Electricité et transports urbains - Londres - Paris - Berlin

Electricité et transports urbains - Londres - Paris - Berlin
Revue des Deux Mondes5e période, tome 32 (p. 574-614).
ÉLECTRICITÉ
ET
TRANSPORTS URBAINS

LONDRES — PARIS — BERLIN

A notre époque, les traits particuliers dont l’ensemble constitue l’originalité de la population de telle région ou de telle métropole, s’effacent ou, tout au moins, s’atténuent. L’aspect des quartiers neufs de toutes les grandes villes, dont l’outillage édilitaire se copie, tend à se ressembler, à s’égaliser.

L’extrême facilité des simples déplacemens, voire des grands voyages, a mêlé les classes, les individus et les costumes, usant nos aspérités, effaçant les reliefs les plus saillans de notre apparence extérieure, au grand dommage du pittoresque. Par surcroît, le nivellement égalitaire de nos modernes démocraties pousse aisément chacun, — parce qu’il veut paraître de la classe supérieure, — à tenir pour gênante l’empreinte caractéristique de sa condition ou de sa profession, décelant son lieu d’origine ou marquant au dehors les différences de son éducation. En exagérant un peu l’effet de cette tendance, on pourrait exprimer la crainte qu’une telle façon de vivre ne laissât bientôt plus les occasions de diversifier les modèles, de multiplier assez les échantillons pour garder l’attrait de la variété, qu’il s’agisse d’hommes ou de choses. Ce serait pour la prochaine humanité la limitation à quelques types moyens, déjà fâcheusement subie, pour ses produits manufacturés, par la grande industrie.

Mais si ces types moyens des futurs citadins ne sont encore qu’en formation, l’allure générale des collectivités dans leur vie quotidienne de la rue, s’est modifiée. Les mœurs extérieures des foules vivant en grandes agglomérations se différencient de moins en moins pour le voyageur qui passe ; les tons des divers tableaux se fondent, deviennent de plus en plus neutres. Les habitudes collectives de toutes les masses peuplant nos modernes cités s’identifient sous l’influence de besoins pareils ou sensiblement analogues, qu’on observe les sociétés compliquées de la vieille Europe ou les jeunes populations du Nouveau Monde, qu’il s’agisse d’exubérantes races méridionales ou des calmes et flegmatiques Anglo-Saxons.

Partout la vie des hommes devient plus fébrile sinon plus utile et plus douce ; entraînés par l’activité d’infatigables élites, les blasés, les inutiles et les snobs s’imaginent multiplier leurs sensations en s’agitant davantage, en changeant plus souvent de place. Une des manies que cette illusion inculque aux nouvelles générations est la hâte d’arriver. Nous l’entendons ici seulement au sens propre, sachant trop qu’au figuré ceux qui en sont le plus férocement possédés n’en veulent point convenir.

Cette manie, que l’esprit rassis de nos grands-parens eût tenue, pour une manifestation morbide, sévit à présent sur les citadins d’Europe comme sur ceux de l’Amérique du Nord. La gravité innée des Asiatiques y cédera tôt ou tard, car cette hâte brutale vers le but sera propagée chez eux à la fois par les inquiétans Nippons, qui rêvent de tirer de leur somnolence séculaire les vieilles nations de race jaune pour les dominer en les modernisant, et par les Américains, pressés de trouver, de l’autre côté du Pacifique, l’immense clientèle que convoite déjà leur insatiable industrie.

La folie de la vitesse qui pousse des gens du monde, habituellement fort amoureux de leurs aises et si soucieux de leur sécurité, à se lancer sur les routes, dans leurs indociles automobiles, monstres disgracieux, trépidans et empestans, à des allures auxquelles le moindre cahot risque d’être mortel, n’est sans doute que la forme aiguë de ce mal endémique, de cette volonté impérative de vertigineuse déambulation qui s’empare de toutes les foules urbaines.

Si l’on veut se rendre compte de la tyrannie qu’exerce ce besoin, après tout artificiel, sur les populations citadines, il suffit d’observer les changemens apportés dans les habitudes des Parisiens, dans leur allure générale, par la récente mise en service des premières lignes du réseau métropolitain. Le train électrique du métropolitain n’attend pas ; il faut en sortir vite ou s’y précipiter. Jeunes ou vieux, nous autres Parisiens avons aisément pris ces habitudes. Tous, à de bien rares exceptions près, nous sommes atteints maintenant de cette hantise d’être transportés à toute vitesse, même alors que nous n’avons rien de pressant à accomplir, surtout, — comme c’est le cas de tant de gens impatiens d’arriver, — quand nous sommes sortis par flânerie, sans but, et que nous n’allons précisément nulle part.

Ceci explique pourquoi, parmi les besoins matériels des grandes foules urbaines, l’un des plus difficiles à satisfaire avec les seuls moyens usités autrefois est le transport en commun, rapide et à bas prix, de centaines de millions de voyageurs, entendant parcourir sans attente non seulement l’étendue démesurée des cités d’à présent, mais encore leurs actifs faubourgs ou leur paresseuse banlieue.

Les entrepreneurs ou les autorités locales ont dû remanier, réorganiser et pour ainsi dire recréer les moyens de transport en commun dans toutes les villes d’une réelle importance. L’électricité a été appelée à rénover les vieilles méthodes et a donné de merveilleux résultats. C’est l’esquisse des plus intéressantes de ces transformations que nous allons essayer de tracer.


I. — LONDRES

Nous nous formons souvent une idée inexacte de l’importance des capitales entre lesquelles nous établissons des comparaisons. Quand il s’agit d’évaluer les populations à desservir par l’ensemble des moyens de transport en commun, il est indispensable de préciser. Nous constaterons donc tout d’abord que les autorités chargées du recensement des agglomérations formant la métropole britannique distinguent trois Londres. Leur première délimitation, celle du comté administratif, mesure 304 kilomètres carrés, c’est la ville proprement dite avec 4 540 000 habitans ; la seconde délimitation est celle du « greater London » avec 1 798 kilomètres carrés et environ 6 600 000 habitans ; enfin la troisième délimitation, celle du ressort de la cour centrale criminelle, qui ne régit que 1 090 kilomètres carrés, comptait, d’après le recensement de 1901, une population de 6 101 000 habitans.

Le greater London ou plus grand Londres est celui que nous devons considérer. La plupart des gens d’affaires, la presque-totalité des rentiers, des hommes de loi et des parlementaires habitent aux confins plus ou moins extrêmes de cette immense circonférence, assez bien figurée par un cercle de 24 kilomètres de rayon dont la gare de Charing Cross serait le centre. Les Parisiens se feront une idée de l’étendue de la gigantesque métropole en imaginant un cercle semblable dont le centre serait la cathédrale de Notre-Dame de Paris. La circonférence d’un tel cercle, tracée sur une carte, passerait par les deux départemens de Seine-et-Oise et de Seine-et-Marne et embrasserait la région qui s’étend de Versailles à Saint-Leu-Taverny, vers le milieu de la forêt de Montmorency, ainsi que les territoires compris entre Saint-Germain et la forêt de Sénart, au-delà de Brunoy et de Villeneuve-Saint-Georges. Tel est l’équivalent de l’étendue du « plus grand Londres. »

Ce greater London renferme le Londres proprement dit ou comté de Londres. Il contient la Cité ; le comté de Middlesex en entier avec 60 paroisses civiles ou communes ; 39 paroisses du Surrey ; 49 du Kent ; 15 de l’Essex et enfin 16 paroisses du Hertford.

Certains districts de cette métropole ont une énorme superficie et une population considérable. Le plus vaste des arrondissemens de Paris, celui de Vaugirard, a 721 hectares de superficie. Dans la région centrale de Londres ou Inner London, le plus grand district, St. Paneras, mesure 2 694 acres ou 1 090 hectares. Dans la région périphérique, le district de Wandsworth embrasse une superficie de 4 568 hectares, c’est-à-dire qu’il est plus grand à lui seul que la moitié de Paris, six fois et demie plus vaste que le plus étendu de nos arrondissemens parisiens.

La Cité de Londres proprement dite s’étend autour de la cathédrale de Saint-Paul sur une superficie de 2 500 mètres carrés et n’a, comme population fixe, que 25 000 habitans. Mais la Cité reste le cœur de la gigantesque capitale du Royaume-Uni, le centre de son commerce universel et de sa fabuleuse richesse. Aux heures des affaires, en semaine, sa population dépasse 360 000 habitans dont la quinzième partie seulement y couche. Immédiatement à l’ouest de la Cité se trouve le quartier du grand commerce, d’une étendue relativement peu considérable, mais d’une animation sinon égale, du moins comparable.

Ces deux quartiers constituent le centre des grands mouvemens de circulation de Londres, qui existent à toute heure du jour, mais qui sont infiniment plus considérables comme afflux vers ce centre dans la matinée, de sept à dix heures, et comme reflux vers la périphérie à la fin de l’après-midi les jours de semaine ou vers une heure le samedi. Le dimanche, la circulation y est des plus réduites. On a évalué à quinze cent mille personnes le nombre des visiteurs de la Cité et du quartier du grand commerce pendant une période de vingt-quatre heures ; cela fait, pour les jours ouvrables, un mouvement annuel de quatre cent cinquante millions de personnes.

Aux grands mouvemens quotidiens dont la Cité et ses environs restent le centre, s’ajoutent les mouvemens locaux de circulation et le transport des voyageurs correspondant au trafic des grandes lignes de chemins de fer, dont Londres est le lieu de concentration. J’estime, sans pouvoir trop préciser, que l’ensemble de cette extraordinaire circulation doit déplacer bien près d’un milliard et demi de personnes par an, le relevé des voyageurs transportés par les diverses lignes de chemins de fer en 1903 ayant atteint un milliard soixante-dix millions de voyageurs. Pour transporter cette masse, Londres dispose actuellement :

1° D’un réseau de grandes lignes de chemins de fer, qui aboutissent à douze garés principales situées dans les quartiers du centre ou peu éloignées de ces quartiers. Ces grandes lignes ont toutes des services suburbains très importans ;

2° D’un réseau de chemins de fer souterrains, établi ou en construction, sur lequel nous donnerons plus loin des détails complets ;

3° D’un réseau de tramways à la surface, originairement à traction par chevaux, traction qui est à présent presque partout remplacée par la traction électrique ;

4° De cent cinquante-neuf lignes d’omnibus, exploitées par deux Compagnies principales, et dont quelques-unes ont déjà substitué aux chevaux la traction mécanique, les constructeurs d’automobiles français ayant une part importante dans cette transformation.

N’étudiant ici que les transports en commun, nous passerons sous silence les fiacres, voitures de place et autres véhicules destinés aux transports individuels. En dehors de ces derniers modes de locomotion et des grandes lignes proprement dites, les chemins de fer locaux, les tramways et les omnibus ont transporté en 1902, d’après les statistiques officielles, 911 354 000 voyageurs. Voilà la mesure de la circulation urbaine à Londres.

Établis au fur et à mesure du développement de la Métropole, en vertu d’Acts du Parlement concédés à des Sociétés ou même à des particuliers, tous ces moyens de transport en commun se sont créés sans qu’aucune idée d’ensemble ait présidé à leur conception. Dès 1890, le Conseil de comté de Londres a bien essayé de réaliser une centralisation fondée sur la municipalisation des services de transport ; ses efforts n’ont pas abouti. Mais ce que le Conseil de comté, jeune autorité locale agissant comme une sorte de conseil municipal de Londres, n’a pu accomplir, des capitalistes américains l’ont tenté. Leurs efforts pour réaliser, au cours des cinq dernières années, cette concentration des moyens de transport en commun ont partiellement réussi, et ils ont constitué une puissante Société, la London underground electric railway Company qui a su se rendre successivement maîtresse d’un important réseau de chemins de fer souterrains et de tramways électriques, et qui a donné une vigoureuse impulsion à la transformation des vieux métropolitains ainsi que des lignes anciennes de tramways, transformation qui a pour objet de les doter également de la traction électrique.

