Elpis Melena et le général Garibaldi

Elpis Melena et le général Garibaldi
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 33 (p. 579-616).
ELPIS MELENA
ET
LE GENERAL GARIBALDI

Garilbaldi’s Deckwürdigkeiten nach handschriftlichen Aufzeiehnungen desselben, und nach authentischen Quellen bearbeitet und herausgegeben von Elpis Melena ; 2 vol. Hambourg 1861.

« I manoscritti da me remissi a Elpis Melena sono scritti di mio pugno (les manuscrits remis par moi à Elpis Melena sont tracés de ma main) : » tel est le texte d’une note qui accompagne les souvenirs dont nous voulons nous occuper. Cette note est datée de Bologne 26 septembre 1859 et signée par Giuseppe Garibaldi.

Quelle est cette Elpis Melena à qui le hardi chef des corps francs, au lendemain de la paix de Villafranca, confiait ainsi ses manuscrits ? D’où vient-elle ? Que représente-t-elle ? Ces manuscrits, tracés de la propre main de l’illustre aventurier, contiennent les souvenirs de son enfance, le tableau de sa jeunesse, les commentaires de sa vie de soldat dans l’Amérique du Sud ; pourquoi est-ce à une femme que Garibaldi livre ces curieuses pages avant de les avoir données au public ? Elpis Melena se prépare à les traduire en allemand ; pourquoi les mémoires de Garibaldi doivent-ils paraître en allemand avant d’être publiés en italien ou en français ? Il est vrai que le général, après avoir confié ses souvenirs à Elpis Melena, les lui redemande un peu brusquement, il est vrai aussi qu’une imitation française en est publiée avant la traduction allemande ; mais il n’en est pas moins certain que le défenseur de Montevideo a voulu commencer par Elpis Melena la divulgation européenne des premiers secrets de sa vie. Tout est mystère dans ce singulier épisode. Efforçons-nous pourtant de découvrir une part de la vérité, et si elle renferme une signification politique ou morale, essayons de la mettre en lumière.

Nous savons en réalité par avance que tout ne sera pas obscur et incertain dans l’étude que nous allons faire ; quelles que soient les conjectures fort diverses auxquelles a donné lieu cette étrange apparition d’Elpis Melena, il ne saurait y avoir de doutes sur l’authenticité des pièces qu’elle a eues entre les mains. Assurément l’heure n’est pas venue de porter un jugement définitif sur le général Garibaldi. Cette généreuse et loyale figure est mêlée à trop de passions contraires, il y a un enthousiasme trop naturel chez ses partisans et des fureurs trop faciles à comprendre chez ses ennemis pour que la vérité complète puisse être finement saisie au milieu des flatteries et des imprécations. Et puis son rôle n’est pas terminé ; sur la mer tumultueuse de l’action, qui peut être sûr des vents et des flots ? Tant qu’un homme né pour agir n’a pas achevé son œuvre, l’histoire est obligée d’attendre, même pour juger les choses qu’il a déjà su accomplir. Soyons donc à la fois très ferme dans le maintien des principes et discret sur le compte des personnes. En attendant qu’un homme tel que Garibaldi puisse être équitablement jugé par le tribunal de l’avenir, la seule chose convenable à mon avis, c’est de recueillir les documens qui pourront servir à cette appréciation définitive. Les témoignages apportés par tous ceux que la destinée a placés sur les pas du hardi général doivent donc être rassemblés avec soin ; de cette vaste et scrupuleuse enquête se dégagera un jour la vérité de l’histoire.


I

Les ouvrages d’Elpis Melena ont paru en langue allemande, et cependant Elpis Melena n’est pas une compatriote de Schiller. Ce nom, qui est évidemment un nom de fantaisie, était tout à fait inconnu l’année dernière, quand on le vit à la première page d’un livre fort singulier, intitulé hardiment Cent et Un Jours sur mon cheval. « S’il est vrai, comme on l’affirme, que le succès d’un livre dépende souvent d’un titre heureusement choisi, je crains bien, — c’est Elpis Melena qui parle, — je crains bien d’avoir fait grand tort à ces feuilles. Le passeport que je leur donne est manifestement suspect, et pourrait bien leur attirer un accueil comme il n’en est réservé qu’aux révolutionnaires et aux proscrits sur le seuil des états despotiques. Je vois déjà, au seul aspect de mon livre, s’assombrir le front de maint honnête philistin ; je vois plus d’une mère alarmée l’éloigner pudiquement des yeux de sa fille… O mes juges rigides, je vous dédie cette préface ; si je l’écris, c’est uniquement pour dissiper vos scrupules, non par des argumens, — car, dans ces délicates questions de la vie pratique et morale, nul argument, je pense, n’aurait d’autorité pour vous, — mais par des exemples, plaidoirie plus facile à comprendre et plus sûrement persuasive. » Et l’auteur cite les hardies voyageuses qui, sans renoncer aux qualités de leur sexe, ont parcouru à cheval de périlleuses contrées. « Avez-vous lu les Briefe aus Süden ? La personne charmante qui a écrit ces lettres est assurément un type de grâce féminine, et comme elle est fière pourtant d’avoir traversé l’Asie-Mineure à cheval ! Avez-vous lu A ride through France and Italy ? L’auteur n’est pas un officier de cavalerie, c’est une fille d’Albion, une délicate lady aux blonds cheveux. J’ai cherché, mais en vain, d’un bout de son livre à l’autre, la moindre trace d’embarras ou de regret au sujet des inconvenances de ce voyage. Et lady Sale ! et lady Erroll ! et mistress Ford ! et mistress Duberly ! et tant d’autres Anglaises intrépides qui ont supporté tous les inconvéniens de la vie à cheval et de la vie militaire, sans que les privilèges de la femme en reçussent chez elles la plus légère atteinte ! » Elpis Melena continue son plaidoyer sur ce ton, et, rassurée elle-même par tous les exemples qu’elle vient d’invoquer, elle inscrit bravement à la première page de son livre cette pittoresque épigraphe, qu’elle emprunte à la poésie populaire des Arabes : Djennet el ard âla dohor el kreïl, — ala monlalat el ketoube (le paradis de la terre est sur le dos des chevaux et dans le cœur des livres).

Courir le monde à cheval et se plonger dans les livres, visiter tour à tour cette terre que le soleil illumine et les sublimes domaines de l’esprit, vivre à la fois par l’action et par la pensée, quelle existence complète, et comme le poète arabe, en ces deux vers, en exprime bien la joie virile ! C’est l’existence que rêve Elpis Melena, car si elle ne craint pas de rester cent et un jours sur son cheval pour mieux voir les pays qu’elle aime, c’est aussi une savante, et l’on s’aperçoit bien qu’elle ne quitte le paradis du mouvement que pour le paradis de l’étude. Elle a passé plus de cent et un jours, nous l’affirmons, à étudier les littératures de tous les peuples. Elle sait le grec et le latin, elle cite l’arabe sans sourciller, elle connaît presque toutes les langues modernes. Mais quel est son pays ? La spirituelle voyageuse a mis une coquetterie singulière à piquer sur ce point notre curiosité. On peut lire les deux tiers de son ouvrage sans deviner à quelle contrée de l’Europe elle appartient. En voyant son intrépidité, ses bizarreries et son enthousiasme pour les personnages qui attirent l’attention de la foule, je disais : C’est une Anglaise ! et je lui marquais sa place dans ce gracieux bataillon d’amazones qu’elle-même tout à l’heure rangeait si bien en ordre de bataille. En pensant à son respect de l’étude, je la prenais pour une Allemande ; mais les Allemandes sont plus attachées au foyer, et les plus savantes ne savent pas si bien le grec. Serait-ce une Grecque, une de ces femmes d’Orient dont Mme Dora d’Istria nous a tracé le portrait ? Arrive-t-elle des Iles-Ioniennes ? Est-ce une muse de Corfou ? Bien que Corfou ait cessé d’appartenir à Venise, depuis que Venise, hélas ! ne s’appartient plus à elle-même, il y a toujours des relations entre les Sept-Iles et la société de la péninsule. Ne sont-ce pas les Iles-Ioniennes qui ont donné à l’Italie un de ses poètes les plus aimés, un poète populaire encore aujourd’hui malgré toutes les palinodies de sa carrière, le fougueux auteur des Lettres de Jacopo Ortis ? Elpis Melena, qui a demandé son nom de guerre à la langue des Hellènes, est sans doute une de ces Corfiotes enthousiates qui appartiennent à la fois à l’Orient et à l’Occident, à la Grèce et à l’Italie, et qui, dans les circonstances présentes, ont tout naturellement les yeux tournés vers la métropole de leurs pères.

C’est ainsi que de conjecture en conjecture je m’imaginais avoir deviné juste, lorsque je fus averti enfin de mon erreur. Après avoir pris un plaisir d’enfant espiègle à dépister toutes les recherches, Elpis Melena déclare tout à coup qu’elle est Anglaise. Il ne reste donc plus qu’une question à se faire : pourquoi une fille de l’Angleterre écrit-elle en langue allemande les études qu’elle consacre à l’Italie ? À cette question Elpis Melena n’oublie pas non plus de répondre. C’est en 1853 qu’Elpis Melena conçut pour la première fois la pensée d’écrire la biographie de Garibaldi et de la faire connaître à l’Allemagne. Dans ses voyages à Vienne ou à Berlin, elle avait entendu bien des récits inexacts, bien des opinions exagérées ou fausses sur les hommes qui défendent la cause de l’indépendance italienne ; voyageuse cosmopolite, dès qu’elle sut la vérité sur Garibaldi, elle résolut de la dire aux Allemands, et peut-être Garibaldi lui-même, : au moment de combiner ses plans contre l’Autriche, n’était-il pas fâché d’avoir un interprète et un défenseur au sein de la confédération germanique. Tenons-nous-en à cette explication, et laissons de côté toutes les énigmes. Ce qui est certain ! et ce qu’il suffit de mettre en lumière, c’est qu’Elpis Melena est une femme d’esprit, savante, généreuse, enthousiaste, admiratrice passionnée de Garibaldi, et que, plus d’une fois admise dans l’intimité du général, elle a considéré comme un devoir de communiquer ses impressions au public des contrées du Nord. Un pareil témoignage mérite d’être entendu.

« Pendant l’automne de 1853, j’étais en villégiature à Sorrente, et la saison déjà fort avancée, les soirées devenues bien longues rendaient doublement précieuse l’arrivée des visiteurs chéris. Mon vieil ami, le capitaine D…, venait donc me voir dans ma villa toutes les fois que son navire il Lombardo le conduisait à Naples. Assis sur la terrasse poétiquement ombragée, abrités sous les pampres anacréontiques, nous laissions errer nos regards sur les spectacles magnifiques du golfe, ou bien nous prêtions l’oreille aux sons lointains d’une guitare ou d’une mandoline.

« Beatus ille qui procul negotiis,… de tels momens sont délicieux ! Au milieu de cette quiétude charmante, je ne demandais pas mieux que d’écouter bien avant dans la nuit les récits du vieux marin, d’autant plus qu’il prenait lui-même un grand plaisir à feuilleter les pages de son aventureuse existence.

La conversation tomba un jour sur Garibaldi, le champion de la liberté, déjà célèbre alors par ses guerres de partisans dans l’Amérique du Sud et son héroïque défense de Rome. Mon ami, il y a bien des années, l’avait connu intimement à Constantinople ; tout ce qu’il me raconta du glorieux enfant de Nice m’inspira un tel enthousiasme et formait un si frappant contraste avec les fabuleuses histoires que j’avais entendu débiter sur son compte en divers pays, et principalement en Allemagne, que j’arrachai au capitaine D… la promesse d’obtenir de Garibaldi la communication de ses mémoires, afin que je pusse raconter sa biographie aux Allemands.

« La promesse était hardie, et je ne pouvais guère espérer qu’elle se réaliserait ; qui savait alors dans quelles eaux de la mer de Chine ou de l’Océan austral errait le patriote si cruellement éprouvé ? Deux ans plus tard cependant, je me trouvai en possession du manuscrit si désiré. Hélas ! il s’en fallait bien que mon attente fût satisfaite : le manuscrit s’arrêtait à l’année 1848, juste au moment où le rôle de Garibaldi en Europe commençait à devenir intéressant. Pendant les deux années qui suivirent, je ne négligeai aucun moyen, soit direct, soit indirect, pour déterminer le général à compléter sa biographie ; Tout fut inutile. Or le général, en vrai Cincinnatus, venait de s’établir provisoirement dans l’île déserte de Caprera, sur la côte septentrionale de la Sardaigne, et, comme j’avais toujours un ardent désir de lui faire rendre en Allemagne les hommages qui lui sont dus, comme je sentais bien que l’abandon de ce projet serait une coupable infidélité à mon amour de la vérité et de la justice, je profitai du voisinage, et je partis pour l’île de Caprera pendant l’automne de 1857, bien résolue à faire tout mon possible pour gagner à mes projets l’inflexible héros. »


Le premier ouvrage publié par Elpis Melena est précisément le récit de cette visite à Garibaldi dans son île solitaire. En voici le titre complet : Cent et Un Jours sur mon cheval et une excursion dans l’île Maddalena. L’île Maddalena est le centre du petit archipel qui s’épanouit au soleil sur les côtes nord-ouest de la Sardaigne ; entre tous ces îlots, Maddalena seule est en rapport avec le continent par les bateaux à vapeur qui font une fois par mois le service de Gênes à Cagliari. Quand les habitans de Santa-Maria, de Caprera, des îles Razzoli, Budelli, Barettini, veulent avoir des nouvelles de la terre ferme, ils montent dans leur barque et vont attendre à Maddalena le passage du bateau à vapeur. C’est donc vers Maddalena que se dirigeait notre voyageuse, c’est de là qu’elle devait aller voir au fond de sa retraite celui qu’elle appelle le Cincinnatus de la révolution italienne.

