telles qu’elles étaient parties d’un coin de table d’hôtel, ses plus grands admirateurs se refusaient à le croire. Évidemment l’affirmation comporte quelques réserves.

Mais les morceaux qu’on nous donne et dont la plupart n’ont été écrits que pour des amis, amènent à restreindre singulièrement les réserves. Il est prodigieux que des lettres, griffonnées au coin d’une table d’auberge, aient pu contenir des pages d’une telle envolée et d’une forme si définitive.


II
ALPES ET PYRÉNÉES.




Le Télégraphe.

Camille Le Senne.

S’il est une œuvre qui mérite d’avoir pour épigraphe la phrase célèbre de Montaigne : « Ceci est un livre de bonne foy », c’est bien le septième volume du Victor Hugo, édité chez Hetzel et Quantin par les soins des exécuteurs testamentaires du poète : Auguste Vacquerie et Paul Meurice. En Voyage, c’est l’admirable touriste du Rhin, le plus puissant interviewer de la nature qu’ait connu le dix-neuvième siècle, nous racontant la suite de ses dialogues avec le ciel, la montagne, le fleuve et la forêt, combinant la psychologie, l’histoire, les impressions personnelles, les pompes du style descriptif et, ce qui domine toujours chez Victor Hugo, la compassion profonde pour l’humanité, la tendresse pour les petits, pour les humbles, pour les misérables, dans un alliage d’une solidité merveilleuse, d’un incomparable éclat — le vrai métal de Corinthe.

… Après ces grandes pages, ces vastes panoramas à vol d’aigle, un petit croquis, un « quadro » délicat, gentil, amusant, comme disent les peintres, une description de Berne et la vallée vue par le petit bout, par l’infiniment petit bout d’une infiniment rapetissante lorgnette…

Tout le Victor Hugo d’En Voyage, ces tableaux pris au hasard et pourtant d’une incomparable unité dans leur variété apparente : un point de départ quelquefois dur et brutal, toujours solide et largement tablé, le corps à corps titanesque avec la nature, puis les joliesses amusées de l’école buissonnière, le marivaudage dans l’exquis ; enfin, le coup d’aile, l’envolée superbe.


La France.

Saint-James.

Nulle œuvre, parmi les œuvres de Victor Hugo, ne peut mieux et plus parfaitement nous faire comprendre la nature même du poète et de l’homme qu’une série de lettres dictées par les péripéties et les hasards d’un voyage en Suisse et en Espagne (1839-1843) et qui, pieusement recueillies, viennent d’être publiées sous ce titre ; En Voyage.

Longues ou brèves, véritables poèmes ou courts billets griffonnés sur une table d’auberge, au retour de quelque promenade, ces lettres sont de purs chefs-d’œuvre ; pleines de simple émotion, de grandes et nobles idées, de sensations vraies, d’impressions profondes et éminemment justes, dénuées de tout souci de publicité, elles ont porté à la femme et aux meilleurs amis de Victor Hugo ses pensées les plus personnelles, ses sensations les plus intimes…

… Victor Hugo a tout compris dans la nature, comme dans l’âme humaine, ou plutôt il a pénétré au plus profond de la nature et de l’âme. Il a tout pressenti, tout deviné, tout compris, tout conçu. On ne discute pas Victor Hugo, on le subit ; en le lisant, on est courbé par un souffle infini qui vous emporte éperdument, et qui vous laisse la sensation d’une vision surhumaine. Bien mieux encore que dans les œuvres véritablement destinées au public, il est vivant et palpitant dans ses lettres qui racontent son existence presque jour par jour ; quand nous nous trouvons en face de cette personnalité si haute, de cette âme si élevée, de cet esprit si profond et si vaste, quand nous sommes mis à même de contempler de si près ce génie, le vertige nous prend, comme il nous étreint au pied d’un inaccessible sommet qui accable notre petitesse de toute son immensité.

