Emanuel Licha Nothing Less Nothing More/Texte entier

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EMANUEL LICHA


NOTHING LESS
NOTHING MORE
JUST TRANSFORMED



C/O Careof, Milano
15/04 - 6/05 2004


a cura di / commissaire
Gabi Scardi
5 Gabi Scardi
Casa-corpo
21 Gabi Scardi
Maison-corps
32 biografia e bibliografia /
biographie et bibliographie








Blow up, projet pour Careof, avril 2004. L’air soufflé dans la construction éjecte par le haut le papier peint.


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Gabi Scardi
maison-corps


La maison appelle bien des références : d’abord à l’identification individuelle et sociale, lieu physique mais aussi mental, capable de communiquer notre vécu et notre inconscient ; c’est l’espace de la sécurité, des relations les plus profondes, de l’échange le plus intime, des moments de solitude et d’affection. Symbole primaire de notre imagination, la maison est un contenant assimilable au corps féminin : elle fait fonction de matrice, de ventre maternel. La maison est, selon Olivier Marc, dans Psychanalyse de la maison, la plus parfaite expression du Soi

La maison, domaine réservé et protecteur, a été le sujet de beaucoup d’œuvres d’Emanuel Licha. Canadien de naissance, Français d’adoption mais appartenant à une famille aux origines diverses, l’artiste explore, à revers le thème de « l’habiter », la relation de l’homme avec la partie la plus profonde, la plus intime de soi, avec ses propres racines et ses propres origines culturelles et biologiques.

Pour Licha la maison est faite de murs qui séparent ce qui est privé de ce qui est public, Ces murs nous permettent de distinguer l’intériorité de l’extériorité, interdisant à l’étranger et ouvrant à ceux que nous voulons faire entrer dans notre intimité. Son regard d’artiste, un regard de voyeur, a cherché pendant des années à pénétrer les parois afin d’avoir accès à cette dimension privée, ces secrets profonds que chacun de nous désire soustraire à la vue des autres.

Mais depuis quelques années les maisons qui apparaissent dans le travail d’Emanuel Licha ont perdu tout aspect déductif, tout caractère d’harmonie ; faites à présent de matériaux de construction recyclés, elles sont devenues des objets paradoxaux, incapables d’accueillir.

Il s’agit de maisons-pièges qui s’ouvrent à l’improviste laissant son habitant exposé et sans défense pour après se refermer, l’emprisonnant ; elles respirent comme des

In & Out, video stills, 2003, le seul accès
possible à la salle de projection se fait
par un trou dans le mur. À l’intérieur,
dans le noir, des images de la vidéo montées
sur un mode stroboscopique reproduisent
l’effet de lumière d’une ville sous
bombardement.


ventres maternels, mais, se faisant, leur intérieur s’extravertit et devront inhabitable ; ou elles explosent vers le haut à la manière d’un piston comme pour expulser ses occupants. C’est le cas de Blow Up, une installation consistant en une maison carrée, une sorte de refuge, faite de matériaux de récupération comme des tôles métalliques, sans entrée et sans toit. Trop souvent, dit l’artiste, c’est l’état dans lequel sont laissées les constructions après une guerre — les murs résistent, mais le toit brûle et s’effondre à l’intérieur.

La construction est tapissée à l’intérieur d’un matériau textile qui reprend des motifs de papier peint. Un mécanisme de soufflerie est intégré et caché sous la construction, qui se déclenche au moment de l’entrée d’un spectateur dans la salle, pulsant violemment la partie textile vers le haut. S’il était resté des habitants dans cette maison, ils auraient ainsi été irrémédiablement expulsés. On passe d’un état où la maison est habitable, où elle peut encore protéger, à un état inhabitable, comme une façon d’être expulsés, livrés aux éléments extérieurs.