Faut-il raconter ici tout le voyage d’Elpis Melena ? Ce serait nous écarter beaucoup du sujet particulier de cette étude, car si la fantasque amazone est sincèrement impatiente d’aller demander à Garibaldi la suite de son manuscrit, d’un autre côté elle est si heureuse d’être à cheval qu’elle profite de l’occasion pour faire l’école buissonnière. La voilà partie de Rome, en 1857, par une radieuse matinée, le jour de l’Ascension. Un seul domestique l’accompagne, le brave et fidèle Giuseppe, ancien dragon du pape, qui ne saura jamais porter la livrée, servir à table, annoncer dans un salon, mais qui, pour soigner les chevaux, est bien certainement le plus habile des enfans de l’Apennin. Deux lévriers complètent la caravane. Où va donc Elpîs Melena ? à Civita-Vecchia, à Livourne ou à Gênes ? Cherche-t-elle un port où elle pourra s’embarquer pour l’Ile Maddalena ? Non ; elle va prendre les eaux d’Aix en Savoie. De Rome à Aix, elle parcourt à cheval toute l’Italie du centre et du nord ; elle traverse les Romagnes, l’Ombrie, l’Emilie, la Toscane, les duchés de Parme et de Modène, le Piémont, et, comme elle se soucie fort peu de la ligne droite, comme elle cherche partout les curiosités les plus secrètes de ce merveilleux pays, on oublie sans cesse avec elle que le but véritable de son voyage est une visite au solitaire de Caprera. Il y aurait sans doute plaisir et profit à la suivre, car son récit est vif, spirituel et plein de détails inattendus. Les jolis paysages qu’elle dessine en courant, les scènes de mœurs qu’elle décrit attestent une main facile et légère. Son érudition, très étendue, très curieuse et armée de citations empruntées à toutes les langues, n’a rien de pédantesque ; je lui reprocherais plutôt le pédantisme contraire, le pédantisme de la frivolité, l’affectation de la désinvolture, et çà et là certains enthousiasmes trop peu sérieux qui donneraient une fâcheuse idée de son goût ; mais je ne veux ni refaire ni critiquer toute cette partie de son expédition : j’ai hâte d’aborder avec elle dans l’île de Garibaldi.

Il faut cependant connaître notre compagne de voyage. De ces cent et un jours à cheval, j’en raconterai seulement un ou deux. À la fin d’une journée de marche le long des côtes de l’Adriatique, elle arrive à Sinigaglia. Sinigaglia est un joli petit port, très calme, très silencieux pendant la plus grande partie de l’année, mais fort animé du 15 août au 15 septembre, au moment de cette foire célèbre qui attire là des marchands de tous les pays que baigne l’Adriatique. Ce qu’a été longtemps notre foire de Beaucaire pour le midi de la France, la foire de Sinigaglia l’est encore aujourd’hui pour toute l’Italie du centre. De Venise, de Genève, de Trieste, de tous les ports du Levant, les négocians viennent chaque année y déballer leurs marchandises ; chaque maison devient un magasin, et la ville entière ne forme qu’un bazar. On y entend à la fois toutes les langues de l’Europe, et, ce qu’il n’est pas moins rare de trouver dans le même lieu, tous les dialectes de l’Italie. Le soir où Elpis Melena arriva aux portes de Sinigaglia, elle eût dû trouver la ville dans les douceurs habituelles de son far niente, car on n’était pas encore au mois de juillet ; non, un spectacle plus curieux que la foire l’y attendait, des fêtes plus touchantes animaient la petite cité qui a vu naître Pie IX, et que le vénérable pontife était venu visiter.

C’est à Sinigaglia en effet que naquit, le 13 mai 1792, le comte Jean-Marie de Mastaï-Ferretti, élu pape, sous le nom de Pie IX, le 16 juin 1846. Il y avait bien des années que le jeune comte avait quitté sa ville natale pour aller faire ses études à Volterra, il y avait bien des années que les événemens de sa vie l’avaient tenu éloigné des lieux où s’était écoulée son enfance ; missionnaire au Chili en 1823, évêque d’Imola en 1832, cardinal en 1839, souverain pontife sept années plus tard, il avait dû se consacrer tout entier à ses fonctions, et Sinigaglia depuis bien longtemps n’avait pas reçu sa visite, quand il se décida enfin, pendant l’été de 1857, à venir revoir sa maison paternelle et bénir ses concitoyens. Que d’épreuves avait déjà traversées ce pontificat, salué en 1846 par les acclamations de l’Europe libérale ! Que de contradictions douloureuses, tragiques même, avaient éclaté entre le généreux esprit du pontife et les difficultés de son pouvoir temporel ! Telle était pourtant la sereine majesté de cette âme qu’au milieu de tant de difficultés, au milieu de tant de haines, au lendemain d’une révolution mal apaisée, à la veille d’une seconde explosion bien autrement redoutable, Pie IX n’avait qu’à se montrer pour gagner tous les cœurs. Je ne saurais dire en vérité si l’auteur a volontairement amené ou s’il n’a fait que rencontrer par hasard le contraste que je veux mettre en lumière ; mais cherché ou rencontré, produit d’une combinaison d’artiste ou résultat du hasard, le contraste n’en est pas moins l’un des traits les plus caractéristiques de la situation présente de l’Italie. Ce peuple qui n’aura bientôt que des ovations pour le chef des corps francs, c’est le même qui en 1857, pendant le voyage du pape, accourait partout sur ses pas avec des cris de joie et d’amour. Quand les journaux italiens nous racontaient ces détails, nous faisions la sourde oreille ; comment en douter aujourd’hui ? C’est une Anglaise anti-papiste, c’est une amie, une admiratrice passionnée du patriote de Caprera, qui dessine elle-même avec tant de soin la touchante et vénérable figure de Pie IX dans un livre dont Garibaldi sera le héros.

Elpis Melena était arrivée à Sinigaglia le soir même du jour où Pie IX venait d’y faire son entrée au milieu d’une foule immense et des plus naïfs témoignages d’une affection sans bornes. Un prélat romain, Mgr B…, lui avait donné des lettres de recommandation pour ses deux frères, dont l’un était gonfalonier et l’autre syndic du port ; mais comment trouver ce soir-là deux notables, deux dignitaires de la cité ? Ils faisaient partie, sans nul doute, du cortège de Pie IX ; or tandis que le fidèle Giuseppe, frappant de porte en porte, finit par découvrir un. misérable gîte où sa maîtresse pourra passer la nuit, Elpis Melena se mêle à la foule et prend sa part des joies populaires. Il faut que ce spectacle l’ait frappée, car elle en raconte les plus petits détails d’une plume alerte et gracieuse :


« On ne peut contester aux Italiens le goût et l’habileté qu’ils déploient dans l’organisation des fêtes. Pendant mon long séjour dans le midi, j’ai eu souvent l’occasion d’admirer ce sens plastique vraiment inné chez eux ; mais Sinigaglia surpassait ce soir-là tout ce que j’avais vu, soit en Toscane, soit dans les états du pape, soit dans le royaume de Naples, et si je dis que la petite ville tout entière était transformée en une salle de bal éblouissante, je ne donnerai au lecteur qu’une faible idée du magique tableau qu’elle présentait.

« Les feuilles de myrte et de laurier répandues de tous côtés embaumaient l’air de leurs parfums, en même temps qu’elles formaient comme un beau tapis sur le sable des rues. D’une ligne de maisons à l’autre s’étendaient des baldaquins en forme de tentes. De petites lampes rouges, vertes, blanches, bleues, jaunes, rivalisaient par l’éclat varié de leurs couleurs avec les fleurs à demi cachées dans les guirlandes de feuillage qui enveloppaient les piliers. Des femmes jeunes et vieilles, parées de leurs plus riches atours, de rieuses jeunes filles, de joyeux bambins remplissaient les sièges étroitement pressés l’un contre l’autre, tandis que ceux qui les accompagnaient, debout derrière les spectatrices, échangeaient des plaisanteries avec leurs amis passant au sein de la foule, et paraissaient tout heureux du succès de la fête. Ici un chœur de voix d’hommes chantait la Bandiera bianca, là un orchestre jouait les morceaux favoris des opéras à la mode. Ici on prenait des glaces et des sorbets ; là des groupes de curieux regardaient partir un ballon lumineux ; ici c’était une troupe de paysans, là une bande de joyeux matelots qui attiraient tous les yeux en dansant les danses nationales. De rue en rue j’apercevais toujours des arcs de triomphe plus richement ornés, et ma surprise allait sans cesse croissant à la vue de ce luxe de draperies suspendues à toutes les fenêtres. Le coucher du soleil n’enleva rien à l’éclat de la fête ; dès que ses rayons mourans enflammèrent l’horizon et que l’Occident ferma ses portes, des milliers et des milliers de lampes étincelèrent tout à coup d’un bout de la ville à l’autre ; partout des feux, partout des lampes, lampes de toute couleur, de toute forme, de toute dimension, avec des devises, des allégories, des armes, et les ornemens les plus variés. La façade du palais destiné à recevoir le pape ressemblait à un océan de lumière qui menaçait d’engloutir dans ses flammes toutes les maisons voisines. La petite marine de Sinigaglia contribuait aussi à la fête : dans le port, qui pénètre jusqu’au sein de la ville, navires, felouques et barques se pressaient l’un contre l’autre, et il n’y avait si petite chaloupe au mât de laquelle on ne vît s’enrouler les bannières et étinceler les lampes, tandis que la flottille prenait part aux manifestations de la joie publique par les salves de ses canons.

« Sans pouvoir sonder le fond des cœurs, sans pouvoir mesurer dans cette ovation quelle part revenait à la dignité du souverain pontife, quelle part à la personne même du pape, à Mastaï-Ferretti, bourgeois de Sinigaglia, ignorant enfin si le principal mobile de cet enthousiasme était l’amour-propre flatté de ses concitoyens ou l’espoir qu’ils concevaient encore pour l’avenir dans le libéralisme de Pie IX, je parcourus les galeries de ce temple de la joie, si brillamment improvisé, jusqu’au moment où je commençai à sentir que j’avais fait dans la journée quarante et quelques milles à cheval. Comme j’avais une course égale à fournir le lendemain, je pensai qu’il était sage de regagner mon gîte. Aussi bien la fête commençait à prendre le caractère d’une bacchanale, et je fus heureuse d’atteindre enfin le seuil de la rustique habitation où je devais passer la nuit.

« Ma surprise fut grande d’y être reçue par le gonfalonier et le syndic… Ces messieurs, après la cérémonie, avaient trouvé chez eux mes lettres de recommandation, et avec l’obligeance la plus aimable ils s’étaient empressés de se rendre à ma modeste demeure, où ils m’attendaient depuis quelque temps. Je reconnus bien chez eux la gracieuse et chevaleresque courtoisie de leur frère, mon vieil et bien cher ami, monseigneur B… Quel malheur, me disaient-ils, que vous ne soyez pas arrivée hier soir à Sinigaglia et que vous n’ayez pas assisté à l’entrée du pape, — non pas pour voir la splendide décoration de la ville, ce qui en reste encore peut vous en donner une idée, — mais pour observer l’âme si humble, si sensible, si reconnaissante de Pie IX au milieu de ces solennelles acclamations du peuple ! A la vue de sa ville natale, qu’il avait quittée depuis tant d’années, son émotion fut si profonde, si violente, qu’il essaya en vain de la vaincre, et qu’il lui fut impossible de répondre à l’impétueux enthousiasme de ses concitoyens autrement que par ses bénédictions et ses larmes. Au moment où les notables désignés par la ville l’introduisirent dans le palais royalement disposé pour le recevoir, il refusa d’y établir sa demeure, et voulut absolument passer la première nuit dans l’humble maison où il a reçu le jour. Tout le temps qui ne fut pas consacré à sa haute mission, il l’employa auprès des amis de sa jeunesse, auprès des personnes de toute classe qu’il avait familièrement connues dans la vie privée, leur prodiguant à tous les marques d’une affection inaltérable, s’informant surtout des pauvres, des malheureux, et avisant aux moyens d’adoucir leur misère.

« Il est tout naturel que les habitans de Sinigaglia aient témoigné une vénération si enthousiaste à leur compatriote devenu souverain. Quel que soit en effet le rôle politique, joué par Pie IX, et bien qu’il y ait autour de son trône tout un cimetière d’espérances détruites, bien qu’il ait attiré sur lui la haine irréconciliable des hommes qui l’exaltaient autrefois comme un libérateur, nul ne peut méconnaître chez lui la grâce, la bonté et surtout cette mémoire du cœur qui, environnée de l’éclat du rang suprême, est semblable à un diamant dont une monture précieuse centuple la beauté. »


Elpis Melena cite alors des exemples touchans de cette mémoire du cœur chez le doux pontife romain, car elle paraît fort initiée aux secrets de la société italienne, elle connaît bien des prélats, bien des cardinaux, elle connaît surtout ce cardinal Gaude, ancien moine piémontais, que le comte Mastaï avait si tendrement aimé dans sa jeunesse, et que Pie IX a été si heureux d’arracher à son obscurité pour l’élever aux premiers honneurs de l’église.

À Rimini, à Cesena, aux bords du Rubicon, à Santa-Maria-del-Monte, à Forli, à Rocca-San-Casciano, à Pontassieve, dans toutes ces villes, dans tous ces bourgs si peu connus, mais auxquels se rattachent toujours quelques souvenirs du passé ou quelques traits des mœurs d’aujourd’hui, l’aimable et savante amazone ne perd ni son temps ni sa peine. Ses tableaux de la Toscane ont aussi un charme original. Je la suivrais volontiers jusqu’en Savoie, volontiers j’écouterais ces vers de Virgile, d’Horace, de Perse, si promptement évoqués dans son esprit par l’aspect des lieux où elle passe, et ces citations de Boccace ou d’Arioste, et ces réminiscences de lord Byron ou du comte Platen, et toutes ces anecdotes du monde, tous ces propos de high life, tout ce babil confiant d’une grande dame enthousiaste ; volontiers, dis-je, je la suivrais pendant ces cent et un jours à cheval. Je ne puis oublier pourtant le but de cette expédition excentrique, et j’aime mieux arriver tout de suite au cent et unième jour du voyage. Ce jour-là, le 29 août 1857, Bafîone, le noble animal, meurt des suites de ses fatigues en arrivant à Lucerne.