Le style de Victor Hugo, ce style éclatant, brutal parfois, aux images excessives mais toujours profondément vraies, lui appartient bien en propre ; ce n’est pas une création de son esprit et de sa volonté ; c’est sa nature même ; on le sent, en trouvant à chaque page dans ses lettres ces métaphores hardies, ces images pleines de puissance qui viennent sous sa plume sans effort et du premier jet ; il voyait juste, mais il avait le don de voir grand…


Le Gil Blas.

Paul Ginisty.

… Ce sont, aujourd’hui, des notes de voyage du poète qui nous sont données, délassement d’un grand esprit qui se plaisait à fixer ses impressions, à jeter des croquis où déborde la vie, et, entre deux excursions, à rêver en évoquant le passé de ces pays qu’il traversait. Là, il laisse courir sa plume avec une grâce familière, et souvent il plaisante sur un ton de bonhomie charmante, comme s’il donnait des vacances même à son austère pensée. Il dira gaiement ses mésaventures de voyageur, l’exploitation des hôteliers suisses, ses légitimes inquiétudes sur l’impériale d’une diligence espagnole, roulant à fond de train sur une route bordée de précipices ; il raillera les touristes qui, même en un temps où le chemin de fer n’avait pas vulgarisé les promenades un peu lointaines, passaient sans les voir, dans leur empressement risible, à côté des plus pittoresques spectacles…

Mais ce sont, tout à coup, des souvenirs qui prennent forcément, chez Hugo, une grandeur épique. Dans le chemin creux de Kussnacht, il contemple cette nature, « sereine comme une bonne conscience », qui a été le théâtre de tant de luttes pour la liberté…

Puis c’est l’Espagne, où Victor Hugo retrouve avec attendrissement ses impressions d’enfance, alors que, tout petit, à l’époque des grandes guerres, il suivait son père. Il parcourt tout le pays du Guipuzcoa, il revoit ce village d’Hernani dont le nom était toujours demeuré dans sa mémoire. Il cause avec les batelières de Pasages…

Parmi les livres posthumes d’Hugo, celui-ci est vraisemblablement celui qui nous tait pénétrer le plus directement dans l’intimité de son esprit.


Le Radical.

Georges Lefèvre.

Dans le superbe poème qu’il vient de publier, et qui sera l’œuvre de sa vie, dans Futura, Auguste Vacquerie a dit :

Est-ce un voyageur, celui qui promène
Ses talons des pics neigeux aux prés verts ?
Enfant, il existe un autre univers
Plus grand que le tien : la pensée humaine.

Ces vers chantaient dans ma mémoire pendant que je dévorais le dernier volume paru des œuvres posthumes de Victor Hugo, et je me demandais, moi, voyageur insatiable, si cette fois encore le poète n’avait pas raison. J’ai visité les Pyrénées, j’ai maintes fois parcouru les Alpes, et il me semble, maintenant que j’ai fermé En Voyage, que je ne les connaissais pas.

Le voyageur, celui qui va demander aux pays lointains des sensations et des émotions nouvelles, ne saurait être rassasié par la contemplation d’un site s’il ne voit dans ce site que son caractère purement matériel, limité au contour et à la couleur. Les choses ont à la fois leur beauté physique et leur beauté morale, et il n’y a point de honte à avouer que cette dernière ne nous apparaît pas toujours de prime abord.

Nous avons besoin, nous qui ne sommes pas des hommes de génie, qu’on nous explique ce grand rébus éternel, cette énigme perpétuellement posée de la nature. C’est de ce commentaire que Victor Hugo s’est chargé ; et comme un peintre idéalise à peu près fatalement son modèle et met, même à son insu, dans un portrait qu’il exécute, une part de lui-même, le grand poète a prêté aux sites qu’il décrivait sa flamboyante poésie. Ce ne sont plus seulement des paysages que nous offre En Voyage, ce sont des paysages expliqués par Victor Hugo…

Mais le caractère le plus attachant et le plus merveilleux de ces récits, c’est certainement la vie donnée à ce qu’on ne voit pas, à l’histoire des lieux décrits ; sous la plume fée du poète, ces montagnes et ces vallées, ces villes étranges, ces hameaux guerriers de Suisse, ces villages sauvages des Pyrénées se peuplent de leurs habitants disparus, revivent un moment leur vie d’autrefois.

