El Arab, l’Orient que j’ai connu/Alger

Lugdunum (p. 87-88).

Alger

Le port d’Alger, célébrité dans le monde entier, n’est évidemment plus qu’un emplacement où jadis s’éleva, rêve d’Orient, une surprenante ville dont plus rien n’est resté.

Derrière la capitale bien française qui s’étage au fond de cette baie lumineuse, parmi la danse des couleurs et reflets non changés, eux, et continuant à se répondre entre le ciel et l’eau marine, se tient un fantôme invisible : Alger avant la conquête.

Dernier vestige, la grande Mosquée, centre immaculé qui vit autour de soi disparaître l’amas blanc de tant d’architectures arabes, n’a plus l’air, dans l’agglomération d’immeubles qui l’écrase, que d’un restant quelconque d’exposition universelle.

En visitant la casbah, bien sûr, on retrouve formes et couleurs islamiques — un Islam pourri d’européanisme où s’allient la puanteur et les colliers de jasmin. Mais le reste n’est que du vieux neuf, c’est-à-dire une ville usagée déjà, mais sans aucune patine.

Certes, à Tunis (notre seconde expérience de colonisation africaine), le ménage a, si l’on peut dire, été beaucoup mieux fait. La ville arabe, respectée, n’a pas souffert de la brutale substitution qui fait disparaître à jamais tout un vénérable et prestigieux passé pour édifier à sa place un présent sans histoire ni beauté. Troisième expérience, le Maroc, surtout entre les mains d’un Lyautey, se devait d’être la perle de notre Afrique du Nord, et l’a prouvé jusqu’à présent, d’après les élites qui l’ont visité. Nous pouvons donc espérer désormais un peu moins de barbarie de la part de l’Europe ruée sur les continents sans défense. Ira-t-elle un jour jusqu’à supprimer, en ce qui concerne certains pays mahométans, ce paradoxe monstrueux qui s’appelle l’arabophobie ?

… Alger, pour y revenir, ne me fut pas une déception car je savais à peu près ce que j’allais y voir. À défaut d’autre personnalité, j’y remarquais combien le type busqué des indigènes différait de la grasse mollesse tunisienne. Et que charmantes les Algériennes musulmanes, tout de blanc vêtues, depuis le voile de tête et le voile de visage jusqu’aux pantalons bouffants ne laissant passer qu’une petite mule jaune citron ou rouge !

Beaucoup plus tard, à l’un de mes voyages solitaires en Alger, au temps où j’y allais voir ma sœur religieuse, j’eus l’occasion de visiter avec elle Notre-Dame d’Afrique, cette cathédrale moderne haut située au-dessus de l’azur méditerranéen. Là, je pris les Sœurs Blanches pour des Arabes, tant leur costume ressemble à celui des musulmanes. Ma sœur venait à peine de me détromper que, dans l’église, entrèrent l’une derrière l’autre quatre ou cinq femmes indigènes. Je les vis avec surprise se glisser dans un rang de chaises et lever l’index vers le ciel. Il est vrai que, derrière la Vierge Noire, reine de ces lieux, une inscription en lettres considérables offre à nos regards ceci : « Notre-Dame d’Afrique, priez pour nous et pour les musulmans. »

Lors de notre toute première visite, Alger, au mois d’août, unissait tant de chaleur à tant d’humidité qu’on y respirait comme dans un hammam. Je fus donc bien aise le jour où nous nous remîmes en route pour retourner à Tunis, ou plutôt à Carthage.