« Les trois jours qui suivirent mon arrivée dans la villa Bellerive, près de Lucerne, furent bien douloureux et bien sombres. Ceux qui ne partagent point mon amour pour les chevaux, ceux qui ne comprennent pas quelle reconnaissance est due à des serviteurs si fidèles, si loyaux, et que rien ne peut remplacer, ceux-là ne s’intéresseraient guère à l’histoire de ces trois jours. Quant à ceux qui partagent mes sympathies, ils ne me reprocheront pas d’avoir passé sous silence une période si cruellement pénible…

« Les derniers bruits venaient de s’éteindre dans les salles élégantes de la villa Bellerive. Les domestiques, marchant d’un pas furtif sur un parquet aussi poli que la glace, avaient emporté les lampes du salon. Une seule brûlait encore. Dans cette demi-ombre fantastique, les figures des merveilleuses toiles qui couvraient la muraille semblaient vouloir descendre de leurs cadres. Le dernier coup de minuit venait de sonner à la pendule richement ornée dans le style rococo, et le balancier continuait son tic tac monotone… Le silence est revenu. Écoutez ! c’est l’aboiement d’un chien, c’est le hennissement bien connu d’un cheval. Pourquoi donc ce cri d’angoisse, mon pauvre Ballerino ? Je me mets à la fenêtre. Une paix majestueuse est répandue sur la nature endormie. La lueur de la lune se joue sur les ondes classiques du lac des Quatre-Cantons, tandis que le mont Pilate, dressant sa cime superbe environnée de ténèbres, rêve à l’antique grandeur des enfans de l’Helvétie.

« Un léger frémissement agite l’allée des Châtaigniers. Qu’est-ce que ce groupe d’hommes qui s’avancent dans l’ombre ? Pour qui ce convoi sans appareil au milieu de la nuit ? C’était l’enterrement de Baffone. Une fosse qu’un frère dévoué a fait creuser dans un endroit écarté de son beau domaine va recevoir mon serviteur fidèle. Lecteur, que me reste-t-il à te dire ? Ce 29 août fut le dernier des cent et un jours sur mon cheval, et dans le même tombeau où reposent les restes de Baffone sont ensevelies maintes belles espérances dont je te destinais la fleur. Mon rêve d’un voyage en Espagne, ce rêve caressé par moi depuis tant d’années, était anéanti pour jamais. Il fallut bien me consoler avec une excursion dans l’Ile Maddalena. »


Malgré notre désir de ne pas manquer à la courtoisie, nous sommes obligé d’avouer que cette âme si sensible est singulièrement fantasque, et que, dans la mobilité de ses impressions, elle traite parfois d’une façon bien cavalière les plus chers objets de son culte. C’est pour aller rendre visite au général Garibaldi, c’est pour obtenir de lui le manuscrit de ses mémoires qu’elle se décide subitement à quitter Rome, tant elle est impatiente de révéler à l’Allemagne les vertus du héros ; mais, au lieu d’aller droit à son but, elle passe trois mois à flâner sur son cheval, elle fait un voyage en zigzag, elle cherche les routes désertes, puis elle va se reposer à Aix-les-Bains, elle entre en Suisse, elle s’arrête à Lucerne, et finalement elle prend un goût si vif à cette capricieuse odyssée, que l’idée lui vient de faire brusquement volte-face pour se diriger vers l’Espagne. Si son cheval Baffone n’était pas mort à Lucerne, Elpis Melena, toujours escortée par son dragon, rentrait en Savoie, traversait la France du midi et pénétrait en Espagne par les Pyrénées. Adieu Garibaldi ! Mais le cheval Baffone est mort ; Garibaldi la consolera de la mort de son cheval. Tout cela est fort étrange. Il paraît toutefois que le héros de Caprera a pardonné ces irrévérences à sa fantasque admiratrice, puisqu’il lui a confié si libéralement ses manuscrits et ses notes ; ne soyons pas plus sévère que le héros.

Toutes les îles de la Méditerranée sont connues par les récits de voyageurs habiles (je résume en quelques mots plusieurs pages d’Elpis Melena) ; la Corse a été peinte, et de main de maître, par M. Gregorovius, la Sardaigne par M. de LaMarmora, l’île d’Elbe par M. Valéry, la Sicile par lady Power ; Capraja, Ischia, Procida, Capri, Stromboli, toutes enfin ont eu leurs peintres ou leurs poètes… Qui jamais a parlé de l’isola Maddalena ? Et pourtant ce n’est pas l’attrait des souvenirs qui lui manque. L’île Maddalena, la Phintonis des anciens, a joué son rôle au moyen âge comme dans l’antiquité. Ces forts détruits qui couronnent si pittoresquement ses hauteurs, ces forts dont les murailles renversées semblent se confondre avec les masses de granit qui les portent, ne disent-ils pas quelle était l’importance de ce lieu de refuge contre les attaques des navires ottomans et les pirateries des corsaires barbaresques ? Plus tard, n’est-ce pas dans ce paisible archipel que Nelson le héros de la marine anglaise, Nelson dont le nom est encore populaire sur ces plages, avait établi son quartier-général ? Aujourd’hui même l’île Maddalena n’est-elle pas depuis longues années le séjour d’un vieillard, aussi richement doué par l’esprit que par le cœur, et qui est peut-être le seul ami survivant du grand Byron et du malheureux Shelley ? « Enfin n’est-ce pas sur les rivages de sa voisine, de sa cœur Caprera, que le Cincinnatus de nos jours s’est retiré, disant adieu au monde et à ses trompeuses espérances jusqu’à l’heure où, ses concitoyens devenant dignes et capables d’être libres dans ce pays que tant de divisions déchirent, l’annonce de cette bonne nouvelle lui fera quitter sa charrue ? » Elle part donc ; elle a donné rendez-vous à Gênes à son vieil ami, le capitaine D…, et tous deux vers la fin de septembre, par une triste et pluvieuse journée, s’embarquent sur un assez pauvre paquebot à vapeur, le Virgilio, qui fait tous les mois le service de Gênes à Maddalena.

Le lendemain, au point du jour, le ciel avait repris sa splendeur. Pas un nuage ne faisait tache sur l’immensité bleue. Une brise tiède et pure se jouait à la surface des flots, et l’on apercevait à l’ouest les rivages de la Corse avec leurs belles forêts entrecoupées de champs de vignes et de plantations d’oliviers. Quand le navire arriva dans ces terribles Bocche di Bonifacio si redoutées des marins, la mer, calme et souriante, semblait un lac enchanté. Que d’îles et d’îlots épanouis au soleil ! Voici l’île de granit appelée il Cavallo ; voici le groupe des îles Lavezzi, où périt si tragiquement notre frégate la Sémillante. C’était pendant l’hiver de 1855. La Sémillante portait en Crimée plus d’un millier de soldats et un matériel d’artillerie considérable, quand elle vint se briser sur ces rochers. Pas un homme n’échappa, et les cadavres que les vagues rejetèrent sur la côte furent les seuls messagers du sinistre. « Ils allaient à la mort, dit Elpis Melena, ils avaient fait le sacrifice de leur vie en allant détruire les murs de Sébastopol ; mais la mort du soldat est douce, et quand on marche à ce but illustre, il est dur de rencontrer une tombe sans gloire au fond des flots. » Autour de ce lieu funèbre s’aperçoivent d’autres îles, d’autres groupes appelés d’un nom semblable, les Razzoli, les Budelli, puis on entre dans une espèce de bassin qui est comme le centre de ce petit archipel, A droite apparaissent San-Stefano avec les forts qui le couronnent, en face Caprera et son mur de granit que dominent les montagnes de la Sardaigne ; à gauche enfin les poétiques rivages de l’île Maddalena, ainsi que la petite ville du même nom doucement assise aux bords de sa paisible baie. Encore quelques minutes, et le Virgilio entre dans le port. Aussitôt, et de tous côtés, des barques se dirigent vers le paquebot. De Maddalena, de Caprera, de San-Stefano, de toutes les îles de l’archipel, on accourt vers le navire qui apporte les nouvelles du continent. On voit bien, par l’impatience des insulaires, que cette communication avec la terre ferme est un événement assez rare.


« Le capitaine m’avait préparé à ce tumulte et au retard qu’il nous causerait. Pour échapper à la bagarre et tâcher d’abréger le temps, je cherchais sur l’arrière du navire une place d’où je pusse apercevoir le port et sa modeste marine, lorsque mon compagnon de voyage s’en vint à moi tout joyeux, et me signalant une des barques : « Voyez, dit-il, c’est Garibaldi qui s’approche. Dans un instant, il va être à bord. Quelle joie de serrer la main à mon héroïque ami ! »

« Au milieu des nombreuses barques qui se croisaient en tous sens, je n’eus pas de peine à reconnaître la figure du général. Tenant de sa main droite un câble fixé au mât, il était debout, immobile et grave, près du beaupré de son canot, que faisaient marcher deux rameurs, un matelot et un beau jeune homme au teint bronzé par le soleil. Les traits de l’illustre personnage m’étaient déjà connus. À l’époque où les regards de l’Italie tout entière étaient dirigés vers lui, je l’avais vu accourir à Rome en champion de l’indépendance nationale… Sa physionomie en ces jours d’ivresse m’avait enflammée d’enthousiasme ; cette fois je me sentais émue jusqu’au fond de l’âme, car depuis cette fatale année 1849, initiée par maintes circonstances à la vie de cet homme extraordinaire, je pouvais lire sur les lignes austères et nobles de son visage la grande tragédie de sa rude et orageuse destinée. Oh ! ce n’était pas une idéale rêverie qui absorbait ma pensée ; je me disais avec une émotion profonde que c’était bien là le héros dont j’admirais tant la grandeur d’âme, le dévouement, le courage intrépide, et mes yeux restèrent attachés à sa personne jusqu’au moment où il disparut dans le tumulte qui enveloppait le Virgilio.

« J’avais prié mon compagnon de voyage de ne pas annoncer trop tôt notre arrivée ; ce, serait une indiscrétion, lui avais-je dit, de déranger le général au moment du débarquement, et lorsque peut-être d’importantes affaires l’amènent à bord ; j’aime mieux attendre à demain pour faire connaissance avec lui. Inutile précaution : un quart d’heure ne s’était pas encore écoulé, et déjà mon trop serviable ami venait me dire en toute hâte que Garibaldi demandait à m’être présenté.

« Je suivis le capitaine D… dans la cajute des dames, et c’est là, au milieu du tumulte des matelots occupés à décharger le navire, que j’échangeai les premières paroles avec le noble soldat. Dès ces premiers mots, — était-ce la magie de cette personnalité si cordialement sympathique ? était-ce simplement le bénéfice des circonstances qui m’avaient fait connaître les détails de sa vie ? — je ne sais, mais je me sentis immédiatement à l’aise avec le général comme on l’est avec un vieil ami. Je ne tardai pas à lui révéler le but de mon voyage dans l’île Maddalena, ce but que lui seul pouvait me faire atteindre ; je ne réussis pas, il est vrai, car le général me répondit que ces documens, l’objet de mes ardens désirs, n’étaient plus en sa possession ; malgré cette déconvenue, l’avantage de connaître personnellement le général était pour moi un dédommagement si précieux que je ne songeai pas un seul instant à regretter l’insuccès de mon entreprise. J’éprouvai une vive jouissance à recueillir ses vues si justes, si nettes, sur la présente situation politique de l’Italie, et quand il fit connaître son opinion sur les embarras actuels de l’Angleterre, ce me fut une agréable surprise de lui entendre exprimer son respect et sa sympathie pour notre grande nation, car la justice politique ne se trouve guère, comme on sait, chez les peuples opprimés, et une appréciation impartiale des vertus et des avantages de l’Angleterre est certainement une rareté dans tous les pays du monde ; mais c’est surtout en parlant des espérances et des souvenirs de l’Italie que son éloquence se déploya tout entière. Le feu de l’enthousiasme jaillissait alors de ses profondes prunelles, et son visage classique, sur lequel les qualités les plus différentes, la fermeté du caractère et la douceur, l’austérité et la courtoisie, la dignité et la modestie, s’unissaient dans la plus harmonieuse perfection, ce classique visage était comme illuminé de cette belle fierté de l’âme que connaissent seulement les êtres privilégiés. Je compris l’ascendant de cette personnalité puissante, je compris l’espèce de culte que devaient lui rendre ses soldats, et quels actes de courage, quels prodiges d’héroïsme elle pouvait leur inspirer.

« — Mais où comptez-vous descendre ? me demanda le général, lorsque l’arrivée du capitaine D… l’avertit que rien ne s’opposait plus à notre débarquement.

« — Mon ami, répondis-je en invoquant le témoignage du capitaine, mon ami assure qu’il y a ici une maison où l’on héberge les étrangers.

« — Oui, sans doute, dit le capitaine, chez Baflb, sur la place, nous trouverons bien deux chambres.

« — Il vous sera impossible d’y rester, reprit Garibaldi. Le plus sage est d’accepter l’hospitalité sous mon toit. Je regrette de ne pouvoir vous faire un accueil plus digne, mais je vous offre de bon cœur tout ce que je possède. Disposez absolument de ma maison et de ses modestes ressources. Venez, montez dans mon canot ; au coucher du soleil, nous aurons atteint Caprera. »

« Cette invitation était faite d’une façon si hospitalière, avec une sincérité si cordiale, que j’eus vraiment beaucoup de peine à ne pas m’y rendre. Cependant le désir de visiter d’abord l’île Maddalena, et surtout la crainte de causer quelque gêne indiscrète dans la maison du général, m’empêchèrent d’accepter. Nous dûmes seulement nous engager à passer chez lui la journée du lendemain.

« — Vous pouvez voir d’ici mon habitation, dit le général en me signalant un point de l’île Caprera qui semblait fermer l’extrémité orientale du bras de mer où nous nous trouvions. — Avec l’aide de mon lorgnon, j’aperçus distinctement une maison blanche qui s’élevait dans une majestueuse solitude à quelque distance de la côte, et qui, adossée à une muraille de granit, entourée de rochers dont les pointes s’élançaient vers les cieux, offrait un aspect imposant ; mais trois heures avaient sonné, et il était bien temps de songer à gagner le rivage. Je fis signe à mon compagnon, lorsque le général me présenta en ces termes le jeune matelot qui avait attiré déjà mon attention.

