En prenant le thé/Entre cousins

Achille Faure (p. 27-36).


ENTRE COUSINS.


— Je suis furieuse, — me dit ce matin-là ma petite cousine Berthe, — cette horrible faiseuse ne m’a pas envoyé mon costume… cependant je veux prendre mon bain ce matin ; je — le — veux…

Et la jolie mutine frappait le sable de son talon.

— Tu n’as plus d’espoir ? lui demandai-je en m’associant à sa peine.

— Mais non ! voilà ce qui me rend furieuse… la patache est arrivée depuis une heure.

— Hum !

C’était à la T…, un ravissant village aux bouches de la Seudre, que cela se passait.

Nous étions là une petite colonie d’intimes, vivant sans grand luxe, nonchalants comme de vrais baigneurs et nous amusant comme des écoliers.

La maison prenait jour sur la plage, et de la large fenêtre entr’ouverte, les mamans surveillaient les enfants.

Cousine Berthe était arrivée la veille.

Avec ses dix-huit ans, sa taille élancée, ses pieds de déesse et ses grands yeux noirs, ma petite cousine m’avait toujours beaucoup plu ; à la T…, je m’étais fait son cavalier servant.

Je l’avais nommée ma petite reine.

C’était une folle rieuse, point bégueule, et qui avait cependant sa petite volonté à elle.


— Comment sortir de là, Léon ? me dit-elle ; — point de costume et je veux mon bain ce matin, — je le veux.

— Je vais aller en acheter un…

— Que non pas ! — leurs horreurs de sacs, pouah !… non, non.

Après un instant de silence :

— J’ai une idée, cousine, lui dis-je.

La jolie rieuse me prit le bras et m’entraînant :

— Elle est bonne ? — Dis vite.

Je lui contai ma trouvaille — et mon idée lui plut sans doute, car elle s’enfuit aussitôt vers la maison.

— Prépare tout ! me cria-t-elle. Je reviens, garde-moi cette cabine.

Les préparatifs que nécessitait l’accomplissement de mon idée une fois faits, je vins m’asseoir à l’ombre de la cabine, directement en dessous de la petite lucarne qui y donnait de l’air et du jour.

Cousine Berthe revint bientôt, et toujours courant, rieuse et folle, elle s’élança d’un bond et referma prestement la porte.

— Je suis là, cousine, lui criai-je, tout prêt à te passer un conseil.

— C’est bien, — c’est bien !

Oh ! je puis être bon à quelque chose, — j’ai un secret pour fermer la blouse, — je suis certain que tu ne…

— Allons donc ! monsieur, — les chiffons, — ça me connaît, — vous voulez en apprendre à une femme, – allez plutôt songer à votre toilette… et puis… vous me gênez…

— Comment ! je te gêne…

— Certainement.

— Explique-moi donc…

Et je me levai, ma tête se trouvant à peu près au niveau de la lucarne.

Elle s’écarta vivement et je vis son bras nu tirer le petit rideau en toile grossière.

— Tu me feras attendre, Léon !

Je gagnai ma cabine. En un tour de main déshabillé et rhabillé, je fus prêt le premier.

La porte s’ouvrit enfin, et ma cousine Berthe se montra dans l’encadrement.

— Je n’ose sortir ainsi, — vos affreux pantalons d’hommes sont si courts ; — non — je n’ose pas…

Et elle referma la porte.

— Allons, Berthe, ne fais donc pas l’enfant ; — tu es à deux pas de l’eau…

— Non…

— Veux-tu que je fasse avancer encore davantage la cabine ?

— Oui, c’est cela.

Les deux marches du petit escalier baignaient dans la mer.

Je me postai, déjà ruisselant, à côté de la porte et la poussai. Berthe était de côté, debout, s’appuyant aux parois, les mains croisées, et les bras pendants ; sa tête était légèrement inclinée sur l’épaule, dans une pose un peu embarrassée et frileuse.

— Tu vois, tu grelottes déjà, — lui dis-je, — viens vite.

Elle repoussa de son pied nu les quelques vêtements épars et s’avança sur le seuil.

Elle était jolie à croquer, ainsi, cousine Berthe, un pied sur la première marche, et l’autre encore sur le plancher de la cabine, se tenant d’une main au chambranle de la porte, s’appuyant de l’autre à mon épaule. Son pied droit baignait dans l’eau. Quel bijou c’était !…

Elle était bien un peu court-vêtue, ma jolie baigneuse, et la culotte de mon costume était, pour elle, fort légèrement pourvue d’étoffe. Mais je n’y perdais rien, et…

— Descends vite, cousine, lui dis-je ; — il faut plonger d’un bond ! — et me donnant l’autre main, elle sauta de côté.

— Vous êtes un brin coquette, lui remarquai-je, lorsque, revenue de la première surprise de l’eau, elle releva sa tête voilée de ses longs cheveux qui lui collaient au visage, — vous auriez dû rentrer ces cheveux-là.