De la même manière, dans Sans se retourner ce qui est destiné normalement à être intérieur devient extérieur ; Sans se retourner est une série photographique qui traite d’une intervention de l’artiste à Sarajevo : Licha fixe à l’extérieur d’une maison meurtrie et brûlée par la guerre un papier peint à fleurs des plus traditionnels, habituellement destiné à couvrir et rendre accueillants les espaces privés les plus intimes. Créant une dimension ambiguë, qui n’est ni dedans ni dehors, l’artiste souligne certains effets de la guerre : la subversion de la limite entre espace public et privé, l’agression de l’individu, l’intrusion violente




Listening (in)to you, 2002. Les sons d’une
banale vie domestique entendus dans les
tubes semblent indiquer qu’une famille
vit dans cet espace totalement clos.




dans la sphère privée, le renversement de chaque aspect de la vie quotidienne, l’impossibilité de trouver refuge et protection, de défendre une identité.

« Construire sa propre maison signifie créer un lieu de paix, de calme et de sécurité à l’image du ventre maternel où on peut se retirer du monde et sentir battre son propre cœur ; cela signifie créer un lieu on ne risque pas l’agression, un lieu dont on est l’âme. Passée la porte assure-toi qu’elle soit bien fermée, c’est à l’intérieur de soi que l’on rentre. » écrit Olivier Marc dans l’œuvre précédemment citée. C’est en 2000 qu’Emanuel Licha a réalisé le premier d’une série de voyages en Bosnie-Herzégovine. Dans cette région touchée par l’ethno-nationalisme, le paysage apparaissait et continue à apparaître, plus de dix ans après la guerre, peuplé de fantômes : squelettes abandonnés d’édifices éventrés, aux murs maintes fois traversés par les obus et pulvérisés de pluies de projectiles

Ici en Bosnie-Herzégovine, la guerre n’avait laissé que peu de portes à franchir et fenêtres d’où se pencher. Portes arrachées, fenêtres arrachées, des murs externes des habitations il ne restait souvent que de tragiques fragments. Du dehors, le regard pouvait pénétrer à travers les parois, autrefois internes, désormais non protégées, livrées aux regards et aux éléments extérieurs. Corps dévasté et défait, ici, dans les Balkans, la maison est devenue le théâtre et l’objet des pires violences. Dans les villes on voit encore des appartements réhabilités qui alternent, dans le même édifice, avec d’autres qui restent à refaire, et tous ont en commun des murs extérieurs encore criblés d’impacts : par contre dans de nombreuses zones de campagne ravagées et rasées, aucune maison ne reste sur pied.

Ici la vie et la dignité humaine ont été maintes fois attaquées et anéanties. Gaston Bachelard affirme, dans sa Poétique de l’espace, que la maison protège l’intimité de celui qui l’habite, lui consentant de « rêver en paix » ; la maison est pour Bachelard, l’espace de la rêverie, des images de celui qui y vit, quasi l’extension physique de son âme. En frappant les maisons ils ont touché au plus profond ceux qui les habitent ; mais cela n’a pas suffi. Afin d’anéantir toute forme d’identité, de mémoire, de possible continuité, chaque édifice dans les Balkans, quel qu’il soit, a été détruit avec acharnement. Surmonter, aller au delà des limites d’une possible reconstruction et éliminer la possibilité de retour pour les habitants signifiait, pour les agresseurs, déraciner complètement une culture. Ainsi, dans l’intention de toucher le corps social, le « nettoyage ethnique » a pris aussi la forme d’un urbicide.

Les maisons de Licha sont désespérément impraticables. Dans Inside out, réalisée en 2002, la maison est de nouveau une cellule cubique faite de matériaux recyclés dont l’intérieur est doublé d’un tissu aux motifs de papiers peints ; Le textile n’adhère pas aux murs mais est continuellement poussé à l’extérieur créant un prolongement, prothèse qui double le volume de la maison, résolument inaccessible. « Le véritable intérieur de cette construction se trouve entra les parois de la partie solide et celle de la partie textile, et on n’y a jamais accès. Lorsqu’on pense être à l’intérieur on est aussitôt expulsé par la membrane qui se retourne. On n’entre jamais dans cette « maison », on en reste toujours à l’extérieur » explique Licha, soulignant ainsi comment l’œuvre tend à nier le sens même de l’architecture. Que ces extériorisations et contractions évoquent une corporalité connotée sexuellement est évidente : « c’est une architecture qui se pénètre et sort d’elle-même, inhabitée, inhabitable. Cela nie le sens mène de l’architecture et donc de ses habitants. » La maison apparaît donc comme me sorte de corps plus grand, mais enlaidi, violé, vidé, invivable.