Depuis fort longtemps déjà, on avait reconnu à Londres, — comme on a dû le faire ensuite dans toutes les grandes métropoles, — que l’intensité excessive de la circulation des voitures, à certains momens de la journée, rendait indispensable l’établissement de lignes souterraines. Londres fut donc, avant toutes les autres villes, pourvue de deux réseaux de chemins de fer souterrains dont les lignes ont été successivement mises en service de 1863 à 1884. Elles furent établies par deux compagnies : le Metropolitan Railway et le District Railway[1], qui adoptèrent alors naturellement la locomotive à vapeur pour la traction, la locomotive ou la motrice électriques étant inconnues à cette date.

C’est le second de ces deux réseaux qui a servi de base à la constitution du groupe de lignes passées sous le « contrôle » de la London underground electric railway Company, dont le rôle direct ou indirect a consisté à relier entre elles les lignes anciennes, à les prolonger et à les compléter. Dans le centre de Londres les lignes des deux réseaux forment un anneau dénommé Inner Circle, qui dessert les gares principales des grandes lignes de chemins de fer. Ce cercle intérieur, qui comprend 28 stations, a un développement d’environ 28 kilomètres ; il est donc supérieur à la circulaire du métropolitain de Paris qui n’a pas 23 kilomètres.

Le réseau du Metropolitan Railway comprend aujourd’hui la moitié nord du cercle intérieur et une ligne importante dirigée de Baker Street vers le Nord-Ouest jusqu’à Uxbridge, point, de la banlieue qu’elle atteint par l’intermédiaire d’un prolongement récent, Harrow and Uxbridge Railway, en majeure partie à ciel ouvert. Ces lignes exploitées à présent par la Compagnie du Metropolitan ont une longueur totale de 87 miles (140 kilomètres), mais 20 miles des lignes qu’elle exploite appartiennent à d’autres compagnies.

Le réseau du Metropolitan, bien que relié directement avec sept des grandes lignes arrivant à Londres, ne réalisait que des bénéfices insignifians par rapport aux énormes capitaux absorbés par sa construction et même par rapport à ses frais d’exploitation. Pour les cours trajets, le Londonien, tout pressé qu’il fût, lui préférait ses légers et rapides petits omnibus[2], qui partent à tout instant et qui, formant au moins le tiers des voitures en circulation dans le centre, se faufilent avec une incroyable sûreté au milieu des véhicules qui encombrent les grandes artères des quartiers d’affaires. En outre, on se récriait de plus en plus contre l’air irrespirable et la suie des gares et des tunnels.

Pour remédier à ces graves inconvéniens, la Compagnie demanda, et obtint en 1898, l’autorisation de substituer aux vieilles locomotives la traction électrique sur ses lignes. La transformation, entreprise par la branche anglaise de la Société électrique américaine Westhinghouse, est en cours et, depuis le mois de janvier 1905, les trains de la ligne Baker Street à Uxbridge, sont convoyés électriquement. Un phénomène intéressant s’est produit. Presque tout le trafic de banlieue qui se faisait jusqu’alors sur les lignes de la Compagnie du grand chemin de fer central, concurremment avec le trafic des grands parcours, passa à la nouvelle ligne électrique qui, sur une grande partie, est parallèle aux lignes du Great Central Railway.

Nous reviendrons sur la transformation des autres lignes du Metropolitan, celles de l’Inner Circle, qui, elles, sont toutes en tunnel, et dont on espère un rendement fort amélioré quand la traction électrique y fonctionnera exclusivement.

Une autre cause de la diminution des recettes du réseau métropolitain primitif est le déclassement. Sur ce réseau, il existe trois classes et les tarifs varient naturellement suivant la classe et les distances parcourues. Or, petit à petit, les voyageurs de 1re classe ont pris l’habitude de se contenter des secondes, et ceux des secondes de ne plus monter qu’en troisième. De telle sorte qu’en 1903, sur les 94 millions de voyageurs transportés, la presque-totalité était composée d’une petite proportion de voyageurs de deuxième et d’une immense majorité de voyageurs de troisième classe, ceux de première étant en infime minorité. Ces mêmes dépressions de rendement se sont fait sentir, bien que dans une proportion un peu moins accentuée, sur le réseau, du District qui comprend la moitié sud de la boucle antérieure et six lignes qui s’en détachent : deux vers l’Est, trois vers l’Ouest et une vers le Sud. Ce réseau a d’ailleurs moins de charges d’amortissement des dépenses de premier établissement puisqu’il a été formé en partie de lignes étrangères sur lesquelles la Compagnie District railways a obtenu, moyennant péage, le droit de faire circuler ses trains. Sur une longueur totale de 93 kilomètres, ces lignes étrangères représentent à peu près la moitié (27 miles, sur 58 miles). Le déclassement a amené la Compagnie à solliciter, au lieu du tarif primitif, fondé sur les parcours et la différence des trois classes, l’acceptation d’un tarif de zones avec deux classes seulement. Elle vient d’obtenir cette autorisation ; mais, comme son réseau se trouve maintenant entre les mains de la nouvelle Compagnie Underground electric Railway, qui y installe la traction électrique, la question n’a plus, pour les actionnaires primitifs, une égale importance. En 1903, il y a eu sur ce réseau du District 24 millions de voyageurs. En résumé, en ce qui concerne l’anneau central et ses branches immédiates, qui ont transporté ensemble en 1903 environ 118 millions de voyageurs, le régime sera la concurrence : la partie Nord et les lignes qui en dépendent demeurent exploitées par la Compagnie Metropolitan restée essentiellement anglaise, et la partie Sud ayant passé sous « le contrôle, » comme disent les gens de bourse d’Amérique, de l’Underground electric Railway Cy depuis 1902. Les deux concurrens opèrent d’accord la substitution générale de la traction électrique aux locomotives à vapeur, supprimant ainsi la fumée et améliorant notablement l’atmosphère des tunnels. Ils espèrent obtenir du fait de ces améliorations un rendement beaucoup supérieur de l’anneau intérieur et les diverses lignes composant le Métropolitain de Londres proprement dit : celles du Metropolitan et du District. Mais la part que la Compagnie américaine Ungerground electric possède dans ce réseau n’est que de 93 kilomètres, alors que cette entreprise exploite ou exploitera 125 kilomètres de lignes à double voie, en y comprenant les lignes étrangères avec lesquelles elle a passé des contrats pour les englober dans sa propre exploitation.

Il est assez amusant de constater que l’idée de centraliser les diverses entreprises de transport souterrain à traction électrique de Londres, pour les réorganiser d’après un plan d’ensemble, vint à des capitalistes des États-Unis à la suite de la réussite d’une entreprise locale : le Central London. Pour s’expliquer ce fait paradoxal, il est nécessaire de voir comment, en dehors du réseau que nous venons de décrire, se formèrent les diverses lignes électriques, qu’elles aient été groupées ensuite par ce syndicat ou qu’elles aient su, jusqu’à présent, en rester indépendantes.

A Londres, plus anciennement que partout ailleurs, s’était affirmée la nécessité d’établir des lignes souterraines ; dès que l’électricité permit les longs parcours en tunnels sans les dangers et les inconvéniens de la traction par machines à vapeur, elle devint impérieuse. La solution était simplifiée par l’extrême facilité que les constructions de tunnels y rencontrent, du fait de la masse d’argile compacte dite London clay sur laquelle est bâtie la métropole, et de la possibilité de passer ainsi sous la Tamise en évitant d’entraver par des viaducs la navigation si intense du fleuve.

La première ligne de chemin de fer électrique fut ouverte en 1890 a l’exploitation, sous le nom de City and South London. Elle n’avait que 4 900 mètres de longueur et elle reliait la Cité aux quartiers Sud de Londres en passant sous le lit de la Tamise à proximité du pont de Londres (London bridge). Cette ligne était constituée par deux tunnels formés d’une série d’anneaux de fonte reliés entre eux et noyés dans du béton. Deux ascenseurs hydrauliques, contenant chacun 50 personnes, desservaient les stations. Une locomotive électrique remorquait un train de trois wagons à une vitesse commerciale de 15 kilomètres à l’heure. Le tarif unique était de 20 centimes. Tels furent les débuts modestes du nouveau système, qui excita la curiosité des spécialistes et dont le succès fut de suite assez grand. On le dénomma système des tubes.

Cette première ligne souterraine électrique fut prolongée à plusieurs reprises vers le Nord et vers le Sud. Aujourd’hui elle s’étend, entre Angel Station et Clapham, sur près de 10 kilomètres ; le parcours total s’accomplit en vingt-sept minutes, ce qui implique une vitesse d’environ 22 kilomètres à l’heure.

La dépense de premier établissement pour l’infrastructure et l’armement complet a été à peu près de 6 200 000 francs par kilomètre. Les tarifs ont naturellement été surélevés suivant la distance ; mais des cartes d’abonnement à prix réduit pour les abonnés permettent à ceux-ci de bénéficier d’un abaissement appréciable, aussi sont-ils très nombreux.

Une concurrence aussi redoutable qu’imprévue à cette ligne souterraine a été suscitée par les tramways électriques circulant à la surface, particulièrement au Sud de la Tamise, où le Conseil de comté a créé un très bon service, qu’il exploite directement, et qui a réussi à enlever au City and South London une partie de sa clientèle primitive. Néanmoins, en 1903, cette ligne souterraine a transporté 18 200 000 voyageurs. Pour s’assurer un trafic meilleur elle a demandé, et elle vient d’obtenir, l’autorisation de se prolonger jusqu’à la gare importante de grande ligne de Euston. Cette première ligne souterraine électrique n’a pas été établie à une grande profondeur.

En 1898, une seconde entreprise analogue, le chemin de fer de Waterloo and City, fut mise en exploitation. Ce n’est, en réalité, que le prolongement jusqu’à la Cité de la grande ligne London and Southwestern, au moyen de deux tubes superposés, d’une longueur de 2 400 mètres chacun, une voie simple passant par chaque tube. Il n’y a pas d’autres stations que les terminus, et le trajet, qui fait également opérer, sous le lit du fleuve, la traversée de la Tamise, ne dure que cinq minutes. Le tarif, unique, est de 20 centimes pour un voyage simple et de 30 centimes pour un voyage aller et retour.

Sur cette seconde ligne, le trafic est, relativement, insignifiant une partie de la journée ; il n’a d’activité que le matin et aux heures où se terminent les affaires. Ce manque d’empressement du public est attribué à la fois à la situation de la ligne et aux conditions défavorables dans lesquelles se fait l’exploitation. Situées à une assez grande profondeur, les stations ne sont cependant pas munies d’ascenseurs ; en outre, sur la totalité de son parcours, elle est en concurrence avec des lignes de tramways de la surface ; enfin, par rapport aux petites distances parcourues, les prix semblent exagérés.

C’est au mois de juillet 1900, au moment où nous commencions à nous servir de notre première ligne du métropolitain à Paris, que fut mise en exploitation l’importante ligne Central London qui constitue une grande transversale desservant les quartiers du centre de Londres, de l’Est à l’Ouest, et qui offre certains points de ressemblance avec la ligne de la porte de Vincennes au bois de Boulogne à Paris.

Le Central London va du cœur de la Cité (du carrefour de la Banque) à la limite du Londres central, à Shepherd’s Bush. Sa longueur est à peu près de 10 kilomètres. Il dessert, outre ces deux terminus, 11 stations au moyen de deux lignes posées dans deux tubes métalliques, placés côte à côte, et où les trains passent en ne laissant, de chaque côté de l’espace qu’ils occupent dans ces tunnels, que les quelques centimètres strictement indispensables à leurs mouvemens. Cette particularité explique l’émotion considérable qui s’est manifestée à Londres à la nouvelle de l’incendie dans un tunnel d’un train du métropolitain de Paris, en 1903. La ligne se rapproche de la surface aux stations, d’ailleurs desservies par de puissans ascenseurs ; mais elle s’enfonce dans son parcours à des profondeurs qui atteignent 31 mètres au-dessous de la voie publique en certains endroits. Cette disposition en montagnes russes facilite le démarrage des trains et leur arrêt en économisant la dépense de courant électrique.

