Dupleix d’après sa correspondance inédite (Hamont)/0

AVANT-PROPOS

Si tout le monde en France est familier avec les exploits des Fernand Cortez, des Pizarre, et connaît dans tous les détails l’histoire de la prise de possession du Mexique et du Pérou par les Espagnols, en revanche on n’a que de vagues notions sur la conquête de l’Inde par les Français au dix-huitième siècle ; on a oublié les figures des Bussy et des Dupleix, les deux plus grands acteurs dans cette œuvre surprenante et dramatique, véritable épopée ; tout au plus sait-on que Dupleix avait du génie. On ignore ses projets et ses moyens. On ne se doute guère que, pour arriver à la domination de l’Inde, il inventa et mit en application un système politique vaste et sûr, que les Anglais ont copié servilement et qui leur a permis de subjuguer cette agglomération de peuples musulmans et bouddhistes vivant entre l’Himalaya et le cap Comorin.

Cette figure de Dupleix m’avait attiré ; je l’entrevis en lisant les Français dans l’Inde, le remarquable ouvrage de M. Malleson, qui un des premiers a rendu justice à cet homme d’État. Je résolus bientôt d’écrire la vie de Dupleix, et je me mis à la recherche des documents.

Je lus les Mémoires pour et contre Dupleix, je recueillis ainsi des lettres précieuses. Puis je trouvai des pièces assez curieuses dans la collection relative aux colonies de l’Inde, léguée à la Bibliothèque nationale par feu M. Ariel, archiviste à Pondichéry ; elles avaient trait à la querelle de La Bourdonnais et de Dupleix. Mais tout cela était insuffisant.

Aux archives du ministère de la Marine, il devait y avoir, à mon sens, des documents d’une importance capitale, puisque Dupleix, en tant que gouverneur de Pondichéry, avait eu pour chef immédiat le ministre de ce département. Rien n’était plus logique que ce raisonnement, mais rien n’était plus faux. Je le vis bien quand, après de longues et stériles démarches de ma part, un mien ami, M. Soye, député de l’Aisne, eut obtenu pour moi de l’amiral Jaureguiberry l’autorisation de pénétrer dans ce dépôt, alors — c’était en 1878 — fermé au public. Après deux mois de travail[1], lorsque j’eus dépouillé les papiers relatifs à Dupleix et à son œuvre, je m’aperçus que parmi ceux-ci il y en avait fort peu d’inédits, et, à mon grand étonnement, je constatai que la plus grande partie de ces lettres avaient été publiées dans les Mémoires pour et contre Dupleix. Il fallait chercher ailleurs. Où pouvait être la correspondance du conquérant de l’Inde ?

D’Argenson devait avoir reçu des lettres de ce dernier ou tout au moins de quelqu’un de l’entourage. Ses papiers sont à la de l’Arsenal ; je m’y adressai, mais là encore la tâche n’était pas facile, puisqu’il n’y a pas de catalogue des manuscrits ; et je ne sais trop ce qui serait advenu sans la complaisance de M. Lorédan Larchey, qui me communiqua une pièce d’un haut intérêt. C’était le récit de la conquête du Dékan, écrit d’une plume alerte à d’Argenson par Kerjean, le neveu de Dupleix et le second de Bussy. Cela comblait une grosse lacune ; mais je n’avais pas assez de documents pour oser entreprendre d’écrire l’histoire de Dupleix.

Sur ces entrefaites, la fortune me donna connaissance de l’acte de décès d’un descendant de Dupleix, allié à la famille de Valori, qui a donné tant de loyaux serviteurs à la couronne, et arrêté à Versailles pendant la Terreur. Il avait été guillotiné dans cette ville ; ses biens avaient été confisqués, ses papiers mis sous le séquestre. La lecture de cette pièce fut pour moi un trait de lumière. Je courus à Versailles, et j’appris que les archives de la préfecture contenaient presque toute la correspondance intime, militaire et politique de Dupleix ; ces lettres si curieuses restaient là, ignorées, depuis la Révolution !

