Du pouvoir exécutif et des assemblées législatives dans la République

Du pouvoir exécutif et des assemblées législatives dans la République
Revue des Deux Mondes, Nouvelle périodetome 6 (p. 326-352).

DU


POUVOIR EXÉCUTIF


ET


DES ASSEMBLÉES.




ŒUVRES DE LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE, 3 vol. in-8o




En théorie, la république est une forme de gouvernement dans laquelle chaque citoyen, avant de prétendre à la direction des affaires de l’état, sachant administrer les siennes et se gouverner lui-même, évite sur toutes choses de mettre à la charge de la communauté le fardeau qui doit être celui de la famille et de l’individu, et ne demande au trésor public que ce qui est rigoureusement nécessaire pour subvenir aux besoins collectifs de la société. Dans ces conditions, la république a droit d’être fière de la dignité, de l’indépendance de chacun de ses membres ; elle dure, grandit et prospère par le libre développement du travail et de l’intelligence de tous.

Ce n’est point ainsi, il faut l’avouer, que la république est comprise en France par ses adeptes. Bien loin de réduire le domaine de l’action du gouvernement pour élargir celui de la liberté individuelle, nos démocrates de profession entendent que le gouvernement pourvoie à tout, et à leurs besoins particuliers en première ligne. Tout socialiste se croit en droit de vivre aux dépens du public ; à défaut de traitement, il lui faut une récompense nationale, et l’on fait de l’aumône une dette de l’état. On sait parfaitement que chaque fois que l’autorité montre un écu à donner à titre de secours, vingt personnes capables de le gagner à la sueur de leur front se croisent les bras, ou plutôt tendent la main pour l’obtenir. On désorganise le travail sous prétexte d’organiser l’assistance publique. L’avènement des fondateurs d’un régime de frugalité se signale par les bombances de l’Hôtel-de-Ville, du ministère de l’intérieur et des préfectures envahies par les commissaires du gouvernement. Ceux qui demandent le droit au travail n’en tolèrent pas la liberté. Si un jour la république socialiste se décide à donner à la tribune nationale le programme officiel de l’avenir qu’elle nous ménage[1], son manifeste se résume en deux points. Elle réclame d’abord l’exercice du travail attrayant, comme si depuis vingt-cinq ans qu’il en est question, on avait empêché les personnes qui en ont le goût de s’y livrer entre elles, ou mis la moindre entrave à ce qu’au lieu de faire des livres et des discours qui ont quelquefois ennuyé le public, elles lui donnassent des exemples qu’il aurait suivis, s’ils avaient été bons. Il lui faut ensuite, pour la dotation de la première commune socialiste qu’elle fondera en France, — et nous n’en avons guère que 36,819 à transformer, — une étendue de douze à seize cents hectares à proximité de Paris, c’est-à-dire une valeur de 5 ou 6 millions, et de plus des frais d’établissement, qui ne peuvent pas être de moins de 3 millions. Cette commune devant être composée de 500 à 550 personnes, la dotation sera d’environ 16,000 francs par individu, et de 80,000 fr. par famille, à supposer que la famille fût conservée… Et si quelqu’un s’enquiert de ce que l’hetmann Platoff aurait pu demander de plus au congrès de Vienne pour installer dans le département de Seine-et-Oise un pulk de Cosaques du Don, on répond qu’il s’agit aujourd’hui des Cosaques de l’intérieur, que la France doit gagner assez à ce qu’ils renoncent au séjour de la ville et prennent le goût de la campagne pour ne pas lésiner sur les frais de premier établissement, que les socialistes sont une race trop précieuse à multiplier dans le pays pour que le peuple hésite à travailler pour eux ou à leur payer des contributions. Ces extravagances se débitent sur le ton d’une mendicité menaçante, et il est naturel que, lorsqu’on refuse au parti qui les proclame de lui constituer, en attendant mieux, un fief dans la forêt de Saint-Germain, il convie les paysans au partage du champ et de la vigne du voisin.

Quant aux masses à qui s’adresse ce langage, elles veulent être gouvernées, et elles en ont le droit, parce que c’est leur premier besoin une sorte de révélation intérieure leur apprend à compter sur leurs qualités, à se méfier de leurs défauts ; elles se sentent capables des plus grandes choses sous une main intelligente et ferme, des plus misérables sous une main défaillante. Semblables à ces coursiers généreux qui ne savent pas supporter un cavalier timide ou malhabile, elles s’en prennent à leur chef de toutes leurs faiblesses, de tous leurs malheurs, de tous leurs égaremens, et ce n’est pas sans quelque justice, car leurs fautes sont toujours celles des hommes qui les conduisent ; elles ne résistent jamais à de nobles exemples : soldats de Rosbach avec le prince de Soubise, des Dunes et d’Arcole avec Turenne et Bonaparte.