Les frais de premier établissement ont dépassé les prévisions ; ils font ressortir le kilomètre à environ 9 millions de francs ; aussi le prolongement de la ligne jusqu’à la gare de Liverpool, en vue d’une jonction avec les lignes du Great Eastern, fut-il provisoirement ajourné. À cette première déconvenue vint s’en ajouter une autre du fait de l’exploitation. La Compagnie avait prévu que la traction serait faite par des locomotives électriques ; mais un concert de plaintes des riverains s’éleva contre les. vibrations provoquées dans ces deux tubes sonores par le passage incessant des locomotives et des trains, et la Compagnie fut amenée à substituer des automotrices à ces trop pesantes locomotives, tout en prenant d’autres précautions de détail contre le bruit et les vibrations. Ces transformations, presque totalement réalisées actuellement, ont dû être onéreuses. Mais au point de vue du public, ce fut un succès immédiat, complet. Les voitures employées, confortables, luxueuses, du type américain, sont montées sur bogies, avec plate-forme ouverte à chaque extrémité ; elles sont éclairées avec profusion. Les trains se succèdent à deux et trois minutes d’intervalle de cinq heures du matin à une heure après minuit ; ils ne mettent que trente minutes pour accomplir le trajet total. Il n’y a qu’une classe, et le prix est uniformément de 20 centimes, quelle que soit la distance parcourue ; enfin il existe, à certaines heures matinales, des trains ouvriers, pour lesquels le tarif n’est que de 20 centimes aller et retour. La classe unique supprime les contrôles ; mais les gentlemen et les dames restent presque seuls dans les wagons où il est défendu de fumer, les ouvriers ayant de suite marqué leur préférence pour les voitures où ils pouvaient allumer leur pipe ou leur cigarette.

Le trafic du Central London a donc été immédiatement considérable. Pendant l’exercice 1902-1903, cette ligne a transporté environ 50 millions de voyageurs, et on nous affirme que, au cours de l’exercice 1903-1904, le total des personnes transportées a dépassé 56 millions. Mais cet éclatant succès, qui permettait à la Compagnie de dédaigner les concurrences extérieures et d’affirmer la supériorité de ses services par rapport à ceux des lignes parallèles, va peut-être se trouver enrayé, dans une certaine mesure, par la substitution très prochaine de l’électricité à la vapeur sur les lignes de l’Inner Circle qui sont exploitées soit par le Metropolitan, soit par le District.

L’attention des entreprenans hommes d’affaires qui dirigent les grandes sociétés d’électricité des États-Unis avait été tout d’abord attirée sur les entreprises de transport en commun de Londres quand il s’agit de décider cette transformation du système de traction. Dès 1897, les deux Compagnies s’étaient mises d’accord pour réaliser la traction électrique sur l’anneau central et avaient demandé à la maison Ganz de Budapest d’étudier l’équipement électrique de cette partie de leur réseau, au moyen de son système qui utilise les courans triphasés. Mais, au mois de janvier 1901, les Américains s’étant rendus maîtres de la majorité des actions du District obtinrent le remplacement du système Ganz par un système américain de la Compagnie Westinghouse, à courant continu, qu’après une certaine résistance accepta également le Metropolitan.

Cette première victoire des capitalistes new-yorkais avait été remportée par un syndicat ayant à sa tête M. Ch. T. Yerkes, soutenu par la maison de banque Speyer frères, et qui considérait à ce moment que ce qui dominait la question de la réorganisation des moyens de transport par l’électricité à Londres était beaucoup plus le côté financier que les côtés industriel ou commercial. Elle eut un retentissement considérable dans la Cité. Mais l’émotion grandit encore quand, peu de temps après l’acquisition des titres qui assurait au groupe américain le « contrôle » de la Compagnie du Metropolitan District, il se rendit propriétaire de la majorité des actions de la ligne Baker Street and Waterloo, racheta l’entreprise de la Charing Cross and Hamstead railway C°, qui construit une ligne de 13 kilomètres, et constitua enfin le chemin de fer du Great Northern Picadilly and Brompton, qui aura 12 kilomètres.

Ces deux dernières lignes sont actuellement en grande partie construites et ne tarderont guère à entrer en exploitation. On pense qu’elles seront toutes deux ouvertes au public dans le premier semestre de 1906.

Cette mainmise hardie sur les nouvelles lignes de Londres avait été très habilement conduite. Mais, à présent que M. Yerkes est mort, il est permis de se demander si les entreprises ainsi réunies entre les mains des capitalistes américains seront aussi productives que le magnifique succès du Central London pouvait le faire supposer quand ils résolurent de fonder la London underground electric Company ? En effet, la dernière ligne électrique souterraine livrée à l’exploitation à Londres a été celle du Great Northern and City Railway. Elle devait avoir pour objet de permettre aux nombreux voyageurs arrivant par les trains de banlieue du Great Northern d’accéder directement au cœur même de la Cité, au fourmillant carrefour de la Banque, en se séparant des grandes lignes à Finsbury Park. Cet objet, qui comportait l’établissement de grands tunnels d’un diamètre supérieur à ceux des « tubes, » fut abandonné pendant l’exécution des travaux. La ligne n’est plus maintenant qu’un chemin de fer urbain, distinct des grandes lignes, partant de Finsbury Park et aboutissant près de la Banque. Les résultats de son exploitation sont, jusqu’à présent, plutôt médiocres, en raison sans doute des nombreuses concurrences qu’elle doit subir. La dépense de premier établissement a été encore plus considérable que celle du Central London ; elle a atteint, pour les 5 600 mètres du parcours, environ 56 millions de francs, soit dix millions par kilomètre. Cette ligne est ouverte depuis le 15 février 1904, les trains sont assez fréquens, partant toutes les trois minutes aux heures des affaires. Le tarif, fondé sur la classe unique, est de 10 ou de 20 centimes suivant la distance parcourue. Les wagons, du type américain à bogies, sont confortables et bien éclairés. L’installation électrique de cette ligne, faite par la branche anglaise de la Société Thomson-Houston, a été l’objet de soins tout particuliers.

On voit, depuis six ans, un plan d’ensemble de pénétration méthodique des grands réseaux vers le centre s’appliquer par le jeu des concurrences des diverses compagnies groupées autour du syndicat américain ou demeurées hors de son contrôle.

La nouvelle ligne Great Northern Picadilly and Brompton Railway partira de Finsbury Park, desservira les gares de Kings Cross et de St. Paneras, descendra jusqu’au Strand, en plein quartier des affaires, puis tournera vers l’Ouest pour atteindre Hammersmith. Elle semble appelée à un trafic important, car elle constituera, au Sud des gares de Kings Cross et de St. Pancras, le prolongement des deux grandes lignes du Great Northern et du North London vers le centre et l’Ouest de la Métropole.

L’autre ligne nouvelle, dont nous avons signalé l’achat par le groupe Yerkes, celle du Charing Cross and Hamstead Railway, formera une radiale souterraine vers le Nord-Ouest qui sera prolongée sur la surface dans la banlieue, jusqu’à Edgware. En desservant la gare de Euston, elle constituera le prolongement nécessaire des lignes de la grande banlieue de Londres et du chemin de fer Northern Railway.

En outre, le Baker Street and Waterloo Railway qui traverse la Tamise en tunnel, servira de prolongement direct vers le quartier des affaires aux voyageurs du Great Western par la jonction avec la gare de Padington ; à ceux du Great Central par la jonction avec la gare de Marylebone ; enfin à ceux de la ligne de banlieue du réseau métropolitain par la jonction à Baker Street. D’autre part, il recevra le matin et emportera le soir la foule des employés et des ouvriers venant du midi de Londres, — où des quartiers considérables se sont récemment créés, — par le réseau des tramways électriques du Sud directement exploité par le Conseil de comté.

Les nouvelles lignes électriques du syndicat américain ne subiront guère d’autre concurrence que celle des lignes d’omnibus, dont quelques-unes, nous le répétons, sont en train de substituer à la traction par chevaux l’emploi d’automobiles. Cette concurrence, plus efficace sans doute contre le métropolitain à Londres qu’à Paris, ne paraît pas devoir néanmoins être bien redoutable. Vers l’Ouest, le réseau Yerkes se relie à un ensemble de lignes de tramways électriques indépendantes du Conseil de comté, établies par la London united tramway C°, dont les Américains ont, à la fin de 1902, racheté les actions afin d’empêcher la réalisation d’un projet, conçu par la maison Morgan, en vue d’un prolongement de ce réseau de tramways vers le centre de Londres au moyen de lignes souterraines électriques. On voit combien les affaires de transport de Londres intéressaient les grands spéculateurs américains !

La centralisation des entreprises opérée par le groupement d’intérêts financiers unis dans le syndicat Yerkes servira certainement le public ; c’est cette considération, puissante sur l’esprit positif des Anglais, qui, sans doute, a mis fin aux très vives oppositions du début. En six années, on a substitué à des lignes locales sans lien entre elles et sans jonction avec nombre de grandes lignes : 1° une boucle complète desservant toutes les principales gares de chemins de fer ; 2° plusieurs lignes prolongeant quasi directement jusqu’au centre des affaires les grands réseaux anglo-écossais ; enfin huit branches en rayon, reliant à la Cité les quartiers excentriques, soit directement, soit par leur jonction avec les tramways desservant ces quartiers.

C’est une amélioration considérable. Il reste au syndicat un dernier effort à faire pour réaliser l’unification de l’exploitation de ses lignes, encore incomplète en raison des difficultés que la Compagnie américaine a rencontrées quand elle a dû négocier avec les autorités publiques. Elle n’a pu créer un tarif unique pour l’ensemble de son réseau, comme elle se le proposait, et les tarifs de ses lignes en construction ne sont même pas déterminés. On n’a pas encore autorisé sur les différentes lignes la circulation de trains formés d’une manière uniforme. Le temps réalisera ces mesures qui auront pour effet des économies d’exploitation. Déjà la création pour la production du courant à tout leur réseau (qui comportera au total les huit dixièmes des lignes souterraines de Londres) d’une usine électrique unique, de la puissance de 44 000 chevaux, doit permettre la réalisation d’une économie sensible des dépenses de traction. Cette grande usine d’électricité est située à Chelsea.

Telle est l’œuvre curieuse qu’accomplit à Londres un groupe de capitalistes américains qui, n’ayant en vue, à l’origine, qu’une simple spéculation, ont été finalement conduits à centraliser, puis à harmoniser les principales entreprises de chemins de fer électriques souterrains de la métropole ; et qui, de purs spéculateurs qu’ils étaient, ont dû devenir de grands chefs d’exploitation.

Les différentes lignes de ces vastes réseaux de chemins de fer n’ont pas, d’une façon générale, de connexion de rail à rail, pas plus celles du syndicat Yerkes que les autres. Le seul réseau ayant une jonction effective de toutes ses lignes est celui de l’ancien métropolitain pour ses deux parties : Metropolitan et District. Toutefois, à la plupart des points de croisement des autres lignes souterraines, des couloirs ont été établis, permettant le passage des voyageurs d’une ligne sur l’autre. A certains endroits, à la Banque par exemple, on a profité de la construction de ces communications pour creuser de véritables rues souterraines par lesquelles les piétons peuvent franchir sans risques d’écrasement la cohue des voitures encombrant les chaussées. Donc, à la condition de se munir d’un nouveau billet quand ils changent de ligne, les voyageurs des lignes souterraines ont pratiquement la possibilité de profiter des croisemens. Mais il n’existe aucune jonction directe entre les lignes souterraines et celles des tramways de la surface. Ces tramways sont répartis entre trois groupes importans que nous devons mentionner afin de donner une idée complète des moyens de transport en commun sur rail.

