Dupleix et l’Inde française/1/13

Champion (Tome 1p. 503-530).

APPENDICES

APPENDICE I

Extrait d’une lettre de Dupleix a Dumas du 10 avril 1737.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Les marchandises qui restent invendues ne montent pas à 40.000 roupies comme vous le pensez ; il n’y a que les chauques qui coûtent pagodes 5.182 : 12 et 2.098 pagodes en vermillon et vif argent. Le reste est vendu suivant le compte que j’ai eu l’honneur de vous envoyer. J’ai eu la nouvelle que M. Groiselle de Patna avait vendu une partie de vermillon et vif argent à terme, le premier à 6 Rs 8 et l’autre à 6 Rs 15 a. Pour ce qui est des chauques, je les ai envoyés en divers lieux où ils ne sont pas encore vendus non plus que ceux de Soucourama. Je ne sais quel prix vendre la bray de Chine que vous m’avez adressée ; celle de Balassor vaut de 3 21/4 et lorsqu’elle est purifiée 5 ; j’ai fait voir la nôtre à plusieurs marins qui n’en ont point voulu prendre pour l’usage le plus ordinaire. Ils disent qu’elle n’est bonne que lorsqu’on a bien gratté le navire pour en mettre légèrement sur le bordage. Je ferai cependant ce que je pourrai pour la faire consommer cette mousson. Voilà les seules marchandises qui me restaient à vendre lorsque je vous ai envoyé mon compte. J’ai reçu depuis le brigantin le Dauphin avec partie de sa cargaison. Vous en avez ci-joint les comptes. Les chauques et le sel sont encore en nature tels qu’il les a débarqués. Les chauques de l’Alcyon sont débarqués ; l’on va travailler à les compter. Si je ne puis les vendre ici, je leur ferai prendre le chemin des autres. Je ne sais où Elias a eu ceux qu’il a adressés à M. de Saint-Paul ; ils sont d’une très mauvaise qualité et telles que ceux de Soucourama. Il n’en faut jamais de cette espèce à moins que de les avoir à très bon compte.

Vous ne devez point trouver mauvais que je vous recommande d’acheter à bon marché ; vous m’adressez ces marchandises, je les vends. N’est-ce pas une vraie satisfaction pour moi de vous annoncer des bénéfices honnêtes ? Je vous avoue que je suis très mortifié lorsque je ne puis en procurer à ceux qui veulent bien me charger de leurs affaires. Je me trouve aujourd’hui dans ce cas pour M. Dulaurens ; il est vrai que la chose n’est pas considérable ; cependant j’ai été bien aise de lui procurer du bénéfice sur une partie d’arèque qu’il passe dans sa facture à P. 5. 9. 16 la manan qui ne pèse ici que deux mans, un peu plus, et dont on ne m’offre que 3 Rs 8 a. Il y aurait à ce prix une perte considérable.

Je vois que vous approuvez l’intérêt que j’ai pris dans le Maure. Vous ne me dites rien de celui que j’ai passé à votre crédit de 6.000 Rs pour notre vaisseau de Manille. Je pense que c’est un oubli. Je ne sais trop si ce vaisseau fera un voyage tel qu’on le présume. Les deux vaisseaux de Calcutta ont emporté 1.100 balles et peut-être que Mrs de Madras en expédieront un autre en juillet.

L’on me donne de belles espérances sur celui que j’attends incessamment et qui doit être à Pondichéry. Vous m’eussiez fait plaisir de me donner de ses nouvelles si vous en saviez. Le pilote du bot m’a assuré que l’on avait appris qu’il était de retour à Malac.

Vous me ferez plaisir de me remettre par les occasions qui se présenteront les toiles que vous aurez fait fabriquer pour les 10.000 Rs que M. de Boisrolland vous a remis pour moi. Si nous avions prévu que vous eussiez pu vous défaire de ces marchandises, nous eussions pris le parti de vous en prier. Les intéressés dans les 20.000 Rs répondent à l’honneur de votre lettre. Vous approuvez l’intérêt que j’ai pris pour vous dans la Précaution, l’Union et le Fortuné. Vous ne me dites rien de celui de l’Heureux non plus que des instructions que j’ai données au sieur de Beaumont. N’approuveriez-vous pas cet intérêt ? Dites-le-moi sans façon et ne me faites rien par complaisance. Rien n’est plus libre que de risquer son argent où bon nous semble.

Il est dit dans les instructions du capitaine de la Nayade d’aller à Mozambique sous prétexte de relâche et de voir s’il n’y aurait pas moyen d’y lier quelque commerce. La personne chargée de cette expédition est fort sage, mais je crains qu’il ne trouve bien des difficultés. Il a dû toucher à Cochin, cependant je n’ai point eu de ses nouvelles, non plus que des vaisseaux la Précaution et le Diligent. J’ai seulement une lettre de M. de Beaumont, de Mahé, du 10 février, qui ne me parle que de son vaisseau et ne me donne aucune nouvelle des autres, ce qui ne laisse pas que de m’inquiéter. La Nayade était partie plus de 25 jours avant lui. J’espère que si vous en avez reçu, vous aurez la bonté de m’en faire part par les premières occasions. L’Angaria me fait trembler. Je vous remercie du soin que vous voulez bien prendre pour nos mauvaises affaires d’Achem entre les mains de sieur Clark qui me coûte plus de deux mille roupies.

Je vous ai crédité des 200 roupies que vous avez eu la bonté de payer aux RR. PP. Jésuites et Capucins et vous remercie de l’honneur que vous avez fait à mes traites et d’avoir payé 85 Rs à M. Février. Je suis mortifié que le sucre candit ne se soit pas trouvé beau, il a été acheté chez les Hollandais avec celui de la compagnie. Une autre fois, je le ferai faire sous mes yeux. Vous ne m’avez pas envoyé le mémoire de notre nécessaire.

Il y a toute apparence que les traites de M. Trémisot ne seront point considérables puisqu’il me marque qu’il est hors d’état de rien fournir en poivre à nos vaisseaux. Je vous aurai toujours obligation de l’honneur que vous ferez à ses traites pour mon compte.

Les belles graines de légumes que je vous ai envoyées ont produit une cinquantaine de coups de chabouc à celui que j’avais chargé de les ramasser. Je crains que l’on ne se soit trompé et que l’on ne vous ait envoyé des grains du pays que Louis de Medere m’avait demandés.

J’apprends avec plaisir que le Maure passe à Cochin, s’il peut à son retour y trouver du poivre ce sera un bon coup. Il vaut toujours 21 et 22 roupies et je souhaite que l’on vous tienne la promesse que l’on vous a faite de vous en fournir dans le mois de mai prochain. J’ai déjà eu l’honneur de vous dire qu’il n’y a pas de difficulté pour vous laisser à Pondichéry à peu près l’intérêt de ce que vous avez dans nos vaisseaux ; mais il semble aux armateurs de ce pays que ces fonds sont toujours regardés comme faisant corps jusqu’au moment de la reddition des comptes et les risques du voyage terminés, et en cas de perte du vaisseau de Pondichéry, les sommes laissées à Pondichéry n’importe à qui doivent être partagées au prorata comme un effet sauvé du naufrage. Il ne faut point songer au coton cette année, le prix en diminue tous les jours et ceux qui ont acheté le nôtre en seront très mauvais marchands. Le prix à 32 pagodes est exorbitant et je crois qu’il en viendra beaucoup de Surate où l’on dit que le commerce en est ouvert. Depuis un mois il fait de la pluie presque tous les jours. Les riz sont pour rien et les cotonniers promettent une récolte abondante.

