En racontant/Le Fleuve Saint-Laurent

Traduction par Alphonse Gagnon (1851-1932).
Typographie de C. Darveau (p. 136-153).


À MON AMI
M. JAMES M. LeMOINE
DE SPENCER GRANGE
QUÉBEC

Cordial souvenir.



LES
LE FLEUVE SAINT-LAURENT


CE QU’A FAIT LE GOUVERNEMENT
DE LA PUISSANCE POUR PRÉVENIR LES
DÉSASTRES MARITIMES

INTRODUCTION


La navigation du Saint-Laurent a toujours été considérée comme semée d’écueils. Tant que les rives de notre beau fleuve n’eurent pas d’autres échos à répéter que ceux de l’homme des bois, tant qu’il n’y eut que la pagaie de l’Indien qui effleura la surface de ses eaux tranquilles, sans doute qu’on n’eût jamais à déplorer de grands malheurs. Mais nos annales maritimes, depuis le jour où Jacques Cartier fit la découverte de ce grand fleuve, n’ont confirmé que trop souvent la justesse des craintes qu’éprouvèrent les intrépides marins, qui, les premiers, s’engagèrent sur son cours majestueux et inconnu.

Que de lamentables récits ne pourrais-je pas vous raconter à ce sujet ! Que de navrantes relations n’y aurait-il pas à faire ! Je vous en dirai quelques-unes dans le cours de cet entretien, mais je dois vous avouer que ce n’est pas là précisément le but que me suis proposé en rédigeant ces notes, mais plutôt de donner un aperçu des efforts qui ont été tentés pour écarter, autant que possible, les dangers que le navigateur court en visitant nos parages.

Je reconnais parfaitement mon insuffisance à traiter comme il devrait l’être le sujet que je vais aborder : je ne me dissimule pas que des personnes plus habiles pourraient faire une étude fort intéressante sur cette question de la navigation du Saint-Laurent, et de tout ce qui s’y rattache.

Aussi, je désire tout bonnement raconter quelques-uns des faits qui sont venus à ma connaissance, et donner quelques détails sur les moyens qui ont été pris, — surtout pendant ces dernières années — pour rendre la navigation de notre fleuve plus facile, et je pourrais ajouter que nous avons réussi à la rendre, non seulement moins dangereuse, mais même agréable.


Avant la Confédération, nous avions, dans le district de Québec, depuis Québec jusqu’au détroit de Belle-Île, 18 phares, un bateau-phare, 5 canons de brume, et 6 dépôts de provisions.

Actuellement, le district qui est sous mon contrôle est bien plus étendu. Il comprend les phares et les bateaux-phares de Montréal et en aval de cette ville, sur le fleuve Saint-Laurent, sur la rivière Richelieu et le lac Memphrémagog, ainsi que tous les phares et bateaux-phares, sifflets de brume à vapeur, bouées et balises du fleuve et du golfe Saint-Laurent, en aval de Québec, du détroit de Belle-Île et de la côte de Terreneuve.

J’ai aussi sous mon contrôle le service de plusieurs bateaux à vapeur, la police fluviale de Québec et la protection des pêcheries.

À la clôture de la navigation, 1885, on comptait dans cette division 149 feux, 8 bateaux-phares dont 3 sont munis de sifflets de brume, à vapeur, 7 sifflets ou cornets de brume, à vapeur, 107 bouées, 59 balises et 9 canots de sauvetage, pour servir dans les glaces, sans mentionner plusieurs dépôts de provisions.

Voici quel était, au 31 décembre de chacune des années écoulées de 1868 à 1885 inclusivement, le nombre des stations de phares, des feux, sifflets de brume et cornets automatiques en opération dans les différentes provinces du Canada. Dans ce nombre sont comprises les stations de phares que le Canada entretient sur la côte de Terreneuve.

- - Phares Feux Sifflets Cornets de brume
31 décembre 1868 198 227 2 --
‘‘ 1869 219 233 2 --
‘‘ 1870 240 278 4 --
‘‘ 1871 264 297 8 --
‘‘ 1872 280 314 13 --
‘‘ 1873 316 363 17 --
‘‘ 1874 342 484 18 --
‘‘ 1875 377 544 22 --
‘‘ 1876 407 588 24 --
‘‘ 1877 416 509 25 2
‘‘ 1878 427 518 25 4
‘‘ 1879 443 542 23 6
‘‘ 1880 452 551 22 7
‘‘ 1881 462 553 23 9
‘‘ 1882 470 562 23 9
‘‘ 1883 484 578 23 9
‘‘ 1884 507 597 23 10
‘‘ 1885 526 617 23 13

Tous ces différents signaux d’alarme sont disposés de telle façon, que nos côtes sont probablement aujourd’hui les côtes les mieux protégées du monde.

