Du vert au violet/L’Ikônoclaste

Du Vert au VioletAlphonse Lemerre, éditeur (p. 47-49).

L’IKÔNOCLASTE



Je vis un homme entrer fièrement dans l’ombre du Temple où régnaient en silence les anciens Ikônes.

Ils étaient l’emblème de toutes les férocités humaines, ils symbolisaient la haine Implacable de l’homme pour le crime dont il ne profite pas et la lâcheté de l’esprit humain devant la Présence de la Mort. Ils grimaçaient de toutes les anciennes terreurs, leurs prunelles de pierre contenaient le regard de toutes les injustices et de toutes les sévérités. Quelques-uns levaient la main, d’un geste de bénédiction hypocrite.

L’homme les contempla sans une parole, et ses yeux rayonnaient d’une fureur sacrée. Il s’avança, et, irrésistible comme le Destin, il brisa les fragiles Ikônes. Puis, arrachant un flambeau de l’autel, il brûla le Temple, et le Temple s’écroula et ne fut plus qu’un amoncellement de pierres et de cendres.

L’ikônoclaste, debout, triompha parmi les décombres fumants.

Je lui dis d’une voix indécise : « Ô Destructeur des anciennes Idoles, ton acte fut-il sage, et qu’adviendra-t-il demain, lorsque la foule, accourue pour offrir ses adorations et ses prières, ne trouvera plus qu’un autel enseveli sous un temple en ruines ?

« La foule, libérée des effrois de jadis, et trop aveugle pour s’élever à une conception supérieure du monde et des êtres, se livrera à d’abominables débauches et à d’imbéciles cruautés sur le lieu même où s’élevaient les nuages pieux de l’encens.

« Qu’as-tu fait, ô Destructeur, et ne crains-tu pas l’Aurore qui semble poindre dans l’incertitude du ciel ? »

L’ikônoclaste me regarda avec un orgueil serein, et me répondit, illuminé encore de sa victoire :

« Qu’importe ? L’instant superbe où l’homme anéantit une fausse divinité vaut mieux que le patient labeur qui enfante une œuvre mémorable.

« Lorsque, demain, la foule envahira le sanctuaire abandonné et le souillera de gestes ignobles et d’infâmes paroles, je me détruirai moi-même afin que le Rêve soit consommé. »