Le vermillon est toujours sur le prix que je vous ai marqué par mes précédentes, la toutenague de 22 à 23, mais il n’y a pas de doute qu’elle ne diminue à l’arrivée de celle qui est déjà à la côte. Le camphre vaut… mais il diminuera s’il en vient beaucoup, le cuivre 44 et 45, le câlin 25, l’artal ou orpiment 18 à 20, les cauris de Manilles à 40 ponis pour la roupie sicca, les grosses porcelaines ne vaudront rien pour Patna, cette année il y en a en abondance et déjà Elias en a ici un magasin plein. Voilà tout ce que je puis dire sur le commerce actuellement. Vous me ferez plaisir de m’envoyer les 150 barres de bois rouge par les premières occasions.

Je passe à votre crédit ce qui vous revient pour votre intérêt de 300 roupies dans le Fortuné. Je crains fort que le vaisseau de Carvaillo ne puisse prendre nos balles de toile bleue, car suivant ses ordres il doit être plein de cauris. Je vois que vous avez reçu tous les envois que je vous ai faits. Vous verrez par le compte ci-joint que je vous ai débité des envois qui n’étaient point portés dans le compte arrêté au 15 décembre, par ce dernier vous paraissez m’être redevable de…

Je vous ai crédité des 200 pagodes que vous avez payées à M. Grignon pour lui. Je ferai honneur à votre traite sur moi de 473 roupies 5 d. 20 g. en faveur de M. de Martinville, lequel me présentera la lettre de change, je vous en ai toujours débité, je vous crédite de même de ma moitié dans les chauques venues par l’Alcyon montant à 1.065 pagodes 23.

J’aurai soin de rembourser à M. Burat ce qu’il aura dépensé pour les vers à soie. Mme  Vincent me prie de faire payer à Pedro Mousse 315 roupies que son mari a tiré sur elle en sa faveur, je vous prie de le payer, j’en crédite votre compte.

Je vous félicite de l’arrivée du vaisseau le Saint-Benoit, l’on assure qu’il fera un bon voyage, j’en suis en vérité charmé car les risques ont été bien grands. Si vous faites faire le même voyage à ce vaisseau, vous pourrez, si vous le jugez à propos, m’y intéresser de 5 à 6.000 roupies. Je vous prie de payer à M. de Lollière la somme de roupies 299 : 9 : 20 provenant de la succession de défunt de Lisle et dont par sentence je suis chargé de faire remise à mon dit sieur Lollière. Vous aurez s’il vous plaît la bonté d’en tirer un reçu pour ma décharge. Si MMrs Dulaurens et Février vous demandent quelque argent pour le compte de Mme  Vincens, vous me ferez plaisir de le lui donner et d’en débiter pour mon compte.


APPENDICE II

Mouvement du Personnel administratif et militaire.

Les mouvements dans le personnel administratif et militaire de nos établissements du Bengale entre 1731 et 1741 n’offrent pas un intérêt très vif ni pour l’histoire en général ni pour l’histoire de Dupleix en particulier. Aussi est-ce un peu un hors-d’œuvre que nous servons au lecteur, mais nous le servons en appendice. On excusera cette sorte de digression en songeant qu’on ne trouverait nulle part ailleurs les renseignements d’ailleurs incomplets que nous allons fournir et nous savons que les ombres légères des fonctionnaires obscurs qui furent au service de la Compagnie durant cette époque ne nous reprocheront pas d’avoir dévoilé leur incognito.


Personnel administratif. — En 1731, le secrétaire du Conseil, Imbault, se retira du service ; le conseiller Golard repassa à Pondichéry ; « c’était, nous dit Dupleix, un misérable et l’abomination des honnêtes gens[1] » ; Malescot, si vivement mêlé aux affaires de Cassimbazar, mourut ; Pigeon fut envoyé à Balassor pour aider Jourdan devenu trop vieux. Un nommé Albert ou Dalbert, nullement parent de Vincens, fut envoyé à Pondichéry comme commis aux appointements de 600 livres.

Guillaudeu était le meilleur employé ; il arrivait souvent à la loge à 6 heures du matin pour en repartir à 10 heures du soir ; c’était lui qui avait le plus de crédit. Renault et Groiselle s’acquittaient bien de leurs emplois. La Croix s’occupait de la visite des marchandises et de la police de la ville, Saint-Paul remplissait le poste de procureur du roi ; d’Hervilliers, teneur de livres, ne pouvait plus travailler ; Jacquard, chargé de la caisse, s’en allait de la poitrine.

L’importance nouvelle que la Compagnie voulait donner au comptoir se traduisit en 1732 par une importante augmentation de personnel. Sans qu’il y eut eu l’année précédente de pertes d’agents correspondantes, la Compagnie envoya six commis nouveaux : Barthélémy, Desplats de Flaix, Gazon, Finiel, Le Noutre de la Morandière et Galliot de la Touche. De ces commis, deux ne tardèrent pas à être nommés sous-marchands, Finiel et Gazon. Le conseiller Jacquart mourut laissant quelques dettes et fut remplacé par Groiselle. Ce dernier fut chargé du greffe, tandis que Barthélemy devait tenir le journal du négoce, et Finiel la caisse. La Morandière fils fut mis au secrétariat sous les ordres de Desplats de Flaix, en attendant qu’il passât aux livres, où il devait remplacer d’Hervilliers, de plus en plus incapable de remplir ses fonctions.

La Compagnie, toujours soucieuse de développer notre établissement du Bengale, envoya encore de nouveaux agents en 1733. Ce furent les commis Bruyère et Naudot. Lavabre fut fait sous-marchand. Dupleix trouvait que le chiffre de 22 employés fixé pour le comptoir par le règlement de 1725 était insuffisant ; à son avis, il en fallait au moins 26, savoir : le directeur, 6 conseillers, 6 sous-marchands, 4 commis à 800 livres, 6 à 600 et 3 à 300. Il estimait aussi que les appointements étaient trop modiques, « cela est fondé, disait-il, sur ce que les vivres sont ici à meilleur marché qu’à Pondichéry. Cela était bon autrefois et, à la réserve du riz, tout y était aussi cher. Pour les loyers des maisons, il n’y a point de comparaison ; ils sont ici le triple qu’à la côte et un employé dépense au moins le tiers de ses appointements pour se loger simplement ». Il demandait comme conclusion que les employés, mariés ou non, fussent logés dans la loge, suivant la faveur accordée depuis sept ans à ceux de Pondichéry[2].


La Compagnie jugea sans doute suffisantes les augmentations de personnel effectuées en 1732 et 1733, car celles des trois années suivantes furent pour ainsi dire réduites au minimum.