Le marin, une fois engagé dans le golfe Saint-Laurent, n’est privé que l’espace de quelques heures de ces moyens de guider sa course.

Quelques-uns de ces phares ont coûté à ce jeune et ambitieux pays d’énormes sommes d’argent.

L’établissement de Belle-Île, par exemple, a coûté au-delà de $90,000 ; celui de Forteau, $90,000 ; le Cap Rosier, $75,000 ; la Pointe sud-ouest d’Anticosti, $34,000, et plusieurs autres dont le prix n’est guère au-dessous de ces chiffres.

La lumière seule de l’établissement de Belle-Île, lumière dioptrique de premier ordre, a coûté £4,000 sterling ou près de $20,000. Celle installée au Cap-Rosier a coûté presque autant.

Elles sont faites de verre solide de trois pouces et plus d’épaisseur, coupé dans le prisme vif.

Ce verre n’est fabriqué que dans deux pays : la France et l’Angleterre.

On le coupe par grandeurs de dix pieds de haut sur environ trois pieds de large, et il est enclavé dans des cadres de cuivre d’une grande solidité, le tout formant un fanal rond de six pieds de diamètre.

Ce verre est aussi transparent que du cristal, et il faut quelquefois plusieurs mois pour monter une lumière complète, car, durant le refroidissement qui suit la fusion, on est obligé de mettre de côté bien des morceaux qui crevassent ou se fendillent, avant qu’une lumière complète soit terminée.

Ces lumières sont très puissantes et à l’égal d’aucun luminaire du monde, excepté toutefois la lumière électrique ; des navigateurs disent même que leurs rayons sont aperçus d’aussi loin, et elles sont moins coûteuses que la lumière électrique.[1]

Le pays a pu facilement subvenir aux frais d’érection et d’entretien des lumières que requéraient autrefois les besoins de la navigation ; mais à mesure que celle-ci a pris de l’expansion, que nos ressources et notre commerce ont augmenté, les naufrages sont devenus plus fréquents, et le besoin de protéger nos côtes plus efficacement se faisant sentir, une demande à cet effet fut présentée au gouvernement.

On a utilisé avantageusement l’huile de pétrole comme éclairage, et un appareil de lumière bien moins coûteux, plus sûr et d’un mouvement plus facile, a pu être obtenu au moyen de la lumière catoptrique.

Ces appareils sont fabriqués à Montréal, par M. E. Chanteloup, à qui un concours à la dernière exposition de Paris a valu un premier prix, et la décoration de la Légion d’Honneur. C’est ainsi que les manufactures du pays ont pu se faire connaître et apprécier.

Je suis heureux de dire, qu’à l’heure qu’il est, les rives nord et sud du plus beau fleuve du monde, (de notre majestueux Saint-Laurent,) sont parsemées de lumières fixes et rotatives.

Plusieurs des plus importantes de ces lumières, même des plus éloignées, celle de Belle-Île, par exemple, n’ont coûté que la somme de $3,000 à $10,000, et il n’en coûte pas plus aujourd’hui pour installer dix à quinze phares, qu’il n’en coûtait autrefois pour un seul.

Vient ensuite, au point de vue de l’importance et de l’utilité, et ce qui est, on pourrait bien dire, de la plus haute importance en temps de brouillards épais,

L’EMPLOI DES SIGNAUX,

de brume, sur le rivage, et à bord des bateaux-phares.

On entend ces signaux de trois à dix milles de distance, suivant l’état du vent et de l’atmosphère, et le marin trop confiant, sûr d’être dans la bonne voie, est souvent averti du danger qu’il court par le bruit du cornet de brume, le son du sifflet ou la détonation du canon. Il se hâte alors de changer la course du bâtiment, qui, autrement, l’aurait conduit à sa perte. Plus d’un capitaine de navire m’a avoué avoir évité de faire naufrage en entendant cet avertissement donné à propos du danger qu’il pouvait courir, exprimant en même temps sa reconnaissance pour les soins vraiment paternels du gouvernement, en établissant ainsi, pour la sûreté du marin, l’admirable système de signaux qui existe maintenant.