Nous avons déjà parlé du groupe des tramways du Sud, exploité directement par le Conseil de comté, auquel il appartient ; c’est le moins étendu : il a environ 110 kilomètres.

Le groupe des tramways de l’Ouest, qui. est passé des mains de la London united tramway C° dans celles du groupe américain, est un peu plus long : il a 123 kilomètres.

Enfin le plus grand, celui du Nord, a une étendue totale de 146 kilomètres. La plupart de ses lignes appartiennent aussi au Conseil de comté ; mais au lieu d’être exploitées en régie directe, comme celles du groupe Sud, elles étaient affermées à une Compagnie. Elles vont aussi être transformées en lignes électriques.

Sans parler des sections urbaines des grandes lignes, le réseau des chemins de fer souterrains et celui des tramways à traction électrique ainsi constitué ont rénové les moyens de transport en commun, assurant, avec le concours des lignes d’omnibus, par toute l’étendue immense de la gigantesque agglomération qu’est Londres, un service infiniment préférable à ceux dont sa population disposait jusqu’à présent. Même si, comme je le crains, les résultats financiers donnent, aux débuts du fonctionnement de ce vaste système, certaines déconvenues, l’œuvre n’en demeurera pas moins digne d’attention de la part de tous ceux, — techniciens, administrateurs ou simples particuliers, — qui s’intéressent aux grandes questions municipales.


II. — PARIS

Une comparaison des moyens de transport en commun de Londres avec ceux de Paris n’est pas facile. Ni la superficie à desservir ni la population à transporter ne sont aisément comparables ; en outre, les mœurs des deux populations sont assez différentes. On peut cependant essayer, en étudiant les améliorations importantes qui viennent d’être réalisées, — ou qui sont en cours d’exécution, — dans chaque capitale, de se rendre compte des avantages considérables offerts par une centralisation rationnelle et par l’emploi des meilleurs systèmes électriques pour développer et assouplir les grandes exploitations locales de chemins de fer ou de tramways. Dans des conditions différentes de temps et d’étendue, la question reste la même : comment transporter rapidement, à bas prix, et aux momens où ils le désirent, une masse donnée de voyageurs ?

Pour évaluer la superficie à parcourir et les populations auxquelles les entreprises parisiennes de transport doivent permettre de se déplacer, il ne faut pas se borner à considérer les 7 802 hectares du Paris limité par ses fortifications continues. L’agglomération parisienne englobe, à mon avis, non seulement la totalité du département de la Seine, mais encore une partie de celui de Seine-et-Oise. Ainsi comprise, la population de la capitale et de sa banlieue atteint près de quatre millions d’âmes. Le mouvement des voyageurs dans cette agglomération a porté, pour 1903, sur un total d’environ 855 millions de voyageurs Evalué seulement à 587 millions en 1901, le nombre des déplacemens a donc considérablement augmenté à la suite de l’exploitation des trois premières lignes du réseau métropolitain et du fonctionnement des tramways dits de pénétration.

Dans la ville même, la population est sensiblement plus dense que dans la partie comparable du centre de Londres ; près de la moitié des maisons de Paris ont plus de quatre étages, tandis que les deux tiers des maisons de Londres ne sont élevées que de deux étages. Plus agglomérée, — et ayant par conséquent moins de motifs de déplacement que la population de Londres, — la masse des Parisiens voyage cependant davantage. L’humeur parisienne porte sans doute plus aux relations mondaines, aux promenades ou à la flânerie la majeure partie des habitans, leurs occupations quotidiennes terminées.

Sa journée finie, l’ouvrier, l’employé, le commerçant ou le fonctionnaire de Londres regagne aussitôt son home en quelque lieu plus ou moins éloigné de sa champêtre banlieue, et il n’en ressort plus guère que le lendemain. Le Parisien, lui, se dépêche de sortir, seul, ou avec sa famille, dès qu’il a réussi à se créer quelques loisirs. L’Anglais de Londres sort presque uniquement pour ses affaires, le Français de Paris circule surtout pour son agrément.

Comme nous venons de le faire pour Londres, énumérons tout d’abord les divers moyens de transport en commun dont le « grand Paris » tel que nous le définissons, dispose actuellement ou dont il pourra se servir dans un avenir immédiat. Ce sont :

1° Les lignes des grandes Compagnies de chemins de fer dont les réseaux d’intérêt général convergent vers Paris et y desservent 22 gares ou stations à voyageurs. Leur mouvement annuel porte en moyenne sur 24 à 25 millions de personnes arrivant de province ou de l’étranger ou s’embarquant à Paris pour y retourner, ce qui fait un mouvement total de 48 à 50 millions de voyageurs.

Le service de banlieue porte annuellement sur environ 58 millions et demi de voyageurs dans les deux sens.

2° Le chemin de fer de ceinture intérieure, qui suit à peu près l’enceinte fortifiée, desservant 31 stations et transportant chaque année environ 53 millions de voyageurs.

3° Les lignes du réseau de chemins de fer métropolitain, électrique. Ce réseau n’est exploité que partiellement ; mais sa construction se poursuit sans désemparer et les lignes en service ont transporté, en 1904-1905, environ 118 millions de voyageurs par an.

4° Un chemin de fer souterrain, également électrique, allant du nord au sud, tout récemment concédé, et dont la construction doit commencer en 1906.

5° Un réseau étendu de lignes de tramways exploité soit par la Compagnie des Omnibus soit par douze autres compagnies, ayant transporté l’an dernier ensemble 367 millions de voyageurs, dont 5 millions par la petite ligne funiculaire de la place de la République à Belleville, établie par la Ville.

6° Les 35 lignes d’omnibus dont l’exploitation constitue Je privilège de la Compagnie générale des Omnibus. Les omnibus transportaient autrefois une moyenne de 130 millions de voyageurs ; en 1903, leur trafic, — en dehors des lignes de tramways exploitées par cette Compagnie, — n’a été que de 125 millions de voyageurs et il a descendu à 121 millions et demi en 1904 ; aussi se traduit-il maintenant par un déficit.

7° Les bateaux-omnibus et bateaux parisiens, exploitation résultant de la fusion de deux sociétés, au début en concurrence.

Ces bateaux, bien tenus et réguliers, assuraient, avant la mise en service de la ligne du Métropolitain parallèle à la Seine, un mouvement annuel d’environ 25 à 26 millions de voyageurs. En 1900, l’affluence vers l’Exposition rendit insensible pour eux l’effet du Métropolitain ; mais à présent le trafic s’en ressent et il a certainement été considérablement enrayé, bien qu’il se soit encore élevé, en 1904, à une vingtaine de millions de voyageurs, tant dans la traversée de Paris que dans la direction de Suresnes ou de Charenton.

Ayant jeté cette vue d’ensemble sur les divers moyens de transport dont les Parisiens disposent, examinons de quelle façon on les a successivement établis et transformés.

Ce n’est que depuis 1830 qu’une véritable organisation des moyens de transport en commun existe à Paris. Les précédentes tentatives d’établissement, de lignes régulières de voitures publiques à itinéraires fixes furent toutes éphémères ; la plupart ruinèrent leurs entrepreneurs. En 1662, avec les carrosses à cinq sols où ne pouvaient accéder ni « soldats, pages, lacquais et autres gens de livrée » ou même « ni manœuvres et gens de bras, » la clientèle, réduite à la petite bourgeoisie, se trouva insuffisante pour alimenter l’entreprise. Il en fut de même des tentatives suivantes jusqu’à la Restauration. L’essai de 1819, qui se poursuivit avec des interruptions parfois assez longues, jusqu’en 1828, date à laquelle une ordonnance de police autorisa MM. de Saint-Céran, Baudry et Boitard à créer les premières lignes d’omnibus, aboutit aussi à une déconfiture qui fit se suicider Baudry, l’infortuné promoteur de l’entreprise.

Cette ordonnance du 30 janvier 1828 autorisait la création, dans l’intérieur de Paris, de 18 lignes de voitures publiques à destination fixe, desservies par des Omnibus au nombre maximum de cent, suivant un itinéraire déterminé et échangeant en correspondance leurs voyageurs aux points de croisement. Les voitures, à quatre roues et à deux ou trois chevaux de front, transportaient de 12 à 20 voyageurs, tous à l’intérieur. Elles affectaient la forme des diligences, avec leurs trois compartimens : coupé, intérieur et rotonde, — origine des trois classes de nos chemins de fer, — et le prix de la place était, suivant la classe, de vingt, vingt-cinq ou trente centimes. Le public adopta assez bien le nouveau mode de transport ; mais l’absence de contrôle des recettes mit l’entreprise en déficit ; sa ruine eut pour conséquence la mort de l’instigateur. A la suite de ce tragique événement, MM. Fouillant et Moreau-Chaslon s’en rendirent acquéreurs. Après avoir remplacé l’ancien matériel par des voitures à deux chevaux et à 14 places, plus rapides, et unifié le tarif à 25 centimes, ils réussirent à lui rendre une certaine prospérité. Le succès fut définitivement assuré dès que, par ordonnance du 2 janvier 1830, le Préfet de police les autorisa à élever à 30 centimes le prix des places. Mais son succès suscita immédiatement des concurrens à la nouvelle Compagnie des Omnibus, simplement autorisée et n’ayant ni monopole ni privilège. Dès la fin de 1830, vingt et une entreprises s’étaient constituées à côté de cette Compagnie, desservant avec elle 36 lignes, généralement assez courtes, au moyen de 390 voitures.

Ce régime de liberté avait, à côté de certains avantages, de réels inconvéniens. Il amena plusieurs entreprises à se réunir pour limiter la concurrence dont le public bénéficiait et, en 1850, le nombre des sociétés n’était plus que de treize ; il était réduit à dix en 1854, sans que ces fusions eussent abouti à assurer un bon service dans tout l’ancien Paris. Les entreprises recherchaient naturellement la clientèle sans se soucier d’encombrer les mêmes voies ; si elles se faisaient une active concurrence dans le centre, où les itinéraires abusaient des détours, elles négligeaient beaucoup les quartiers excentriques et presque totalement les faubourgs.

L’Empire, plus autoritaire, obligea toutes les sociétés d’Omnibus à fusionner avec la Compagnie des Omnibus. La nouvelle concession, créant alors un privilège, par le droit exclusif de faire circuler les voitures en les laissant stationner sur la voie publique, donna naissance à la Compagnie générale des Omnibus par le décret du 5 août 1854. Le prix des places d’intérieur était maintenu à 30 centimes ; mais on créa « l’impériale » c’est-à-dire 12 places sur la voiture, à mi-tarif, mais sans droit à la correspondance.

L’annexion à Paris, en 1860, des communes comprises dans le mur d’enceinte fit remanier ce système. Haussmann établit un nouveau contrat qui fut signé le 18 juin 1860. En retour de certaines obligations, notamment d’un partage éventuel de bénéfices avec la Ville, la concession de la Compagnie des Omnibus était prorogée jusqu’au 31 mai 1910. Telle fut l’origine des lignes d’omnibus actuelles.

Celle des lignes de tramways est plus simple ; elle remonte à un décret du 28 février 1854 accordant à M. Loubat la concession de voies ferrées destinées à la circulation d’un chemin de fer à traction par chevaux, de Vincennes au pont de Sèvres et au rond-point de Boulogne. Le bénéficiaire du décret rétrocéda la concession du « chemin de fer américain » à la Compagnie des Omnibus, qui l’exploita.

En même temps se formait, par la construction de ses trois sections, le chemin de fer de ceinture qui fait le tour de la ville en suivant intérieurement, à des distances variables, la ligne des fortifications. Son point de départ est, comme son point d’arrivée, la gare Saint-Lazare.

