Emparons-nous de l’industrie/Préface

L'imprimerie générale (p. 3-4).

EMPARONS-NOUS
DE L’INDUSTRIE
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« Je me rallie sans réserve aux hommes honnêtes de tous les partis qui désirent sincèrement avec la gloire de leur pays, le bien-être des travailleurs et le progrès de l’esprit humain. » — P. J. Proudhon.


Les Canadiens-français ont à cœur de continuer en Amérique les traditions civilisatrices du pays de leur origine, et il faut avouer qu’ils n’ont pas à rougir de leurs débuts. Ce peuple s’est tiré presque du néant par la force de sa volonté, et en étudiant son histoire l’on découvrira peut-être quelque analogie entre lui et ces essaims célèbres, dont l’un, sous Guillaume de Normandie, civilisa la Grande-Bretagne, dont certains autres, après la révocation de l’édit de Nantes, firent la richesse de leurs pays d’adoption en y implantant l’industrie.

Si comme le dit Thiers, la France eut la gloire de doter le monde des meilleures lois civiles, et l’Angleterre celle de lui fournir le meilleur système politique, ce fut le Canada — surtout le groupe français du Canada — secondé, il est vrai, par l’opinion éclairée de la Grande-Bretagne, qui inaugura le meilleur système colonial en contribuant à donner au système constitutionnel anglais une extension impériale ; réforme qui, tout en rencontrant les aspirations de nos compatriotes, donna à l’empire britannique une stabilité plus grande et une nouvelle gloire.

Le peuple Canadien-français en participant activement à une aussi grande réforme, fit certainement preuve de supériorité. Ce sont les causes qui donnèrent lieu à cette supériorité que nous désirons examiner au commencement de cette étude, qui traitera de notre situation industrielle au double point de vue économique et national.

Tous les peuples ont un très grand intérêt à améliorer leur situation économique. Pour les Canadiens-français cet intérêt est vital. Placés au centre d’une nombreuse population différente d’origine et de langue, nous pourrions les comparer à un enfant dans une foule compacte, qui périrait étouffé et foulé aux pieds s’il ne réussissait à s’élever par quelque moyen au-dessus de ceux qui l’entourent. Pour survivre dans cette foule il lui faut faire plus que les autres. Mais aussi, lorsqu’il y a réussi, il se trouve dans une situation réellement plus favorable. La condition de l’existence pour nous est donc la lutte, mais la récompense en cas de succès sera toujours digne des efforts que ce succès aura coûté. Il est admis, croyons-nous, que nos compatriotes du commencement du siècle furent vraiment supérieurs ; et il ne sera pas contesté que leurs descendants désirent vivement marcher sur leurs traces, en contribuant, comme eux, à la grandeur et à la gloire de leur pays. Examinons donc les causes qui ont conduit au succès nos ancêtres, et voyons si dans cet âge scientifique et industriel, où les conditions essentielles au succès sont si différentes de ce qu’elles étaient autrefois, les Canadiens-français tiennent encore au Canada le rang auquel leur intelligence et les efforts de leurs devanciers leur permettent d’aspirer.

Qu’on ne s’étonne pas si nous commençons ce travail par certaines considérations qui paraissent se rapporter plutôt à l’instruction publique qu’à l’industrie. C’est la saine éducation qui conduit à tous les succès. Celle que reçurent nos ancêtres était excellente et convenait aux besoins de leur époque. En est-il de même aujourd’hui ? S’il n’en était pas ainsi quelles en seraient les conséquences économiques ? et où devrions-nous chercher le remède ?

Le lecteur tirera ses conclusions. Quant à nous, nous croyons que certaines réformes sont nécessaires et l’idée que nous désirons développer se trouve résumée dans le titre : — Emparons-nous de l’industrie.