« — Il faut aussi que vous fassiez connaissance avec mon Menotti. On lui reproche d’être trop rude, trop marin. Pour moi, j’estime trop une vigoureuse santé pour ne pas accoutumer mes enfans à tous les exercices qui développent les forces du corps, fût-ce aux dépens de certaines délicatesses extérieures.

« — Il me semble, répondis-je, que vous avez atteint le but avec votre fils, et sans faire tort à aucune délicatesse. — Et je tendis la main au jeune et robuste marin bronzé par le soleil, car son visage franc et ouvert, son attitude simple et noble, excitaient mon admiration au plus haut degré. Quelques coups de rame de son bras vigoureux nous eurent bientôt conduits au rivage de l’île, où nous prîmes congé de lui et de son père, avec la promesse de nous trouver le lendemain à la Punta della Moneta, c’est-à-dire à la pointe sud-est de Maddalena, qui n’est séparée de l’île Caprera que par un étroit canal. »


Elpis Melena et son compagnon, le capitaine D…, vont donc chercher un gîte dans l’île Maddalena. Les personnages les plus intéressans de l’île sont trois Anglais, M. et Mme G…, ermites bizarres, dont la vie, assure l’auteur, doit cacher quelque drame mystérieux, et le vieux capitaine R…, un des plus braves officiers de la marine anglaise, qui, sa carrière achevée, s’amusa encore pendant quelques années à courir les mers sur son yacht, puis, attiré par le magnifique climat de ce petit archipel, séduit aussi par la chasse et la pêche si abondantes sur ces côtes, s’établit définitivement dans cette solitude, où il offre un parfait modèle de l’excentricité britannique.

Le lendemain matin, le général Garibaldi, monté dans un canot dont il tient lui-même le gouvernail, vient chercher ses hôtes à la Punta della Moneta. Nos voyageurs s’embarquent, le vent se lève, la mer étincelle au soleil, et voici devant nous les rochers de Caprera.


« Le canot, dont le vent enflait la voile, entra bientôt dans une petite baie, espèce de port formé par la nature. Nous abordâmes ; après avoir fait quelques pas sur les galets du rivage, nous foulions enfin le sol maigre et nu de l’île de Caprera… Quelle différence avec Maddalena, sa voisine ! Point de barques, point de pittoresques bateaux de pêcheurs pour animer la côte, pas un seul poétique abri sur les bords, aucune forteresse en ruine couronnant les hauteurs, rien autre chose que de rudes masses de granit formant comme une chaîne de montagnes, et se dressant en amphithéâtre devant le voyageur étonné. Tout ce qui entoure ici Garibaldi est grandiose et sévère, comme si la nature avait voulu préparer un retiro approprié au Cincinnatus de notre siècle.

« Des lentisques, des myrtes, des bruyères, avec des milliers de plantes odoriférantes, interrompues çà et là par des blocs de granit d’une forme capricieuse, couvraient le terrain qui va s’élevant, tantôt par une pente insensible, tantôt par des escarpemens subits, du rivage de la mer à la maison du général. Après une marche d’une demi-heure environ, nous atteignîmes un mur de clôture qui enferme le jardin de la maison, et toute une meute de chiens s’élança au-devant du maître avec de joyeux aboiemens.

« — Voici sans doute les ruines de votre première habitation ? dis-je au général en lui montrant les débris d’une cabane de planches.

« — De la seconde, répondit-il. La première n’était qu’une simple tente ; mais, si vous le permettez, je vous conduirai dans la maison que j’habite aujourd’hui, et qui est solidement bâtie en granit. Elle n’a qu’un seul étage, comme vous voyez, et, d’après le style de l’Amérique méridionale, elle est couverte d’un toit plat couronné d’une coupole.

« L’extérieur comfortable de cette maison fit sur moi une agréable impression, et l’intérieur, je pus m’en assurer bientôt, ne restait pas au-dessous de ce qu’on devait en attendre : toutes les façades dans les choses de ce monde ne méritent pas un pareil éloge. Partout ici les dimensions étaient grandes et belles ; on voyait que l’auteur du plan avait songé à faire circuler l’air et la fraîcheur bien plutôt qu’à remplir les autres conditions architectoniques.

« Dans la chambre de l’un des deux amis qui partagent depuis plusieurs mois la rustique solitude de Garibaldi à Caprera, une petite collection d’armes, entourée de drapeaux et de bannières, attira mon attention. Je demandai au général quelques explications à ce sujet, mais il trouva aussitôt un prétexte pour s’éloigner, ne voulant pas, je le sus plus tard, être le cicérone de ses propres trophées. C’étaient des souvenirs de bataille qui rappelaient les plus brillans épisodes de son héroïque carrière. Parmi ces trophées se trouve la bannière dont la ville de Montevideo fit présent à son brave défenseur après le combat de Sant’-Antonio. Ce jour-là, un grand et mémorable jour, le 8 février 1846, Garibaldi, à la tête de deux cents Italiens, se vit tout à coup entouré par douze cents hommes de l’armée de Rosas, sous le commandement du général Servando Gomez. Au lieu de se contenter d’une attitude défensive, ce que le plus brave général pouvait faire sans honte dans une situation si critique, il attaqua l’ennemi avec ses deux cents hommes, et, après une lutte sanglante qui ne dura pas moins de cinq heures, Gomez fut obligé de se retirer avec son infanterie rompue et sa cavalerie en déroute, abandonnant le champ de bataille au vainqueur…

« Quand nous eûmes fait le tour de la maison, le général nous obligea d’entrer dans sa chambre pour nous réchauffer au feu pétillant de son foyer ; mais nous n’avions pas de temps à perdre, le ciel devenait orageux et menaçant. Je proposai de ne pas différer davantage la visite du domaine.

« — Laissez-moi vous présenter ma Teresa, nous sortirons ensuite. — En disant ces mots, le général s’élança hors de la chambre… Bientôt parut la jeune Teresa. Avec quel intérêt je contemplai cette radieuse enfant ! Les traits classiques de sa figure étaient la fidèle image de son père, tandis que sa robuste constitution et la souplesse hardie de ses mouvemens trahissaient le type brésilien de sa mère. Jamais je n’ai vu un teint brun et coloré au soleil faire si peu tort à des cheveux blonds, ou bien était-ce le bel émail de ses yeux, était-ce le mélange d’impressions si diverses sur sa physionomie, tantôt la timidité d’une jeune fille, tantôt l’espièglerie d’un enfant de la nature, était-ce tout cela qui donnait au visage de Teresa un charme si puissant ? Pour faire honneur à ses hôtes, la chère enfant s’était soumise à la gêne d’une toilette inaccoutumée. Combien j’eusse été heureuse de la délivrer de son joug, de lui rendre à la place de sa jolie veste de piqué, de sa fine robe, de mousseline, ses rustiques vêtemens de tous les jours, et de nouer autour de sa taille la fionda sarde qu’elle manie si bien !

« Nous sortîmes enfin pour examiner le domaine assez vaste du général. La visite dura bien quelques heures, mais nous fûmes amplement dédommagés de notre peine. Rien de plus intéressant que l’aspect de cette plantation en son premier et vigoureux essor, rien de plus instructif que les explications toujours si riches, si substantielles, de notre complaisant cicérone. C’est au mois de mai 1855 que Garibaldi mit le pied pour la première fois sur le sol de l’île Caprera. Il y trouva une masse de granit complètement inhabitée, et recouverte ça et là seulement d’une mince couche de terre. Encore cette couche de terre était-elle en maints endroits tellement chargée de pierres et de cailloux qu’elle pouvait à peine fournir une maigre nourriture à des bruyères sauvages et à des plantes aromatiques. Aujourd’hui, après deux ans et demi d’exploitation, nous y voyons une demeure comfortable, et autour de cette demeure un enclos entouré d’un mur qui a bien deux milles de long ; un vaste enclos tout entier créé par le général, où poussent et prospèrent, sans parler d’une multitude de légumes, amandiers, pommiers, poiriers, châtaigniers, et la vigne, et même la canne à sucre. On voit courir à travers l’enclos plusieurs ruisseaux distribués avec art, dont l’eau, abondante et limpide, préserve le sol des brûlantes atteintes du soleil. Des fours à charbon, en pleine activité, où l’on jette les racines arrachées à la terre, attestent la vigilance et l’aptitude économique du maître. C’est une chose admise et passée en proverbe que le premier colon qui défriche une terre s’expose à des désastres ; le colon de Caprera semble avoir conjuré ce péril. Ces coteaux fraîchement labourés, où naguère encore on ne voyait que des pierres et des broussailles, ne promettent-ils pas une riche moisson ? Écoutez ces aboiemens des chiens, écoutez ces coups de fusil qui éclatent par intervalles ; tout ce bruit vous apprend que la petite colonie sait défendre son travail. Les innombrables volées d’oiseaux qui venaient savourer autrefois les fruits des buissons ne s’aventureront plus sans danger dans les plantations de l’île…

« Si notre visite à ce jeune domaine en si bonne voie de développement m’avait causé une vive jouissance, ce me fut aussi une grande joie de m’asseoir à la table de mon hôte et de m’entretenir familièrement avec lui. La conversation eut lieu en italien ; de temps à autre cependant, le général s’exprimait en français, et il le faisait avec une facilité, avec une sûreté magistrale que je n’ai jamais rencontrée chez aucun homme de son pays. Sa voix, pleine, harmonieuse, où la douceur se mariait à la force, semblait l’expression même de son caractère ; chacune de ses paroles était relevée, non par le sel attique, mais par le sel plus noble du savoir et de l’enthousiasme ; il déployait enfin dans ces causeries familières une éloquence bien rare chez les hommes d’action.

« Lorsque je lisais, il y a quelques années, les Souvenirs d’Italie du major Hoffstetter, qui contiennent un excellent tableau des événemens de 1849, et qui m’intéressèrent surtout par maints détails sur la vie de Garibaldi, je ne soupçonnais pas que j’aurais si tôt cette bonne fortune de voir en face le vaillant capitaine et de m’asseoir à la table hospitalière du défenseur de Montevideo et de Rome. L’entretien tout naturellement nous amena bientôt à la première période de sa vie d’aventures, et il était bien difficile qu’il n’y fût pas question de sa femme, morte aujourd’hui, qui joua dans ces événemens un rôle si héroïque. Parfaitement initiée aux douloureuses circonstances qui accompagnèrent et même, il faut bien le dire, qui causèrent la mort prématurée de cette noble créature, j’aurais hésité pourtant à rappeler un tel nom, si Garibaldi lui-même ne m’eût prévenue. Il parut touché de voir que je gardais un souvenir si fidèle, si vivant, de tous les épisodes dans lesquels l’amazone brésilienne déploya surtout son courage et sa présence d’esprit. Le même enthousiasme qui enflammait son visage chaque fois qu’il était question de sa chère patrie animait sa voix et ses yeux (sa voix plus émue seulement et ses yeux mouillés de larmes), quand il parlait de l’héroïne d’Imbituba, de Lagès, de Caquari et de Morso da Barra !

« Mais ce n’étaient pas seulement les qualités héroïques, c’étaient aussi les vertus féminines de son inoubliable Anita, qu’il était fier de glorifier. Il ne se lassait pas de vanter son dévouement d’épouse et de mère, sa cordialité, sa courtoisie charmante, et, se tournant vers sa fille, il lui recommandait avec une paternelle affection de se proposer toujours l’imitation d’un si beau modèle.

« J’avais été témoin en 1849 de l’enthousiasme excité par Garibaldi, lorsqu’il s’était empressé d’accourir dans la ville éternelle pour la délivrer du joug. Si à cette époque déjà ces acclamations, ces tonnerres de vivat avaient trouvé un écho dans mon cœur, le respect que m’inspirait désormais le héros de la liberté était bien autrement profond et cordial. Sans doute ce n’est plus le personnage que j’avais vu à Rome ; il ne porte plus sur ses épaules l’élégant manteau de l’Amérique espagnole ; il n’a plus à son chapeau la plume d’autruche flottant au vent, plus de Maure au costume pittoresque pour lui servir d’écuyer, plus de partisans dévoués se pressant autour de lui et obéissant à un signe de sa main… Simplement et modestement vêtu, ayant pour seul entourage deux vieux amis qui habitent avec lui, il vit paisible sur son rocher désert. L’exploitation d’une terre inculte est l’objet de son activité ; l’éducation de ses deux chers enfans est la joie de sa vie. Ce n’est pas toutefois, sachez-le bien, ce n’est pas l’inertie du desespoir, ce n’est pas un misérable sentiment de rancune qui le retient dans un exil volontaire et semble le condamner à l’oubli. Il a encore devant lui les plus belles, les plus florissantes années de son existence, et quand il se retira dans cette île, le même patriotisme, le même enthousiasme enflammaient son âme héroïque. Mais précisément parce que les sentimens les plus désintéressés animent son cœur, parce que les desseins les plus nobles occupent sa pensée dans l’avenir, il aime mieux s’enfermer au fond de sa retraite, il aime mieux se sacrifier lui-même que de consacrer ses facultés, comme font les faux apôtres, à la satisfaction d’un vain désir de gloire et d’un insatiable amour-propre. »


Caprera, on le sait, n’est qu’un rocher de granit. Ce rocher, recouvert d’un terrain que peut féconder la sueur, présente encore une surface assez étendue, puisqu’il a environ cinq milles de long et quinze milles de circonférence. Eh bien ! la population de l’île se compose de quatre propriétaires seulement, ou du moins de quatre familles. C’est presque l’île de Robinson. Notre voyageuse n’a pas eu de peine à en dresser la statistique : le général, un Anglais et deux pauvres bergers, voilà les habitans de Caprera. On n’y voit qu’une seule habitation régulière, celle de Garibaldi ; le voisin du général, l’Anglais dont nous parlions tout à l’heure, est précisément ce M. C…, qui habite une maison mauresque à la pointe de l’île Maddalena ; les deux bergers qui partagent avec l’Anglais et le général la propriété de l’île ont pour demeures des espèces de salles ou de grottes formées par les anfractuosités des rochers.