Depuis que les bateaux-phares de Manicouagan et de l’Île Rouge ont été placés sur ces battures dangereuses, avec de puissantes lumières doubles la nuit, et des sifflets à vapeur au son retentissant en temps de brouillard, ces endroits redoutés, qui, autrefois, ont servi de tombeau à plus d’un vaillant équipage, et englouti plus d’un élégant navire, ne nous offrent plus aujourd’hui d’exemples de pareils désastres.

À ces moyens de protection du navire, il faut ajouter le Code International de Signaux, en rapport avec la pose du télégraphe, que nous devons à l’énergie et à la persévérance de l’honorable Dr. Fortin, puissamment secondé d’ailleurs par Sir Hector Langevin, ministre des Travaux Publics.

Ce système télégraphique fonctionne à merveille dans un grand nombre de localités, et est réellement un bienfait inappréciable au point de vue des intérêts maritimes du Canada.

Afin de mieux comprendre ce Code International de Signaux, dont les pavillons de navires sont les interprètes, figurez-vous, par exemple, une salle où l’on aurait placé deux poteaux de chaque côté, l’un, celui de droite, représentant le grand mât d’un navire, et celui de gauche, le mât de pavillon d’un de nos phares, qui est, en même temps, une station télégraphique ; le télégraphiste, le gardien ou quelque membre de la famille, est à son poste.

Supposons maintenant qu’un navire ait quitté un port quelconque de la Grande Bretagne, en route pour Québec, avec un chargement de 500 tonneaux de charbon, dont la vente lui est assurée en arrivant ici. Le propriétaire a vu son navire quitter Liverpool, et, de suite, il écrit à son agent à Québec que son navire, disons le Peerless, de Liverpool, 887 tonneaux, No officiel 61,964, dont le signalement distinctif est J. V. T. G., a quitté ce port tel jour, par un vent favorable et en bonne condition. Le premier courrier lui apporte cette lettre, lui donnant en même temps les détails de son chargement, avec instruction de vendre, et de s’assurer sans délai d’un chargement de retour.

Les moments sont précieux durant la navigation, et le propriétaire aimerait bien que son navire fit encore un ou deux voyages de Liverpool à Québec, avant que les derniers jours périlleux de novembre ne l’en empêchent. Des semaines se passent sans que le Peerless donne signe de vie. L’agent commence à être inquiet. Où peut-il être, se demande-t-il ? Le vent lui a-t-il été favorable ? Le Peerless a dû éprouver des retards, un accident peut-être ?

D’autres navires, partis à peu près en même temps que lui, sont arrivés ! Tous les jours, il examine les colonnes de nos journaux où sont consignés les rapports maritimes. Ah ! enfin, voilà des nouvelles ! Entr’autres rapports télégraphiques, il apprend « que le Peerless, n° officiel 61,964 a dépassé le Rocher aux Oiseaux, en remontant le fleuve ; le vent est sud-est. »

Ses craintes s’évanouissent ; les soucis qui l’obsédaient un instant auparavant, disparaissent. Enfin, dit-il, le Peerless est hors de danger jusqu’ici, mais il a encore une course longue et périlleuse à faire, naviguant au milieu de bancs de sable, de récifs et de courants pleins d’embûches, il peut être surpris par la brume ou assailli par de fortes tempêtes. De longs jours s’écouleront peut-être avant qu’il ne reçoive d’autres nouvelles du Peerless. Pendant ce temps-là, le navire vogue sur les eaux à travers d’épais brouillards, averti, tantôt par le canon d’alarme, tantôt guidé par la lumière des phares, louvoyant et battant la mer de l’est à l’ouest, du nord au sud. Enfin, une dépêche télégraphique, rapide comme l’éclair, arrive, soit de la Pointe du Cap Chat ou de Matane : « Le navire Peerless n° officiel 61,964 est passé à 1 heure p. m., aujourd’hui ; temps clair, forte brise du nord-est. »

À partir de ce moment, l’agent reprend son appétit ordinaire, et il ne perd plus son sourire habituel de contentement et de satisfaction. Il sait que le navire est maintenant hors de danger. Il donne instruction à son commis d’aller vendre le chargement de charbon que le navire apporte, tandis que lui-même va s’occuper de lui trouver, pour le retour, un chargement de bois.

Le navire peut être encore à 200 ou 300 milles de Québec, cependant, son affaire est réglée, et il n’y aura aucune perte de temps.