Un peuple impressionnable et impatient, qui est le premier du monde quand il est bien conduit, l’un des derniers quand il l’est mal ou ne l’est pas, gagne-t-il à se constituer en république ? Consolide-t-il son avenir, ou le livre-t-il à de perpétuelles incertitudes ? Assure-t-il ainsi sa félicité ou son malheur, sa grandeur ou sa décadence ? — La parole sur ces graves questions est maintenant aux événemens ; mais il est clair que, pour être autre chose qu’une série de catastrophes, la république de ce peuple doit s’approprier dans son organisation au caractère national. Une constitution qui n’introniserait que nos infirmités et nos mauvaises passions ne garantirait que notre perte. On a vu de mauvaises lois faire périr des nationalités. Ce n’est pas seulement la Russie, la Prusse et l’Autriche qui ont effacé la Pologne de la liste des nations : c’est le liberum veto qu’elle avait inscrit dans sa charte, et, quoique la France ne puisse périr que de ses propres mains, la persévérance dans les malentendus dont elle souffre suffirait à la pousser vers l’abîme.

Ces malentendus n’auront qu’un temps. À moins que nous ne soyons un peuple définitivement condamné par les décrets de la Providence, ils ne résisteront ni à la logique naturelle qui domine nos esprits et règne dans notre langue, ni à notre impuissance de vivre de longs jours dans le désordre. La nation a déjà montré, à la vérité, sans beaucoup d’esprit de suite et sans avoir la bonne fortune d’être parfaitement comprise, dans quelle voie il lui convenait de marcher. Qu’on sache discerner nos besoins et nos tendances, gouverner avec le vent, bien qu’il soit quelquefois mauvais, et nous arriverons au port, sans doute avec peine, mais infailliblement.

Que pouvait faire la nation au mois de février 1848, lorsqu’au milieu d’une crise qui, sous une main ferme, aurait marqué la fin d’une vieille maladie latente, la monarchie désertait la lutte ? Elle accepta, faute de mieux, la république ; mais celle-ci avait de rudes ennemis dans les républicains : ils la desservirent à qui mieux mieux pendant dix mois ; la plénitude des pouvoirs remis entre leurs mains ne servit qu’à faire ressortir leur nullité. Vint le mois de décembre. L’expérience qui venait de se faire ne fut pas perdue. Au lieu d’une présidence qui fût la vassale d’une coterie, la nation en voulut une qui fût pour tout le monde : elle sentait surtout vivement le vide et le danger d’institutions qui, mettant périodiquement tout son avenir en question, faisaient passer à l’état chronique l’instabilité maladive à laquelle elle n’est que trop malheureusement disposée ; elle se souvenait enfin d’avoir été guérie de maux analogues cinquante ans auparavant. Le nom de Napoléon devint donc un programme ; le reflet en fut pris pour l’aurore du rétablissement de l’ordre et du rapprochement des partis : l’empereur fût le grand électeur, et cette légitimité de par le peuple, jadis abattue sous les efforts de l’Europe coalisée, se releva dans les cœurs de six millions d’hommes, comme une protestation contre le présent et un appel aux souvenirs du passé.

Cette élection ne pouvait pas être prise pour un assentiment donné aux travaux et aux vœux de l’assemblée constituante. Celle-ci se méprenait si peu sur les dispositions du pays, qu’elle se gardait de soumettre à son acceptation la constitution de 1848, comme on avait fait pour celles de la première république, du consulat, de l’empire et des cent jours, et elle s’était fait une tâche de témoigner son éloignement au nouvel élit. Le suffrage universel n’avait pas non plus poussé un cri de guerre. Ce qu’il invoquait, c’était le principe d’autorité si fermement consacré par Napoléon, et la popularité posthume de ce grand nom était l’expression de la volonté bien arrêtée de se voir gouverné. C’était là ce que devaient étudier et comprendre, dès la veille du 10 décembre, tous les hommes appelés à prendre part aux affaires du pays. Celui de tous dont la manière d’envisager la politique de Napoléon nous importe le plus a publié trois volumes, qui empruntent un intérêt particulier à la position qui le met à même de réaliser aujourd’hui une partie de ses vues. Institutions politiques, administration intérieure, organisation militaire, agriculture, commerce, finances, relations extérieures, tout a été pour le prince Louis-Napoléon un sujet de méditations, et nos affaires ont été, pendant son exil et sa captivité, le constant objet de ses préoccupations. Il n’est pas permis à tout le monde de dédaigner les inconvéniens attachés à l’habitude d’écrire souvent, et des esprits chagrins découvriraient sans beaucoup de peine dans ces volumes des idées et des systèmes dont l’application conduirait à des résultats fort différens de ceux qu’il s’agit aujourd’hui d’atteindre. Heureusement les faits n’ont pas tardé à commenter les textes de manière à ne laisser place à aucune équivoque. Le contact des grandes affaires, l’exercice du pouvoir, tout en élargissant la part de certaines infirmités de notre nature, manquent rarement de ramener au vrai les esprits justes et les cœurs droits : on découvre, en s’élevant, des causes et des effets qu’on n’apercevait pas du milieu de la foule ; l’horizon s’éclaircit et s’étend ; en distinguant le but de certaines routes, on s’en explique le tracé ; on apprend la vanité de la critique, la valeur et les difficultés de l’action ; on fait même parfois avec réflexion ce qu’on avait blâmé chez les autres avec le plus d’amertume, et heureux qui, sentant chanceler sous ses pieds les bases du pouvoir et de la société, sait alors faire un noble retour sur lui-même et revenir à Ham pour juger la tentative de Boulogne !