Avant de quitter avec Elpis Melena le petit archipel des îles sardes, je veux noter en passant certaines révélations fort curieuses que lui fit le vieux marin dont il a été question plus haut, le hardi capitaine R…, l’ami de lord Byron et de Shelley. Il ne s’agit plus de Garibaldi, et nous voici à cent lieues de la révolution italienne. Qu’importe ? ces distractions d’Elpis Melena au milieu de son pèlerinage assignent à son récit un caractère qui ne manque pas d’intérêt, et l’intérêt est double ici, puisque les confidences du capitaine R… se rapportent à un épisode assez obscur de l’histoire de la poésie anglaise au dix-neuvième siècle. On sait que Shelley, au mois de juillet 1822, périt dans un naufrage sur les côtes d’Italie ; on ajoute, et c’est là aujourd’hui une tradition consacrée, que l’audacieux poète de la Reine Mab, des Cenci, de Prométhée délivré, fut victime d’une tempête qu’il avait volontairement bravée. Le dernier témoin de cette aventure est un des solitaires de l’île Maddalena, et il a fallu qu’une voyageuse enthousiaste allât visiter Garibaldi sur son rocher pour que la mort du malheureux poète fût connue enfin dans tous ses détails. « La veille au soir du fatal événement, disait le capitaine, Shelley était venu assister avec moi à une fête donnée en son honneur et en l’honneur de Byron sur un vaisseau de guerre anglais en station devant Livourne. Après la fête, il monta dans un bateau à voile, accompagné d’un seul ami nommé Williams, et se dirigea vers Lerisi ; c’est un petit village situé sur la côte orientale de la baie de la Spezzia, et non loin duquel s’élevait la villa du poète. Nous n’apprîmes que trop tôt le naufrage de nos deux compatriotes. Immédiatement je me rendis avec quelques amis à Viareggio, où le corps des deux victimes avait été rejeté par les vagues. Nous ne pouvions plus que nous acquitter envers eux des derniers devoirs de l’amitié. Les préjugés des Italiens contre la religion protestante, préjugés si grossiers encore à cette époque, ne nous permirent pas de donner une sépulture aux deux naufragés, et nous n’eûmes d’autre ressource que de brûler les cadavres. Je n’oublierai jamais le spectacle vraiment sublime de cette cérémonie, ajoutait le capitaine avec une visible émotion ; trente-cinq ans se sont écoulés depuis ce jour, et l’image qu’en a conservée ma mémoire est toujours aussi nette, aussi vivante à mes yeux. Un point du rivage où s’élevait une grande croix fut le lieu choisi pour l’accomplissement du rite funèbre. Devant nous s’étendait la mer avec ses belles îles ; derrière, la chaîne des Apennins fermait majestueusement l’horizon ; à droite et à gauche se prolongeait à perte de vue une véritable forêt de buissons, de taillis, tordus par le vent de mer en formes fantastiques. La Méditerranée était parfaitement calme ; les flots limpides se jouaient en murmurant sur le sable jaune du rivage, et le contraste de ce sable d’or avec le bleu profond du ciel offrait une magnificence tout orientale. C’est dans ce cadre splendide que je vois encore s’accomplir notre douloureux ministère. Les flammes qui consumaient les restes de nos amis atteignirent bientôt la croix au pied de laquelle était placé le bûcher, si bien que le symbole chrétien, enveloppé à sa base par le feu, apparut quelque temps comme séparé de la terre et suspendu dans le ciel. Nous réussîmes à soustraire le cœur du poète aux flammes qui dévoraient son corps, et ce cœur fut déposé plus tard, ainsi que les cendres, dans le cimetière protestant de Rome. On a dit et répété qu’une tempête soulevait la mer pendant cette fatale nuit du mois de juillet 1822, que Shelley avait voulu jeter une sorte de défi aux élémens, et plusieurs même ont donné à entendre que le poète du désespoir avait bien pu chercher la mort au fond des flots ; j’affirme que tout cela est inexact, ajoutait le vieux marin, pas un souffle n’agitait les vagues. Mon avis est que le bateau se sera jeté sur quelque roc, ou bien, ce qui est plus vraisemblable encore, que, violemment heurté dans l’ombre par quelque gros navire, il aura été coulé à fond… »


II

Quand Elpis Melena, son pèlerinage terminé, se rembarqua sur le Virgilio pour retourner à Gênes et à Rome, elle n’emportait pas encore avec elle les notes biographiques qu’elle avait demandées au solitaire de Caprera. Elle possédait, il est vrai, depuis 1853, grâce à l’entremise du capitaine D…, la partie des mémoires où Garibaldi raconte son enfance, sa jeunesse, et surtout ses aventures guerrières dans l’Amérique du Sud ; mais ce qu’elle était allée chercher à Caprera, le récit des destinées du général pendant la période qui s’ouvre en 1848, surtout le tableau de sa vie errante après la prise de Rome, elle n’avait pas réussi à l’obtenir. Garibaldi, tout occupé du défrichement de son domaine, s’était déclaré incapable de reprendre la plume. Elpis Melena ne se découragea point ; l’été suivant, en 1858, elle fit de nouveau le voyage de Caprera, et, ne trouvant pas le général plus disposé que l’année précédente à écrire ses commentaires, elle le pria de vouloir bien au moins lui raconter en détail toute cette période récente de sa vie. Garibaldi se mit donc à rassembler ses souvenirs, Elpis Melena prenait des notes. Pour compléter certaines parties de sa narration, le général poussa la complaisance jusqu’à indiquer à Elpis Melena les mémoires et chroniques où elle pouvait puiser à pleines mains. Ainsi, sur la défense de Rome, en 1849, on a le Journal d’Italie du major Hoffstetter[1], et, pour ce qui concerne la retraite des garibaldiens après la victoire des Français, la Narrazione de Ruggieri. Il lui signalait aussi la Storia della Rivoluzione romana par le Calabrais Biagio da Strongoli. C’est ainsi que, traduisant d’abord l’autobiographie du héros, puis complétant ces pages par toutes les indications qu’elle avait recueillies elle-même, elle se mit à rédiger en allemand les deux volumes intitulés Mémoires de Garibaldi.

Nous n’avons pas la prétention de reproduire ce prodigieux roman d’aventures. Elpis Melena nous donne l’assurance qu’elle n’a rien changé au texte, qu’elle n’a pas songé un seul instant, comme on a pu le faire ailleurs, à des embellissemens, à des combinaisons plus ou moins littéraires et dramatiques ; partout où Garibaldi prend la parole, on peut être sûr que personne n’a corrigé son style. Telle qu’elle est pourtant, cette traduction fidèle renferme tant de choses incroyables qu’on est tenté d’y voir à chaque page ces exagérations naïves d’où sortent les légendes populaires. En attendant que le héros de Caprera ait publié lui-même en italien cette autobiographie qu’il a si complaisamment abandonnée à des plumes étrangères, ouvrez les Mémoires traduits par Elpis Melena, et vous y verrez la plus étonnante préface aux événemens qui passionnent aujourd’hui la vieille Europe. On n’en marquera ici que les traits principaux.

Le général des corps francs est né à Nice le 4 juillet 1807. Son père, Dominique Garibaldi, né à Chiavari, était fils de marin et marin lui-même depuis l’enfance. Il désirait cependant une profession plus calme pour le jeune Giuseppe, il voulait en faire un avocat, un prêtre ou un médecin ; mais l’enfant était né pour une vie d’aventures, et sa vocation l’emporta. Il ne rêvait que voyages ; tout jeune encore, il s’était enfui de la maison paternelle avec un de ses compagnons, et, montant dans un bateau qu’il dirigeait tant bien que mal, il s’en allait tout droit à Gênes, si on ne l’eût rattrapé à la hauteur de Monaco. Son premier voyage le conduit à Odessa ; il va ensuite à Rome, à Cagliari, à Gênes, à Constantinople, où le retient une maladie de quelques mois ; à peine guéri, il veut repartir, mais la guerre vient d’éclater entre le sultan et le tsar, le port est bloqué, et le jeune marin, privé de ressources, est obligé, pour gagner sa vie, d’entrer comme précepteur dans une famille italienne. Il repart dès que l’occasion se présente, et cette fois il commande lui-même un navire, de Constantinople à Gibraltar et de Gibraltar à Constantinople. Il était dès cette époque tourmenté du désir de voir l’Italie indépendante et libre ; mais n’était-ce pas le plus insensé de tous les rêves ? Sa joie fut bien vive le jour où, ayant rencontré dans ses voyages un membre de la jeune Italie, il apprit que ce rêve agitait plusieurs milliers de ses semblables. « Quelle révélation ! s’écrie-t-il. En vérité Christophe Colomb ne fut pas plus profondément ému en découvrant les rivages de l’Amérique. À partir de ce moment, ma vie avait un but. »

En 1833, Garibaldi, pendant un séjour à Marseille, est présenté à Mazzini comme un homme sur qui l’on peut compter, et le tribun lui assigne immédiatement un rôle dans une conjuration qui se prépare. Tandis que les mazziniens, réunis et enrégimentés en Suisse, devaient attaquer le Piémont par la Savoie, Garibaldi prenait du service dans la marine piémontaise ; engagé comme matelot de première classe sur la frégate l’Eurydice, il devait faire de la propagande parmi ses camarades, soulever une émeute à bord, s’emparer du bâtiment et le mettre à la disposition des républicains. Le succès de cette propagande avait été complet, et l’on n’attendait plus que le signal de Mazzini. Un jour que la frégate était à l’ancre dans le port de Gênes, le bruit se répand qu’une émeute vient d’éclater dans la ville, et que la caserne de gendarmerie sur la place Sarzana est au pouvoir des insurgés. Impatient de connaître les événemens et de devancer les ordres d, ses chefs, le matelot de l’Eurydice monte dans un canot, aborde à la douane et court à la place Sarzana ; mais rien n’a troublé l’ordre de la ville : il apprend que le coup est manqué, que la police a déjoué le complot, que de nombreuses arrestations sont faites, et que les républicains sont en fuite. « Comme je n’étais entré dans la marine piémontaise, dit-il ingénument, que pour mieux seconder l’insurrection républicaine, je ne crus pas nécessaire de retourner à bord de l’Eurydice. » Le soir même, déguisé en paysan, il parvient à s’échapper de Gênes.

Voilà comment l’ami de Victor-Emmanuel et l’adversaire du comte de Cavour est entré dans la vie politique. Après dix nuits de marche dans les montagnes, il arrive à Nice et s’y repose tout un jour auprès de sa mère ; mais déjà sans doute il est signalé à la police : il n’a pas de temps à perdre s’il veut échapper aux agens du Piémont ; il continue donc sa course, et après avoir traversé à la nage les ondes grossies du Var, qui lui barraient le chemin, il arrive à la frontière française. Là, comme il n’a pas de passeports, il dit son nom et raconte son aventure avec cette magnifique ingénuité qui demeurera un des traits de son caractère. La chose paraît suspecte ; le proscrit est arrêté, on le conduit à Grasse, puis à Draguignan, où il est enfermé provisoirement dans quelque dépôt de gendarmerie. Il saute par la fenêtre, traverse la ville, gagne les montagnes voisines, et arrive bientôt à Marseille, où, ne sachant que faire, il attend, sous un faux nom, une occasion propice pour recommencer sa vie de marin. Un certain Francesco Gazan, capitaine d’un petit navire de commerce appelé l’Unione, le prend comme lieutenant à son bord, et le voilà de nouveau qui continue sa virile gymnastique sur mer en attendant mieux. Il fait un voyage dans la Mer-Noire, il conduit à Tunis une frégate de guerre que le bey a fait construire à Marseille ; il est envoyé à Rio-Janeiro, il revient à Tunis, et retourne encore à Marseille au moment où le choléra y faisait d’effroyables ravages. On y avait établi des ambulances, et tous les hommes de bonne volonté étaient appelés à secourir les malades. À des appels comme celui-là Garibaldi n’est jamais sourd : pendant plusieurs semaines, le futur libérateur de la péninsule remplit les fonctions d’infirmier, dans les hôpitaux de Marseille, veillant la nuit auprès des cholériques comme une sœur de Saint-Vincent-de-Paul.

Quelques mois plus tard, il était à Rio-Janeiro, et ses belliqueuses aventures allaient commencer. Le sixième chapitre des Mémoires s’ouvre par ces mots : « Sous la bannière de l’indépendance, sur le vaste et libre Océan, accompagné de seize hardis compagnons, je jetai le défi à un empire, et, seul représentant de la république de Rio-Grande, j’arborai son drapeau sur le mât de mon navire. » Quelle était cette république de Rio-Grande, et de quel empire s’agit-il ici ? Il s’agit du Brésil et de ses luttes intestines. Essayer de raconter cette guerre de partisans, ce serait se perdre en des détails sans fin. Garibaldi lui-même, qui a pris une part si considérable à ces événemens tumultueux et bizarres, n’a pas réussi à en donner un tableau très intelligible. Ce qu’il y a de plus clair au milieu de ces sanglans imbroglios, c’est l’activité fiévreuse de l’aventurier. Il a beau dire qu’il est le champion des droits des peuples, on voit bien dans cette période de sa vie qu’il est entraîné avant tout par le besoin d’aventures. Il se bat pour se battre, pour dépenser son ardeur, pour apaiser, s’il est possible, la furie qui le dévore. Parfois aussi on dirait une gymnastique prodigieuse ; il semble vouloir essayer ses forces, et ce que peut supporter le démon de son âme et de son corps. Les épreuves qu’il endure sont terribles, et pourtant le courage et l’espérance ne l’abandonnent jamais. Tantôt sans ressources, sans argent, mourant de faim, malade, blessé, à deux doigts de la tombe, tantôt ravitaillé par la fortune et tout fier de commander son escadron de cavalerie, il conserve toujours à travers ces alternatives la même sérénité invincible.