Le sous-marchand Ladhouc en 1734, les commis Darius et Lebrun en 1735 semblent avoir été les seuls nouveaux agents de Chandernagor, tandis que le greffier en chef Desplats de Flaix était, au mois de juin 1735, rappelé à Pondichéry pour mauvaise conduite, et que le conseiller Guillaudeu aîné, second de la direction, rentrait en France après un très long séjour dans l’Inde. C’était un des rares employés qui se fussent réellement enrichis au service de la Compagnie ; il partait avec 120.000 roupies d’économie. Son éducation première avait été très négligée et il s’était peu formé en s’élevant en biens et en honneur ; sa femme était d’une éducation pire encore. Après dix-huit mois de séjour en France, où ils se trouvèrent dépaysés, ils revinrent de nouveau dans la colonie.

À la fin de 1735 il manquait huit employés tant à Chandernagor que dans les comptoirs. La Compagnie avait décidé cette année que les employés, officiers ou soldats à son service qui voudraient rentrer en France ou ceux qui seraient renvoyés, ne pourraient plus obtenir au Bengale de passage direct pour la métropole ; ils devraient au préalable passer par Pondichéry ou l’on statuerait sur leurs demandes, ils devaient tout au moins obtenir du Conseil supérieur l’autorisation de s’embarquer directement au Bengale. Une exception était faite pour les particuliers ou les employés ayant depuis un an cessé d’être au service : le Conseil de Chandernagor restait maître, s’il le jugeait à propos, de leur accorder le passage pour France, ainsi qu’à leur femme et à leurs enfants. Il est à présumer que cette mesure fut prise la suite d’abus commis à Chandernagor pour la délivrance des autorisations de départ.

En 1736, il arriva un nouveau sous-marchand, de la Baume, et un nouveau commis, de Bellegarde. Jogues de Martinville vint de Mahé où il était second, pour servir en la même qualité à Cassimbazar. Cette même année, les sous-marchands Naudot et Lavable moururent, l’un le 1er août et l’autre le 13 décembre.

Dans une lettre du 10 avril 1737. Dupleix signale au Conseil supérieur qu’il lui manquait tant à Chandernagor que dans les autres comptoirs 4 sous-marchands, 4 commis de premier ordre et un sous-commis. Il avait perdu le greffier et le sous-marchand de la Baume. Le Conseil supérieur fit passer au Bengale, sur neuf employés qu’il venait de recevoir de France, cinq commis de second ordre, c’étaient :

Lintrye, il travaillait depuis deux ans gratis dans les bureaux de la Compagnie et savait tenir les livres ; bon sujet ;

Aubry, homme d’esprit ;

Desvaux, travaillait gratis depuis près d’un an dans les bureaux à Paris ; avait été auparavant à l’Île de France ;

La Bretesche-Litout, avait fait autrefois le voyage de Chine avec son père, subrécargue pour le compte de la Compagnie ;

Enfin Péan.

Aubry fut destiné à remplacer Adam comme greffier. Le 15 décembre, le conseiller d’Hervilliers mourut, il fut remplacé par Barthélémy. À ce moment, il manquait encore sept employés au Bengale : cinq sous-marchands et deux commis. Le conseil fut autorisé à y pourvoir par les employés du Bengale les plus capables et qui avaient droit à un avancement, en suivant l’ordre du tableau. Martinville quitta le Bengale en 1738 pour aller servir à Bassora en qualité de consul. Le conseiller de la Croix mourut le 1er juin âgé de 40 ans et fut remplacé par Ravet ; il avait commencé à servir à Mahé une douzaine d’années auparavant.

Un autre employé, Jacques Bunel de Rouval, mourut le 4 septembre à l’âge de 36 ans. Le conseil de Pondichéry put pourvoir à ces vacances le 15 septembre avec plusieurs employés venus de France : ce furent les sieurs Dangest ou d’Hangest, Leclerc, Collé, Ternisien et Quennelette, tous commis. Dangest fut nommé secrétaire du Conseil. Une quinzaine plus tard, le 30 septembre, il en envoya quatre autres. Caillot, sous-marchand et les commis Ravoisier, Gravier et Dumont. Un autre commis, Baudin, fut envoyé le 4 octobre ; en même temps que lui s’embarqua un botaniste envoyé par le roi en mission au Bengale ; il se nommait Binot.

Le 30 décembre 1738, la Compagnie d’accord avec le nouveau règlement qu’elle venait d’édicter et qui permettait à ses employés d’avancer de grade d’un comptoir dans un autre, sans être obligés de quitter ce comptoir, décida d’un seul coup la création de 13 conseillers nouveaux, dont 6 affectèrent le Bengale. Ce furent Barthélémy, Guillaudeu jeune, Saint-Paul, Ravet, Groiselle et Renault de Saint-Germain. Barthélemy et Ravet avaient déjà été installés à leur poste par décision provisoire du Conseil supérieur.

Il ne semble pas qu’il y ait un grand mouvement de personnel en 1740. De la Mare repassa au Bengale par le Saint-Géran, Magon de la Villebague, frère de Mahé de la Bourdonnais, y fut envoyé par le Fulvy, pour être sous-commis. Les sieurs Bruyère et Caillot, désireux d’aller à Patna, s’adressèrent à cet effet au Conseil supérieur. Celui-ci les renvoya à Dupleix ; c’était à lui seul à faire la distribution des employés relevant de son administration, suivant le tableau et la capacité de chacun ; le Conseil supérieur ne pouvait déroger à cette règle.

Dangest, Moisy et Villebague repassèrent au chef-lieu en 1741 ; mais Villebague n’ayant cessé de se trouver incommodé depuis son arrivée à Pondichéry, demanda à revenir au Bengale, ce qui lui fut accordé. Ravoisier remplaça Dangest. Aubry fut rétabli dans le service de la Compagnie. Un capitaine de navire, Dubois Rolland, fils d’un ancien directeur, fut nommé conseiller ; Saint-Paul, beau-frère de Dupleix, était garde-magasin de la marine. Des provisions de conseiller furent accordées par la Compagnie à Gazon, sous-marchand et à Fournier, capitaine subrécargue d’un des vaisseaux de l’Inde. Avec les conseillers de Pondichéry, cela fit sept conseillers en surnombre.


Personnel militaire. — Les officiers étaient moins nombreux que les employés. Les mouvements du personnel militaire sont mieux connus et plus faciles à suivre que ceux du personnel civil ; ils sont cependant incomplets et l’on ne doit pas le regretter outre mesure, car l’alignement de ces noms, aussi obscurs les uns que les autres, n’a pas une importance essentielle.

En 1732, l’enseigne Cornet passa au Bengale avec un détachement de 37 hommes. Deux compagnies au lieu d’une ayant été instituées en 1733, Denchout et de Ricoux en furent les capitaines désignés, avec le Marié de Vaucourt et Macaffry comme lieutenants, le Vanor de Grandmaison et Villecour de la Motte comme sous-lieutenants, le chevalier de Joyant et Debrie comme enseignes. Vizard était nommé chirurgien. Il y eut en outre un troisième capitaine, faisant fonctions de major, et qui était Nehou le Mouton ; ce troisième capitaine fut créé pour accompagner la flotte de Patna.

