En ribouldinguant/Une vraie perle

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En ribouldinguantOllendorf (p. 23-26).

Une vraie perle


Vers le commencement de ce mois environ, le jeune vicomte Guy de Neucoulant vit sa pauvre âme envahie par le vague.

Sa maitresse l’avait planté là.

Pourquoi sa maîtresse l’avait-elle planté là ?

Désirez-vous le savoir ? Vous vous en fichez ! Eh bien ! et moi, donc !

Je vais tout de même, bien que la chose ne comporte pas un intérêt excessif, vous la narrer.

Ce n’est pas que ce soit sale, mais ça tiendra de la place.

Hortense — ai-je besoin de dire qu’elle s’appelle Hortense — est une délicieuse personne, belle comme le jour, mais niaise comme la lune.

L’aisance avec laquelle cette jeune femme digère les plus démesurées bourdes, tient réellement du prodige.

Ah ! ce n’est pas elle qui inventa la mélinite (regrettons-le pour M. Turpin, en passant). Seulement, quand elle s’aperçoit qu’on s’est fichu d’elle, Hortense en conçoit un vif ressentiment, et cette dinde se transforme en hyène, dès lors.

C’est cette susceptibilité qui amena la rupture annoncée plus haut.

Un jour qu’elle se trouvait avec Guy dans je ne sais plus quel bar américain (celui de la rue Volney, peut-être), un journal abandonné sur une table frappa ses regards. Ce journal s’appelait The Shipping Gazette. Elle demanda à Guy la signification de ce titre.

— Comment, fit Guy d’un air étonné, tu ne comprends pas ?

— Ma foi, non.

— C’est le journal des pick-pockets. En anglais, pick-pocket se dit shipping. C’est même de là que vient le mot français chiper.

— Allons donc !

— Puisque je te le dis.

— Eh bien, ils en ont du toupet, les pick-pockets, d’avoir un journal à eux ! Et la police, qu’est-ce qu’elle dit de ça ?

— La police le sait, mais elle n’y peut rien.

Le soir, comme Hortense dînait dans une maison amie, elle n’eut rien de plus pressé que de raconter son histoire du moniteur des filous.

Les gens n’avaient pas assez de mains pour se tenir les côtes.

Hortense comprit, et le lendemain matin elle cinglait sur Menton, accompagnée d’un riche sucrier américain, M. Gabriell Bonnett, directeur de la Oxnard Beet Sugar Company, Grand Island, Nebraska (U. S. A.), lequel la poursuivait depuis longtemps de ses assiduités.

Le pauvre vicomte Guy de Neucoulant fut malheureux comme les pierres, mais avouez qu’il ne l’avait pas volé.

Pour comble d’ironie, Hortense lui laissait ce simple mot, pas trop bête pour elle :

« Mon cher ami,

« Si vous voulez savoir pourquoi je vous ai lâché, lisez le prochain numéro du The Plaking Gazette. »

Mais assez s’occuper de cette Hortense qui n’est qu’une grue, en somme, et passons à d’autres exercices.

Guy était depuis longtemps sollicité par sa tante, la marquise de Pertuissec, d’aller chasser sur ce domaine qui devait lui revenir plus tard.

Sans plus tarder, il prit le train de 10 h. 57 (je précise) et arriva le soir chez sa digne parente.

Réception cordiale, bonjour mon neveu, bonsoir ma tante, tu as l’air un peu fatigué, comme vous avez bonne mine, quoi de nouveau à Paris, etc.

La marquise, qui dans son temps ne crachait pas sur l’amour, était devenue, avec l’âge, d’une extrême sévérité.

Volontiers, elle oubliait les années disparues en lesquelles ce pauvre gringalet de marquis ressemblait à ces petits bœufs sénégalais, gros comme deux liards de beurre et dont les cornes ont l’air de poignarder les cieux.

Le château de Pertuissec s’était transformé en une véritable caserne de vertu.

C’est à qui y serait le plus vertueux, depuis les garçons d’écurie jusqu’à l’austère maître d’hôtel.

La domesticité femelle surtout était remarquable sous ce rapport, et c’était bien fâcheux, pensa Guy, car, mâtin ! les belles filles !

Au déjeuner, Guy ne put s’empêcher d’en faire la remarque.

— Tous mes compliments, ma tante, vous avez une petite femme de chambre qui n’est vraiment pas dans une potiche.

— Pourquoi donc serait-elle dans une potiche ? demanda la marquise, non sans une nuance d’effarement.

Quand elle eut compris, la marquise s’étendit en louanges sur les beautés morales de la camériste, et ajouta :

— Une perle, mon ami, une vraie perle !

Dans le grand parc solitaire et glacé,
Deux formes ont tout à l’heure passé.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

J’arrête la citation des beaux vers de Paul Verlaine, car la suite ne serait pas conforme à l’esprit de ce récit.

Ces formes, en effet, n’ont pas les yeux morts ; leurs lèvres ne sont pas molles, et si l’on entend à peine leurs paroles, c’est uniquement parce qu’ils remplacent la conversation par une pantomime vive et animée.

De ces deux formes, l’une — vous l’avez deviné, à moins d’être rudement bête — s’appelle Guy de Neucoulant.

Quant à l’autre, elle est constituée par la jolie petite femme de chambre, une perle, une vraie perle !

C’est vers la serre que le couple se dirige.

La pâle Phœbé, indignée de ce spectacle, se bouche les yeux avec de gros nuages gris.

Faisons comme elle.

Guy n’avait pas tout à fait terminé de démontrer à sa partenaire qu’il ne la jugeait décidément pas dans une potiche, quand la porte de la serre s’ouvrit.

Un spectre figuré par la marquise de Pertuissec s’avançait :

Nul doute permis.

Le vicomte était rouge comme un coq (un coq rouge naturellement).

La camériste jouissait à peu près de la même nuance, — en plus clair, pourtant. En outre, elle était décoiffée jusqu’aux moelles.

D’une prunelle sévère la marquise contemplait cette scène de carnage.

Tout penaud, Guy s’essuyait les genoux — geste assez coutumier en telles occurrences — et balbutiait de vagues mots d’excuse, bêtes :

— Mais enfin, ma tante, je ne suis pas venu ici pour enfiler des perles.

La marquise répondit froidement :

— On ne le dirait pas, mon garçon.