Un jour, le mariage, qui avait toujours répugné à sa fougueuse nature, lui apparaît comme une consolation et un refuge. L’image d’une femme entourée d’enfans sourit à sa pensée ; bien loin d’y voir une source d’embarras dans cette vie de privations et de périls, il croit qu’alors seulement il jouira d’une existence complète. Il aperçoit une belle fille dont la physionomie ingénue et fière répond aux visions de ses rêves ; il la reconnaît, il va droit à elle, il se nomme : « Sois à moi, » lui dit-il, et la jeune fille le suit. La jeune femme qui va s’appeler Anita Garibaldi était-elle promise à un autre, était-elle libre encore, lorsqu’elle se laissa séduire au nom déjà illustre du condottiere ? On ne sait pas toute la vérité sur ce point ; on voit seulement que Garibaldi n’a pu parler sans trouble, j’allais dire sans remords, de cette singulière aventure. « S’il y a eu là une faute, s’écrie-t-il, j’en suis seul responsable, et sans nul doute il y a eu là une faute, car l’amour qui unit alors nos cœurs brisa le cœur d’un pauvre innocent qui avait des droits plus grands que les miens ! Mais Anita est morte, il est vengé ! Ah ! lorsqu’à l’endroit où l’Éridan se jette dans l’Adriatique je pressais dans mes bras la chère malade pour la disputer à la mort, je sentis bien ce jour-là toute la grandeur de ma faute. Je versai des larmes de désespoir ; puis je m’en allai seul et abandonné, errant à travers le monde. O Dieu, protecteur de l’innocence, pardonne-moi et protège mes enfans, les enfans de la femme martyre et du proscrit ! Et vous, enfans, si l’on vous demande un jour où sont votre père et votre mère, répondez : « Nous sommes orphelins à cause de l’Italie. » Mais aimez toujours l’Italie, car elle est aussi malheureuse que vous. »

Anita est une amazone comme Garibaldi est un soldat. Elle suit son mari en tout lieu, elle partage tous ses périls, aucune épreuve n’est au-dessus de son courage. Elle devient mère entre deux batailles, et l’enfant qu’elle met au monde porte au front une cicatrice, car peu de jours avant sa délivrance elle s’est blessée en tombant de cheval. Au milieu de cette guerre d’embuscades, où peut être le foyer de la jeune mère ? où reposera le berceau de l’enfant ? On ne sait pas le matin quel sera l’abri du soir. Souffrante encore, elle est obligée de remonter en selle, et la voilà qui s’élance au galop, son nouveau-né dans les bras. Elle est prise, elle s’échappe, elle est prise encore ; on la croit morte… quand elle reparaît tout à coup, souriante et fière, avec le bambino. Bientôt aux épreuves des combats succèdent des embarras d’un autre genre. Les affaires de la république de Rio-Grande sont à peu près arrangées, la guerre est finie avec le Brésil, le condottiere va s’établir à Montevideo, et il est obligé de faire les métiers les plus divers pour soutenir sa famille. Le voilà conducteur de bœufs, puis professeur de mathématiques, puis courtier de commerce et colporteur d’échantillons. On comprend bien qu’un tel homme ne se résignera pas longtemps à une vie si paisible. Montevideo est en lutte avec Buenos-Ayres. Le général Manuel Oribe, ancien président de Montevideo, a été exilé par la république, et comme Coriolan chez les Volsques (la comparaison est de Garibaldi), il est allé demander aide et protection à l’ennemi de sa patrie, au dictateur de Buenos-Ayres. Soutenu par Rosas, Oribe marche sur Montevideo ; c’est à ce moment que Garibaldi reparaît sur la scène et que son rôle grandit avec les circonstances. D’abord il commande une flottille sur la Plata ; il commandera ensuite une légion italienne, et désormais ce ne sera plus seulement un chef de bandes sauvages comme dans les luttes de Rio-Grande, ce sera vraiment un capitaine qui inscrira son nom sur le livre de la guerre. Le condottiere de la veille devient décidément un personnage. En lutte avec M. Vidal, premier ministre de la république de Montevideo, comme il l’est aujourd’hui avec M. de Cavour, il est presque un homme politique en même temps qu’il fait son métier de soldat. Ses expéditions, ses victoires, sa défense de Montevideo, attirent sur lui l’attention, non pas seulement de l’Amérique espagnole, mais d’une partie de l’Europe. À une époque où le nom de Garibaldi était profondément inconnu chez nous, il était déjà l’espérance de l’Italie. On voit que cette pensée le soutient et l’enflamme ; on sent qu’un homme nouveau a pris la place du condottiere, un homme plus grave, quoique toujours impétueux, plus maître de lui, plus assuré de ses principes et tout prêt à répondre aux appels du destin.

Après la fin du siège de Montevideo, Garibaldi vivait comme le plus humble et le plus pauvre des citoyens dans cette ville qu’il avait si vaillamment défendue, lorsque, l’année suivante, en 1847, le bruit des réformes libérales accomplies par Pie IX arrive jusqu’en Amérique. Le cœur de l’exilé bondit de joie ; il prend la plume et adresse au pape, par l’entremise du nonce, une lettre de remercîmens respectueux, de félicitations ardentes, en lui offrant le secours de son bras pour l’accomplissement de ses desseins. Un de ses plus vaillans compagnons d’armes, Anzani, avait signé avec lui cette missive enthousiaste :


« Ceux qui vous écrivent, disaient-ils, sont les mêmes hommes, très honoré seigneur, qui ont pris les armes à Montevideo pour une cause dont vous avez reconnu la justice. Pendant les cinq années que dura le siège de cette ville, chacun de nous a donné plus d’une fois des preuves de résignation et de courage. Grâce à la Providence, grâce à l’antique esprit qui anime encore notre sang italien, notre légion a eu maintes occasions de se distinguer, et chaque fois que ces occasions se sont offertes, je puis le dire sans vanité, elle a laissé bien loin derrière elle sur le chemin de l’honneur tous les autres corps qui rivalisaient avec elle. Aujourd’hui donc, si des bras qui ont quelque expérience dans le maniement des armes sont accueillis par sa sainteté, il est inutile de dire que nous nous consacrerons avec plus de joie que jamais à celui qui a déjà tant fait pour la patrie et pour l’église. Nous nous estimerons heureux de prêter un viril appui à l’œuvre de libération commencée par Pie IX, nous et nos camarades au nom desquels nous parlons, et nous ne croirons pas que cette œuvre soit payée trop cher de tout notre sang. Si vous pensez, très honoré seigneur, que notre requête puisse être agréable au souverain pontife, veuillez la déposer au pied de son trône… »


Cette lettre, qui paraîtra si extraordinaire aujourd’hui, est datée de Montevideo 20 octobre 1847. Il est à peine nécessaire de dire qu’elle resta sans réponse. Quelques mois après, on apprenait à Montevideo la révolution de 1848. Garibaldi se décide aussitôt à partir pour l’Europe. Une souscription pourvoit aux frais du voyage, et le chef de la légion italienne s’embarque avec cinquante-six de ses compagnons. Sa femme et ses enfans l’accompagnaient. Un nègre nommé Aguyar, qui l’avait suivi dans toutes ses expéditions, ne voulut pas se séparer de son chef. C’est celui-là même qui servait d’écuyer au général au moment de son entrée dans Rome en 1849, et dont le singulier costume excita un si vif étonnement parmi la foule, comme on peut le voir dans le curieux récit du major Hoffstetter. Le sauvage enfant de la Plata devait mourir le 30 juin 1849, frappé d’une balle à la tempe, à côté même de Garibaldi, dans un des rudes combats qui précédèrent la prise de Rome.

Le navire aborde à Nice au mois de juin. On raconte que le frère d’armes du général, Anzani, fut saisi d’une émotion si violente à la vue du rivage natal, qu’il mourut en arrivant d’un transport au cerveau. Au moment de rendre le dernier soupir, il fit appeler un prêtre et reçut les sacremens. Il n’avait eu jusque-là d’autre religion que le patriotisme, et c’était encore à cette religion qu’il obéissait à l’heure suprême. Comme ses amis paraissaient étonnés de cette ferveur inattendue : « Il y a deux hommes, leur dit-il, de qui notre Italie attend la délivrance, Pie IX et Garibaldi. Il ne faut pas qu’on puisse dire que l’ami de Garibaldi est mort séparé de l’église. » Il s’associa pieusement à la cérémonie sainte et rendit l’âme en priant pour le succès de ses compagnons. N’est-ce pas là une scène bien italienne ? Après avoir rendu les derniers devoirs à ce camarade si tendrement aimé, Garibaldi laisse sa femme à Nice avec ses trois enfans, Menotti, Teresa, Ricciotti, et se dirige sans perdre une heure vers le théâtre des événemens. Il arrive à Gênes le 29 juin ; le même jour, il est au camp de Charles-Albert et lui offre ses services. Le roi l’accueille avec une politesse glaciale. « Je ne puis rien faire, dit-il, sans l’avis de mon ministre de la guerre ; allez à Turin attendre sa décision. » Garibaldi court à Turin et se présente au ministère, occupé alors par M. Ricci ; mais déjà le condottiere de Rio-Grande et de la Plata était signalé comme un républicain dangereux : M. Ricci écarte froidement sa demande et lui conseille d’aller à Venise, où il trouvera sans nul doute quelque navire à commander. « Voilà le poste, ajoutait-il, qui convient au héros de la Plata. » C’est alors que Garibaldi, voyant qu’il ne doit compter que sur lui-même, organise des corps francs en Lombardie et entreprend une expédition à sa manière, sans s’inquiéter de ce que fait l’armée piémontaise. Charles-Albert était déjà vaincu à Novare que Garibaldi tenait encore la campagne avec une poignée d’hommes, ardent, infatigable, se portant d’un point à un autre avec une fougue impétueuse, harcelant et divisant l’ennemi, plus d’une fois heureux dans cette lutte inégale, mais condamné d’avance à une défaite certaine, et obligé enfin de se réfugier en Suisse après avoir licencié ses corps francs.

On sait ce qui se passa l’année suivante. L’histoire de Garibaldi en 1849 se confond avec l’histoire du siège de Rome, que nous n’avons pas à raconter ici. Cette histoire a été écrite par un des officiers de Garibaldi, le major Hoffstetter. Il suffit d’emprunter à ce livre quelques traits de caractère qui peignent non pas le chef de parti, mais l’homme. Le 1er juillet 1849, au moment où Rome venait de se rendre, au moment où Garibaldi, rassemblant ses volontaires, se disposait à continuer la guerre dans l’Italie centrale, Anita était accourue de Nice auprès de son mari, décidée à le suivre au milieu des hasards. « C’est le soir de ce jour-là, dit M. Gustave d’Hoffstetter, que je vis pour la première fois la compagne si célèbre de Garibaldi. Le général voulut bien me présenter à elle dans le palais Corsini. C’était une femme d’environ vingt-huit ans, avec un teint bronzé, des traits intéressans, et d’une complexion délicate. À première vue cependant, on retrouvait en elle l’amazone. Au souper où m’invita le général, je pus voir combien il avait pour elle de soins empressés et d’attentions exquises. » Hélas ! nul ne se doutait alors que l’intrépide amazone allait expier si tôt son audace ! La retraite de Garibaldi après la prise de Rome est assurément un des drames les plus extraordinaires que présente l’histoire, et pour que nulle émotion n’y manque, le cinquième acte se ferme tragiquement sur la mort d’Anita.

Trois écrivains très diversement inspirés, un Italien et deux Allemands, ont raconté cette incroyable entreprise des corps francs. J’ai déjà nommé M. Gustave d’Hoffstetter ; les deux autres sont M. Oreste Brizi, qui a publié un récit historique assez complet sous ce titre : le Bande garibaldiane a San-Marino[2], et un diplomate allemand bien connu, M. le baron Alfred de Reumont, qui, dans ses Notes pour l’Histoire d’Italie, a donné quelques pages intéressantes intitulées les Garibaldiens à Saint-Marin[3]. M. de Reumont est le plus grave et le plus circonspect des diplomates ; pour contrôler et compléter la narration d’Elpis Melena, c’est au chargé d’affaires prussien que j’emprunte un jugement sur les incroyables événemens du mois de juillet 1849. « L’expédition de Garibaldi à Saint-Marin tient véritablement du miracle. On ferait grand tort à un tel homme en le confondant avec les hommes ordinaires. Qu’on juge comme on voudra ses principes politiques et sa moralité, il a montré un talent rare comme chef de corps francs, et sa conduite à Rome, avant comme pendant le siège, l’a placé dans un jour bien plus favorable qu’on ne pouvait s’y attendre. Il a maintenu la discipline parmi des aventuriers de la pire espèce… Quant à ce qui a suivi la prise de Rome, c’est une série de faits à peine croyables, et qui pourtant sont des faits. Il s’agit ici d’un événement extraordinaire dans l’histoire des guerres modernes, oui, extraordinaire et prodigieux même dans les conditions si étrangement irrégulières qui s’étaient produites soit pendant le siège, soit après la prise de Rome : il s’agit d’un corps franc de deux mille hommes qui, de la Méditerranée à l’Adriatique, traverse l’Italie, tantôt parcourant les États-Romains, tantôt franchissant la frontière toscane, poursuivi par les armées de deux puissans états, bravant ces deux armées pendant quatre semaines et menaçant de grandes villes comme Arezzo… » Ce sont de telles aventures et de tels périls que l’ardente Brésilienne n’avait pas craint de partager avec l’homme dont elle portait le nom. Il faut ajouter qu’elle était enceinte alors de son quatrième enfant ; mais laissons parler ici Garibaldi lui-même, en traduisant Elpis Melena.


« Tous mes avertissemens, toutes mes prières furent inutiles ; en vain la suppliais-je de considérer l’état où elle se trouvait. — Tu ne veux pas m’avoir auprès de toi, disait-elle, et tu cherches des prétextes pour m’éloigner. — Elle me demandait ensuite si je doutais de son courage. N’avait-elle pas bien supporté maintes épreuves ? n’aimait-elle pas cette belle vie de soldat, cette vie à cheval ? Est-ce que les combats n’étaient pas pour elle un plaisir ? Que lui. importaient les privations et les fatigues, lorsque, associée à mes travaux, elle vivait si énergiquement de la vie du cœur ?… A Saint-Marin, pendant notre mouvement de retraite, des symptômes d’une maladie mortelle se déclarèrent chez Anita ; j’insistai pour qu’elle s’arrêtât dans cette ville, mais ce fut en vain. Plus s’accroissaient nos dangers, plus sa résolution était inébranlable.