— Il faut bien se vêtir de quelque chose, me répondit-elle en riant, et crois-tu que je sois tout à fait chez moi, dans ton costume d’homme ? Décidément… je te croyais plus large de poitrine…

Une vague lui coupa la parole ; elle fit deux pas en chancelant, et ses petits pieds enfonçant dans le sable, elle s’accrocha à mon bras pour rétablir son équilibre.

— Allons, en avant, me dit-elle, et nous tenant la main, nous avancions vers la haute mer.

— Sais-tu nager, Léon ?…

— Oui, — mais le temps est trop gros, les vagues trop fortes aujourd’hui, — cela me serait impossible.

Tout en causant, nous avancions toujours.

À chaque vague qui déferlait, la charmante fille poussait un petit cri et se cramponnait à moi.

Elle était courageuse cependant, la petite cousine, et sans mes remontrances, elle se serait sans doute aventurée plus loin.

Il y avait dix bonnes minutes que nous étions dans l’eau.

— Traîne-moi, me dit-elle.

Je lui pris les mains : raidissant ses jolis bras, elle se souleva du sol, et moi, marchant à reculons, je la traînai.

Sa tête seule sortait de l’eau ; le cou tendu, la tête fortement rejetée en arrière et ses longs cheveux flottants sur l’eau, elle me dirigeait des yeux dans ma course à reculons.

À chaque vague, je courbais le dos ; elle baissait la tête et, la garantissant de ses bras relevés, coupait la vague ; puis elle se redressait, regardait à l’horizon, et c’étaient des joies et des cris d’enfant, quand arrivait une vague plus forte que les autres ou une série de trois.

— Attention, Léon ! me cria-t-elle. Baisse-toi, baisse-toi vite.

Et je me baissai.

C’était une série, et je chancelai un peu tout en raidissant mes bras pour soulever Berthe hors de l’eau.

Quand tout fut passé, je relevai la tête.

Pauvre cousine !

La vague avait été trop forte et s’engouffrant dans son costume…..

Le pantalon avait tenu bon ; mais la blouse…..

Ses cheveux lui étaient revenus dans le visage et l’aveuglaient. Elle essaya de reprendre pied.

La blouse, si courte déjà, était entièrement défaite par devant, et ne tenait plus que par les emmanchures, les côtés en étaient repliés et collés par l’eau sur le dos.

— Cousine, lui dis-je.

La poitrine qu’avait fouettée l’eau de mer était toute rosée et frissonnante ; quelques mèches de cheveux lui retombaient par devant : c’était tout.

La pauvre mignonne, embarrassée, se courbait en deux, — et de mon côté, — pour se cacher des autres baigneurs…

Je rougissais comme une grenade.

— Maudit costume ! disait-elle, — et ses cheveux l’aveuglant, elle était maladroite.

— Aidez-moi donc.

À deux nous rejoignîmes les boutons et je décollai les cheveux de sa poitrine.

Cousine Berthe était toute rouge et avait les yeux pleins de larmes.

— Rentrons, me dit-elle.

Je lui pris la main, et elle courait en avant vers la cabine.

Arrivée à la porte, elle entra d’un bond et referma vivement.

Je suis bien sûr qu’elle sanglotait.

Un quart d’heure après, j’étais debout à côté de la porte, attendant sa sortie.

Elle ouvrit bientôt, et, me voyant là, devint rouge comme une pivoine.

— Voilà le costume, me dit-elle en me rendant le malencontreux vêtement.

— Je vais le garder comme une relique.

Elle me regarda d’un air suppliant, et, pour savoir tout à fait que penser de l’aventure :

— C’est bien heureux que j’avais laissé mes cheveux flottants, hein ? fit-elle à voix basse et en détournant la tête.

— Mon Dieu ! — oui, — pour ta tranquillité d’esprit

Berthe, ajoutai-je, veux-tu me les donner, ces cheveux-là, dis, petite femme ?

— Ils n’ont donc servi à rien, ces maudits… ? me demanda-t-elle en se retournant, et me regardant de ses grands yeux humides et voilés et rougissant plus fort.

— Mon Dieu !… hum !… répondis-je en hésitant.

Après un silence :

C’est sérieux que tu les voudrais, dis !

Et ma jolie cousine me pressant le bras, nous partîmes en marchant vite pour faire sécher ses cheveux au soleil.
 

En furetant dans un vieux tiroir, ma petite femme, ces jours derniers, a retrouvé le vieux costume, exhalant encore une odeur de marée.

Elle arriva le jeter sur mes genoux, puis me prenant la tête à deux mains, par derrière, me donna de ces bons baisers qu’on aime tant et qui font tant de bien.

— C’est bon une fois, hein ! petit homme, et encore entre cousins !

Et ma chérie éclata de ce rire frais, sonore et argentin qui me rappelle ses petites frayeurs des bains de mer.

— Dis donc, te rappelles-tu, Léon ? En rentrant dans ma chambre, j’ai trouvé mon costume qui était arrivé… Regrettes-tu que je ne le savais pas, dis