Les Trois-Rivières : les Éditions du Bien public (p. 13-17).

La forêt

En longues ondulations, l’amas pressé des cimes étale son uniforme verdeur à peine rompue, de-ci, de-là, d’une tache plus sombre.

Une dernière escalade, et, sur la colline qui arrondit son dos, la forêt se perd dans une effilochée de brume.

Seul un grand pin, par-dessus la cohue des bois francs, étend nonchalamment ses longs bras grotesques.

L’ombre d’un nuage, que promène un vent léger, descend lentement le flanc de la colline, glisse sur les eaux du lac, puis remonte sur l’autre rive, poursuivant sa route capricieuse.

La forêt laurentienne est partout, s’agrippant aux rochers qui, aux temps lointains, ont dessiné en montagnes, en vallons, les spasmes et les frissons de l’enfantement d’un monde.

Ses fils innombrables, la sève de sa sève, témoignent de la richesse de son sang généreux. Chaque année, quand avril a dompté les tourbillons glacés, ils se hâtent de répondre aux appels du printemps en faisant poindre du vert dans les bourgeons nouveaux.

Puis, ayant fini la tâche de garnir toutes les branchées, tel un peuple en fête, les arbres font au soleil l’offrande de leurs rameaux touffus.

Mais hélas ! que le sous-bois est pauvre, désolé ! Branches tombées, feuilles flétries, graines nombreuses, sitôt nées sitôt mortes, tout cela s’entasse, se pétrit. La moisissure, puissant levain, travaille dans ces débris d’où naîtra l’humus fécond. À peine quelques pousses, quelques sapins têtus. D’étiques violettes se blottissent à l’abri d’un tronc vermoulu qui se reverdit de mousse neuve.

Le roc est une marâtre dure et stérile, et la forêt, quand souffle le vent d’automne, doit s’amputer sans merci pour rafraîchir sa sève et nourrir ses racines.

Jusqu’aux rives du lac, l’espace est occupé, et sur ses bords même, les grands cèdres se bousculent, se penchent et regardent dans l’eau, semblant chercher encore un coin sec où jeter des semences.

À la pointe d’une petite baie, un rocher montre sa peau brune, plonge et baigne son front que coupe une plaie béante. Autrefois une source y coulait son filet limpide. À repasser toujours, les gouttes inlassables avaient d’abord noirci la pierre, puis, peu à peu, dessiné une ride légère qui de saison en saison s’est creusée. Un hiver, le gel ayant glacé la source mordit si fort dans la fissure, qu’elle s’ouvrit en une blessure profonde. Et les graines qui jadis séchaient sur sa face luisante s’amoncelèrent, patientes, au fond de ce réduit.

Craintives, une première tige, une première feuille, au soleil se sont montrées, et l’arbre a grandi, tissant en sournois la trame de ses radicelles.

Voyez maintenant le gros cèdre au tronc poilu. Comme des bras de bouddha ses racines noueuses se tordent, rampent, se croisent sur le rocher soumis. Et le vieux cèdre, sentinelle d’avant-garde, quand le vent souffle du large et charge en hurlant la forêt, le cèdre, fier et tenace, planté sur son rocher nu, chante accompagné du clapotis des vagues.

Lac Masketsy.