Parmi beaucoup d’observations judicieuses, de faits intéressans relatifs au régime impérial, le but principal de l’illustre écrivain a été de montrer que la politique dont il se croyait l’interprète le plus légitime, alors qu’il lui était interdit d’en être le continuateur, pouvait seule assurer à la nation la plénitude et la stabilité de ces institutions représentatives qu’elle poursuit avec ardeur quand elles lui sont contestées, et dans les vraies limites desquelles elle ne sait pas se tenir quand elle les possède, toujours prête à se rejeter en-deçà ou au-delà ; il s’est efforcé d’ajouter à l’auréole de l’empereur Napoléon la popularité due à un réformateur libéral, auquel il n’aurait manqué que du temps pour réaliser ses projets.

Non, quoi qu’il ait pu dire lui-même à Sainte-Hélène, dans des momens de regret ou d’espoir où sa grande ame se laissait aller à je ne sais quel besoin de l’approbation lointaine de son siècle ; non, Napoléon n’a jamais ambitionné la facile gloire dont se sont un moment bercés la reine Christine en Espagne, le pape Pie IX le roi Charles-Albert, le grand-duc Léopold en Italie, le roi de Prusse et plusieurs petits souverains en Allemagne. Il voyait plus loin et plus juste qu’eux tous ; il voulait et pouvait mieux. D’abord, il croyait peu aux vertus, à l’aptitude des assemblées politiques, et moins encore à la confiance du peuple français en elles ; puis, il pensait représenter ce peuple à beaucoup plus juste titre que des députés d’arrondissemens, et il faut avouer que l’histoire dont il a été le héros donnait au moins des prétextes spécieux à cette prétention. Il avait vu l’assemblée constituante malgré l’immensité de ses travaux, l’assemblée législative malgré sa courte durée, la convention malgré les flots de sang versés et l’indépendance du pays sauvée sous son règne, tomber sous l’indifférence ou l’exécration de la nation ; le souffle dont il avait renversé au 18 brumaire les conseils créés par la constitution de l’an III avait mis à nu devant lui le peu de profondeur de leurs racines. Lorsque, saisissant le timon des affaires, il avait fait l’inventaire des résultats du gouvernement des assemblées, son cœur s’était soulevé de colère et de mépris ; les finances désorganisées, l’armée sans solde et sans pain, la Vendée, l’Anjou, la Bretagne en proie à la guerre civile, le brigandage organisé sur les routes du midi, Lyon en ruines, la corruption et la vénalité maîtresses du gouvernement, la f rance enfin près de succomber comme une place démantelée et dépourvue sous une nouvelle coalition : tel était, après neuf années de guerres glorieuses, l’héritage des pouvoirs constitués par la convention. Il fit taire les assemblées, leur donna ses volontés à enregistrer, et répara sans leurs conseils les maux qu’elles avaient faits ou tolérés. Le régime électif avait divisé chaque département, chaque district, chaque canton, chaque commune en factions méprisables qui s’entre-déchiraient ; il fut remplacé à tous les degrés de la hiérarchie administrative par le régime du choix[2], et la réconciliation générale s’opéra dès que les comices furent fermés. La sécurité, l’ordre, la prospérité, succédèrent à l’inquiétude, au pillage, à la ruine ; le pays crut ne connaître la liberté que depuis qu’on ne lui en parlait plus, et si la forme républicaine est autre chose qu’un cadre ouvert pour l’intronisation de toutes les médiocrités tapageuses d’un pays, si son but le plus élevé est de faire découler de la prééminence des intérêts généraux le bonheur des individus et des familles, la république du consulat fut la plus vraie qu’eût jamais contemplée le monde. Le contraste entre la désorganisation à laquelle avaient présidé les assemblées et l’œuvre réparatrice d’une administration vigoureuse montra de quel côté la France avait à chercher l’ordre et la force. Plus tard, l’excès des complaisances des assemblées ne dut pas donner à Napoléon une grande idée de leur valeur ; il les traita toujours en conséquence, et ne pensa jamais à les relever de l’état de défaillance où elles semblaient se complaire. « Il est nécessaire, leur faisait-il dire dans l’exposé des motifs de la loi de finances du 20 mars 1813, que les députés de toutes les parties de l’empire viennent TOUS LES TROIS ANS recevoir dans cette capitale les comptes des deniers publics… » Ainsi se réunir de trois en trois ans, entendre plutôt que recevoir des comptes, voilà, les codes étant promulgués et les institutions de l’empire organisées, à quoi devait désormais se réduire l’intervention de la législature. Le 11 novembre suivant, à la veille de la convoquer, il montrait à quel point il entendait se passer d’elle, en ordonnant par un simple décret l’addition de 30 centimes aux contributions foncière et des portes et fenêtres, de 20 centimes par kilogramme aux droits sur le sel, le doublement de la contribution personnelle et mobilière, et la pensée de protester contre cette usurpation de pouvoir ne venait à aucun sénateur, à aucun député, à aucun contribuable. Presque au même instant il faisait, sous un prétexte frivole[3], proroger pour la seconde fois par le sénat les pouvoirs expirés depuis plus d’un an de toute une série du corps législatif [4], et il ôtait à cette assemblée jusqu’au droit d’être présidée par un de ses membres. « Jusqu’ici, disaient au sénat les orateurs du gouvernement, sa majesté choisissait entre cinq candidats que le corps législatif avait présentés ; mais il peut arriver que les hommes portés sur cette liste, quelque honorables et distingués qu’ils soient par leurs lumières, n’aient jamais été connus de l’empereur. Comme une des prérogatives du corps législatif est de pouvoir parvenir directement jusqu’au souverain par l’organe du président, il a paru, pour que les communications pussent être plus utiles à la chose et spécialement au corps législatif, qu’il était convenable que le président se trouvât déjà connu de l’empereur. De cette manière, le corps législatif et chacun de ses membres seront assurés de trouver dans son président un intermédiaire, un guide, un appui. Il est d’ailleurs dans le palais des étiquettes, des formes qu’il est convenable de ménager, et qui, faute d’être bien connues, peuvent donner lieu à des méprises, à des lenteurs que les corps interprètent toujours mal. Cela est évité par la mesure que nous proposons… » Et trois jours après avoir reçu cette communication, le sénat conférait à l’empereur le choix absolu du président du corps législatif[5]. Tout cela se faisait très sérieusement, était accepté de même, et, plus soucieuse des résultats que des formes, la nation voyait passer sans s’émouvoir des actes qui nous semblent aujourd’hui être d’un autre siècle. Ces actes sont l’expression des idées de Napoléon sur la part à faire aux assemblées dans le gouvernement, et le peuple français n’a pas pour cela maudit sa mémoire. Si le poids de l’impôt et de la conscription arrachait quelques cris de douleur, ce n’était point aux assemblées, personne n’y pensait, mais à l’empereur lui-même qu’ils s’adressaient, et tout, jusqu’aux plaintes dirigées contre lui, l’autorisait à se croire le véritable représentant de la France.