Si l’on considère son établissement ou son exploitation, le chemin de fer de ceinture est formé des trois sections suivantes :

1° De la gare Saint-Lazare à Auteuil. C’est la ligne dite du bois de Boulogne, concédée en 1852 à la Compagnie de l’Ouest, construite et livrée par elle à la circulation en 1854 ; cette section est toujours exploitée par la même Compagnie.

2° D’Auteuil au point de raccordement avec les lignes du réseau d’Orléans (Orléans-ceinture) sur la rive gauche de la Seine. Construite par l’Etat, cette section n’a été mise en service qu’en 1867 ; son exploitation est concédée au Syndicat des grandes Compagnies.

3° D’Orléans-Ceinture à la station de Courcelles-Ceinture par la rive droite de la Seine. Cette dernière section, construite par le Syndicat des grandes Compagnies qui en assure l’exploitation, n’a été ouverte aux voyageurs qu’en 1869 ; auparavant, elle ne servait qu’à relier entre elles les gares des marchandises parisiennes des grands réseaux.

Les lignes de ceinture de Paris ont une longueur de 35 kilomètres et elles desservent, en dehors de la gare Saint-Lazare, 31 stations. Le tarif est élevé, l’allure des trains lente, et cela empêche d’en tirer tous les services qu’on en peut espérer. La transformation de l’exploitation par la substitution à la vapeur de l’électricité pour la traction abrégerait la durée, du trajet complet, qui est supérieure à une heure trois quarts ; cette amélioration augmenterait certainement le trafic.

Comme voies ferrées, outre le chemin de fer de ceinture, il faut mentionner les deux pénétrations des lignes de la Compagnie d’Orléans : la ligne des quais de la rive gauche conduisant les grands express, par locomotives électriques, de l’ancien terminus à la nouvelle gare érigée au quai d’Orsay, et la prolongation de la ligne de Sceaux à la station du Luxembourg. Il est actuellement question d’incorporer cette ligne souterraine au réseau métropolitain et des pourparlers sont en cours à ce sujet entre la Ville de Paris et la Compagnie d’Orléans.

On peut encore classer comme lignes de chemins de fer servant à la circulation des Parisiens dans la métropole : la ligne des Moulineaux qui, établie par la Compagnie de l’Ouest, va de la gare Saint-Lazare à la station du Champ-de-Mars par Asnières, Puteaux, le pont de Sèvres, le Bas-Meudon, les Moulineaux et Billancourt, et la nouvelle ligne électrique qui va de cette même station du Champ-de-Mars à Versailles.

Le service de banlieue pourrait tirer de ces deux lignes un bien meilleur usage ; mais le petit nombre des trains qui y circulent ne permet pas d’en obtenir tous les services qu’elles pourraient rendre à la population avec une exploitation moins calquée sur celle des lignes d’intérêt général.

Nous arrivons à présent aux détails de la création du réseau des tramways.

L’intensité de la circulation des piétons et des voitures, si rapidement croissante sur certains points et à certaines heures, a fait sentir aux autorités locales, dès 1870, la nécessité d’une nouvelle organisation des services parisiens de transport en commun Pour s’expliquer les difficultés qui, jusqu’à ce jour, ont retardé cette réorganisation complète, il suffira d’exposer le régime absurde qui s’est établi, d’abord par le traité de 1860 avec la Compagnie des Omnibus, puis par des concessions sans vues d’ensemble de lignes de tramways dans Paris ou dans sa banlieue. A peine en service, tantôt créées par des concessions directes de l’Etat, tantôt accordées par délibération du Conseil général de la Seine, tantôt résultant de la transformation d’anciennes lignes d’omnibus, ces lignes de tramways lurent atteintes dans leur vitalité par la création du réseau métropolitain, souterrain et à traction électrique, permettant d’aller très vite sans encombrer les voies publiques.

Cette création fut longtemps arrêtée par les protestations de la Compagnie des Omnibus et par la répugnance du ministère des Travaux publics à la confier à la Ville. L’Etat, en approuvant le traité qui lie cette Compagnie et la Ville, s’était formellement réservé le droit de concéder des entreprises de transport de voyageurs en commun, soit sur la voie ordinaire soit sur rail, chaque fois que le gouvernement jugerait ces concessions utiles. La Ville, en fait, ne pouvait contraindre la Compagnie des Omnibus, au cas où elle s’y refuserait, à établir les lignes nouvelles jugées indispensables parce que la seule sanction, excessive, était la déchéance de sa concession. Cette prérogative de l’État permit de créer, en forçant la Compagnie des Omnibus à subir sa volonté, certaines lignes de tramways[3] ; mais ce régime, après avoir fait naître dix procès et suscité cent discussions, est la cause des échecs successifs des projets de réorganisation auxquels, depuis deux années, on travaille vainement au ministère des Travaux publics.

Après la guerre franco-allemande, le Conseil général de la Seine se préoccupa de doter Paris et sa banlieue de lignes de tramways, frappé des heureux résultats obtenus par ce système de locomotion en Amérique, à Londres, à Vienne et à Bruxelles. Un premier réseau, formé de lignes de pénétration rayonnant de la banlieue dans Paris et d’une circulaire, suivant les anciens boulevards extérieurs et reliant ces rayons, fut concédé au département par l’Etat, par décret du 9 août 1873. Cette concession était faite jusqu’au 31 mai 1910, date de l’expiration du traité avec la Compagnie générale des Omnibus, en vue d’une fusion future, lors de la réorganisation des moyens de transport, de tous les services de transport en commun.

La concession fut rétrocédée par le Conseil général aux Compagnies des Tramways-Nord et des Tramways-Sud pour les parties du réseau extérieures aux fortifications et à la Compagnie générale des Omnibus, qui excipait de son privilège, pour la partie des lignes intra muros.

À cette époque, la Compagnie des Omnibus exploitait 32 lignes d’omnibus, le chemin de fer américain du Louvre à Sèvres et à Boulogne, et 20 services de banlieue ou de rabatteurs.

Elle mit deux ans à établir sur les boulevards extérieurs, comme lignes de tramways du réseau départemental, deux services : Étoile-La Villette et La Villette-place du Trône, au moyen de grandes voitures, inaugurées le 25 août 1875, à 47 et 50 places avec accès des femmes à l’impériale. Le succès de cette création, fut complet, mais se réalisa un peu aux dépens de certaines lignes d’omnibus. La Compagnie prit bientôt la résolution de diminuer notablement ses services de banlieue, rendus moins utiles par l’établissement des réseaux de tramways départementaux Nord et Sud, et obtint une réorganisation de ses lignes d’omnibus de Paris.

En même temps qu’il créait ce premier réseau de tramways, le Conseil général faisait procéder à l’étude d’un réseau de chemins de fer destiné à mettre les différentes parties du département en communication avec une nouvelle ligne de ceinture, plus centrale que l’ancienne, mais reliée avec elle.

Cette conception fit l’objet d’études de 1873 à 1877 ; elle se modifia peu à peu jusqu’à devenir un projet de réseau métropolitain d’intérêt local ; mais alors le gouvernement, n’admettant un métropolitain que comme une jonction directe des grandes lignes, opposa son veto à sa réalisation. Ce conflit dura vingt ans.

Les réseaux de Tramways-Nord et Sud se constituèrent dans d’assez médiocres conditions, les résultats financiers du trafic étaient peu favorables. Mais le succès des tramways intérieurs conduisit la Compagnie des Omnibus à convertir en tramways ses meilleures lignes d’omnibus partout où les voies publiques se prêtaient à cette transformation à laquelle poussait d’ailleurs le Conseil municipal en prévision des besoins de la circulation pour l’Exposition universelle de 1878.

En 1877 et 1878, la Ville de Paris obtenait à son tour la concession, jusqu’au 31 mai 1910, de neuf lignes de tramways qu’elle rétrocédait à la Compagnie des Omnibus.

Un remaniement complet du réseau d’omnibus fut effectué à l’occasion de l’Exposition de 1878 sans diminuer le nombre des lignes, mais en tenant compte des modifications de service dues aux nouvelles lignes de tramways. Les cahiers des charges de rétrocession de ces lignes adaptaient aux tramways les dispositions du traité de 1860, maintenant les tarifs et la correspondance.

La faillite des Compagnies de Tramways du réseau départemental nécessita de nouvelles négociations avec la Compagnie des Omnibus, dont les services, en 1889, avaient été impuissans à desservir l’Exposition universelle ; mais l’entente ne se réalisant pas, le gouvernement, en vertu de ses droits régaliens, concéda directement, par décret du 5 juin 1891, le réseau départemental agrandi à trois Compagnies nouvelles de tramways.

Si cette concession directe par l’État permettait, en tranchant une difficulté insoluble pour la Ville, l’établissement des lignes réclamées par la population, elle embrouillait encore une situation déjà compliquée, le Conseil municipal ni le Conseil général ne pouvant plus dorénavant exercer d’action sur ce nouveau réseau que par l’intermédiaire de l’État.

Tous ces services de tramways se faisaient par chevaux ; mais les avantages de la traction mécanique, affirmés à l’étranger, furent vite reconnus après les essais tentés timidement par la Compagnie des Omnibus, d’abord sur les lignes du Louvre à Boulogne et à Sèvres, ensuite sur une ligne nouvelle du Cours de Vincennes à Saint-Augustin, qui lui avait été directement concédée par la Ville, en mars 1893. Les premiers essais de traction mécanique se firent avec des machines à air comprimé et à vapeur sans foyer. Mais, par un décret du 18 août 1893, l’État concédait une ligne de tramways, de la place de la République à, Romainville, qui inaugurait la traction électrique par un système, alors nouveau, le contact superficiel. L’énergie électrique, produite dans une usine extérieure, était transmise tout le long de la ligne, non par des fils aériens, mais par des conducteurs souterrains, mis en contact avec les moteurs des voitures au moyen de blocs métalliques (plots) insérés dans le pavage des voies publiques suivies par la ligne du tramway, le contact ne se produisant qu’au passage du véhicule.

Depuis, d’autres systèmes de traction électrique par contact superficiel ont été établis ; après une période de mise au point, au cours de laquelle d’assez nombreux accidens, trop souvent mortels pour les chevaux, se sont produits, ils semblent à présent bien fonctionner ; mais hors de Paris, on a adopté le fil aérien et le trolley, beaucoup plus économiques.

Divers accords se traitèrent encore avec la Compagnie des Omnibus et avec les autres sociétés exploitant des lignes de tramways ; mais la question perdit beaucoup de son intérêt pour la Ville de Paris dès que le gouvernement, revenant sur son appréciation du caractère d’un réseau de chemins de fer métropolitain, finit par admettre que ce n’était qu’une œuvre d’intérêt local et laissa la municipalité maîtresse de la créer.

Actuellement, en dehors de ce réseau métropolitain, des lignes de chemins de fer d’intérêt général et des omnibus, la capitale et sa banlieue sont desservies par 725 kilomètres de voies de tramways, dont 223 sont exploitées par la Compagnie des Omnibus, 106 par la Compagnie des Tramways de Paris et du département de la Seine, 103 par la Compagnie de l’Est parisien, 90 par la Compagnie générale parisienne de Tramways, 54 par la Compagnie des Chemins de fer nogentais, 50 par la Compagnie des Tramways mécaniques des environs de Paris, 40 par la Compagnie du Chemin de fer sur route de Paris à Arpajon, 36 par la Compagnie des Tramways de la rive gauche, 31 par la Compagnie de l’Ouest parisien, 15 par la Compagnie des Tramways électriques Nord parisiens, enfin 5 par chacune des compagnies des Tramways de Vanves à Paris, et des Tramways du Bois-de-Boulogne. Pour ne rien omettre, notons encore le funiculaire de Belleville, qui n’a que 5 kilomètres, mais transporte 8 millions de personnes par an. Un tel réseau a une grande importance pour les facilités de circulation, mais les conditions de notre circulation parisienne se transforment par la mise en service successive des lignes du métropolitain.