La référence au corps dans la vidéo In & Out est encore plus explicite : « J’ai repéré à Sarajevo un immeuble détruit par la guerre, qui était très probablement autrefois une école élémentaire. Aujourd’hui cette ruine sert aux adolescents du quartier à se réunir, et aux plus jeunes comme terrain de football. J’ai installé un tube de velours rouge qui bloque un trou d’obus dans le mur extérieur. J’entre dans l’immeuble par ce trou et je pénètre dans le tube. »

Informe à la manière d’un ectoplasme, rouge comme le sang dense, cette sorte de membrane hyper-organique se déplace à travers le passage aux contours imprécis créé par l’agression de la guerre. On entre, en se contractant et s’allongeant en mouvements convulsifs, pour en sortir aussitôt, rendant sensible l’impression d’un corps qui pénètre le giron déchiré, et qui en sort au travers d’une lacération : la réitération de cette douloureuse exploration exprime tant la multiplication effrayante des horreurs tragiques des années de guerre, que leur remémoration continuelle. Le moment où la guerre a provoqué la blessure de l’édifice, et du corps social représenté par l’école, se répète obsessionnellement, interrompu par des moments de vide, de stagnation, d’obscurité menaçante : l’effet stroboscopique de la vidéo évoque la sensation éprouvée par celui qui, durant la guerre, a vécu les bombardements. La spécificité du lieu — une école, donc un lieu de





I did not know, 2002. Avec Maja Bajevic.
Différents couples se sont relayés durant
un mois pour occuper 24h/24 cette
construction. À l’extérieur, des haut-parleurs
diffusent une dispute du couple :
l’un reproche quelque chose à l’autre qui
répond systématiquement "I didn’t know". À l’intérieur, une télévision diffuse
uniquement des sons et des reportages
de guerre, sans images. Les passants pouvaient
décider d’entrer dans la structure,
renforçant ainsi le lien entre les espaces
intime et public.


formation et un point de référence fondamentale de la communauté — est évoqué par une bande sonore de voix d’adolescents absorbés par le jeu. En l’absence de figures humaines, les voix semblent être émises par les murs, comme si le lieu même était animé d’une mémoire inaliénable, inextricablement liée aux murs.

Aussi dans Listening (in)to you, une œuvre de 2002, les voix et les sons évoquant la quotidienneté sortent par des tubes de plastique d’une maison en parpaings complètement scellée. Les murs semblent contenir à l’intérieur une vie rendue impossible par la guerre, et dans l’image de la maison scellée d’où sortent par moments des sons, Licha rend sensible la superposition, dans la notion de maison, du domestique et de la vie intérieure.


C/O

Careof

Via Luigi Nono, 7

I-20154 Milano

+39 (0)2 3315800

careof@tin.it

www.careof.org

direzione / direction Mario Gorni

documentazione / documentation Zefferina Castoldi

coordimento / coordination Antonella Chiozzani

Cette exposition a été réalisée avec le soutien du Conseil des arts du Canada et de la Direction régionale des affaires culturelles d’Ile-de-France — ministère français de la Culture et de la Communication.

La réalisation du catalogue a été rendu possible grâce à la contribution de l’Agence culturelle du Québec en Italie, de l’Ambassade du Canada à Rome, et du Centre culturel français de Milan.

grazie a / remerciements à

Maja Bajevic, Pierre Baradoux-Bessalel, Daniela Renosto, Pauline Langlois, Elena Solari, Jean-Paul Ollivier, Giorgio e Pola Galante, et Fabio Imbriani.