Hachette (p. 202-218).
IX. Einstein ou Newton ?

CHAPITRE NEUVIÈME

EINSTEIN OU NEWTON ?

Discussion récente du relativisme à l’Académie des SciencesLes indices de l’espace privilégié de NewtonLe principe de causalité base de la ScienceExamen des objections de M. PainlevéArguments newtoniens et échappatoires relativistesLes formules de gravitation de M. PainlevéFécondité de la doctrine einsteinienneDeux conceptions du mondeConclusion.


En quoi consistent les signes particuliers où la conception newtonienne de la nature reconnaît qu’on a affaire à cet espace privilégié que Newton appelait l’espace absolu et qui lui apparaît, à l’exclusion des autres, comme le cadre réel, intrinsèque des phénomènes ?

Ces signes, ces critères sont implicitement à la base du développement de la science classique. Pourtant ils étaient un peu restés dans l’ombre des discussions provoquées par le système d’Einstein.

Délaissant un moment d’autres soins peut-être moins nobles, M. Paul Painlevé vient, devant l’Académie des Sciences, d’attirer avec éclat l’attention sur les raisons anciennes mais toujours vigoureuses qui ont communiqué leur force à la conception newtonienne du monde.

L’espace absolu, le temps absolu de Newton et de Galilée, appelons-les désormais l’espace privilégié, le temps privilégié, pour ne plus prêter le flanc aux objections métaphysiques assez justifiées en somme, que le qualificatif absolu pouvait soulever.

Pourquoi la science classique, la mécanique de Galilée et de Newton sont-elles fondées sur l’espace privilégié, le temps privilégié ? Pourquoi rapportent-elles tous les phénomènes à ces repères uniques qu’elles considèrent comme adéquats à la réalité ? C’est à cause du principe de causalité.

Ce principe peut s’énoncer ainsi : des causes identiques produisent des effets identiques. Cela veut dire que les conditions initiales d’un phénomène déterminent ses modalités ultérieures. C’est en somme l’affirmation du déterminisme des phénomènes, sans lequel la science est impossible.

Assurément on peut chicaner là-dessus. Des conditions parfaitement identiques à des conditions initiales données ne peuvent jamais être reproduites ou retrouvées, en un autre temps ou en un autre lieu. Il y a toujours quelque circonstance qui ne sera plus la même, par exemple le fait que, entre les deux expériences, la Nébuleuse d’Andromède se sera rapprochée de nous de quelques milliers de kilomètres. Et nous sommes sans action sur la Nébuleuse d’Andromède.

Heureusement, et cela sauve tout, les corps éloignés n’ont qu’une action négligeable, semble-t-il, sur nos expériences, et c’est pourquoi nous pouvons répéter celles-ci.

Par exemple, si nous mettons aujourd’hui un gramme d’acide sulfurique fumant dans dix grammes de solution de soude au dixième, ces corps produiront dans le même temps, la même quantité du même sulfate de soude qu’ils eussent fait l’an passé, dans les mêmes conditions de température et de pression, et bien que dans l’intervalle le maréchal Foch ait débarqué aux États-Unis.

Cela fait que le principe de causalité (mêmes causes, mêmes effets) est toujours vérifié et ne pourra jamais être pris en défaut. Ce principe est donc une vérité d’expérience, mais en outre il s’impose à notre entendement avec une puissance irrésistible.

Il s’impose même aux animaux. Le proverbe « Chat échaudé craint même l’eau froide » le prouve… Il prouve aussi qu’on peut interpréter abusivement ce principe… En tout cas, non seulement la science, mais la vie tout entière des hommes et des bêtes sont fondées sur lui.

La conséquence de ce principe, c’est que si les conditions initiales d’un mouvement présentent une symétrie, celle-ci se retrouvera dans le mouvement. M. Paul Painlevé vient d’y insister avec force au cours de la discussion récente du Relativisme à l’Académie des Sciences. De cette remarque découle notamment le principe de l’inertie : un corps abandonné librement loin de toute masse matérielle, restera immobile ou décrira une ligne droite, par raison de symétrie.

Il décrira effectivement une droite pour un certain observateur (ou pour des observateurs animés de vitesses uniformes par rapport au premier). Les newtoniens disent que l’espace de ces observateurs est privilégié.