L’annonce de l’Exposition de 1900 avait fait préparer par le gouvernement, en 1894, un projet ayant toujours le caractère d’intérêt général, à voie normale. Il fut rejeté le 11 janvier 1895 par le Conseil municipal dont le concours était indispensable et pour le chemin de fer, et pour les dépenses de l’Exposition. L’État admit alors, le 22 novembre 1895, qu’en vertu de la loi du 11 juin 1880 la Ville pouvait exécuter elle-même un réseau métropolitain destiné à desservir les intérêts urbains, donc d’intérêt local. Immédiatement, l’administration municipale élabora un projet ayant pour but de suppléer à l’insuffisance des moyens de transport et de mettre en valeur les quartiers périphériques.

A la suite de ces études et sur les rapports de M. A. Berthelot, le Conseil municipal décidait, le 30 décembre 1896, la construction directe, par les ingénieurs de la Ville, d’un réseau de chemins de fer sur les données suivantes :

1° Voie étroite garantissant l’autonomie du réseau ;

2° Trains légers à traction électrique ;

3° Construction par la Ville de l’infrastructure ;

4° Exploitation par une société concessionnaire.

Ce projet, soumis au Conseil général des Ponts et Chaussées et au Conseil d’Etat, ne devint définitif qu’après diverses modifications importantes, notamment l’obligation pour la Ville d’admettre, pour le gabarit des tunnels et autres ouvrages, les dimensions des voies normales des chemins de fer des grands réseaux, et on n’obtint la sanction de la loi que le 30 mars 1898.

Les ingénieurs de la Ville se mirent immédiatement à construire ; mais leur devis primitif des dépenses d’infrastructure, établi pour 165 millions de francs, devenait inutile. Ils déclarèrent qu’après les modifications des projets, résultant des avis des pouvoirs publics, le métropolitain nécessiterait une dépense d’environ 335 millions de francs, justifiant comme suit cette majoration de cent pour cent. Leur projet initial, dressé sous la direction de M. F. Bienvenue, prévoyait deux réseaux, constitués par six lignes ayant une longueur totale de 64 kil. 700. Leurs devis étaient : de 27 millions pour la ligne n° 1, porte de Vincennes-porte Dauphine formant la grande diagonale Est-Ouest ; de 47 millions et demi pour la ligne n° 2 formant l’anneau par les anciens boulevards extérieurs ; de 21 millions et demi pour la ligne n° 3 de Ménilmontant à la porte Maillot.

Ce premier réseau devait être construit tout d’abord et on espérait utiliser la ligne n° 1 pour le service de l’Exposition, ce qui fut obtenu en partie, puisque l’exploitation commença le 19 juillet 1900.

Le second réseau se composait primitivement de la ligne n° 4, de la porte Clignancourt à la porte d’Orléans, avec un devis de 31 millions et demi de dépense d’infrastructure ; de la ligne n° 5, du boulevard de Strasbourg au pont d’Austerlitz, avec un devis de 11 millions ; enfin de la ligne n° 6, du Cours de Vincennes à la place d’Italie par le pont de Bercy, avec un devis de 11 millions et demi.

Tout cela faisait un total de 150 millions de francs, les devis prévoyant des lignes à voie étroite et les ouvrages réduits que comportait ce système que les pouvoirs publics écartaient. Les provisions pour imprévu et les frais d’emprunt s’élevant à 15 millions de francs, on obtenait ainsi les 165 millions du projet initial.

Mais la loi obligeant à établir des voies de 1m, 44 au lieu de 1m, 30 et stipulant que le matériel roulant aurait une largeur de 2m, 40, les avantages de la section réduite disparaissaient totalement ; il fallait déplacer beaucoup plus de canalisations d’eau et de gaz, remanier plus d’égouts et multiplier les consolidations. Ces dépenses supplémentaires, dues aux agrandissemens du gabarit des tunnels ainsi qu’aux ouvrages ajoutés après coup : voies d’évitement, garages, etc., furent évaluées à 22 millions de francs.

D’autre part, en outre des six lignes autorisées d’une façon définitive par la loi et concédées, on y avait prévu, à titre éventuel, deux nouvelles lignes : une d’Auteuil à l’Opéra par Grenelle et une du Palais-Royal à la place du Danube. Les devis de ces deux lignes s’élevaient ensemble à 54 millions de francs, et la réalisation en fut énergiquement réclamée par les représentans des quartiers intéressés à l’Hôtel de Ville.

Mais ce n’est pas tout encore. Les opérations de voirie à prévoir pour permettre aux lignes de passer, non sous des propriétés particulières, mais sous le sol des voies publiques, se monteront à 59 400 000 de francs. On décida qu’elles incombaient à l’entreprise.

En totalisant tous ces chiffres et en prévoyant 7 millions de francs pour les frais de réalisation des emprunts nécessaires, on arrive à la somme de 334 162 500 francs pour l’ensemble des prévisions, soit, en nombre rond, 335 millions au lieu des 165 de l’évaluation primitive.

Comme la loi du 4 avril 1898 n’autorisait, bien qu’ayant partiellement nécessité ces augmentations de dépenses, qu’un emprunt de 165 millions de francs, il fallut, par une seconde loi, du 26 juin 1903, permettre à la Ville de contracter un second emprunt de 170 millions de francs.

Or, d’après les règlemens de comptes opérés, et les travaux en cours, on est à peu près certain que ce capital suffira à établir l’infrastructure des huit lignes que nous venons d’énumérer, les imprévisions et les dépenses accessoires se trouvant largement compensées par les rabais de 20 à 30 pour 100 obtenus des entrepreneurs adjudicataires des travaux.

Les emprunts s’amortiront en soixante-quinze ans ; leur service d’intérêts et de remboursement est gagé par une redevance prélevée par la Ville sur chaque billet émis par la Compagnie concessionnaire pendant la durée de son exploitation, qui sera probablement de quarante à quarante-deux ans, et, après l’expiration de son contrat, par la Société ou la régie qui prendront sa succession si elle n’en obtient pas le renouvellement.

La Compagnie concessionnaire reçoit les ouvrages, pose les rails et établit l’outillage des voies et des stations, fournit le matériel roulant et le personnel, en faveur duquel son traité stipule certaines garanties telles qu’un minimum de salaire et la constitution d’une retraite ; elle doit assurer la traction électrique par ses propres usines. En pratique, et provisoirement nous le pensons, elle achète une partie du courant à des usines extérieures, son usine centrale de Bercy n’en fournissant pas encore assez pour toute son exploitation. Elle verse une redevance à la Ville pour chaque billet vendu[4].

Le succès du nouveau mode de transport fut immédiat, et l’importance du trafic s’est manifestée, dès le début, de beaucoup supérieure aux évaluations. En réalité, on s’est trompé, on a vu trop petit, et déjà les gares sont insuffisantes.

En 1901, — il faut laisser de côté l’exercice 1900 anormal et incomplet, — pour 13kil, 329 mètres de lignes exploitées, la Compagnie du Métropolitain a transporté 48 478 116 voyageurs, En 1902, avec la même longueur en exploitation jusqu’au mois d’octobre et son augmentation à 16kil, 559 en octobre, puis à 17kil, 335 en novembre, elle en a transporté 48 millions et demi. La longueur des lignes en service augmente et, en 1903, l’exploitation porte successivement sur 23kil, 974, et enfin sur 24kn, 750 ; alors le nombre des voyageurs transportés dépasse dans l’année 100 millions (100 107 631) en dépit de l’impression douloureuse que produisit le navrant accident du mois d’août de cette année 1903.

En 1904, pour une longueur exploitée de 30kil, 851 mètres, le trafic a atteint 117 550 521 voyageurs, et il a dépassé 148 700 000 en 1905.

Cette intensité du trafic a été imprévue, supérieure aux évaluations les plus optimistes. Au moment des études on n’osait compter sur un mouvement supérieur à celui de la ligne d’Auteuil, soit environ trois millions de voyageurs par an et par kilomètre. Le rapporteur du Conseil municipal quand il envisageait, à peu près seul, un chiffre s’approchant de 5 millions, était taxé d’exagération par les amis mêmes du projet. Or, en 1903, le mouvement annuel kilométrique a été de 4 302 400 voyageurs ; en 1904, il a été de 4 496 129 et en 1905, il arrivera probablement sur certaines lignes à ce chiffre de cinq millions qu’en croyait fort lointain, sinon chimérique.

Peu de gens le doutent que l’établissement du métropolitain ne coûtera probablement pas un centime à la Ville, qui se bornera à faire l’avance des 335 millions de francs qu’elle vient d’emprunter. En effet, pour faire face au service des emprunts comme intérêts et amortissement, c’est-à-dire pour mettre la caisse municipale hors de cause, la redevance que verse la Compagnie devrait s’élever, vers 1909, à 12 235 000 francs et se maintenir ainsi jusqu’à la fin. Or, d’après les résultats acquis, on peut sans aucune témérité admettre le nombre de 270 à 275 millions de voyageurs comme exprimant le trafic des huit lignes du réseau peu après leur mise en service. Le produit moyen de la redevance étant un peu supérieur à 5 centimes par voyage, la Ville aurait donc, outre son annuité, un bénéfice, d’environ 1 500 000 francs à chaque exercice.

Cette ingénieuse combinaison financière réaliserait, on le voit, la merveille de laisser à la Ville un réseau important sans que son établissement ait jamais pesé en rien sur ses budgets, sans qu’il ait imposé un centime de sacrifices aux contribuables. Cela, j’imagine, méritait d’être signalé aux Parisiens.

Le réseau, une fois achevé, sera constitué de la manière suivante :


Ligne 1. — Transversale Vincennes-Boulogne 10kil, 600
— 2. — Circulaire par les boulevards extérieurs 23 — 500
— 3. — Courcelles à Ménilmontant 8 — 100
— 4. — Clignancourt-porte d’Orléans 10 — 600
— 5. — Boulevard de Strasbourg-pont d’Austerlitz 3 — 900
— 6. — Cours de Vincennes-place d’Italie 4 — 800
— 7. — Palais-Royal-place du Danube 6 — 400
— 8. — Auteuil-Opéra (par Grenelle) 7 — 200

Ce réseau de 75kil, 100 sera complété par des raccordemens et desservira convenablement tout Paris.

Une autre ligne souterraine électrique, indépendante, de la place des Abbesses ou d’un autre point de l’ancien Montmartre, à la porte de Versailles, vient d’être concédée à une compagnie formée par MM. Berlier et Janicot, qui va bientôt construire cette seconde transversale Nord-Sud et l’exploitera elle-même. La Ville, bien que ne dépensant rien, recevra une légère redevance de 1 centime par billet comme location du sous-sol occupé par la ligne.

J’ai reporté sur un plan chacune de ces neuf lignes en marquant comme susceptible d’être aisément desservie une zone de 400 mètres à droite et à gauche des tracés, ce qui semblera bien proche de la réalité. On constate ainsi que, une fois ces lignes en service, toute l’étendue de Paris sera pourvue de moyens de communication à bas prix.

Le tarif : vingt centimes pour les billets aller et retour délivrés à tout venant le matin avant neuf heures ; quinze centimes en seconde classe et vingt-cinq centimes en première pour un billet simple, est aussi modéré que possible. Le prix est unique, quelle que soit la distance parcourue par le voyageur qui peut passer gratuitement d’une ligne sur l’autre aux points de croisement. Cette correspondance constitue aux Parisiens un avantage important que n’ont ni les cliens des « tubes, » de Londres, ni ceux des lignes berlinoises de chemins de fer électriques.