Deux ans plus tard, le désastre de Waterloo le mit aux prises avec les réalités du gouvernement parlementaire : sa main cherchait un appui ; elle ne rencontra que des épines. Il n’avait qu’une affaire, repousser l’ennemi ; la chambre des représentans en avait une autre : elle refaisait la constitution, et nos Grecs du Bas-Empire, parce qu’ils discouraient encore à la tribune quand les baïonnettes étrangères couronnaient les hauteurs de Montmartre, se comparaient aux sénateurs de Rome attendant les Gaulois sur leurs chaises curules. L’assemblée elle-même n’omit pas une seule des fautes qui pouvaient favoriser les desseins de l’ennemi, et ne vit dans la tempête qu’une occasion de jeter le pilote à la mer. Un antagonisme ainsi placé était-il propre à faire revenir Napoléon de l’opinion que le régime parlementaire était hors d’état de soutenir chez nous l’épreuve d’une guerre sérieuse ? Ne prêtons donc pas à Napoléon des sentimens qui n’ont jamais été les siens ; on l’amoindrirait en substituant une grandeur d’emprunt à celle qui fut une émanation de sa nature et qui lui appartient sans partage. Non ; quand il concentrait tous les pouvoirs entre ses mains, ce n’était pas avec l’arrière-pensée de s’en dépouiller plus tard. La soif du pouvoir et l’amour du pays se confondaient dans tout son être. « Messieurs, vous avez un maître, dit Sieyès en sortant, le 19 brumaire, de la première séance de la commission consulaire exécutive : le général Bonaparte veut tout faire, sait tout faire et peut tout faire. » Ce mot peint l’homme tout entier. Le trait le plus persistant de son caractère était en effet un insatiable besoin de savoir et d’agir, heureux si ce besoin ne l’eût jamais poussé au-delà des bornes de la justice et de la prudence ! Les lenteurs et les contrariétés d’un régime où la discussion a moins pour but la manifestation de la vérité que la dépréciation des personnes, où la parole a l’avantage sur l’action, n’allaient pas à ce cœur impétueux : nul n’est maître d’agir contre son tempérament, et le sien l’éloignait du gouvernement parlementaire, qui, selon lui, n’ouvrait de champ vaste qu’à nos défauts. Qu’avec ces penchans et ces opinions Napoléon ait sérieusement songé à fonder l’avenir de la patrie sur un état de choses pour lequel il avait si peu d’estime, qu’il ait voulu couronner sa carrière par une contradiction, cela n’est ni vrai ni vraisemblable.

Ses convictions, son bonheur, sa gloire, furent ailleurs. Pour assurer l’égalité civile dans la société, il fit le code civil ; pour satisfaire aux besoins collectifs de cette même société et constituer fortement l’état, il fit l’organisation administrative de l’an VIII. Ce fut pour lui la consolidation des principes et des résultats de la révolution, et les faits prouvent combien ces institutions sont plus profondément enracinées dans notre pays qu’aucun établissement parlementaire.