Ricoux et de Joyant moururent en 1734. L’enseigne Cornet déserta. Pour les remplacer, le Conseil supérieur envoya les sieurs de Miraillet, lieutenant, Roussel de Saint-Rémy, sous-lieutenant et d’Argis, enseigne, qui venaient d’arriver de France. Miraillet, premier lieutenant, fut chargé des fonctions de capitaine, en attendant la ratification de ce choix par la Compagnie.

L’année suivante, Miraillet fut confirmé dans les fonctions de capitaine de l’une des compagnies et Macaffry fut nommé capitaine de l’autre, en remplacement de Denchout révoqué. On envoya enfin un jeune enseigne nommé Duquesne, qui se distingua plus tard au siège de Tanjore et dont la mort prématurée (février 1751) fut alors considérée comme un désastre pour nos possessions. Roussel de Saint-Rémy fut nommé lieutenant. Le lieutenant Marié mourut le 14 novembre. Joyant fut fait sous-lieutenant en 1736. En 1737, les officiers qui passèrent au Bengale furent Gassonville comme capitaine, Charpentier et Pochauvin de Marson comme enseignes. Gassonville remplaçait Miraillet, qui avait été interdit de ses fonctions le 17 décembre 1736 pour insubordination et malversation commises dans le voyage de Patna[3]. Nehou le Mouton mourut le 15 décembre.

En 1738, la garnison fut renforcée (15 septembre) par un détachement de 50 hommes commandés par le capitaine Dupuy-Planchard, remplaçant Nehou le Mouton, et quinze jours plus tard par un nouveau détachement de 40 hommes avec le lieutenant Coquelin et l’enseigne Lavergne.

En 1739 il y avait un lieutenant de trop à Chandernagor ; Coquelin qui ne pouvait supporter le climat du Bengale repassa à Pondichéry. Gassonville reçut la croix de Saint-Louis.

L’enseigne Courtin fut envoyé au Bengale le 5 août 1740. Lavergne mourut le 11 avril et le capitaine Charles Dupuy-Planchard, major de la garnison, le 4 novembre suivant, âgé de 39 ans.

Enfin, en 1741, il manquait à Chandernagor, un sous-lieutenant, deux enseignes ; par contre, il y avait trois lieutenants de plus qu’il ne fallait : Dumas les fit revenir à Pondichéry. Kermain fut envoyé comme enseigne dans le courant d’août. Une commission de capitaine fut envoyée à Roussel de Saint-Remy, pour remplacer Dupuy-Planchard, et des brevets de lieutenants et de sous-lieutenants à Pochauvin de Marson, Charpentier, Coquelin, revenu au Bengale, Voyard de Maison Rouge et Martin. Duplan fut nommé lieutenant et Courtin sous-lieutenant ; les trois capitaines en fonction à la fin de 1741 étaient donc Macaffry, Gassonville et Roussel de Saint Rémy.


APPENDICE III

Armements et Navigation.

Les armements que Dupleix prépara à Chandernagor et ceux auxquels il s’associa à Pondichéry se répartissent ainsi par années et par pays, — autant qu’il a été possible de les reconstituer, et il est des années où les renseignements font en partie défaut.


1731-1732.

Bassora, par « l’Union » avec un chargement d’environ 400 balles. L’ « Union » partit le 13 janvier 1732.

Bender Abbas, par le « Jean-Baptiste » qui partit au début de décembre. Ce navire devait passer à Mahé prendre 20 candils de poivre. C’était la part de Trémisot dans le chargement ; s’il la refusait, Dupleix la prenait à son compte. Le « Jean-Baptiste » fut de retour à Chandernagor le 7 juin suivant.

Les Maldives, par le « Cauris », petit navire d’une valeur de 5.500 roupies, acheté par Dupleix exprès pour cette navigation. Lenoir y était intéressé de 2.000 roupies. Le « Cauris » partit au début de janvier 1732 et à son retour, en août, laissa un bénéfice de 40 %.

Surate et la côte Malabar. — Les navires allant à Mahé poussaient généralement jusqu’à Surate. Dupleix y envoya fin décembre, le « Fortuné », cap. Bern, et « l’Heureux ». Un particulier de Chandernagor arma pour son compte le brigantin la « Sainte-Rose ». Trémisot était intéressé de 2.000 roupies dans le voyage du « Fortuné », qui donna de 20 à 25 % de bénéfice.

Dupleix expédia en outre à Pondichéry le « Saint-Pierre » avec des provisions ; à l’Île de France le « Saint-Joseph » avec un chargement de même sorte.

1732-1733.

Achem. — Le voyage d’Achem fut organisé à Pondichéry par Lenoir ; Dupleix s’y intéressa pour 1.000 roupies, mais dans le seul but de faire plaisir à Vincens ; à tort ou à raison, il estimait que Lenoir cherchait à détruire ses projets, il n’était donc pas juste qu’il soutint les siens. Ce voyage fut effectué par le « Louis XV » qui partit vers le 15 janvier avec une cargaison de 100.000 roupies, cap. Bern, subrécargue Dominique Carvalho. Il ne réussit pas : une partie de l’armement fut perdu ; nos débiteurs étaient insolvables et quelques-uns avaient disparu. Dupleix attribua cet échec à Lenoir. « On a cette obligation, écrivait-il à Duvelaër le 15 janvier 1733, à Pierre qui n’est pas blanc (on a reconnu Lenoir) et nous nous aimons tous les deux comme la colique ».

Bender Abbas. — Le « Jean-Baptiste », retour de Perse, était arrivé à Chandernagor le 7 juillet, après avoir fait un bon voyage ; il en repartit au début de septembre pour la même destination, avec escales prévues à Cochin, Calicut, Mahé, Mangalore et Goa.

Bassora, par « l’Union » cap. Boisrolland, qui partit fin décembre. Dupleix comptait beaucoup sur un nommé Dufresne à Bassora, pour lui procurer une vente avantageuse des marchandises qui lui avaient été remises antérieurement pour son compte par Saint-Hilaire et Fournier.

Maldives, par le « Cauris », cap. la Hague, et le « Fidèle », cap. Vigé. L’un d’eux devait revenir par Achem.

Manille, par « l’Entreprenant », cap. Larivière.

Moka. — Dupleix n’organisa pas lui-même le voyage de Moka, qui fut préparé par le Conseil supérieur de Pondichéry, par le bateau du même nom ; mais il y prit quelque intérêt et lui confia plusieurs balles de marchandises. Personne n’avait voulu s’intéresser à cet armement, dont chacun prévoyait l’insuccès.

Pégou. — Dupleix fit faire ce voyage en mars par le « Fidèle » qu’il avait acheté le 2 février. Ce navire, d’une cargaison de 16 à 17.000 roupies, consigné à un nommé Tornery, constructeur de bateaux à Syriam, devait rapporter des bois longs, courbes, bordages, planches de doublages, bois de mâture et, s’il lui restait des fonds — du cuivre, du calin et de la cire. Ce voyage fut assez mauvais : Dupleix fut la dupe des subrécargues et d’un nommé Dubois, résident au Pégou, qui agit pour son propre compte avec les marchandises qui lui étaient confiées. Le « Fidèle » était de retour au mois de juillet.