Au contraire, pour un autre observateur animé par rapport à ceux-là d’un mouvement accéléré, la trajectoire du mobile est une parabole et n’est plus symétrique. Donc l’espace de ce nouvel observateur n’est pas l’espace privilégié.

Il me semble qu’à cela les relativistes peuvent répondre : Vous n’avez pas le droit de définir les conditions initiales pour un observateur donné, puis le mouvement subséquent pour un autre animé d’une vitesse accélérée. Si vous définissez aussi vos conditions initiales par rapport à celui-ci, le mobile à l’instant qu’on l’abandonne n’est pas libre pour cet observateur, mais tombe dans un champ de gravitation. Rien d’étonnant alors à ce que le mouvement produit lui semble accéléré et dissymétrique. Le principe de causalité n’est en défaut ni pour l’un ni pour l’autre des observateurs.

On peut aussi définir autrement le système privilégié en disant : c’est celui par rapport auquel la lumière se propage en ligne droite dans un milieu isotrope. Mais en ce cas, pour un observateur fixé à la Terre qui tourne, les rayons des étoiles se déplacent en spirale, et les newtoniens en déduiraient que la Terre tourne par rapport à leur espace privilégié. Les einsteiniens répliqueront que l’espace où circulent ces rayons n’est pas isotrope et qu’ils y sont déviés de la ligne droite par le champ de gravitation tournant qui cause la force centrifuge de la rotation terrestre. Il y aura toujours pour eux une échappatoire qui laissera intact le principe de causalité.

Il semble donc difficile de démontrer sans réplique l’existence du système privilégié en partant du principe de causalité et chacun reste sur ses positions.

En revanche il y a une force d’évidence, une pénétration aiguë et convaincante dans la seconde partie des critiques élevées par M. Painlevé contre les principes de la doctrine einsteinienne.

Résumons l’argumentation du célèbre géomètre. Vous déniez, dit-il aux einsteiniens, tout privilège à un système de référence quelconque. Mais lorsque, de vos équations générales, vous voulez déduire par le calcul la loi de la gravitation, vous ne pouvez le faire et vous ne le faites réellement, qu’en introduisant des hypothèses newtoniennes à peine déguisées et des axes de référence privilégiés. Vous n’arrivez au résultat de votre calcul qu’en séparant nettement le temps de l’espace comme Newton, et en rapportant vos mobiles gravitants à des axes privilégiés purement newtoniens, et pour lesquels certaines conditions de symétrie sont réalisées.

Toute cette fine et profonde critique de M. Painlevé est à rapprocher de celle de Wiechert qui a déniché diverses autres hypothèses introduites, chemin faisant, dans les calculs d’Einstein.

En définitive, celui-ci paraît ne s’être pas complètement dégagé des prémisses newtoniennes qu’il répudie. Il ne les dédaigne pas autant qu’on pourrait croire et ne craint pas, à l’occasion, de les appeler à son secours, quand il s’agit de faire aboutir le calcul.

C’est proprement un peu adorer ce qu’on a brûlé.

Pour se tirer d’affaire, les einsteiniens répondront sans doute que s’ils introduisent des axes newtoniens, au cours de leurs développements, c’est pour rendre le résultat du calcul comparable à celui des mesures expérimentales. Les axes ainsi introduits dans les équations ont pour les relativistes cet unique privilège d’être ceux auxquels les expérimentateurs rapportent leurs mesures. Mais on conviendra que ce n’est pas là un mince privilège.

Ce n’est pas tout. Le principe de relativité généralisée dit en somme ceci : tous les repères, tous les systèmes de référence sont équivalents pour exprimer les lois de la nature et ces lois sont invariantes à quelque système de référence qu’on les rapporte. Cela veut dire en somme : il y a entre les objets du monde extérieur des relations qui sont indépendantes de celui qui les regarde, et notamment de sa vitesse. Ainsi un triangle étant tracé sur un papier, il y a dans ce triangle quelque chose qui le caractérise et qui est identique, que le regardant passe très vite ou très lentement ou avec des vitesses quelconques et en sens quelconque devant le papier.

M. Painlevé remarque avec quelque raison que, sous cette forme, le principe est une sorte de truisme. Le mot est dur. Il exprime pourtant un fait certain. Les rapports réels des objets extérieurs ne peuvent être altérés par le point de vue de l’observateur.