La vitesse commerciale des trains est supérieure à celle des exploitations comparables de l’étranger ; elle atteint 20kil, 700 à l’heure sur les lignes 1 et 3 et 21kil, 300 sur la circulaire Nord.

L’œuvre du métropolitain, due aux ingénieurs de la Ville de Paris, a été bien conçue. Pour rendre l’exploitation aussi parfaite que possible, il ne restera guère qu’à agrandir quelques stations de croisement ou d’importance capitale, fâcheusement encombrées dès qu’il se produit un trafic d’une grande activité. A certaines stations profondes, il est indispensable d’installer de grands et rapides ascenseurs pour en permettre l’accès aux femmes, aux vieillards et aux gens peu valides.

Le matériel roulant primitif, trop léger et moins confortable que celui des lignes anglaises, a déjà été remanié ; il n’est pas encore au niveau de celui de Londres, qu’il serait excellent d’arriver à égaler.

La ventilation des tunnels et des stations souterraines, plutôt mauvaise au début de l’exploitation des lignes en service, a été améliorée ; elle aurait encore besoin, surtout sur les points bas, d’être mieux assurée à la fois dans l’intérêt du personnel et dans celui des voyageurs. L’éclairage me paraît trop parcimonieusement mesuré. Le personnel de la Compagnie fait bien son service. Sa tenue est satisfaisante et le public ne s’en plaint pas. Il a donné, dans certains cas, des preuves de sang-froid et de décision, précieuses pour éviter, en cas de panique, que l’affolement des voyageurs ne transforme en accident un incident d’exploitation. D’ailleurs, la sécurité semble aussi complète que possible. A la suite de la navrante catastrophe du 10 août 1903, on a remplacé les anciennes motrices uniques, qui donnaient lieu à d’assez fréquens coups de feu, par des motrices multiples qui évitent ce grave inconvénient, et on a prescrit une série de mesures de précaution, maintenant réalisées.

Ce nouvel instrument de transport en commun, conçu d’après un plan d’ensemble bien étudié, à la fois souple, puissant et économique, constituera, une fois achevé, un progrès considérable pour la circulation générale des personnes dans Paris même.

Malheureusement, son succès rendra de moins en moins productives les lignes d’omnibus, établies autrefois pour desservir les mêmes courans de circulation urbaine. Des remaniemens partiels seront insuffisans ; c’est une réorganisation complète qu’il faudrait. D’autre part, les lignes extérieures de tramways, qui devraient assurer la circulation entre les mailles du réseau les chemins de fer dans toute la banlieue parisienne, ont en général, jusqu’à présent, plutôt recherché l’exploitation des fractions de leurs lignes pénétrant dans Paris, sans se préoccuper assez de l’établissement successif de lignes du métropolitain sur les mêmes itinéraires. Il faudrait en faire surtout le prolongement du réseau métropolitain, comme cela existe partiellement à l’Est par la jonction des tramways nogentais ; réviser la plupart des concessions des lignes de pénétration. En un mot, il faudrait harmoniser les divers systèmes de transport en commun de l’agglomération parisienne, en prenant pour base les services du métropolitain. Mais il y a là en présence des intérêts antagonistes dont l’opposition a rendu, jusqu’à ce jour, stériles les travaux des ingénieurs et ceux de la Commission formée au ministère des Travaux publics depuis deux ans. Le problème paraît insoluble, tel qu’il a été posé devant elle.

Peut-être la prochaine réorganisation des différentes entreprises d’électricité de la Ville de Paris, quand expireront les concessions des secteurs exploités par les Compagnies actuelles, serait-elle une occasion naturelle d’en présenter une élégante solution. Si le futur régime des entreprises parisiennes d’électricité s’établissait pour produire le courant, non plus presque exclusivement pour l’éclairage, mais aussi pour l’industrie et notamment pour la traction, les entreprises de transport pourraient obtenir, à des prix infimes, l’énergie nécessaire pour toutes leurs exploitations urbaines ou suburbaines. Les marges trop étroites qui restent, avec l’organisation actuelle de la plupart des Compagnies de transport en commun, entre leurs frais d’exploitation et leurs recettes, s’élargiraient sensiblement et les bénéfices, escomptés, permettraient des accords financiers, des réorganisations et des ententes donnant satisfaction aux besoins de la population de la banlieue parisienne, peut-être sans qu’il soit indispensable de relever les tarifs en vigueur. Ainsi serait assuré pour, tous les habitans de l’agglomération de Paris un service complet de transport en commun, grâce à l’électricité.


III. — BERLIN

Pour Berlin, nous considérerons, comme nous venons de le faire pour Londres et pour Paris, non seulement la capitale proprement dite, avec sa superficie de 6 300 hectares et sa population de 1 730 000 habitans, mais encore ses environs immédiats, avec les deux villes voisines de Charlottenbourg et de Schöneberg. C’est là l’agglomération berlinoise à desservir par les moyens de transport que nous allons succinctement examiner. Elle comprend une population de plus de deux millions d’âmes, répartie avec une très inégale densité sur environ 7 300 hectares, et cet ensemble est assez comparable à celui constitué par la ville de Paris limitée à son enceinte fortifiée.

Depuis un quart de siècle, j’ai fait plusieurs visites à Berlin. Bien que je constate volontiers que cette capitale est en grand progrès et que l’animation de certaines de ses voies principales y devient supérieure à celle de la plupart des autres métropoles de l’Europe centrale, la circulation ne m’a paru nulle part atteindre encore au degré d’intensité qui caractérise la vie de la rue dans les quartiers d’affaires de Londres et de Paris, surtout les jours de la semaine.

Si, peu après 1871, de puissans moyens de transport en commun ont été établis à Berlin, ce fut, on le sait, moins pour dégager les artères principales, qui n’étaient alors jamais rendues insuffisantes par des embarras périodiques entravant la circulation, que pour mettre en valeur, aussi rapidement que possible, les quartiers excentriques de la capitale agrandie du nouvel empire allemand et pour parer, en cas de guerre, à certaines mesures de concentration des armées. Les développemens donnés à, ces moyens de transport, depuis leur création, ont été, partout comme à Berlin, considérables. L’ensemble, surtout depuis la réorganisation des tramways et la création de la Hochbahn, peut soutenir sans désavantage la comparaison avec les moyens de transport en commun des autres grandes capitales.

Les moyens de transport en commun, dont, en dehors des voitures particulières ou de louage et des nacres, dispose la population de Berlin et de sa banlieue sont composés :

1° D’un groupe de chemins de fer urbain, exploité par l’État, et formé par deux lignes, l’une diamétrale : la Stadtbahn, l’autre circulaire ; la Ringbahn ; le trafic annuel de ces lignes est d’environ 98 millions de voyageurs par an ;

2° D’un réseau urbain et suburbain de tramways à traction électrique, d’une longueur totale de 617 kilomètres et dont les 71 lignes transportent annuellement environ 283 millions de voyageurs ;

3° D’un chemin de fer électrique municipal, récent, d’une longueur actuelle d’environ 11 kilomètres, et ayant transporté, en 1902-1903, à peu près 24 millions de voyageurs par an ;

4° De nombreuses lignes de petits omnibus, à traction par chevaux, faisant un service très actif qui se totalise par environ 81 millions de voyageurs transportés chaque année.

Le premier de ces quatre groupes, qui a constitué au moment de son établissement un progrès sur le métropolitain de Londres, correspond assez aux deux premières lignes de celui de Paris. La Stadtbahn, ou ligne communale, est une diamétrale assez voisine de la Sprée, qui traverse Berlin en décrivant des méandres plus sinueux que ceux de la Seine dans Paris. Cette ligne prend naissance à l’Est de la ville, dans la gare de Silésie, se prolonge de ce côté jusqu’à la station de Stralau-Rummelsbourg, puis se dirige à l’Ouest vers la coquette ville de Charlottenbourg, en touchant à la gare de Lehrte. La Ringbahn, ou ligne de ceinture, comporte, comme la circulaire de notre métropolitain, une section nord et une section sud. La première relie par une ligne continue les deux stations extrêmes : Charlottenbourg et Stralau-Rummelsbourg ; la section sud, partant naturellement de ces mêmes points, se rabat en son milieu sur la gare de Potsdam, celle des gares berlinoises qui présente certaines analogies avec notre gare Saint-Lazare.

Conçu au lendemain de la constitution de l’Empire, ce système a été inspiré par le désir de faire bénéficier Berlin de l’établissement des lignes de chemin de fer construites à grands frais pour souder entre eux, autour de la capitale et à travers Berlin, les grands réseaux de l’Etat prussien.

Ces jonctions, d’un intérêt stratégique plus considérable alors qu’à présent, furent établies par quatre voies normales, dont deux furent consacrées au service local. Les deux autres voies, tout à fait indépendantes des voies métropolitaines, sont affectées : sur la Stadtbahn proprement dite, aux trains qui partent de la gare de Silésie vers l’Ouest, en desservant soit le réseau, soit la banlieue seulement ; sur la Ringbahn, au trafic des trains de marchandises entre les deux gares.

La traction fut naturellement établie à l’origine par locomotives à vapeur, et elle est toujours assurée ainsi ; on a étudié la substitution de la traction électrique à la vapeur pour les services de voyageurs urbains, mais rien n’est encore décidé à ce sujet, du moins à ma connaissance.

Ce système, conçu par les stratèges du grand Etat-major, a néanmoins rendu de réels services à la population berlinoise et il continue à lui en rendre. Les stations ne sont distantes que de 600 mètres en moyenne, et les trains s’y succèdent, à des intervalles plus ou moins rapprochés, mais qui, aux heures de grand trafic, ne sont pas supérieurs à deux minutes et demie. Cette voie établit des communications faciles entre les différens quartiers traversés et avec la banlieue de l’Ouest, jusqu’à Potsdam, l’une des parties les plus agrestes de la banlieue berlinoise.

La section nord de la Circulaire a un trafic plus actif, mais qui n’est pas encore très productif ; quant à la section sud, elle s’éloigne beaucoup plus du centre et, dans une partie du trajet, ses voitures circulent dans la journée presque à vide.

A l’origine, la Stadtbahn, construite par une Compagnie, était une entreprise privée. L’État l’a rachetée ; il a construit lui-même la circulaire de la Ringbahn et il a exploité l’ensemble, ce qui a permis de ne pas s’inquiéter des déficits, aux débuts de l’exploitation de ce premier réseau local. Depuis, le trafic s’est beaucoup augmenté, passant de 8 600 000 voyageurs, en 1882, à 16 millions, en 1885, à 38 millions, en 1890, à 75 millions, en 1895 ; mais, après la réorganisation des tramways, dès 1901, le nombre des voyageurs, qui avait atteint 97 millions et demi en 1900, est redescendu à 88 500000. Cette réorganisation des tramways, qui coïncida avec l’établissement de la Hochbahn, est intéressante à étudier ; elle montre l’indiscutable supériorité de la traction électrique même appliquée à des lignes de surface concurrencées par un réseau de chemins de fer urbains et suburbains préétabli ; ce qui est exactement le problème à résoudre, pour la banlieue parisienne.

Cette réorganisation est surtout l’œuvre d’une puissante société : la Grosse berliner Strassenbahn Gesellschaft, qui, après avoir racheté presque toutes les lignes, en a opéré la transformation et l’équipement électrique. Trois Compagnies suburbaines, comparables à celles de nos tramways de pénétration parisiens, ont encore une existence distincte, mais leur exploitation est fondue dans celle de cette Compagnie berlinoise, qui avait déjà le meilleur réseau par chevaux.

Son capital-actions, de 6 millions de marks en 1874, fut porté à 17 100 000 marks en 1883, à 21 370 000 marks en 1895, à 45 millions en 1899 ; il est à présent de 85 780 000 marks. Les dividendes, qui étaient de 4,75 pour 100 à 6,25 p. 100 au début, sont actuellement de 7,50 à 8 pour 100, ce qui implique une exploitation des plus satisfaisantes. L’amortissement semble suffisant. Ces résultats financiers sont à signaler, car ils sont obtenus avec des conditions de travail et de salaires que j’estime aussi lourdes, sinon plus, que celles qui sont faites à Paris à des entreprises analogues.

