Effets de théâtre/57
TOILES EXTÉRIEURES
La géante debout reçoit dans son salon
Mac-Mahon et Hugo grands jusqu’à sa ceinture.
Et, levant le volant de sa robe-ballon,
Fort aimable elle montre un mollet hors nature.
La géante a des pieds tout petits et cambrés
Dans des bottines très hautes à glands dorés.
Ainsi qu’on peut le voir dépeint sur leurs visages,
Cela semble étonner ces graves personnages.
En culotte collante, en bottes, le dompteur
Bien crâne est accoudé sur deux lions superbes.
Par devant : un chacal, un boa constricteur,
D’autres lions, des ours s’ébattant sous les herbes.
Tous semblent vivre en bonne intelligence. — On voit
Au fond, pour que la chose ait bien l’air exotique,
L’Océan balançant quelque Transatlantique.
Sur la rive, un marin, hache en main, se tient droit
À côté d’un palmier qui finit à sa tête,
Pendant qu’un singe vert se balance à son faîte.
Ici le muséum de la Pathologie.
Le tableau représente un fond d’estaminet,
Des femmes, des viveurs soupant en cabinet,
Trinquant, à-moitié gris, commençant une orgie.
Les femmes et l’alcool, double empoisonnement
De la jeunesse qui s’énerve tristement !
Voici venir la Mort habillée en squelette,
Et qui, tendant sa faux et remuant la tête,
Semble donner à tous un prochain rendez-vous.
Touchant acte premier de la vie à outrance !
Ces joyeux, aujourd’hui si forts d’indifférence,
Après-demain seront paralysés ou fous.
À côté, le contraste horrible et nécessaire,
Une dissection de cadavre. Un docteur
Explique aux carabins qui le regardent faire,
Et d’un air convaincu fouille à l’endroit du cœur,
Tandis qu’on lit, dix fois écrit sur la tenture :
— C’est l’Inconduite la ruine de la Nature ! —
Puis l’Inquisition et sa légion noire
De bourreaux, de martyrs et d’affreux instruments.
Des capucins masqués assistent aux tourments :
La bastonnade, l’eau bouillante qu’il faut boire,
Les jambes à rôtir, les crânes dans l’étau,
Les ongles et les dents arrachés au couteau.
La forge, le soufflet, l’alambic et l’enclume
Tout au fond du tableau servent donc d’horizon.
Et c’est dans ce vilain coin que le feu s’allume,
Là qu’on rougit le fer et qu’on fait le poison.
· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·
Ô toile ! qui n’as pas de tons, de perspective,
Peinte au mètre carré, sans soucis, ni pudeur,
À mes regards tu rends plus significative
Cette Inquisition dans toute sa hideur.
Et devant toi, malgré qu’il te dise bien bête,
Le bon public frémit des pieds jusqu’à la tête.