« A Cesanatico, toute une nuit fut employée à préparer le départ des bateaux qui devaient nous conduire à Venise. Appuyée contre un rocher, Anita suivait des yeux notre travail avec une sympathie douloureuse. On s’embarqua ; hélas ! les secousses des flots aggravèrent l’état de la malade, et, pendant tout, le temps qu’elle dut rester à bord, ses souffrances ne lui laissèrent pas un instant de relâche. Elle était à demi morte et incapable de se tenir debout quand je débarquai avec elle sur les bords de la Mesola. Elle espérait que le séjour à terre allait lui rendre ses forces… Hélas ! la terre n’avait plus à lui donner qu’un tombeau ! »


Les six années qui suivirent la mort d’Anita ne sont pas la période la moins agitée de cette vie extraordinaire. Personne encore ne l’a racontée en détail ; Elpis Melena en trace seulement le programme, pour ainsi dire, d’après les conversations du général. Le premier acte de ce nouveau drame, c’est la fuite de Garibaldi, traqué par les Autrichiens dans la forêt de Ravenne. Pendant trente-cinq jours, il erra de buisson en buisson, de rocher en rocher, tandis que sa tête était mise à prix, et que les Croates, le sachant aux environs, battaient la forêt de tous côtés. Avec l’audace du partisan et la finesse du sauvage, le proscrit, admirablement secondé d’ailleurs par le dévouement des Romagnols, finit par dépister l’ennemi. Il traverse de nouveau l’Italie, on devine au milieu de quelles aventures, et arrive enfin au petit port de Fullonica, où il s’embarque pour l’île d’Elbe. Là sa sûreté personnelle est menacée, et à peine arrivé, il faut qu’il reparte au plus vite sur un canot dont il manie lui-même les rames. À la hauteur de Livourne, il rencontre un navire anglais dont le capitaine le prend à son bord et le débarque à Porto-Venere. Enfin le voilà dans son pays, il va gagner bientôt sa ville natale et y trouver un refuge ; non, il est arrêté à Chiavari et conduit à Gênes comme prisonnier d’état. Après l’avoir tenu enfermé quelque temps dans le palais des gouverneurs, le général La Marmora le fait conduire à bord du Carlo-Felice, une frégate de guerre à l’ancre dans la rade, et lui ordonne de désigner lui-même le lieu de son exil, sa présence dans le royaume étant désormais impossible. Il fallait bien se soumettre : le proscrit demande au moins la grâce d’aller voir ses enfans dans sa ville natale et de passer vingt-quatre heures avec eux. Il est conduit à Nice sur un bateau à vapeur, le San-Giorgio, qui le ramène un jour après dans le port de Gênes. Maintenant où ira-t-il ? Dans quel pays fixera-t-il sa retraite ? Il se décide pour Tunis ; mais le bey de Tunis, dominé, assure-t-on, par l’influence française, ne veut pas de cet hôte compromettant : le proscrit ne peut même pas débarquer, et le capitaine du navire, en attendant des ordres, va le déposer dans l’île Maddalena.

Garibaldi vivait là depuis un mois dans la cabane d’un pêcheur nommé Pietro Susini, lorsque M. Falchi, gouverneur de l’île, écrivit au gouvernement piémontais qu’il était dangereux de laisser un tel homme aussi près de la Sardaigne. Quelques jours après, un brick de guerre, le Colombo, venait prendre le général et le conduisait à Gibraltar. Le gouverneur de Gibraltar lui permet de débarquer ; mais à peine est-il descendu à terre, qu’il reçoit l’ordre de quitter la ville avant six jours. Il la quitte immédiatement, et s’en va seul, dans une barque, cherchant un port moins inhospitalier sur les côtes barbaresques. Il arrive à Tanger, se rend chez le consul sarde, se nomme et demande un asile. Le consul, M. Carpeneto, le reçoit avec bonheur, et pendant six mois, c’est-à-dire jusqu’au mois d’avril 1850, l’exilé piémontais reste l’hôte et le commensal du représentant de la Sardaigne.

Aux premiers jours du printemps, il va de Tanger à Liverpool, et s’embarque au mois de juin pour New-York, où il reste toute une année. Là, pour gagner sa vie, il travaille dans une fabrique de bougies que dirige son ami et compatriote M. Meucci. Le soir, fatigué d’une besogne insipide, et pour retrouver au moins dans ses souvenirs la vie d’émotions qui lui manquait, il écrivait ces Mémoires dont Elpis Melena vient de publier la traduction allemande. Bientôt une société américaine lui offre le commandement d’un navire de commerce, et le voilà qui reprend la mer, heureux de pouvoir donner le change à son activité inquiète. Il fait voile vers Nicaragua, vers la Nouvelle-Grenade, vers Panama ; mais une fièvre ardente, qui le met aux portes du tombeau, l’oblige à résigner sa mission. À peine guéri, il monte sur un paquebot anglais qui le conduit à Lima vers la fin de l’année 1851. Au mois de janvier 1852, il trouve une nouvelle occasion de s’embarquer : un négociant génois établi au Pérou lui confie un navire de transport sur lequel le hardi marin va d’Amérique en Australie, d’Australie à Canton, et de Canton à New-York. Au commencement de l’année 1854, de nouveaux engagemens conduisent Garibaldi en Angleterre ; il séjourne quelque temps à New-Castle et à Londres ; puis il regagne la Méditerranée et arrive à Gênes au mois de mai. Le gouvernement piémontais n’avait plus de raisons pour repousser l’homme en qui se personnifiaient encore tant d’espérances ; il valait mieux le gagner et se servir à l’occasion de son candide héroïsme. Garibaldi reçut l’autorisation de rentrer librement dans sa patrie. Il resta toute une année à Nice, enfermé dans la retraite la plus profonde et uniquement occupé de ses enfans. Enfin, cherchant une solitude plus profonde encore, cherchant aussi l’occasion de vivre au grand air et au soleil comme dans les steppes de l’Amérique du Sud, il acheta un morceau de terre inculte dans l’île à peu près déserte de Caprera, et s’y établit l’année suivante.

C’est là que nous a conduits Elpis Melena pendant l’automne de 1857 ; c’est là aussi que, dans l’été de 1858, la spirituelle voyageuse a recueilli de la bouche du généra ! une grande part de l’histoire que nous venons de résumer. Elpis Melena était décidément la confidente et l’amie du héros. Garibaldi avait fermé le projet de faire un voyage en Amérique, au printemps de 1859, avec ses enfans et son ami Bixio ; Elpis Melena avait demandé à se joindre à eux, et tout était réglé pour le départ. On sait quelles circonstances vinrent déranger tous ces plans. Au lieu d’aller trouver le général à Gênes ou à Marseille, elle le vit à Turin, où le roi Victor-Emmanuel l’avait fait appeler. Son visage rayonnait de joie et d’espérance ; sans le feu intérieur qui l’animait, sa santé, fort ébranlée alors, n’eût sans doute pas suffi à la tâche dont il était chargé. Il souffrait horriblement d’un rhumatisme aigu. « Le jour même de son départ, dit Elpis Melena, l’ayant accompagné à la gare du chemin de fer avec la marquise Pallavicini Trivulzio et quelques autres grandes dames transportées comme nous d’enthousiasme, je fus témoin de ses souffrances. Il éprouvait une si cuisante douleur au genou gauche qu’il fut obligé de s’étendre sur une banquette de la salle d’attente. » La guerre le débarrassa de son mal. Cette même année 1859, pendant l’automne, Garibaldi, se trouvant à Ravenne et devant y rester quelque temps, fit venir auprès de lui sa fille Teresa ainsi qu’une famille de Nice aux soins de laquelle il l’avait confiée. Invitée par le général à se joindre aux voyageurs, Elpis Melena se garda bien de manquer au rendez-vous, et le récit un peu enthousiaste de cette excursion, intitulé la Pineta dix ans plus tard, est une des intéressantes parties du livre :


« Dix années s’étaient écoulées depuis le jour où Garibaldi, traqué comme une bête fauve, errait aux environs de Ravenne, lorsque je me trouvai sur la route de cette ville, en compagnie de M. et Mme D… (de Nice), de Menotti et de Teresa Garibaldi. On attendait la famiglia del prode general, et le bruit de notre arrivée prochaine semblait nous avoir précédés, car dès l’entrée du faubourg nous vîmes accourir des centaines de curieux, les uns aux portes, les autres aux fenêtres, tous espérant voir au passage la belle Teresa et le jeune Hercule, son frère. Enfin, lorsque les pauvres coursiers de notre vetturino eurent ranimé la dernière étincelle de leur flamme épuisée pour faire une entrée brillante sur la place du palazzo, lorsque la voiture à grand bruit roula sous les arceaux du noble édifice, une foule immense se pressait sur nos pas.

« Le général vint à notre rencontre sur l’escalier, et après un cordial accueil il nous conduisit dans nos chambres. Je me réjouissais de le voir si bien portant. Les traces de sa dernière et cruelle maladie avaient complètement disparu de son noble visage ; la joie de ses victoires récentes, l’aurore des destinées heureuses qu’il semblait pressentir pour son cher pays, répandaient sur ses traits une lumière qui les embellissait encore, et le soldat si rudement éprouvé me semblait rajeuni de dix ans depuis le jour où, quelques mois plus tôt, je l’avais rencontré à Turin.

« Une fois débarrassés de la poussière de la route, on vint nous chercher pour le repas. Pendant que nous traversions une suite de salles richement décorée, le général nous présenta plusieurs des notables de Ravenne et son excellence le marquis Rora, que le gouvernement piémontais avait envoyé de Turin a Ravenne avec le titre d’intendant et de délégué politique. Il n’y avait pas une demi-heure que nous étions à table lorsque les vivat de la foule rassemblée sous les fenêtres éclatèrent avec plus de force que jamais : l’enthousiasme était si grand que le marquis pressait Garibaldi de paraître au balcon pour répondre à l’appel populaire. « Ces cris de joie, disait-il, sortent bien du fond des cœurs. C’est un brave peuple que ces gens des Romagnes ; ils sont incapables de rien feindre, et ce qu’ils expriment, croyez-bien qu’ils le sentent. » Il fallut pourtant que le marquis revînt plus d’un fois à la charge pour vaincre la modestie du général. Enfin il parut au balcon et prononça un de ces discours mâles et concis qui vont tout droit au fond du cœur. On n’entendait pas le plus léger bruit lorsque sa voix harmonieuse et pleine retentit sur la place, et qu’il remercia le peuple de Ravenne pour tous ces témoignages de (sympathie et de dévouement.

«… La nuit était venue ; toute la place étincelait du feu des illuminations ; ces jeux de lumière sans cesse renouvelés, ces reflets des torches de résine sur les bannières tricolores qui se frayaient passage à travers la foule, les joyeux concerts des bandes de musiciens qui couvraient les vivat, enfin et par-dessus tout le ciel d’un bleu sombre, avec ses myriades d’étoiles dont le scintillement amical semblait consacrer l’hommage offert au héros de l’Italie, tout cela ne formait-il pas un spectacle sublime, et la pensée que ce tribut était payé à la vertu, au courage, à la magnanimité, cette pensée seule n’eût-elle pas touché le spectateur le plus indifférent ?

« Ravenne, qui après avoir été la capitale de l’empire d’Occident, est devenue la résidence des rois lombards et la métropole des exarques de Constantinople, Ravenne est aujourd’hui encore riche en monumens qui illustrent son histoire. Il y a peu de villes, si l’on excepte Rome, qui se puissent enorgueillir d’églises, de palais, de musées, de mausolées, comparables aux siens. C’est dans ses murs que reposent les restes des fils de Théodose ; c’est là aussi que dorment les cendres de Dante, parmi les riches tombeaux des exarques et des patriarches ; mais cette vénérable cité, cette reine découronnée de l’Adriatique, n’aurait plus qu’à pleurer maintenant sa grandeur évanouie, si la nature ne lui avait fait présent d’un joyau dont la splendide beauté survivra à tous les monumens des hommes. Qui n’a entendu parler de la fameuse Pineta de Ravenne ? C’est la plus antique, la plus belle, la plus intéressante forêt de l’Italie. Dante et Boccace l’ont chantée, et l’éloge de ses merveilles a retenti de nouveau dans les vers de Dryden et de Byron. C’est la Pineta de Ravenne qui fournissait du bois à la vieille Rome pour la construction de ses navires, c’est sur des mâts coupés dans la Pineta que flottait autrefois la bannière de la puissante Venise ; eh bien ! la Pineta peut ajouter à ses classiques annales le plus touchant drame de notre temps, car c’est ici qu’en 1849, après la prise de Rome, Giuseppe Garibaldi chercha un refuge contre les Autrichiens ; c’est dans ce labyrinthe de broussailles que le héros proscrit erra, pendant des journées entières, de cabane en cabane, de buisson en buisson, et qu’il lui arriva d’être protégé seulement par l’abri de quelques broussailles contre la rage des soldats croates. Enfin, hélas ! c’est ici qu’eut lieu le plus tragique événement de sa vie, la mort de son adorée Anita ; mais c’est aussi dans la Pineta de Ravenne qu’il apprit de quels sacrifices héroïques, de quel profond dévouement sont capables les incorruptibles enfans des Romagnes.

« Une excursion dans la Pineta faisait partie du programme que le général avait tracé pour l’amusement de ses hôtes, et par une belle matinée, à huit heures, nous nous mîmes en route. Garibaldi, la signora D…, Teresa et moi, nous occupions la première voiture ; les autres personnes de la société nous suivaient dans la seconde, et trois légers phaétons, qui devaient remplacer nos équipages aux endroits moins accessibles de la forêt, fermaient la marche. Le temps était magnifique ; une fraîche brise d’automne tempérait l’ardeur du soleil ; nos chevaux partirent au grand trot, et nous arrivâmes en un quart d’heure à la lisière de la forêt des pins. La forêt s’étend à trente-cinq milles au nord de Ravenne et se déploie le long de la côte de l’Adriatique sur un terrain plat et sablonneux d’un à trois milles de large. Des allées, des clairières sans nombre viennent interrompre à chaque instant la monotonie que présente la demi-obscurité de ce bois gigantesque, et l’on voit s’élancer le long de ses vertes murailles des plantes et des arbrisseaux de toute espèce, avec leurs fruits mûrs ou leurs fleurs bariolées. Ici ce sont des arbustes sauvages, cerisiers, pommiers, poiriers, tout chargés de leurs fruits, là des guirlandes de vigne vierge pliant sous le poids des grappes, plus loin des baies de ronces, des roses sauvages, en un mot toute une riche végétation naturelle qui semble rendre hommage au souverain de la forêt, au pin majestueux et fier, qui s’élève royalement vers le ciel, et, déployant ses rameaux avec grâce, offre l’abri le plus sûr aux habitans ailés de cette magnifique solitude, en même temps qu’il fournit aux Italiens une abondante moisson de pignoli.