Einstein répondra que c’est déjà quelque chose de fournir un crible au travers duquel doivent passer, un critère auquel doivent satisfaire pour être reconnues exactes, les lois et formules qui servent à représenter les phénomènes empiriquement observés. Il est vrai. La loi de Newton sous sa forme classique ne satisfaisait pas à ce critère. Cela prouve qu’il n’était pas si évident que cela. Il arrive qu’une vérité méconnue hier devienne aujourd’hui un truisme. Tant mieux.

En exprimant une des conditions auxquelles doivent satisfaire les lois naturelles, la théorie de la relativité acquiert pour le moins ce que dans le jargon philosophique on appelle une valeur « heuristique. »

Il n’en est pas moins certain, comme M. Painlevé le montre avec une vigueur et une clarté parfaites, que le principe de la relativité généralisée ainsi considéré, ne saurait suffire à fournir des lois précises. Il serait parfaitement conciliable avec une loi de gravitation où l’attraction serait en raison inverse, non pas du carré, mais de la dix-septième, de la centième puissance, d’une puissance quelconque de la distance.

Pour extraire du principe de la relativité généralisée la loi exacte de l’attraction, il faut y surajouter l’interprétation einsteinienne du résultat de Michelson à savoir : que par rapport à un observateur quelconque la lumière se propage localement avec la même vitesse en tous sens. Il faut surajouter encore diverses hypothèses que M. Painlevé considère comme newtoniennes.

À son exposé critique de la relativité présenté avec éclat devant l’Académie des Sciences, M. Paul Painlevé a ajouté une contribution mathématique précieuse dont le principal résultat est le suivant : on peut trouver d’autres lois de la gravitation que celle indiquée par Einstein et qui toutes correspondent aux conditions einsteiniennes.

Le savant géomètre français en a indiqué plusieurs, une en particulier dont la formule nettement différente de celle d’Einstein, rend compte comme celle-ci et avec précision du mouvement des planètes, du déplacement du périhélie de Mercure, et de la déviation des rayons lumineux près du Soleil.

Cette formule nouvelle correspond à un espace qui est indépendant du temps, et elle n’entraîne pas la conséquence qui dérive de la formule d’Einstein au sujet du déplacement vers le rouge de toutes les raies spectrales du Soleil.

La vérification ou la non vérification de cette conséquence de l’équation d’Einstein dont nous avons dans un chapitre précédent indiqué les difficultés — peut-être insurmontables — en acquiert une importance nouvelle.

Chose remarquable, plusieurs des formules de gravitation données par M. Painlevé conduisent, contrairement à celle d’Einstein, à la conclusion que l’espace reste euclidien lorsqu’on s’approche du Soleil, en ce sens que les mètres ne doivent pas nécessairement se raccourcir.

Tout cela brille à l’horizon de l’astronomie comme l’aurore d’une époque nouvelle où des observations d’un raffinement insoupçonné fourniront les critères délicats, capables d’imposer une forme plus précise, plus exempte d’ambiguïté à la loi de la gravitation. Il y a encore de beaux jours… ou plutôt de belles nuits pour les astronomes.

Pour ce qui est des principes la controverse continuera. Elle doit en définitive aboutir à un dialogue dans le genre de celui-ci.

Le newtonien : Admettez-vous qu’en un point de l’Univers très éloigné de toutes masses matérielles, un mobile abandonné à lui-même doit décrire une ligne droite ? En ce cas vous reconnaissez l’existence d’observateurs privilégiés, ceux pour lesquels cette ligne est droite. Pour un autre observateur il arrive que cette ligne est une parabole. Donc son point de vue est faux.

Le relativiste : Oui, je l’admets, mais en fait, il n’existe aucun point de l’Univers où l’action des masses matérielles éloignées soit nulle. Par conséquent votre mobile abandonné librement n’est qu’une abstraction, et je ne peux fonder la science sur une abstraction invérifiable. Tout l’effort du relativiste est de débarrasser la science de ce qui n’a pas un sens expérimental.

Quant à l’observateur qui voit le mobile supposé décrire une ligne parabolique, il interprétera son observation en disant que le mobile est dans un champ de gravitation.

Le newtonien : Vous êtes donc obligé d’admettre que très loin de toute matière, très loin de tous les astres, il peut exister ce que vous appelez un champ de gravitation, que celui-ci varie selon la vitesse de l’observateur, et qu’il pourra être très intense en dépit de la distance des astres et même croître parfois avec cette distance. Ce sont des hypothèses étranges et absurdes.