Surate par « l’Aimable », ancien Harrisson, cap. Féneley, avec un chargement d’une valeur de 40.000 roupies, et le « Balocopal ». Ces deux navires mirent à la voile à la fin de l’année. Féneley devait s’entendre avec Martin pour le commerce de Chine qui, dans la pensée de Dupleix, devait être fait désormais tout à la fois de Chandernagor et de Surate.

« Le Fortuné » revenant de Surate était arrivé à Chandernagor le 6 juillet.

Au début de l’année, les 6 et 23 février, Dupleix avait encore expédié à Mazulipatam la gourave le « Tanakaly » avec un chargement de 1.505 mans de riz dont Fouquet, le chef du comptoir, devait effectuer la vente, Fouquet et Dupleix étaient les principaux intéressés. Les correspondances postales entre Mazulipatam et Chandernagor s’effectuaient d’ordinaire par voie de terre. Afin de les faciliter, le Conseil supérieur décida cette année de créer deux postes de relais entre Mazulipatam et Ganjam, tandis que Dupleix en établirait d’autres entre Ganjam et Balassor. — En décembre, il envoya à Pondichéry avec une cargaison de riz, le « Fortuné », cap. Bern. Ce voyage, entièrement au compte de Dupleix, n’avait pas été conçu dans un but de gain ; il pouvait ne rien rapporter, Dupleix l’avait fait uniquement pour ramener Vincens, et occasionnellement quelques marchandises pour le Pégou. Le « Pondichéry » envoyé du chef-lieu à Chandernagor pour s’y faire caréner, en rapporta au début de 1733 une certaine quantité de marchandises dont partie pour le compte de la Compagnie. Un autre bateau porta aux Îles de » provisions et des gonis pour emballer le café.


1733-1734.

Les renseignements manquent pour cette année.


1734-1735.

Bassora, par l’ « Union », cap. Saint-Hilaire, et les « Quatre-Sœurs ». On redoutait une attaque de la ville par les Persans, mais elle n’eut pas lieu. Les « Quatre-Sœurs », à la suite de vols de son capitaine et d’incidents qui en résultèrent, ne revint à Chandernagor que le 27 juin 1736, après une absence de plus de dix-huit mois.

Maldives, par le « Fortuné » et un autre navire.

Mascate, par l’ « Entreprenant », avec Vincens cadet comme subrécargue.

Moka, par l’ « Heureux », subrécargue Aumont et la « Naïade ». Le voyage de l’ « Heureux » ne donna pas de bénéfice ; tout au plus retira-t-on le capital engagé, après qu’Aumont eut vendu une partie des fils d’or qu’il avait reçus en paiement.

Surate, par le « Chandernagor », et le « Diligent », qui continua sur Bender Abbas. Ces deux navires laissèrent un bénéfice appréciable ; Martin de Surate retira 9.319 roupies du premier et 1.761 du second.


1735-1736.

Achem. — Dupleix n’arma lui-même aucun navire mais s’intéressa simplement au voyage d’un navire anglais de Calcutta, dont le capitaine était un nommé Clark. Ce dernier lui donna tant de soucis que Dupleix se promit de ne plus jamais « se fourrer avec les Anglais ».

Bassora, par la « Précaution », subrécargue Aumont, spécialement chargé par Dupleix de faire le recouvrement de ses créances en souffrance, et terminer les affaires de l’ « Union » et des « Quatre-Sœurs ».

Djedda et Moka, par le « Chandernagor », cap. Féneley, subrécargue Vincens.

Goa et Malabar, par le « Fortuné » ; Dupleix était intéressé de moitié dans le voyage. Le « Fortuné » continua sur Moka où son capitaine La Gâtinais le vendit pour 4.000 piastres d’Espagne.

Maldives, par la « Naïade ».

Manille, par le « Balocopal », d’accord avec Carvalho. Il avait été chargé surtout par les Maures et Arméniens, sur l’espérance que leur avait donnée Dupleix que les droits trop forts dont ils étaient frappés jusque-là seraient réduits. Dupleix écrivit en effet le 6 mars à don Fernan de Valdes Tamon, gouverneur général des Philippines, pour le prier de vouloir bien les réduire.

Mascate par l’ « Entreprenant », subrécargue Vincens cadet.

Surate par l’ « Heureux » et le « Diligent », Bruno était l’un des capitaines. Dupleix avait chargé sur l’ « Heureux » pour 1.003 Rs. de riz. L’ « Heureux » quitta le pilote le 1er janvier et le « Diligent » partit de Chandernagor le 12, avec, entre autres marchandises, 10 balles de baffetas écru pour le compte de Dupleix. L’ « Heureux » était rentré à Chandernagor dès le 4 juin avec l’ « Entreprenant » revenant dé Mascate.

Pondichéry par le « Saint-Joseph ». À une cargaison plus confortable en riz et autres denrées, Dupleix joignit 50 cabris, 100 paquets de rotin, deux jarres de mantègue et quelques confitures pour Dumas.

Les navires chargés à Chandernagor pour Djedda et la Perse avaient emporté du café de Bourbon que le Conseil avait frappé d’un fret de 12 roupies. Le Conseil de Pondichéry trouva que 7 auraient dû suffire ; il admettait pourtant qu’on allât jusqu’à 10 si la vente était assez avantageuse pour supporter ce prix, mais il était imprudent de le dépasser. En attendant de connaître le résultat de l’opération de Chandernagor, il garda tous les cafés qu’il avait lui-même en magasin.


1736-1737.

Anjouan et la Côte d’Afrique, par la « Naïade », cap. Tully.

Bassora, par le « François », cap. Larivière, subrécargue Villeneuve ; l’ « Union », cap. Perdiguier, subrécargue Aumont, le « Diligent » et l’ « Entreprenant ».

Vincens et Dumas avaient fait pour l’ « Entreprenant » une société de 6.000 pagodes dont les trois-cinquièmes soit 2.250 pagodes avaient été attribuées à Dupleix.

Le « Diligent » qui devait d’abord s’arrêter à Surate et ne pas aller plus loin, y avait été affrété par Martin pour Bassora avec 4.000 Rs. de fret seulement et 9.000 Rs. de cargaison. Or, le vaisseau dépensait 1.000 Rs par mois, sans compter le dépérissement. Dupleix estima que c’était se moquer des gens que d’avoir entrepris un voyage dans de pareilles conditions. Il dissuada Dumas d’armer à l’avenir pour Surate et Bassora. comme il en avait l’intention ; mieux valait à son sens entreprendre le voyage de Chine que de se fier aux promesses de Martin. Si toutefois Dumas persévérait dans le voyage de Surate, Dupleix tenait à sa disposition les 6.000 Rs. qu’il lui avait promises.

L’ « Entreprenant », qui appartenait à la Compagnie, avait été armé à Pondichéry. Parti en octobre, il revint au mois d’août suivant.