Il n’est princes, tribuns, assemblées, si médiocres qu’ils soient, qui, à la condition de ne tenir compte ni du génie particulier des races, ni de la disposition des territoires, ni de la pression des événemens, ne soient bons à jeter sur le papier des constitutions politiques : on en voit traîner partout les patrons, Italiens, Espagnols, Allemands, Français, nous n’avons qu’à nous baisser pour les ramasser ; mais doter un pays aussi profondément bouleversé que l’était la France en 1799 d’une organisation qui lui fasse immédiatement reprendre son assiette, qui, en quatorze années de guerres continues, reconstitue ses finances, rétablisse son agriculture, fonde son industrie, qui résiste à deux invasions du territoire, à trois grandes révolutions, ce fut l’œuvre de Napoléon, et nul autre que lui ne pouvait y suffire. Cette organisation est seule restée debout, quand tout le reste tombait pêle-mêle autour d’elle. De quoi vivons-nous encore aujourd’hui, si ce n’est de ce qui en reste ? Où sont, si ce n’est en elle, l’ordre intérieur et la force extérieure de la France ? Aussi, malgré les préjugés et les haines des partis, tout ce qu’il y a eu de sensé parmi les partisans ou les adversaires les plus déclarés de la révolution l’a religieusement conservée, et si la catastrophe de février est l’avant-coureur de quelque grand châtiment, c’est en revenant à cette organisation puissante que notre pays se relèvera encore une fois dans le silence et le travail.

Le caractère de Napoléon était d’ailleurs tout d’une pièce ; ses défauts ont été l’exagération de ses grandes qualités, et jamais esprit ne fut plus conséquent que le sien. Il avait construit la machine administrative à son image, une et complète. Chaque rouage y était le moteur ou le complément indispensable de celui auquel il s’adaptait ; tout frottement inutile en était exclu. L’impulsion donnée descendait sans secousses et sans détours du cabinet des ministres aux dernières fractions du territoire, et la responsabilité établie à tous les degrés de la hiérarchie reportait au point de départ les résultats de l’élaboration prescrite. La machine ne manquait cependant pas de modérateurs le conseil d’état, les conseils généraux, les conseils municipaux, en éclairaient la marche, en adoucissaient les mouvemens ; conseils, à la vérité, non élus, mais choisis parmi les plus dignes ; subordonnés à la pensée qui dirigeait l’état, mais affranchis des servitudes d’une popularité de mauvais aloi ; n’ayant d’autorité que celle de la sagesse de leurs avis, mais toujours écoutés avec déférence dans les limites de leurs attributions. Napoléon n’écartait aucune lumière ; mais n’acceptait aucune entrave. L’homme qui savait marcher si droit à son but ne pouvait pas avoir la pensée d’engrener l’une dans l’autre deux machines aussi discordantes dans leurs principes et leurs effets que le sont l’organisation administrative si bien adaptée à notre position territoriale, au génie de notre race, et le régime parlementaire ; issu des caractères particuliers de la nation britannique. Quoi ! il aurait voulu l’unité partout, excepté dans l’essence même du gouvernement ! Il aurait cru établir l’équilibre en mettant aux prises des institutions exclusives les unes des autres ! Il aurait sacrifié la passion, l’expérience et la gloire de toute sa vie aux préoccupations d’une nouvelle école historique !… Pour entrer dans un ordre d’idées si contraires à sa nature, il aurait fallu qu’il cessât d’être Napoléon.

Dans toute sa carrière politique, sa franchise sur ses idées de gouvernement fut irréprochable. Il ne donna jamais à entendre, dans aucun de ses actes, qu’il comptât sur les assemblées pour diriger ou satisfaire le pays ; elles ne sont pas nommées, elles ne sont pas même l’objet d’une allusion dans le programme de gouvernement qu’il adressait au peuple français le jour de sa prise de possession du pouvoir consulaire (4 nivôse an VIII). Il croyait davantage à l’utilité des conseils administratifs, qui, étrangers à la politique générale, sont en contact immédiat avec les intérêts locaux dont ils sont les organes : il voulait qu’on tînt grand compte de leurs avis ; il se plaisait à leur témoigner de la déférence. Un préfet de la Côte-d’Or ayant méconnu, dans ses relations avec le corps municipal du chef-lieu, cette règle de conduite, l’empereur écrivait, le 26 avril 1806, au ministre de l’intérieur :

« La subordination civile n’est point aveugle et absolue ; elle admet des raisonnemens et des observations, quelle que puisse être la hiérarchie des autorités. Les préfets ne sont que trop enclins à un gouvernement tranchant, contraire à mes principes et à l’esprit de l’organisation administrative. Je désire que vous témoigniez mon mécontentement au préfet de ce qu’il n’a pas usé envers la ville de Dijon de la considération et de l’aménité qu’il est dans mon intention que les préfets manifestent dans leurs rapports avec les communes. Un administrateur habile aurait profité de cette occasion (l’installation de la mairie de Dijon) pour parler aux notables d’une ville, exciter leur attachement à l’état et donner de la considération à des places si importantes. »