Leur importance n’avait pas échappé à M. Bertrandy Lacabane, l’érudit archiviste de la préfecture ; il écrivait dans un remarquable rapport, qui, quoiqu’il donne les renseignements les plus précieux sur les documents enfermés dans ce dépôt si riche[2], n’est pas imprimé, au grand dommage de la science historique : « Nous devons nous estimer heureux d’avoir conservé, entre autres choses, une série de registres, formant les articles 3746 à 3757, comprenant ensemble 1197 feuillets en 2394 pages in-folio. Cette série est composée des minutes de la correspondance de Dupleix, pendant la période qui va de 1750 à 1754. Elle ne saurait être dépourvue d’intérêt au point de vue de l’histoire des établissements français dans l’Inde. »

J’avais enfin dans les mains les documents suffisants pour reconstituer presque dans son entier la figure du conquérant de l’Inde. Outre les lettres de La Bourdonnais, de Duvelaer, trouvées au ministère de la Marine, la lettre de Kerjean à d’Argenson, et la foule de pièces éparses dans les mémoires, j’avais à ma disposition ces lettres, dont M. Bertrandy Lacabane avait si bien compris l’importance ! C’étaient, inscrites au catalogue :

1750. — « Karikal et autres lieux du sud de la côte de Coromandel, depuis le 24 mars 1750, jusques et y compris le 20 octobre 1750 », copie des lettres adressées de Pondichéry par Dupleix à MM. d’Autheuil, Le Riche, Ployer, de Bausset, de Larche, de la Touche, Law, Lawrence, Pradeau, de Bussy, Puymorin, Kerjean.

1751. — Copie de lettres adressées, de Pondichéry et de la Taupe, du 16 avril au 16 septembre 1751, par Dupleix à MM. de la Tour, Dautheuil, les officiers de l’armée, Brenier, Law, Isa, Dussaussay, Patté, du Rocher, Destimonville, Dumesnil, Goupil, Hoyt, Tornton, La Volonté, de Gauville, de Selvé, Véry, Le Riche.

1751-1752. — « Voyage de Golconde et Aurengabat. Lettres de l’armée, commencées le 16 janvier 1751, jusqu’au 24 mai 1752. » — Copie de lettres adressées de Pondichéry, pendant la période susindiquée, par Dupleix, à MM. de Bussy, de Kerjean, le Père Théodore, Agy-Abdoula, Mousaferkan, Vincent.

1751-1753. — « Lettres pour l’Europe, commencées le 15 octobre 1751 jusqu’au 21 octobre 1753 », adressées par Dupleix à madame de Montaran, MM. Dousset-Castanier, Choquet, de Saint-George, Brignon, Pèlerin, Prévôt de la Touche, de Montendre, de Massin, de Bonneval, Boissière, Pépin de Bellisle, de la Garde, de la Lande, madame Joly, MM. Joly, Gardancourt, le P. René de Charante, les syndics et directeurs généraux (de la Compagnie des Indes), de Montaran, de Machault, les directeurs de la Compagnie d’Angleterre, Martin de Selve, Polizy, Gayrosse, l’abbé Staffort, la Vigne-Buisson, Quentin de Lac-Métrie, Gilbert-Deschainay, de Verney, Baudran, Chailhat, Morellet, Danycan, Bouille, duc de Gesvres, duc de Noailles, duc de Béthune, de Silhouette, de Lavalette, Dupleix (son neveu), Godeheu, Nicole, Faydeau-Dumesnil, Michel, Saintard, Gilly, Gardamons, de Rabouine, Binet, duc de Richelieu, comte de Thoumone, madame de Baquencourt : quelques-unes de ces lettres sont chiffrées avec la traduction interlinéaire.

1752. — « Registre des lettres écrites aux armées commandées par MM. Law et Brenier, à commencer du 1er janvier 1752 jusques et compris le 16 juin 1752 », adressées par Dupleix à MM. Brenier, Law, Patte, Destimonville, Véry, Dumesnil, Durocher, Saint-Philippe, Hoyt, Milon, Plousquellec, Saint-Bernard, La Volonté, le sergent de Valgonde, Du Rocher de la Périgne, Murray, Dautheuil, Beauvais, LamVert, l’officier commandant à Valgonde, Le Comte. Beaucoup de ces lettres sont chiffrées avec la traduction interlinéaire.

1752. — Copie de lettres adressées, du 20 mai au 3 octobre 1752, de Pondichéry, par Dupleix, à MM. Milon, Hoyt, La Volonté, Médère, Le Comte, Saint-Philippe, Véry, Patte, Brenier, Le Gris ou Le Gros, de Saint-Germain, Bauvais, madame Médeisat, MM. de Kerjean, Dauteuil, de la Beaume, Pacaud, Dusaussay, de Glatignac, Willesme, Le Normand, Dormieux, de Mazière, de Maissin.