L’armement de Villeneuve fut presque entièrement perdu ; outre que les Anglais et Hollandais qui lui avaient servi de guide dans ses achats l’avaient affreusement trompé, les marchandises se trouvèrent en concurrence avec quantité d’autres similaires apportées par les Anglais et restèrent pour la plupart invendues. Après la mort de Villeneuve, Sichtermann restait intéressé dans l’armement pour 87.000 Rs.

L’ « Union » revint en septembre.

Tous ces navires firent de très mauvais voyages ; ils ne vendirent que pour 40.000 Rs de marchandises. 17 à 1.800 balles tant de Surate que de la côte furent invendues et Aumont resta à Bassora pour essayer de s’en défaire. La perte d’un navire anglais, la « Deanne », en raréfiant les marchandises, fit remonter un peu le prix des nôtres.

Bender-Abbas, par l’ « Heureux ».

Boisrolland, subrécargue de l’ « Union », était resté malade à Bender-Abbas en 1736. Le bruit courut qu’il avait manqué de convenances à l’égard des autorités locales et, ce qui n’était jamais arrivé à un Français, avait été menacé de coups de bâton par le pacha. Autant pour démêler la vérité que pour ne pas interrompre le commerce, Dupleix envoya l’ « Heureux » en Perse avec Beaumont comme capitaine et subrécargue. Beaumont était considéré comme un homme sage et entendu : il trouva que tout le bruit fait autour de Boisrolland était fort exagéré et il le ramena avec lui à Chandernagor. Dupleix était intéressé des trois-cinquièmes dans l’armement de l’ « Heureux ». Le voyage fut assez bon. Beaumont avait emporté six balles de draps londrins valant 10.891 livres, il les revendit avec bénéfice.

Djedda. — Vincens qui déjà songeait à revenir en France pour demander à la Compagnie un poste de choix, ne voulut pas retourner à Djedda. La « Précaution », cap. Féneley, n’y fit pas un voyage aussi heureux qu’il eut dû l’être. Les Anglais nous avaient devancés en partant quinze jours plus tôt du Bengale et, quand nous arrivâmes, ils avaient déjà vendu leurs marchandises. Il nous fut plus difficile de placer les nôtres, mais comme elles étaient de meilleure qualité, les marchands consentirent à les prendre, sauf à les garder jusqu’à l’année suivante. C’était la seconde fois que la négligence ou la timidité de Féneley nous faisait perdre les bénéfices de ce voyage ; Dupleix résolut de ne plus l’employer et de donner à Beaumont le prochain commandement ; toutefois le voyage de la « Précaution » lui rapporta personnellement un bénéfice de 1.487 Rs et donna dans l’ensemble un gain de 4 %, trop faible pour des opérations de cette importance.

Un autre voyage avait été entrepris par le « Chandernagor », cap. Bruno ; Dupleix en retira 4.454 Rs. Parti de Chandernagor en décembre, le navire y était de retour au mois de juillet, ayant perdu une partie de ses mâts.

Goa. — Dupleix eut vivement désiré faire le voyage de Goa, mais il ne trouva pas de sujet capable de l’entreprendre.

Manille. — Dupleix ne prépara pas lui-même l’armement qui fut fait de Pondichéry par Dumas ; il se contenta de s’y intéresser pour 6.000 Rs. Castanier lui avait envoyé 10.000 piastres pour être employées dans ce voyage, mais elles arrivèrent trop tard. Ce fut le « Chankerabary » qui fit le voyage : il partit de Pondichéry en mars. La Compagnie y était intéressée de 10.000 pagodes. Le voyage donna des bénéfices.

Moka. — Le « Maure », armé par des particuliers avec Gabriel Dumas comme subrécargue, partit pour Moka le 15 décembre 1736. Malgré les bruits de guerre qui empêchèrent les étrangers de charger dessus, Dupleix y fit mettre d’abord diverses balles de marchandises appartenant au gouverneur de Pondichéry et s’y intéressa lui-même pour 6.000 Rs, mais au dernier moment, sur les conseils d’Ingrand, il se ravisa et résolut de ne rien lui confier. La Compagnie avait décidé de ne pas y établir de comptoir, mais seulement d’y envoyer des agents au moment des achats et des ventes : Courbezâtre fut chargé d’acheter les cafés à Betelfagui, principal centre de production et Dumas, établi à Moka, devait lui envoyer les fonds nécessaires et recevoir les produits. Un nommé Denis fut adjoint comme commis à Courbezâtre. Les Anglais ne procédaient pas d’une autre façon ; ils n’avaient pas d’établissement fixe à Moka, mais à chaque saison, ils envoyaient pour suivre les affaires un membre du Conseil de Bombay et deux commis.

Côte Malabar, par les divers navires allant à Surate, en Perse et dans la mer Rouge ;

Surate, par le « Diligent » et le « Chandernagor ». Le « Chandernagor » continua sur Moka, comme le « Diligent « sur Bassora. Malgré les efforts de Martin, il était presque impossible d’avoir le moindre fret pour Djedda et Bassora, tellement les Anglais étaient les maîtres du marché.

Afin d’assurer la navigation qui, de Surate à Calicut, était constamment menacée par les Angrias, Dupleix eut désiré avoir à sa disposition un navire d’Europe qui fit le commerce de Chandernagor à Surate, et il en fit la proposition à la Compagnie. À son avis, les Maures et Arméniens trouvant plus de sécurité dans un navire de ce genre y chargeraient plus volontiers et l’on couvrirait aisément les frais, sans compter que la réputation de la Compagnie en serait singulièrement accrue et fortifiée. Dupleix faisait au surplus observer que les Anglais qui, beaucoup plus que nous, avaient souffert des méfaits des Angrias, ne pouvaient s’en prendre qu’à eux-mêmes de leurs mésaventures ; ils leur vendaient des armes et les Angrias trouvaient aisément à écouler, même à Bombay, le produit de leurs pirateries. La Compagnie ne fut pas en principe, opposée aux vues de Dupleix ; mais elle laissa au Conseil supérieur le soin de se prononcer, déclarant par avance que s’il croyait pouvoir disposer d’un vaisseau pour Surate, elle n’y ferait pas obstacle, à condition toutefois que ce vaisseau fut revenu à temps à Pondichéry pour effectuer son voyage de retour en Europe. Dumas, devenu ainsi l’arbitre de la situation, informa Dupleix qu’il eut été fort aise de mettre un navire à sa disposition dès l’année suivante, mais les arrangements pris avec les négociants l’en empêchaient. La vérité est que Dumas ne pensait pas que l’opération put faire ses frais si le voyage s’effectuait dans les délais prescrits par la Compagnie,.

Il y eut aussi des armements pour Mascate et les Maldives. Le « Fortuné », vendu à Moka par la Gâtinais, fut racheté par Dupleix et bientôt après revendu à l’ambassadeur du chérif de la Mecque pendant son séjour au Bengale. Il semble que ce personnage ait été quelque peu encombrant et que Dupleix se soit efforcé de le mettre surtout en rapport avec les Anglais.