Après avoir tenté, en 1876-1877, plusieurs essais de traction par la vapeur, la Compagnie berlinoise établit quelques services jusqu’en 1885 ; mais elle ne s’en déclarait pas satisfaite et, en même temps qu’elle expérimentait la traction à vapeur, elle perfectionnait autant que possible l’emploi de sa cavalerie et l’organisation de ses dépôts. Son attention fut appelée sur l’énorme développement des tramways électriques dans les grands centres et même dans les parties rurales de l’Amérique du Nord, et elle envoya, en 1889, deux ingénieurs étudier l’établissement et l’exploitation de ce mode de traction aux États-Unis. Ils complétèrent cette étude dans plusieurs villes de l’Europe, et leurs conclusions furent que, pour réaliser un service satisfaisant sur tout le réseau des tramways berlinois, dans des conditions de rapidité et de bon marché susceptibles d’assurer un grand trafic, il était indispensable de substituer partout la traction électrique aux chevaux et de refaire les lignes, le matériel et les dépôts. Cette onéreuse transformation, commencée en 1895, est aujourd’hui entièrement accomplie et les résultats en ont été si hautement appréciés qu’ils semblent avoir fait ajourner les projets de municipalisation de tous les services de tramways qui avaient été formés par le Conseil municipal et même partiellement réalisés auparavant.

La Compagnie mena si vivement sa transformation qu’à la fin de 1899, dix-neuf lignes étaient déjà pourvues de traction électrique. Sur son réseau tout entier, le tarif est uniforme et la classe unique. La place ne coûte que 10 pfennigs pour tout parcours ininterrompu en ville ou sur toute section suburbaine. Il est vrai que cet extrême bon marché tient en partie à ce que la prise de courant par trolley est presque universellement appliquée, ce qui ne serait pas admis à Paris. Cependant, la suppression des fils aériens et leur remplacement par des câbles logés en caniveaux a été imposée là où on a estimé que l’esthétique l’exigeait impérieusement. Mais ces sections sans fils aériens, isolées, ne dépassent pas, au total, une longueur de 3 kilomètres. Sur les lignes où il en existe, le changement de prise du courant s’opère aisément et sans gêne pour le service.

Il n’y a, en dehors du réseau de la Grosse berliner Strassenbahn Gesellschaft, que deux lignes municipales de tramways, de chacune 6 à 7 kilomètres, à traction électrique. Elles commencent de part et d’autre de l’avenue Un ter den Linden, l’une dans Mittelstrasse, l’autre dans Behrenstrasse. La première va vers le Nord, à Pankow, la seconde vers le Sud-Est, à Treptow ; jusqu’à présent, leur jonction par une traversée de l’avenue n’a pas été possible par suite de l’opposition de l’Empereur.

L’horaire des tramways berlinois est établi de façon que la succession des voitures soit incessante sur les voies du centre. Dans la Leipzigerstrasse, la rue la plus commerçante, il passe dix-neuf lignes, ce qui y fait circuler en moyenne un tramway toutes les secondes[5]. Le trafic est, il est vrai, moins intense dans les quartiers de la périphérie où les voitures ne se succèdent guère que toutes les cinq minutes ; il faut attendre le tramway de dix à douze minutes dans la banlieue. Généralement à une voiture motrice est attelée une voiture de remorque ; aux heures les plus chargées, on en met deux. L’attente de places disponibles est réduite au minimum.

Cette réorganisation a doté Berlin et sa banlieue d’un réseau étendu de tramways à allure vive, à tarif très bas et offrant généralement un nombre suffisant de places au public. On a ainsi constitué, à côté des chemins de fer du réseau métropolitain, grâce à la généralisation de la traction électrique, un excellent outil de transport.

Si le réseau urbain primitif n’a pas encore renoncé à la traction par la vapeur, il existe néanmoins à Berlin une ligne municipale de chemin de fer à traction électrique dont la mise en exploitation est postérieure à notre première ligne métropolitaine. Elle est surtout aérienne et, pour ce motif, elle est connue sous le nom de la Hochbahn ; mais elle a des parties souterraines, et sa véritable dénomination est Hoch und Untergrundbahn, c’est-à-dire chemin de fer élevé et souterrain.

Cette ligne établit une communication directe par le Sud de Berlin entre les quartiers Sud-Est et la ville de Charlottenbourg, dans laquelle se continuent les quartiers élégans de la capitale. Au milieu de ce trajet, une branche presque perpendiculaire, raccordée dans l’une et l’autre direction, revient vers le centré en longeant le chemin de fer de Potsdam jusqu’à la place du même nom où se trouve sa gare terminus. Dans une étude technique de M. l’ingénieur en chef des ponts et chaussées F. Bienvenüe, auquel on doit les plans du métropolitain de Paris, on lit qu’on aura de ce tracé une idée assez exacte en le comparant à notre ligne circulaire Nord, complétée par un embranchement qui reviendrait, par la rue de Rome, du boulevard des Batignolles à la gare Saint-Lazare ; mais en supposant que tout cet ensemble a été rabattu vers le Sud en tournant autour des deux extrémités fixes. A ceux qui souriront de la forme singulière d’une comparaison pourtant exacte, nous objecterons qu’il n’est rien de plus ardu que de comparer deux capitales, soit dans le détail soit dans l’ensemble, je m’en aperçois à chaque instant.

La ligne circulaire a son origine au pont de Varsovie (Warschauer Brücke) et son terminus actuel à un carrefour dénommé Knie. Entre ces deux points extrêmes, elle dessert 11 stations dont trois seulement sont souterraines, les autres sont en viaduc. L’intervalle le plus considérable entre deux stations est 1 500 mètres ; les plus voisines sont séparées par 450 mètres. Sur l’embranchement, qui, par deux voies, forme avec la ligne principale un triangle dont le sommet aboutit à la station terminus de la place de Potsdam, les distances entre cette place et les deux stations voisines dans chaque direction (Möckern-Brücke et Bulowstrasse) sont respectivement de 1495 et de 1 923 mètres. L’intervalle moyen est plus grand que celui qui sépare nos stations du métropolitain à Paris : 800 au lieu de 500 mètres.

Les premiers résultats de l’exploitation de cette ligne électrique, qui sera certainement continuée, sont satisfaisans, et la ligne de tramway à la surface qui, actuellement, prolonge la Hochbahn du pont de Varsovie au marché central du bétail et fait la liaison avec la Ringbahn, deviendra tôt ou tard une partie intégrante de la Hochbahn.

Le matériel roulant, uniquement formé, automotrices et voitures de remorque, de wagons à bogies, est très confortable. L’équipement électrique ne laisse rien à désirer ; il a été conçu dans tous ses détails avec un remarquable sentiment des inconvéniens auxquels peut donner lieu l’usage de l’électricité et des précautions à prendre pour s’en préserver. Il y a deux classes, dénommées singulièrement seconde et troisième classes. L’éclairage des trains, moins chichement mesuré que celui des trains de notre Métropolitain, ne m’a pas paru égaler encore l’intensité de la lumière des voitures des « tubes » de Londres, que l’on peut vraiment donner en modèle.

Dans le compte rendu d’une mission en Allemagne, MM. F. Bienvenüe et E. Briotet, ingénieur en chef et ingénieur ordinaire de la construction du réseau métropolitain de Paris, jugent ainsi ce, matériel : « Tout ce matériel a été parfaitement compris : il est l’objet de vérifications fréquentes et d’un entretien soigneux ; aussi donne-t-il un excellent service. Le voyageur venant de Paris ne peut manquer d’être favorablement impressionné par la douceur du roulement et le silence de la voiture. Pour peu qu’il ait une notion raisonnée des conditions du problème, il se fera les réflexions suivantes : c’est que la Hochbahn de Berlin coïncide, en tous ses traits essentiels, avec le Métropolitain de Paris ; qu’elle possède un très bon matériel roulant ; que ce matériel est adéquat aux élémens de nos propres lignes construites ; et il se demandera comment il se fait qu’on n’ait pas encore trouvé moyen de donner à ces lignes leur véritable valeur en les dotant du matériel roulant qui leur convient. »

L’écartement plus considérable des stations fait que la vitesse des trains est un peu supérieure sur la Hochbahn à celle de notre Métropolitain.

Mais s’il y a également deux classes, le prix des places est plus élevé à Berlin, surtout si l’on considère le moindre parcours. Pour la distance de quatre stations, il faut payer 10 pfennigs en troisième classe et 15 en seconde. Le trafic est moins intense qu’à Paris, mais l’exploitation est prospère et déjà des projets sont dressés en vue de l’extension de la Hochbahn. Au-delà de la station Knie, terminus provisoire, la ligne sera prolongée en souterrain dans Charlottenbourg jusqu’à la place Guillaume, avec station intermédiaire à Krummestrasse. De la place de Potsdam, où la station est souterraine, on va continuer la ligne de la Hochbahn d’abord jusqu’à Spittelmarkt et sans doute ensuite jusqu’à la place Alexandre, afin d’y établir le contact avec la ligne de la Stadtbahn.

Le succès des lignes électriques nouvelles a fait étudier par la municipalité de Berlin l’établissement d’un réseau communal de chemins de fer du même type. Je ne suis pas éloigné de penser que si des questions budgétaires ne retardaient pas la mise à exécution, ils seraient prochainement établis, disputant bientôt leur clientèle aux lignes d’omnibus plus particulièrement menacées. Il est probable que les Compagnies d’omnibus vont profiter du répit pour établir, sur leurs lignes principales, des voitures automobiles, peut-être elles aussi mues par l’électricité.

J’ai assisté, il y a quelque temps, à de curieux essais de liaison de diverses lignes de tramways au moyen d’une voiture automobile mixte, roulant aussi bien sur route que sur rails, usant du trolley dans ce dernier cas et rechargeant en même temps ses accumulateurs pour fonctionner ensuite comme omnibus dans les rues ou sur les routes dépourvues de voies aériennes. Peut-être y a-t-il là l’une des solutions pratiques, par l’électricité, du problème de l’organisation complémentaire des moyens de transport, à côté des réseaux de chemins de fer électriques métropolitains ou suburbains et des réseaux de tramways électriques, organisation que les chevaux ni la vapeur ne peuvent plus économiquement assurer.


GASTON CADOUX.

  1. Les dates d’ouverture des divers tronçons de ce double réseau sont les suivantes : 1° de Paddington à Farrington Street (Metropolitan), 1863 ; de Paddington Street à Moorgate Street (Metropolitan), 1865 ; de Paddington Street au South Kensington Museum (Metropolitan), 1868 ; — 2° de South Kensington à Westminster (District), 1868 ; de Westminster à Mansion-House (District), 1868 ; — 3° de Mansion House à Aldgate (St. James), 1876 ; — enfin 4° de Aldgate à Moorgate, pour fermer l’anneau central, 1882.
  2. Le produit du prix des places des ligues d’omnibus laisserait les exploitans en déficit si les Compagnies ne tiraient pas un bénéfice considérable de la publicité. Ce fait curieux a été reconnu exact dans la dernière enquête officielle sur la réorganisation des moyens de transport (Royal Commission of locomotion).
  3. Les demandeurs en concession, pour obtenir les votes des conseillers généraux préconisèrent un tarif très bas sous la formule : les tramways à dix centimes. Il semble qu’à l’expérience, des prix aussi réduits rendent difficile une exploitation rémunératrice.
  4. En 1905, cette redevance a atteint 8 788 106 fr. 20.
  5. La Compagnie des tramways de Berlin doit transformer en voies souterraines les lignes passant par les rues les plus encombrées ; les frais de cette transformation s’élèveront à 60 millions de marks.