Et dans cette majestueuse évocation, nous voyons passer devant nous tous ces hommes, tous ces combattants de la vieille indépendance helvétique ; nous les voyons reparaître sur les lieux mêmes où grandit leur gloire…

… Et quand Victor Hugo a franchi la frontière d’Espagne, quand il a remis, après tant d’années, le pied sur ce sol qu’il avait foulé enfant, ce sont ses propres souvenirs qui l’assiègent et ces souvenirs sont charmants. Il règne là-dedans une exquise fraîcheur.

Puis, quand cette excursion est finie dans le passé, quand cette riante vision a disparu, le volume continue, sombre, sévère, superbe.

Décidément, Auguste Vacquerie a raison :

Je reviens d’endroits que ton âme envie,
Et je vais passer mon reste de vie
Dans un trou, voulant voyager un peu :
Je lirai !…

Et ceux-là seront nombreux qui suivront mon exemple et voyageront comme moi, avec le livre.


Le Figaro.

Philippe Gille.

… Ce livre est un des plus beaux que le poète ait écrits dans toute la force, dans toute la plénitude de son talent. Tout serait à citer, et c’est une joie de connaître ou de reconnaître avec Victor Hugo les merveilles qu’il a visitées ; à chaque pas, c’est une minutieuse ou superbe description, une évocation…

… Chemin faisant, je trouve une amusante sortie sur l’inconvénient des pseudonymes ; de superbes pages consacrées au charnier de Saint-Michel où éclate toute la puissance de vision, de souvenir et d’éloquence du poète. C’est là du plus bel Hugo ; il n’est dans son œuvre passée rien de plus saisissant que ce récit, de plus haut que ces pensées qui ont attendu cinquante ans pour venir à nous.

Tout le volume est rempli de morceaux d’une valeur égale en différents genres ; il n’est pas de si petit détail qui ne fasse vibrer quelque chose de l’âme du poète, témoin la lettre où le seul bruit d’une charrette qui passe vient évoquer pour lui tout un jour de son enfance.

Dans ce morceau plein de charme, et d’une grâce exquise, comme dans le superbe récit des cadavres de Saint-Michel, on retrouve et le poète et le prosateur dans toute leur grandeur. Rien que ces fragments suffiraient, s’il était possible que l’œuvre de Victor Hugo vînt à disparaître, à fixer la postérité sur la hauteur qui lui est assignée dans l’échelle des écrivains. Les ruines du Forum, celles de l’Acropole, de Thèbes, ne disent-elles pas assez ce qu’étaient Rome, la Grèce et l’Égypte pour qu’on les devine et qu’on les reconstitue, sans qu’il soit nécessaire de connaître les autres merveilleux restes que le temps nous a conservés ?


La Lanterne.

Anatole de la Forge.

Victor Hugo n’est pas seulement un prodigieux poète, c’est aussi un incomparable voyageur. Il sait voir en même temps la poésie et la réalité des choses, et il les dépeint avec la verve endiablée d’un artiste et la précision mathématique d’un savant.

…Victor Hugo décrit le paysage des Alpes, des Pyrénées et de l’Espagne avec un si vif relief de dessin et de couleur, qu’il semble, en les lisant, qu’on a fait soi-même le voyage. Le narrateur mêle aux splendeurs et à la vérité de ses descriptions des aperçus pittoresques et des réflexions humanitaires qui prouvent que chez lui le cœur est constamment de la partie. Il y a toujours au fond du cerveau de ce poète un penseur sommeillant qui ne demande qu’à se réveiller.