Mais, tout en restant fidèle à ce sentiment affectueux, il n’en réprimait pas moins sévèrement toute excursion faite par ces conseils hors du cercle de leurs attributions. Ainsi, le conseil-général de la Haute-Garonne ayant entrepris dans sa session de 1807 une critique du système d’impôt, et établi entre les anciens états de Languedoc et les conseils des départemens une comparaison empreinte de regrets ridicules, l’empereur demanda de Milan, le 17 décembre, un rapport spécial sur ce cahier de demandes, et, après avoir entendu le ministre de l’intérieur, il dicta la note suivante :

« 6 janvier 1808.

« On peut, à propos du procès-verbal du conseil-général de la Haute-Garonne, faire une circulaire pour prévenir des écarts aussi inconvenans.

« On dirait que, parmi les procès-verbaux des conseils-généraux, il en est plusieurs qui n’ont pas pu être mis sous les yeux de sa majesté, parce qu’elle aurait vu avec peine que ces conseils fussent sortis des bornes dans lesquelles ils doivent se renfermer.

« Les conseils-généraux ne sont point institués pour donner leur avis sur les lois et sur les décrets. Ce n’est pas là le but de leur réunion. On n’a ni le besoin, ni la volonté de leur demander des conseils.

« Ils ne sont et ne peuvent être que des conseils d’administration. Dans cette qualité, leurs devoirs se bornent à faire connaître comment les lois et les décrets sont exécutés dans leurs départemens. Ils sont autorisés à représenter les abus qui les frappent, soit dans les détails de l’administration particulière des départemens, soit dans la conduite des administrateurs ; mais ils ne doivent le faire qu’en considérant ce qui est ordonné par les lois ou par les décrets, comme étant le mieux possible.

« Un homme qui sort de la vie privée pour venir passer trois ou quatre jours au chef-lieu de son département fait une chose également inconvenante et ridicule lorsqu’il se mêle de comparer ce qui existe en vertu des lois de l’administration générale actuelle avec ce qui existait dans un autre temps, et qu’à la faveur de quelques observations utiles sur l’administration particulière de son département, il se permet des observations critiques et incohérentes. Lorsqu’ils s’érigent ainsi en petits législateurs ; qu’ils s’immiscent dans les choses dont ils ne sont pas chargés et dont l’administration générale ne les a pas appelés à s’occuper, les conseils-généraux ôtent tout crédit à leurs procès-verbaux.

« Les conseils-généraux doivent, comme tous les citoyens, obéir à la loi sans discussion.

« Un conseil-général de département qui discute les inconvéniens ou les avantages de ce qui existe fait une chose aussi déplacée qu’une cour d’appel qui, au lieu de rendre la justice et d’appliquer la loi, perdrait son temps à la discuter et à en proposer une autre. Cette irrévérence qui égarerait le tribunal le rendrait d’abord ridicule, et serait bien près de le rendre criminel.

« Sans doute, il a été des temps où la confusion de toutes les idées, la faiblesse extraordinaire de l’administration générale, les intrigues qui l’agitaient, firent penser à beaucoup de citoyens isolés qu’ils étaient plus sages que ceux qui les gouvernaient et qu’ils avaient plus de capacité pour les affaires. Ce temps n’est plus. L’empereur n’écoute personne que dans la sphère des attributions respectives ; il entend que les tribunaux rendent la justice sans discuter la loi et que les conseils-généraux ne s’occupent pas d’autre chose que de ce qui est relatif à la manière dont les lois et les décrets sont exécutés dans les départemens. »


Tels étaient les rôles qu’il assignait aux assemblées des divers degrés, et son langage dans la vie privée fut toujours à cet égard conforme à son langage officiel. J’ai sous les yeux, écrit de la main d’un de ses ministres, sous l’impression immédiate de sa parole, le résumé d’une conversation où il exprimait lui-même ses sentimens aux divers degrés de son existence. Quoique la politique y tienne une grande place, le régime parlementaire n’y est ni admis, ni repoussé ; il ne fait entrer nulle part en ligne de compte ni les forces que peuvent prêter les assemblées, ni les obstacles qu’elles peuvent susciter ; il ne pense à elles en aucune circonstance, ou plutôt il semble les ignorer. Voici ce document curieux à plus d’un titre.


« Soirée du 24 avril 1812 à Saint-Cloud.

« L’empereur a causé environ trois quarts d’heure avec le duc de Cadore, le comte de Ségur et moi. La conversation avait pour objet la marche providentielle de sa haute fortune.

« Il a eu la passion de s’instruire dès l’âge le plus tendre.

« A treize ans, il a cessé de prendre part aux récréations : il en consacrait tout le temps à des études particulières.

