Du vert au violet/Poème de Porcelaine

Du Vert au VioletAlphonse Lemerre, éditeur (p. 73-74).

POÈME DE PORCELAINE



Elle avait le sourire fragile et la coloration délicate de la petite bergère de Saxe qui, dans ma vitrine, joue éternellement une musique muette.

Je l’ai aimée, cette enfant au charme frêle, pendant tout un automne, — je l’aime toujours d’une mélancolique tendresse, pareille au souffle apitoyé qui soulève avec douceur les feuilles mortes.

Oh ! ses menus gestes d’une poésie raffinée, un peu précieuse !… Un soir, elle parsema de pétales de roses le seuil de notre chambre d’amour…

Je me souviens d’une nuit d’hiver, sans lune, d’une nuit d’étoiles, plus claire que le cristal et que la rosée. Les arbres fleuris de givre étaient très pâles et semblables à des ciselures d’argent. Les feuillages n’alourdissaient plus le dessin ténu des branches. Tout était blanc, tout rayonnait d’une lumière vague.

L’ombre était transparente, et je voyais dans les ténèbres.

Je voulus réveiller la vierge au charme frêle, et lui dévoiler le miracle pur du ciel et de la terre. Mais j’hésitai devant le mystère du Sommeil. Quelque chose de solennel émanait de ce corps immobile et de ces paupières closes. Elle m’apparut sacrée autant que les Mortes alanguies sous les fleurs.

Lorsqu’elle cessa de m’aimer, lorsqu’elle connut la souillure des épousailles, ce fut en moi une douleur légère et persistante… la douleur qu’on éprouve en voyant brisée une rare statuette de porcelaine.