Les expéditions d’usage furent faites pour Pondichéry par différents navires, dont le « Saint-Joseph », le « Fort-Louis », le « Maure », le Saint-Pierre », le « Saint-Benoît », l’ « Alcyon », l’ « Indien ». Le « Fort-Louis » construit au Pégou et acheté pour 12.500 pagodes fit même trois voyages en raison d’une grande disette à la côte Coromandel. Le premier convoi de riz qu’il rapporta le 9 janvier 1737 était sale et plein de mites. Dupleix donna pour excuse que la quantité demandée avait été si considérable qu’on avait été contraint de prendre celui qui se présentait sans pouvoir le nettoyer. Le second envoi (9 avril) ne donna lieu à aucune observation. Au troisième, le « Fort-Louis » se perdit à l’entrée du Gange.

Dupleix avait intéressé Castanier de 25.000 roupies dans le voyage de Jedda et de 9.694 dans celui de l’ « Union » pour Bassora. Il attendait 10.000 piastres de Godeheu et de Duvelaër, alors à Canton, pour les placer dans un armement concerté avec Dumas.

Quant aux îles, les affaires se passèrent aussi comme à l’ordinaire. Le Conseil de l’Île de France avait demandé qu’on lui fit passer des vaches, des brebis, des oies et des canards, et dans un ordre d’idées tout différent, un petit assortiment de marchandises du Bengale, telles que soies et mallemolles, sans que le montant excédât mille pagodes ; c’étaient des échantillons destinés pour le commerce de Mozambique, que la Bourdonnais se proposait d’entreprendre. On recruta également quelques lascars, mais ces hommes engagés à bord des vaisseaux pour la durée des voyages ne revenaient pas tous, soit qu’ils fussent morts, soit surtout qu’ils fussent retenus pour d’autres services. En 1737, il n’en revint que cinq. Le Conseil supérieur craignait qu’à la fin cela ne créât certains embarras. Il était mort cette année aux Îles 23 topas et 19 ouvriers partis de l’Inde.


1737-1738.

Chine. — Dupleix s’intéressa pour 10.000 roupies dans un armement fait à Pondichéry par Dumas avec le « St -Benoît », cap. Brignon.

Chittagong. — Dans l’espérance d’en tirer des toiles. Dupleix songea à reprendre le commerce avec ce port, abandonné depuis bien des années. Nous n’y payons pas de droits. Les Anglais non plus ne payaient rien ; il n’y avait aucune raison pour ne pas rester mutuellement soumis au même régime. Cependant lorsque Dupleix le fit pressentir sur notre intention de revenir à Chittagong, Agy Hamet prétendit exiger de nous deux annas par roupie ; Burat n’ayant pu obtenir d’autres conditions, l’affaire fut abandonnée.

Côte d’Afrique, par le a Petit Heureux », cap. La Renaudais, qui partit le 23 décembre et revint en mars 1738. Ce navire devait essayer de liquider les affaires de la Naïade, échouée l’année précédente à Mozambique. Le « Petit Heureux » ne put rien terminer.

Djedda, par la « Précaution », cap. Beaumont. Dupleix avait demandé à Dumas de lui fournir des marchandises pour la côte d’Abyssinie. Faut-il entendre par là la région actuelle de Djibouti ou celle de Massaouah ? C’est la première et seule fois que nous voyons le nom de l’Abyssinie figurer dans une correspondance de cette époque.

Maldives, par la « Rose ».

Manille, par le « Balocopal ».

Surate, par le « Chandernagor », cap. Bruno, et un autre bateau affrété par des particuliers dont le commandement fut confié au capitaine Eustache.

Pondichéry. — Un nouveau bateau, le « Fulvy », construit au Pégou et acheté par le Conseil supérieur remplaça le « Fort-Louis », disparu dans le Gange en 1737.

En dehors des participations que Dupleix put avoir dans les divers armements de cette année, il fit de nombreuses affaires avec des négociants anglais de Calcutta, Samuel Court, Elliot et l’association Bennet, Jackson et Wenderburn. Il acheta à Bennet en novembre 600 pièces de casses à 1600 fils à 5 roupies 8 ; 600 pièces de mallemolles sanas à 6 roupies ; 450 p. de tangebs badal à 4 roupies 8 ; 150 agatys à 5 roupies 8, 500 pièces etatchas Malde à 5 roupies 8, pour un prix total de 12.930 roupies. Il leur vendit par contre pour une somme équivalente 646 livres de toutenague à 20 roupies le man.

À la fin de 1737, Dupleix recruta pour les Îles un certain nombre de lascars qui se sauvèrent presque tous ; à leur passage à Pondichéry il n’en resta que huit qu’on préféra renvoyer au Bengale, tellement ce chiffre eut produit une mauvaise impression aux îles. Quelques jours après, le Conseil supérieur en renvoya 24 autres qu’il venait de recevoir et qui avaient fini leur temps. Le recrutement de ces lascars était toujours une opération délicate, tant par la répugnance des hommes à s’engager que par les obstacles opposés à leur départ par le gouvernement du nabab. Il était contraire à la religion qu’un Indien quittât son pays par mer ; ce sentiment n’a pas encore complètement disparu. De crainte d’exposer l’administration de Chandernagor aux insultes et à la tyrannie des Maures, le Conseil supérieur lui recommanda d’agir avec prudence et même de ne plus faire de recrues sans de nouveaux ordres (30 septembre 1738). La Compagnie mise au courant de ces difficultés fut plus explicite encore ; par lettre du 29 décembre 1738 elle défendit expressément d’envoyer aux îles des lascars ou aucun ouvrier de quelque nature que ce put être, mais on devait continuer de leur fournir les approvisionnements dont elles pouvaient avoir besoin.


1738-1739.

Achem. — Le pays était très troublé par des discordes intestines. Le roi nous avait promis une diminution de nos droits et ne la réalisait pas : il nous devait d’autre part 70 lattys d’or sur l’armement de la « Ressource ». Avant de s’engager sur nouveaux frais, Dumas et Dupleix tinrent à éclaircir la situation et ils firent partir pour Achem, le premier Pattelin et Lenoir et le second un nommé Duguéros pour essayer d’arranger les affaires. Les rapports de ces agents ne concordèrent point ; tandis que Duguéros laissait entrevoir de la part du roi les offres les plus obligeantes et les plus avantageuses à la nation. Pattelin et Lenoir, moins optimistes, craignaient que, sous des propositions flatteuses, il ne se cachât quelques mauvais desseins et le désir de nous tromper. Pattelin conclut à l’envoi à Achem d’un ou deux vaisseaux d’Europe pour se faire payer de force de ce qui était dû à la nation.

Bassora, par le « Diligent », cap. Eustache et l’ « Heureux », cap. Delouche. Ce fut l’ « Heureux » qui transporta le nouveau consul, Jogues de Martinville. L’ « Heureux » avait un chargement de 6 à 700.000 roupies. Dupleix lui avait confié pour son seul compte 13 balles montant avec les frais à 11.686 roupies. Avec les armements précédents qui n’étaient pas liquidés, Dupleix avait à Bassora 80.000 roupies d’engagées et d’immobilisées. À son retour, l’ « Heureux » toucha à Surate et en rapporta pour 60.000 roupies de traites que Dupleix eut beaucoup de mal à payer.