Les signaux qui ont servi à transmettre ces heureuses nouvelles, tandis que, probablement, le navire n’a pas approché la terre de plus de deux à cinq milles, sont appelés,

SIGNAUX DE RECONNAISSANCE.

Le Code International de Signaux, consistant en dix-huit pavillons, a été adopté par toutes les puissances maritimes du monde.

Il a été dressé par un comité nommé par le Bureau de Commerce de l’Angleterre, en 1855, et publié en 1857. Il est très simple, et ne demande qu’un peu de pratique pour être compris par tous ceux qui peuvent lire les questions et les réponses contenues dans les livres. 78,000 signaux différents, et le nom et le numéro d’au-delà de 50,000 navires peuvent être indiqués à l’aide de 18 pavillons.

Les pavillons ne représentent que les consonnes de l’alphabet, et ce n’est que par la combinaison de deux, trois ou quatre de ces pavillons hissés ensemble, qu’on peut faire des signes arbitraires, représentant des mots et, des phrases de la même signification dans toutes les langues.

Le code est composé d’un guidon, de quatre flammes, et de treize pavillons, et, en outre du Code de Signaux, un pavillon de réponse, qui est une flamme barrée de rouge et de blanc.

La nature du signal est indiqué par le nombre de pavillons hissés, soit, deux, trois ou quatre ensemble. Ainsi des signaux de deux pavillons avec guidon en tête, sont des signaux d’attention, avec flamme en tête, des signaux de course, avec pavillon carré, des signaux d’urgence, de danger ou de détresse.

Par le moyen de la combinaison des pavillons, un navire indique son tonnage, son nom, d’où il vient, s’il y a de la maladie à bord, et des signaux répondants lui feront connaître s’il court quelque danger, s’il est trop près de terre, etc.



Comme le sujet de la navigation d’hiver s’est emparé de l’opinion publique, et s’impose à la considération de ceux qui s’intéressent à la prospérité de Québec, il ne sera pas hors de propos d’en faire connaître ici les points saillants.

Il m’a été donné, dans une circonstance, de subir l’épreuve de la navigation en bas de Québec dans une saison où le fleuve était couvert de glaces, et, depuis, pendant longtemps, j’ai considéré l’idée de cette navigation comme impraticable.

Je dois dire que lors de cette circonstance, je naviguais à bord du Napoléon III, un fort et puissant steamer, mais trop effilé pour lutter contre une glace épaisse. Sur un parcours de trente milles, nous réussîmes à couper, assez rapidement, une glace fine de quatre ou cinq pouces d’épaisseur.

Il m’a toujours semblé, cependant, que le plus grand inconvénient à la navigation d’hiver était l’absence de havres de refuge dans le cas où des navires pourraient être surpris par des nuits épaisses et des tempêtes de neige aveuglantes, en quelque endroit entre le Bic et Québec. En bas du Bic il y a la pleine mer, mais, depuis le Bic en remontant, aucun navire ne peut jeter l’ancre dans les endroits ordinaires, car il ne résisterait pas à la pression de la glace qui va et vient avec les fortes marées, s’il se trouvait sur leur passage, Il faudrait donc, de toute nécessité, posséder des lieux sûrs de mouillage ou des havres de refuge.

Je me suis fait un devoir, en ces derniers temps, d’étudier cette question tout particulièrement, m’aidant de l’expérience d’anciens navigateurs, et tenant compte des observations météorologiques fournies à notre département ; si on ajoute à ceci les excellentes données de M. Sewell, (maintenant décédé ) dont plusieurs ont adopté les idées, j’avouerai que je suis considérablement revenu de ma première impression, et que je me suis rangé de l’avis de ceux qui croient à la possibilité de la navigation d’hiver, depuis le bas du fleuve jusqu’à Québec.

D’après les observations que j’ai été à même de faire, je trouve que le premier havre de refuge, en hiver, serait Tadousac, à environ quarante milles plus haut que le Bic, comme point de départ ; viendrait ensuite la Malbaie, quelque quarante milles plus haut. Ces deux endroits sont sûrs, en tous temps pendant l’hiver, et des navires y sont mis en hivernage.

Dès qu’un navire, remontant le fleuve, atteindrait la Malbaie, et je crois que ceci est parfaitement praticable à toute saison de l’année, il aurait le choix de deux chenaux pour franchir la distance de 90 milles qui le sépare de Québec.