Le relativiste : Elles sont étranges mais je vous défie de démontrer qu’elles sont absurdes. Elles le sont moins que de localiser et mettre en mouvement un point isolé et indépendant de toute masse matérielle.

Le newtonien : Quant à moi j’imagine très bien un point matériel unique dans l’Univers, et qui y posséderait une certaine position et une certaine vitesse.

Le relativiste : Pour moi, au contraire, si un tel point matériel existait, il serait absurde et impossible de parler de sa position et de son mouvement. Ce point n’aurait ni position, ni mouvement, ni immobilité. Ces choses ne peuvent exister que par rapport à d’autres points matériels.

Le newtonien : Tel n’est pas mon avis.

Le spectateur impartial : Pour savoir qui a raison il faudrait faire une expérience sur un point matériel soustrait à l’action du reste de l’Univers. Pouvez-vous, messieurs, faire cette expérience ?

Le newtonien et le relativiste (ensemble) : Non, hélas !

Le métaphysicien (survenant comme le troisième larron de la fable) : Pour lors, messieurs, je vous engage à retourner à vos télescopes, à vos laboratoires et à vos tables de logarithmes. Le reste me regarde.

Le newtonien et le relativiste (ensemble) : En ce cas nous sommes bien sûrs de ne jamais rien apprendre de plus là-dessus que ce que nous savons et croyons déjà.

Au demeurant, on ne saurait s’exagérer l’importance des clartés nouvelles projetées dans la question de la relativité par l’intervention de M. Paul Painlevé à l’Académie des Sciences. Le retentissement en sera immense et durable.

L’admirable synthèse einsteinienne en sera-t-elle abattue ? S’ébranlera-t-elle jusqu’à crouler sous les controverses, les doutes, les incertitudes dont nous venons de donner un bref aperçu ? Je ne le crois pas.

Quand Christophe Colomb a découvert l’Amérique, on eut beau jeu de lui dire que ses prémisses étaient fausses et que s’il n’avait cru partir pour les Indes, il n’eût jamais atteint un continent nouveau. Il aurait pu répondre à la manière de Galilée : « Et pourtant je l’ai découvert. »

Celle qui donne de beaux résultats est toujours une bonne méthode.

Dès qu’il s’agit de plonger au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau, dès qu’il s’agit de savoir plus et mieux, la fin justifie les moyens.

En montrant du doigt l’optique, la mécanique, la gravitation liées solidement en une neuve gerbe, la déviation de la lumière par la gravité qu’il a annoncée contre toute attente, les anomalies de Mercure qu’il a le premier expliquées, la loi de Newton qu’il a embellie et précisée, Einstein aurait le droit de s’écrier avec quelque orgueil : « Voilà ce que j’ai fait. »

Les voies par lesquelles il a obtenu tous ces résultats admirables ne sont pas exemptes, dit-on, de détours assez fâcheux et de fondrières. C’est donc que plusieurs chemins, et même imparfaits, peuvent mener à Rome et à la vérité. L’essentiel est d’y parvenir. Et ici la vérité, ce sont des faits anciens rapprochés par une harmonie supérieure, ce sont des faits nouveaux annoncés en des équations prophétiques et vérifiés de la manière la plus surprenante.

Si la discussion des principes, si la théorie qui n’est que la servante du savoir, hoche un peu devant l’œuvre d’Einstein ses épaules serviles et infidèles, du moins l’expérience, source unique de toute vérité, lui a donné raison.

On découvre aujourd’hui des formules brillantes que n’avait pas prévues Einstein pour expliquer l’anomalie de Mercure, et la déviation de la lumière. C’est bien, mais on ne saurait oublier que la première de ces formules exactes, celle d’Einstein, a audacieusement précédé la vérification.

Dans la bataille contre l’éternel ennemi, l’Inconnu, des tranchées nouvelles ont été conquises. Certes, il importe de les organiser et de creuser des cheminements qui y accèdent plus directement. Mais il faudra demain marcher encore de l’avant, gagner encore du terrain. Il faudra, par quelque détour théorique que ce soit, annoncer d’autres faits nouveaux, imprévus et vérifiables. C’est ainsi qu’a fait Einstein.