Bender-Abbas, par la « Précaution », cap. Beaumont. Celui-ci devait rester à Bender-Abbas pour essayer d’accord avec les autorités du pays d’y fonder un établissement régulier ; la « Précaution » fut commandée au retour par son second, un nommé des Landelles.

Chine. — Il ne semble pas que Dupleix eut été intéressé dans cet armement qui fut organisé en France et confié à la Franquerie. C’est sur le bateau commandé par ce dernier que s’embarqua Massac, le cousin de Dupleix ; ce navire était de retour à Pondichéry en avril 1739.

Côte d’Afrique, par la « Princesse-Émilie », cap. Tully. Ce bateau récemment acheté pour une autre destination par Dupleix et Elliot, partit de Chandernagor le 15 décembre 1738 et y revint le 26 septembre 1739.

Djedda, par l’ « Union », cap. Fournier, subréc. Vincens. Fournier avait formé pour ce voyage une société de 80.000 piastres avec Castanier et Guillaudeu. Castanier y était pour moitié, Fournier et Guillaudeu chacun pour un quart.

Malacca, par la « Concorde ». — Ce navire avait été vendu par Dumas à Dupleix en août 1738 pour 16.000 roupies. Envoyé peu de temps après à Malacca avec un chargement d’opium, il ne put se procurer le sucre qu’il devait rapporter pour Surate et revint au mois d’avril suivant, « On ne pouvait faire, écrivit Dupleix à Lanoë au Pégou, le 23 de ce mois, un plus mauvais voyage. Le subrécargue, la plus grande bête qui fut au monde, a fait la plus impertinente de toutes les ventes, dont les retours ne seront faits qu’en décembre ou janvier prochain ». Il avait vendu l’opium à 10 mois de terme et à un prix modique ; heureux les armateurs s’ils pouvaient en retirer leur capital.

Maldives, par la « Rose » et le « Saint-Antoine » et un troisième navire dont la correspondance ne donne pas le nom. Le voyage de ces trois navires donna des bénéfices.

Manille. — En mars 1739, Dupleix proposa à Elliot de faire un armement en commun ; sur son refus, il ne fit rien lui-même, mais il s’intéressa dans un armement qui fut préparé à Calcutta par Domingue Carvalho.

Surate, par le « Chandernagor », parti le 11 janvier 1739 et par le « Diligent ». Celui-ci avait pris un fret assez considérable notamment 1.000 mans de salpêtre et 300 milliers de fer.

Une affaire assez ennuyeuse fut terminée cette même année. Depuis quatre ans environ, les héritiers de Mamet-Ali, le plus riche commerçant de la ville, devaient des sommes assez importantes aux armateurs du « Diligent », à la Compagnie et à divers marchands et l’on désespérait de recouvrer les créances. Chandernagor n’était pas moins intéressé à une liquidation qui eut allégé les affaires, mais il n’y avait aucun moyen de se faire payer ni par force ni en recourant à la justice du pays. Cornet, qui gérait provisoirement le comptoir depuis la mort de Martin, reçut de Pondichéry le conseil d’essayer une transaction et il y réussit. Aux termes de cette transaction basée sur une réduction au marc la livre des créances de chacun, les débiteurs se trouvèrent entièrement quittes envers la Compagnie et les particuliers ; les armateurs du « Diligent » reçurent pour leur part 7.100 roupies. Cette même année, le Conseil supérieur décida d’établir à Surate un droit d’un pour cent sur l’entrée des marchandises et en attendant la ratification de la Compagnie, le Verrier, successeur définitif de Martin, fut autorisé à le percevoir.

En décembre 1738, le « Saint-Pierre », vaisseau de la Compagnie, arriva à Chandernagor avec un chargement de 1.100 piastres de cauris, presque tous pour le compte de la Bourdonnais. « Voilà, écrivit Dupleix à Godeheu le 12 janvier 1739, un sûr moyen de faire bientôt fortune sans courir de grands risques. Les vaisseaux de la Compagnie servent à transporter les effets de ce seigneur ». Dupleix n’eût pas été fâché sans doute que Godeheu se servit à l’occasion du renseignement pour éclairer la Compagnie sur les procédés de la Bourdonnais. Les critiques en l’espèce étaient d’autant plus fondées que les 1.100 piastres de cauris devaient à la vente en donner 14.143[4].


1739-1740.

Djedda, par l’ « Union ». — Le Chérif delà Mecque ayajit dans un précédent voyage exprimé le désir d’envoyer quelques présents à Iman Sahib, ministre du nabab d’Arcate, Dumas pria Dupleix de donner des ordres au capitaine du navire de recevoir à bord tous les effets qui pourraient lui être présentés.

Bassora, par la « Princesse Émilie », 180 tonnes, l’ « Aventurier », le « Diligent ».

Bendcr-Abbas, par la « Concorde ».

Djedda, par l’ « Union ».

Manille, par un bateau dont le nom ne nous est pas connu qui partit en mars 1740.

Côte Malabar, par l’ « Heureux ».

Surate, par le « Chandernagor ».

La « Rose », le « Saint-Joseph », la « Marie-Gertrude », l’ « Heureux », firent les voyages habituels de Pondichéry.


1740-1741.

Cette année, le « Diligent » et l’ « Hirondelle » revinrent de Surate, le « Chandernagor » y arriva le 3 mai ; l’ « Aventurier » y était déjà arrivé le 29 mars et en était reparti le 23 avril pour le golfe Persique ; la « Concorde » alla à Bender-Abbas.

Les sommes envoyées au Conseil supérieur pour faire le commerce des îles s’élevèrent autour de 6.000 marcs. À défaut du « Fidèle qui fut démâté par un coup de vent au large de Mazulipatam et jeté à la côte, Dupleix envoya aux îles le « Cheval Marin » qui partit du Bengale le 17 septembre 1740 avec un chargement montant à 6.143 roupies. Le Conseil supérieur fit passer de son côté un vaisseau de 500 tonnes chargé de tout ce qu’il avait pu rassembler de marchandises et provisions.


  1. Ars. 8979, p. 42.
  2. A. P., 102, p. 325.
  3. Miraillet fut tué l’année suivante à Goa dans une dispute avec un autre officier français nommé Salvan, qui était un parent éloigné du Cardinal de Fleury. Le vice-roi, après avoir étudié l’affaire, estima que Salvan s’était trouvé en état de légitime défense et lui permit de passer à Madras pour rentrer en Europe. À Madras, Salvan s’aboucha avec Dumas pour revenir par un navire français, mais il n’obtint pas de promesses suffisamment précises qu’il ne serait pas inquiété à son arrivée et il préféra passer au Bengale chez les Hollandais, qui lui assurèrent son retour jusqu’à Lisbonne où il resta. Avant son départ. Dupleix lui fit une avance personnelle de 3.000 roupies, par considération pour la personne du Cardinal. Bacquencourt était chargé de faire valoir ce service aussi adroitement que possible au tout-puissant ministre. (B. N., 8981, p. 53).
  4. B. N., 8982, p. 12, 18.