1752-1753. — Copie de lettres adressées de Pondichéry, du 1er mai 1752 au 10 janvier 1753, par Dupleix, à MM. le gouverneur de Madras, Sauders, Dumesnil, Cokell, Visdelou, le gouverneur du fort Saint-David, le commandant des troupes anglaises, Lawrence, Starke, Andrew Ross, d’Alton, Dermieux, Campbell.

1753. — Minute d’une lettre adressée de Pondichéry, le 16 janvier ou février 1753, par Dupleix, aux syndics et directeurs généraux de la Compagnie des Indes.

1752-1754. — « Livre des lettres écrites à l’armée de Golconde et Aurengabat, commencé en 1752, le 30 mai », et fini au 10 mars 1754. Copie de lettres adressées pendant la période susindiquée, de Pondichéry, par Dupleix, à MM. de Bussy, Dugrez, Jean-Baptiste Goupil, Vafadirkan, le R. P. Montjustin, Marière, Durocher, de Valton, Marion, de Mainville, Romikan, Villéon, de Boisseran, Beylié, le chevalier de Parthenay, de Ligny, Gadeville, les officiers de l’armée française sous les ordres de M. de Bussy, de Jainville, de Visse-de-loup, Deguerty, Maujin, de Mézière, Dioné, le marquis de Conflans ; beaucoup de ces lettres sont chiffrées avec la traduction interlinéaire.

1752-1754. — « Lettres pour Kareika et autres lieux du sud de la côte, à commencer du 27 aoust 1752 jusques et compris le 31 juillet 1754 », adressées par Dupleix à MM. Le Riche, Bonsach, R. P. Gostas, Hooremann, gouverneur de Négapatam, R. P. Tremblay, Barthélémy, Hoyt, Sivers, Thibault, l’évêque d’Halicarnasse, Roth, Beauvais, Vermont, Brouwer, de Marcenay, Zieguenbalg, Rezepatt, Vaulke.

1753-1754. — « Registre des lettres écrites de Mazulipatam, commençant le 1er janvier 1753, jusqu’au 27 juillet 1754 », et adressées par Dupleix à MM. de Maracin, Périgny, Duplan, de la Selle, Duez, de Fontenay, Panon, du Laurens, de Bussy, Berthelin, Marion, Vermont, madame veuve Rinck, R. P. Augustin, de Ligny, Le Fagueix, chevalier de Boisseran, Trémisot, Milon, Dormieux, Dillens, madame Denis, chevalier de Parthenay. Les quelques passages chiffrés qui se trouvent dans ces lettres ne sont pas traduits.

1754. — Livre de comptes, probablement de Dupleix, établi par doit et avoir pour l’année 1754. — Répertoire alphabétique des noms de personnes contenus dans ledit livre. — Liste de seize personnes, dont les noms ne se trouvent pas dans le répertoire, dont cette liste sur feuille volante pourrait être le complément.

1763-1764. — Procès-verbal de récolement et d’apposition et de levée des scellés sur les meubles et objets, mobiliers de Joseph-François Dupleix, marquis, commandeur de Saint-Louis, comte de Ferrière, ancien gouverneur de la ville et du fort de Pondichéry, dans l’Inde orientale, mort le 11 novembre 1763, dans son hôtel, rue Neuve-des-Capucines, paroisse de la Madeleine de la Ville-l'Évêque, fait à la requête de Claude-Thérèse de Châtenay de Lanty, sa veuve, en qualité de créancière de la succession, et comme tutrice naturelle d’Adélaïde-Louise-Jeanne-Joséphine, leur fille. Les vacations sont au nombre de trois cent quarante-une, et les oppositions des créanciers sont au nombre de trois cent cinquante-six.


Les plans des sièges ont été dressés d’après les plans de La Bourdonnais pour Madras, de Dupleix pour Pondichéry, de Lawrence pour Trichinapaly, qui étaient au dépôt des cartes de la marine.

On peut donc désormais établir un jugement sur les actes du gouverneur général des Indes et affirmer que Dupleix, tant calomnié autrefois, a été un martyr et un des plus grands hommes d’État du dix-huitième siècle, dans le cerveau duquel les projets pour la conquête des Indes ne flottèrent pas à l’état d’utopies et de visions, mais furent une œuvre complète, conçue par la supériorité du génie, calculée par un penseur, mûrie par un grand politique, exécutée par le plus brillant des hommes d’action.

  1. Je veux remercier d’une façon toute particulière M. de Resbèque, des Archives de la marine, l’homme aimable à qui je dois tant.
  2. Il faut espérer que l’administration fera publier un jour ce rapport.