Par le moyen de communications télégraphiques des rives nord et sud et du Code de Signaux, il saurait lequel de ces chenaux est le plus libre de glaces, et prendrait celui qui offre le plus de sûreté.

S’il optait pour celui du sud, une longue jetée dans la Traverse surmontée de feux d’alignements, qui serviraient de balises durant le jour, le guiderait sûrement à travers les endroits les plus dangereux du fleuve ; s’il s’engageait dans le chenal du nord, la Traverse, au pied de l’Île d’Orléans, est déjà pourvue de feu d’alignements et de phares.

Il faut se rappeler que, lorsqu’un des chenaux est couvert de glaces, l’autre en est presque libre. La distance entre la Malbaie et Québec étant de 90 milles, un bon steamer devrait donc être en état de la franchir en quelques heures ; néanmoins, si l’on trouvait la course trop longue, sans un havre de refuge, est-ce qu’un brise-glace, placé à mi-chemin, ne surmonterait pas cette difficulté, si réellement elle existait ? Les temps de brume en hiver sont peu à craindre, et il y a des hivers, comme celui qui vient de s’écouler, qui amènent rarement de tempêtes de neige aveuglantes.

Il arrive souvent que les steamers de la malle sont retenus pendant des heures par les brouillards durant la saison d’été, tandis que pendant l’hiver, l’atmosphère est comparativement claire.

Étant maintenant donné que l’on trouve à des distances voulues des havres de refuge avec mouillage sûr, les objections que j’entrevoyais d’abord contre la possibilité de la navigation d’hiver ont disparu, si non tout à fait, du moins en partie.

Vous remarquerez, sans doute, que je ne parle pas ici de la navigation d’hiver pour les voiliers ; elle n’est pas possible pour cette classe de navires : il n’y a que les solides et puissants steamers, construits de façon à faire face à la glace, qui puissent tenter avec succès la navigation d’hiver.

Une assez grande quantité de produits canadiens venant même d’une distance de cinquante milles au-dessus de Québec, a pu être transportée en 1881, à travers le chenal. L’on m’a rapporté que des quarts de farine, de pommes, et des boîtes de fromage, formant partie de la cargaison du steamship Ottawa, échoué au Cap à la Roche, ayant été jetés à la mer, sont venus atterrir sur les plages de la Malbaie, de Tadoussac, de Métis et même jusqu’à Matane.

J’espère que le jour n’est pas éloigné où la navigation d’hiver sera un fait accompli, et où l’on pourra expédier à l’étranger, dans toutes les saisons de l’année, les productions du pays. Le projet est encore à son enfance et mérite que nous l’étudiions sérieusement.

  1. La question de l’emploi de l’électricité comme mode d’éclairage appliqué aux phares est à l’étude en ce moment aux États-Unis, l’essai en a été fait à New-York. De fait, le phare qui éclaire l’entrée du port de New-York à Hell Gate, est le seul du monde entier auquel on ait appliqué l’électricité.
    Cette lumière, qui est placée sur une tour de 250 pieds de hauteur, et qui a un pouvoir de 50,000 chandelles, devait, croyait-on, rendre de grands services aux navigateurs ; il paraît cependant que ce mode d’éclairage n’a pas eu tout le succès qu’il semblait promettre.
    À sa séance du 15 octobre dernier, le Bureau chargé de l’administration des phares a décidé de faire enlever l’appareil électrique.
    La demande en a été faite d’abord par une compagnie propriétaire de remorqueurs, disant que cette lumière était de nature à nuire plutôt qu’a aider à la navigation. Le Bureau, avant de prendre une décision, adressa une lettre-circulaire à toutes les compagnies intéressées, afin de connaître leur opinion à ce sujet. Trente de ces compagnies, en réponse, ont témoigné le désir que la lumière électrique fût enlevée de ce phare.
    La raison donnée par les propriétaires de ces bateaux, est que, du moment que les pilotes sortent du rayon de lumière produit par ce phare, ils n’y voient plus rien et que les bateaux qu’ils sont chargés de piloter courent de grands dangers ; en conséquence la lumière électrique constitue plutôt un danger qu’autre chose.
    Les huit ou neuf compagnies qui font affaires dans ce cercle lumineux ont presque toutes demandé que la lumière électrique soit maintenue.
    Le Bureau n’a pas encore fixé le jour où l’appareil sera enlevé, mais cela sera fait bientôt.