L’arrivée à Pampelune, la description détaillée de cette ville, de ses monuments, de sa cathédrale, valent ensemble un tableau de grand maître. Tout cela est vivant, rayonnant, resplendissant et très bien fondu dans une harmonieuse lumière sous la plume habile du magicien enchanteur.


L’Écho de Paris.

Edmond Lepelletier.

Victor Hugo se survit, non pas seulement par l’œuvre passée, mais par l’œuvre présente. La mort n’est qu’un mythe. Il est vivant. Il est au milieu de nous. Il s’isole sans doute dans le travail et nous ne pouvons plus l’approcher comme autrefois. Mais c’était là le privilège de quelques-uns. Tous participent toujours à la communion universelle de son génie, et son labeur est le partage de tous. Le père est toujours là-bas dans l’île, comme disait le poète des Exilés.

Non ! Victor Hugo n’est pas descendu dans la tombe. Le Panthéon glorieux n’est qu’un cénotaphe. Gloire ! La bière est vide ; c’est qu’Hugo est vivant. Le maître travaille toujours pour nous et voici son dernier livre : En Voyage. — Alpes et Pyrénées.

L’antithèse, qu’on a reprochée à Victor Hugo, il fallait aussi la reprocher à la nature, qui a fait l’ombre et le jour, l’Alpe et le vallon, le roc du rivage et le flot mouvant des mers…

La publication de ce volume nouveau des œuvres inédites de Victor Hugo est une pierre de plus au monument gigantesque, ce monument toujours plus beau, toujours plus visible sur l’horizon, toujours plus baigné de la pleine lumière de sa gloire, et qui, hors de la nuit du tombeau, monte comme une aube éternelle émergeant sans fin des profondeurs de l’Océan.


Le Charivari.

Pierre Véron.

Savez-vous que c’est soumettre la gloire d’un homme à la plus redoutable des épreuves que de le faire ainsi revivre, après sa mort, à intervalles réguliers, pour le soumettre de nouveau au jugement de la postérité ? Mais Victor Hugo est de ceux qui n’ont rien à redouter de cette revision. C’est, au contraire, chaque fois pour lui, comme un renouvellement de triomphe.

De son vivant, Hugo publia sur le Rhin une série de lettres mémorables. En Voyage est une œuvre de la même famille.

On y retrouve cette façon de voir si personnelle, ce mélange de philosophie profonde, de puissance descriptive et de verve ironique dont les contrastes donnent une saveur bien particulière à cette attachante lecture.


Le Rappel.

Judith Gautier

… Voilà six ans déjà que Victor Hugo est parti pour un exil sans retour, et voilà le sixième volume que nous donne, sans s’épuiser, le magnifique legs de son génie.

Cette fois, c’est un Voyage à travers les Alpes et à travers les Pyrénées, les villes de Suisse et les villes d’Espagne. Le poète s’en va seul, en touriste, au gré de sa fantaisie, et avec une verve charmante et une éloquence superbe, il vous décrit ce qui passe devant ses yeux et ce qui se passe dans son esprit. On croit faire le voyage avec lui, et, certes, il est un guide et un compagnon incomparable. S’il vous parle de Lucerne ou du mont Pilate, il vous dira tout de cette ville et de cette montagne ; sous la physionomie il cherchera l’âme ; pour la ville l’histoire, pour le mont les bizarreries, les terreurs, les légendes. Du sommet du Righi il ne voit pas seulement le magique panorama qui se déploie à perte de vue, il revoit aussi les drames, les luttes, les aventures qui ont agité et illustré chaque point du paysage et lui donnent l’intérêt et la vie.

… De lac en lac, de mont en mont, de ville en ville, il évoque tout le passé, tous les égorgements, toutes les convulsions héroïques du peuple qui vit dans cette contrée si tourmentée.

… En résumé, lire le nouveau chef-d’œuvre écrit par Victor Hugo, de 1839 à 1843, est une fête qu’il faut se donner.