« Il avait peu le goût des langues. Le latin, l’allemand, qu’on voulait lui apprendre, n’allaient point à son appétit dévorant ; il les négligeait. Il préférait les mathématiques, et, dans les distributions de prix, il a toujours eu les premières couronnes en cette partie. Un vieil officier allemand, chargé d’apprendre cette langue aux élèves, voyant que le jeune Bonaparte avait les prix de mathématiques sans faire de progrès en allemand, dit un jour devant lui : « Je savais bien que l’on pouvait l’emporter dans les mathématiques, quoique l’on fût bête. »

« Il avait aussi beaucoup de goût pour l’histoire : il regrettait de la voir presque toujours bornée aux affaires militaires et aux intérêts des familles régnantes.

« Le style de Rousseau, sa chaleur, ses idées, lui plaisaient. À vingt ans, il a commencé à n’en faire aucun cas et à lui préférer Voltaire. Sa mémoire a toujours été très active pour tout ce qui était instruction réelle ; il n’a jamais retenu facilement les vers.

« Sorti de l’école, il a eu, dès le premier moment et quoique dans les grades inférieurs, la distinction que donnent des connaissances étendues. La mode était alors de parler de tout, excepté de son métier. Il était plus en état que ses camarades de paraître avec avantage dans la société ; il était dès-lors considéré comme le plus instruit. Bientôt après il fut appelé au conseil militaire et y lit des rapports sur toutes les questions importantes.

« A vingt-trois ans, ce fut lui qui conduisit le siége de Toulon, et ce fut à lui seul qu’on dut la prise de cette place.

« A vingt-quatre ans, il fit sa première campagne d’Italie. Jusqu’alors il n’avait point le sentiment de sa grandeur future : il se sentait seulement appelé aux premières dignités militaires.

« Ce ne fut qu’après la bataille de Lodi (1796) que le tableau de ce qui se passait en France et dans les états voisins fixa toutes ses idées sur la politique. Dès-lors j’entrai en malice vis-à-vis du directoire, a dit l’empereur, c’est-à-dire que je fis à part mes combinaisons politiques, et que je me sentis le courage et les moyens de relever la France de l’abîme où elle s’enfonçait de plus en plus.

« Lorsqu’il revint d’Italie à Paris, il vit que les affaires n’étaient point encore arrivées au point de détérioration nécessaire pour que l’opinion générale lui donnât assez de force. Des membres du directoire, et notamment l’abbé Sieyès, le pressaient de prendre avec eux part à la direction des affaires. Les lumières ne suffisent point à qui n’a point la force : il se fût exposé à être victime de la première conspiration sans moyen de la prévenir ou de la punir. Il voulut, d’une part, que l’on éprouvât dans les événemens de la guerre les effets de son absence, et, de l’autre, que cette absence eût pour effet de tenir les imaginations en éveil par ce vif intérêt qu’inspirent les grands projets. L’Égypte était le pays des grands souvenirs et des grandes spéculations : il demanda et fit adopter l’expédition d’Égypte. Il ne fût point allé en Amérique. Jusqu’à son départ, il se tint le plus possible dans la retraite, se mêlant avec l’Institut, s’occupant de sciences, travaillant à rendre aussi sous ce rapport son voyage intéressant. L’impression qu’ont faite en Europe et en Asie ses campagnes d’Égypte n’est point effacée.

« Pendant ce temps, ce qu’il avait prévu est arrivé. Les affaires publiques, militaires et civiles avaient été au plus mal : sa réputation s’était agrandie au point que la voix de toutes les classes le proclamait d’avance le seul homme qui pût prévenir les calamités incalculables qui devenaient de jour en jour plus imminentes. Il fut reçu à son débarquement d’Égypte avec plus d’enthousiasme que ne le fut saint Louis au retour de son premier voyage de la terre sainte. Il eut dès-lors le sentiment que le directoire serait sans force et sans moyens contre lui, et il ne s’occupa que de prévenir les secousses de la révolution qui devait s’accomplir.

« À vingt-neuf ans, il fut, sous le titre de premier consul, souverain de la France. Nul autre que lui n’a été demandé et proclamé pour chef par les vœux exprimés à la suite de trois appels successifs adressés à tous les individus de la nation entière.

« Il attribue sa grande fortune à ses excellentes études et à son ardeur toujours invariable pour le travail. C’est ainsi qu’il s’est habitué à se pénétrer rapidement des idées qu’on lui présente et à en saisir les divers rapports. »