« Malgré les violentes émotions que devait lui causer la vue de la Pineta, le général était parfaitement disposé ce jour-là et d’une humeur très communicative. Il commença par nous donner quelques détails sur sa dernière expédition, qu’il appelait una campagna magnifica, non-seulement parce que les dangers auxquels il s’exposa, lui et les siens, étaient peu de chose, comparés aux succès de la campagne, mais surtout parce que dans tout le cours de la guerre il n’avait pas été obligé d’adresser un seul reproche, d’infliger une seule punition à ses soldats. Il donnait des louanges sans bornes aux Romagnols, et disait qu’entre toutes les villes de la Romagne Ravenne s’était toujours fait remarquer par l’absence complète de l’esprit de caste, comme par la loyauté et la concorde de ses habitans. Il nous signala plusieurs personnes qui, en 1849, à l’heure du péril, lui avaient prêté l’assistance la plus dévouée. Il s’étendit longuement et avec une complaisance visible sur le dévouement d’un certain Bonnet de Comacchio, qui l’avait sauvé, au péril de sa vie, des griffes des Autrichiens.

« Si le cœur du général était rempli de ces sentimens de reconnaissance pour les braves Romagnols, les Romagnols de leur côté n’avaient pas oublié l’homme pour lequel ils s’étaient exposés si généreusement, et l’annonce de son excursion dans la Pineta avait animé tout à coup d’un singulier mouvement les sentiers déserts de la forêt ; A mesure que nous avancions, c’étaient à chaque instant des ovations et des hommages. Quels magnifiques types de beauté virile que ces Romagnols ! La force, l’énergie, la loyauté rayonnent de tous les traits de leur visage. Quelques-uns d’entre eux, à la vue du héros, semblaient muets d’émotion. Ils lui serraient convulsivement les mains et tenaient attachés sur lui leurs grands yeux noirs, dont le langage était plus éloquent que les plus belles paroles.

« Nous avions parcouru environ treize milles quand les ombres de la forêt commencèrent tout à coup à s’éclaircir. La voiture, faisant un brusque détour, s’arrêta devant une métairie ; je sus bientôt que nous nous trouvions dans la fattoria du marquis Guiccioli, et que la modeste chambre où nous étions rassemblés était précisément l’asile où Anita Garibaldi, victime de son amour conjugal et de son invincible héroïsme, avait rendu le dernier soupir entre les bras de son mari consterné… Je n’en finirais pas, si je voulais dire toutes les marques de joie que le métayer et sa famille prodiguèrent au héros après ces dix années de séparation, et quelles années, quelles longues années d’épreuves ! Je dirai seulement que dans cette maison solitaire, à l’extrémité de la Pineta, nous trouvâmes une table richement chargée de toutes les délicatesses imaginables, un véritable festin, rendu excellent surtout par la franche et joyeuse cordialité de nos hôtes. Nous étions dix-huit à table, mais de minute en minute on voyait entrer quelque brave Romagnol ; chacun voulait trinquer avec le général, chacun avait à lui rappeler une aventure de 1849, un danger qu’ils avaient couru ensemble, si bien que la salle fut en peu d’instans pleine à se briser, et que le seuil était comme obstrué par une muraille de têtes. Le vestibule aussi était rempli d’une foule bruyante et enthousiaste. Auprès, au loin, on n’entendait retentir que des vivat, car des centaines et des milliers d’hommes étaient venus de tous côtés pour assister à la fête.

« Il fallut se séparer ; nous prîmes congé de nos hôtes, et remontâmes en voiture. Il y eut jusqu’à cinquante équipages qui se joignirent aux nôtres pour accompagner le général. Au bout d’un mille, nous nous arrêtâmes près d’une petite chapelle solitaire, au seuil de laquelle était un prêtre qui nous pria d’entrer. Nous le suivîmes ; auprès de l’autel se dressait un cercueil recouvert de draperies noires et tout chargé de couronnes, tout embaumé de fleurs fraîchement cueillies. C’est dans ce cercueil que reposaient les cendres d’Anita Garibaldi… Nous déposâmes aussi, non sans larmes, des guirlandes de fleurs sur ce cercueil dont la vue éveillait en nous des souvenirs à la fois si glorieux et si déchirans… Il se fit un silence dont l’impression ne s’effacera jamais de ma mémoire, un silence solennel, interrompu seulement par des sanglots ; puis la messe des morts fut célébrée. »


Après cette excursion dans la forêt de Ravenne, Elpis Melena dut prendre congé du général ; mais elle le retrouva le mois suivant à Bologne. C’est alors qu’il lui remit un nouveau chapitre de ses mémoires, celui qui est spécialement consacré à l’histoire d’Anita, et auquel se rapporte l’attestation dont nous avons parlé en commençant : I manoscritti da me rimessi a Elpis Melena sono scritti di moi pugno. » Jamais, dit-elle, je ne l’avais vu animé d’inspirations plus sereines. Il passait de longues heures à me lire des vers d’Ugo Foscolo, son poète favori ; il me fit transcrire une pièce de quelques strophes qu’il avait composée, il y a bien des années déjà, dans l’Amérique du Sud, et quand je le quittai pour retourner à Rome, il me promit de terminer pour moi sa biographie. »

Cette espèce d’idylle héroïque, je veux dire l’admiration d’Elpis Melena pour le général et la condescendance du général pour Elpis Melena, ne se termine pas, hélas ! aussi bien qu’elle a commencé. Elpis Melena venait de retourner à Rome, car il paraît bien que c’est à Rome qu’elle habite, lorsque le général lui écrivit en toute hâte pour lui demander son manuscrit italien. Il était décidé à se retirer du service militaire, et il voulait consacrer son temps à l’achèvement de son autobiographie ; bientôt du reste, ajoutait-il, Elpis Melena recevrait en échange quelque chose de plus complet. Elpis Melena s’empresse de renvoyer le manuscrit, trop heureuse de pouvoir en espérer la suite et la fin ; mais quel désappointement au bout de quelques semaines ! Si le général lui avait redemandé ses notes, elle ne tarda pas à le savoir, c’était pour les livrer à un romancier français bien connu. Croyait-elle donc que le général avait fait un pacte avec elle, et que les mémoires du héros étaient devenus sa chose ? Pensait-elle au moins qu’avant la publication de son livre en allemand, personne ne devait toucher à ce sujet, même dans une autre langue ? Telles étaient apparemment ses prétentions, car elle qualifie avec une vivacité extrême le procédé de son célèbre ami. À l’entendre, c’est un acte déloyal (eine Untreue), un acte qu’elle ne veut pas juger, qu’elle ne peut pas expliquer (welche ich weder richten noch erklœren kann) : elle le juge pourtant et l’explique avec toute l’amertume d’une colère féminine. Sans doute, — c’est elle qui parle, — on peut pardonner un excès de gloriole à un homme qui va se mettre en campagne pour affranchir la Sicile et qui s’est donné pour mission de fonder l’unité de l’Italie ; mais enfin il est bien évident que Garibaldi a eu la faiblesse, le mauvais goût de préférer les flagorneries ampoulées du plus habile des romanciers français (die bombastische Lobhudelei des geschicktesten französischen Romanschreibers) à la simple et fidèle narration d’Elpis Melena. Bien que nous n’ayons pas à nous mêler de ces querelles, nous ne devons pas non plus, entre toutes les singularités de ce livre, omettre la scène étrange qui en marque brusquement la fin. La vérité nous oblige d’ajouter qu’Elpis Melena veut bien adresser au général des offres de réconciliation. « J’espère encore, dit-elle avec une certaine solennité, que Garibaldi me fournira ôot ou tard les moyens d’ajouter un troisième volume à ces Mémoires. »

Le vœu d’Elpis Melena ne s’est pas encore réalisé : en attendant, les détails qu’on vient de lire sont assez complets ; si quelque chose peut nuire à l’intérêt de ces récits, c’est une certaine frivolité, un dilettantisme superficiel, unis aux ardeurs de l’admiration et de l’enthousiasme. Avez-vous remarqué avec quelle légèreté insouciante cette femme, si sensible pourtant à tout ce qui est généreux, se résigne sans peine à ne voir et à ne peindre qu’un seul côté des choses ? C’est bien là un trait de notre temps. Un héros paraît ; on le suit, on l’acclame, on l’adore, et telle est l’ivresse de cette exaltation qu’on ne s’inquiète pas des intérêts si complexes engagés dans de prodigieuses aventures. L’entreprise dont il s’agit touche aux questions les plus graves ; d’immenses changemens dans l’ordre religieux et moral peuvent être amenés par ce soldat aventureux. Qu’importe ? l’énergie, le dévouement, le patriotisme inébranlable de l’homme d’action imposent silence à toutes les préoccupations de la pensée. Elpis Meleria n’est pas seule à éprouver cette ivresse, et quand elle se peint elle-même sous le toit de Garibaldi, adorant Garibaldi, voyant Garibaldi partout et n’ayant des vœux que pour son triomphe, on peut dire qu’elle exprime assez fidèlement un certain état de l’Europe en face des transformations qui se préparent.

Me pardonnera-t-on de terminer par des réflexions graves l’étude d’un livre où j’ai cherché avant tout le charme des révélations familières ? Si ma conclusion ne faisait que reproduire le ton dominant de ces aimables pages, il me semblé que je manquerais à ma tâche. La critique ne doit pas se borner à mettre en relief les apparitions originales du temps où nous vivons ; elle est tenue de juger les œuvres où ces signes se manifestent et de les compléter en les jugeant. Or, sans prétendre blâmer avec trop de rigueur l’espèce d’indifférence que révèle, le dilettantisme d’Elpis Melena, il est permis de ne pas oublier ce qu’ont de délicat les questions auxquelles nous ramène nécessairement le sujet qu’elle a traité. Pour ne citer qu’une seule de ces questions, il ne faut pas oublier que les intérêts politiques se compliquent ici des intérêts religieux, et que la régénération de l’Italie suppose par exemple une régénération intérieure de l’église catholique. Or, si l’on en juge par les polémiques dont nous sommes témoins, combien peu de cœurs sont préparés a ces épreuves ! combien peu d’âmes sont capables d’apprécier les avantages d’une vie plus spirituelle et d’une liberté plus virile ! La foi de nos jours, même la plus vive, est pusillanime et peureuse. Fénelon en 1711, dans le plan de gouvernement qu’il traçait pour le duc de Bourgogne, affirmait des principes et exprimait des vœux qui scandaliseraient aujourd’hui une grande partie des catholiques. Ses curieuses notes sur l’église renferment tout un programme libéral. Après avoir défini la puissance temporelle et la puissance spirituelle, il soutient qu’une église simplement permise et autorisée dans un pays y est plus libre qu’une église d’état. Il va jusqu’à souhaiter cette situation à la France, et il en attend pour l’église maintes libertés qui lui manquent. Il comprenait bien que les avantages temporels pouvaient devenir une servitude, celui qui s’écriait dans son Discours pour le sacre de l’électeur de Cologne : « Plutôt que de subir le joug des puissances du siècle et de perdre la liberté évangélique, l’église rendrait tous les biens temporels qu’elle a reçus des princes. » C’est aussi dans le même esprit qu’il citait ces fières paroles de saint Ambroise : « Qu’on ne nous rende point odieux par la possession où nous sommes de ces terres ; qu’ils les prennent, si l’empereur le veut : je ne les donne point, mais je ne les refuse pas. » Cet affranchissement qui paraissait désirable à Fénelon, cette église sans pouvoir temporel, ou plutôt sans servitudes terrestres, n’est-ce pas ce que M. de Cavour offrait dernièrement à la cour de Rome ? N’est-ce pas cette conception hardie dont notre collaborateur, M. Eugène Forcade, indiquait avec tant de vigueur les résultats grandioses ? Mais, encore une fois, que de nouveauté dans une telle situation pour des esprits de race latine ! Combien de consciences se troublent, s’alarment, s’imaginent que tout est perdu, lorsqu’il faut rompre sur un point avec la tradition, fût-ce une tradition tout humaine, inconnue et même contraire à l’Évangile !

Quand on songe d’un côté à tant de difficultés épineuses, à tant de douleurs respectables, à tant d’âmes qui se croiront atteintes en ce qu’elles ont de plus cher ; quand on pense, d’autre part, à la cause, si sacrée aussi, d’une grande nation, à ses souffrances séculaires, à ses efforts incessans, à son espérance invincible, à son besoin de vivre qu’on ne peut lui contester, à ce but si longtemps désiré qu’elle va toucher enfin de ses mains victorieuses ; quand on embrasse en un mot les aspects multiples de la question et qu’on essaie de faire justice à tous, on ne comprend pas que le dilettantisme en de telles matières, même le dilettantisme de l’enthousiasme, puisse remplacer l’exercice viril de la raison. Un esprit vraiment libéral craint de se tromper au milieu de ces complications tragiques ; il admire le dévouement du soldat de l’indépendance sans refuser ses sympathies aux douleurs des âmes pieuses ; il se recueille, il médite, il s’élève à l’idée de la Providence gouvernant l’histoire ; il se garde bien d’ailleurs de ne penser qu’au présent, il songe à l’avenir, il songe au lendemain des catastrophes prochaines, il veut savoir si l’humanité en tirera parti pour le bien ou pour le mal. Enfin, pour rappeler l’éloquente parole de Mme de Sévigné sur la révolution d’Angleterre, il se demande avec émotion et curiosité « ce que Dieu voudra représenter après cette tragédie. »


SAINT-RENE TAILLANDIER.

  1. Garibaldi in Rom, Tagebuch ans Italien, 1849, von Gustav von Hoffstetter, damaligen Major in roemischen Diensten ; 1 vol. in-8o, 2e édition, Zurich 1860.
  2. Arezzo, 1850.
  3. Beiträge zur italienischen Geschichte, 6 vol., Berlin 1853-1857. Voyez le troisième volume, page 205.