Si c’est une faiblesse pour la doctrine einsteinienne de dénier toute objectivité, tout privilège à l’un quelconque des systèmes de référence… tout en utilisant un tel système pour les besoins du calcul, cette faiblesse du moins aurait été aussi celle d’Henri Poincaré.

Jusqu’à sa mort il s’est insurgé vigoureusement contre la conception newtonienne. L’adhésion de ce puissant esprit qu’on retrouve à tous les carrefours des découvertes modernes, suffirait à assurer le respect à la doctrine relativiste.

D’un côté s’il y a Newton, devant qui se dresse maintenant un défenseur ardent et persuasif, armé d’un vif génie mathématique, Paul Painlevé, de l’autre il y a Einstein et près de lui Henri Poincaré. Déjà l’histoire de part et d’autre de la même barricade nous avait montré Aristote contre Épicure, Copernic contre les scholastiques.

Bataille éternelle d’idées qui est peut-être sans issue, si, comme le croyait Poincaré, le principe de relativité n’est au fond qu’une convention que l’expérience ne peut prendre en défaut parce que, appliquée à l’Univers entier, elle est invérifiable.

Ce qui prouve que la doctrine einsteinienne est forte et vraie, c’est qu’elle est féconde. Les êtres nouveaux dont elle a peuplé la science, et qui sont les découvertes amenées et prédites par elle, sont-ils des enfants légitimes ? Les newtoniens disent que non. Mais dans une science bien faite comme dans un état idéal, ce qui importe ce sont les enfants, ce n’est pas leur légitimité.

Du moins la vigoureuse contre-offensive de M. Paul Painlevé aura ramené dans leurs lignes les zélateurs trop pressés de l’évangile nouveau, qui déjà pensaient avoir pulvérisé, sans espoir de revanche, toute la science classique.

Chacun reste maintenant sur ses positions, et il n’est plus question de considérer comme un enfantillage barbare la conception newtonienne du monde.

En face une autre conception se dresse et voilà tout. Entre elles la bataille est indécise et peut-être le sera toujours, les armes capables de déclencher la victoire devant rester à jamais scellées dans l’arsenal métaphysique.

Quoi qu’il advienne, la doctrine d’Einstein possède une puissance de synthèse et de prévision qui nécessairement fondra son majestueux ensemble d’équations dans la science de demain.

M. Émile Picard, secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences, qui est un des esprits lumineux et profonds de ce temps, s’est demandé si c’est un progrès de « chercher à ramener, comme l’a fait Einstein, la Physique à la Géométrie ».

Sans nous attarder à cette question qui est peut-être insoluble, comme toutes les questions spéculatives, nous conclurons avec l’illustre mathématicien que seuls importent l’accord des formules finales avec les faits et le moule analytique où la théorie enferme les phénomènes.

Considérée sous cet angle, la théorie d’Einstein a la solidité de l’airain. Son exactitude consiste dans sa force explicative et dans les découvertes expérimentales prédites par elle et aussitôt réalisées.

Ce qui change dans les théories ce sont les images qu’on se crée des objets entre lesquels la science découvre et établit des rapports. Parfois on remplace ces images, mais les rapports restent vrais s’ils reposent sur des faits bien observés.

Grâce à ce fonds commun de vérité, les théories les plus éphémères ne meurent pas tout entières. Elles se transmettent, comme le flambeau des coureurs antiques, la seule réalité accessible : les lois qui expriment les rapports des choses.

Il arrive aujourd’hui que deux théories tiennent ensemble dans leurs mains jointes le flambeau sacré. La vision einsteinienne et la vision newtonienne du monde en sont deux reflets véridiques. Ainsi les deux images polarisées en sens contraire, que le spath d’Islande nous montre à travers son étrange cristal, participent toutes deux de la lumière du même objet.

Tragiquement isolé, prisonnier de son « moi », l’homme a fait un effort désespéré pour « sauter par-dessus son ombre », pour étreindre le monde extérieur. De cet effort a jailli la Science dont les antennes merveilleuses prolongent subtilement nos sensations. Ainsi nous avons approché par endroits les brillantes parures de la réalité. Mais, à côté du mystère rémanent, les choses qu’on sait sont aussi petites que les étoiles du Ciel par rapport à l’abîme où elles flottent.

Einstein au fond de l’inconnu nous a dévoilé des clartés nouvelles.

Il est, et restera un des phares de la pensée humaine.