Étranges contradictions !… Nous passions pour avoir fait la révolution de 1789 afin de conquérir le gouvernement des assemblées, et dix ans après Napoléon le renverse, aux acclamations de la nation entière. — Il tombe en 1814 ; la France, a-t-on dit, se donne à d’autres en échange de la charte, et dix mois ne se sont pas écoulés que celui dont la vie et la gloire sont la négation même du gouvernement représentatif la reprend en marchant, seul et désarmé, de Cannes sur Paris. — Cette grande destinée s’engloutit dans les champs de Waterloo ; nous nous consolons, dans la pratique de la liberté, de la perte de nos grandeurs, et quand nous nous sommes imbus durant quinze années du dogme constitutionnel de la responsabilité exclusive des ministres, nous chassons, au cri de vive la Charte, le roi dont cette charte consacrait l’inviolabilité. — Les chambres font un autre roi : cette fois elles règnent, rien ne se fait que par les majorités, et, sur une surprise machinée par quelques escamoteurs, le pays laisse aller ses chambres avec le reste. — La république est proclamée… Voyez, à ce qu’elle fait en dix mois de ses fondateurs, le gré qu’elle leur savait de son avènement. — L’universalité des citoyens délègue cependant ses pouvoirs à une assemblée de 900 membres : jamais souveraineté nationale ne fut constituée d’une manière plus directe, et, à peine installée, l’assemblée a, dans son 15 mai, le pendant des 5 et 6 octobre de la royauté de Louis XVI. Cinq semaines se passent, et cette souveraineté est assaillie à main armée, et les républicains de la veille marchent contre les représentans du peuple à travers le sang et les flammes. — Enfin, il faut un chef au pouvoir exécutif : un nom, ce n’était pas alors autre chose, luit à l’horizon ; banni ou captif, celui qui le porte n’a été en contact dans le pays avec aucun homme, avec aucune affaire ; sa seule recommandation est d’être l’héritier de celui qui réorganisa tout, qui vivifia tout, mais qui fut le héros du 18 brumaire, qui, pendant quinze ans, imposa silence au sénat, à la législature, à la presse… et le peuple se précipite à sa rencontre.

Voilà les faits. — Quelles conséquences faut-il en tirer ?

Si l’état est réellement constitué, comment expliquer ces désordres intérieurs qui le bouleversent périodiquement par les mains des minorités ? Que veulent dire ces oscillations déréglées et ces retours impétueux vers ce qui paraissait le plus définitivement abandonné ? Les constitutions politiques ressembleraient-elles à ces procédés de culture qui ruinent quiconque les transporte sans tenir compte des différences latentes des terrains ? Tiendrions-nous des Gaulois, nos aïeux, plus que des Anglo-Saxons, nos voisins, ou des Anglo-Américains, nos amis ? Le régime parlementaire, dont nous avons emprunté les formes et le langage à un peuple avec lequel nous avons peu d’affinité, conviendrait-il moins à notre caractère national que ne l’ont cru tant de nobles esprits et de patriotes sincères, et Montesquieu, lorsqu’il nous conseillait de le laisser à la Grande-Bretagne[6], aurait-il eu raison contre eux ? Les assemblées souveraines s’useraient-elles parmi nous encore plus rapidement que les hommes ? Les grandes choses qu’a su nous faire faire Napoléon à la guerre et dans la paix et les sympathies qui lui survivent, indiqueraient-elles que, de tous nos législateurs, il est celui qui a le mieux connu les secrets de la force et de la faiblesse de notre nation, et dont, en un mot, la fibre a le mieux répondu à la nôtre ? Questions redoutables, que soulèvent devant nous les vicissitudes du passé et les ténèbres de l’avenir, dont il est aussi difficile de sonder les profondeurs que de conjurer l’importunité, et qui se résument en celle-ci en serions-nous encore à chercher notre véritable assiette politique, ou l’aurions-nous par hasard traversée et perdue ?

Le nombre et la diversité des constitutions dont nous avons joui depuis le 23 juin 1789, les procédés employés, soit pour les faire, soit pour les défaire, autorisent à ce sujet une grande liberté d’opinions, et l’application du calcul des probabilités à la durée de la constitution de 1848 ne ferait que rendre plus confuse la perspective de l’avenir. Cependant, quelles qu’aient été les erreurs, les fautes, l’impuissance et l’impopularité des assemblées, quelque peu de rancune que les Français aient gardé à Napoléon de la manière dont il les a traités, bien fou serait qui conseillerait aujourd’hui d’en user avec elles comme il le fit. Les poids sont changés dans les deux plateaux de la balance. Bien des assemblées pourront encore se discréditer et se dissoudre ; pourtant les mauvaises applications qui seront faites du principe de la représentation ne sont pas près de l’étouffer. Sous une forme ou sous une autre, les institutions parlementaires seront long-temps la garantie de la durée ou f instrument de la ruine du pouvoir exécutif, et leur destinée mutuelle sera de se sauver ou de se perdre ensemble ; mais cette communauté d’avenir, si pleine à la fois de force et de dangers, impose à celui des deux pouvoirs qui est le plus en état de conduire l’autre l’obligation d’un rare mélange de déférence et de fermeté, de hardiesse et de prudence, de circonspection et d’activité, et il serait triste que les expériences qui se sont faites sur ce sujet depuis vingt ans fussent perdues pour le régime actuel. C’est à nous tous qui avons servi la monarchie constitutionnelle avec loyauté, dont les respects accompagnent dans l’exil la noble famille qui en occupait le faîte, qui ne dissimulons pas plus aujourd’hui nos regrets que nous n’avons naguère dissimulé nos inquiétudes, c’est à nous tous qui avons touché aux affaires de dire à notre pays comment s’est formé l’orage, comment les ressorts de l’autorité se sont affaiblis au point de fléchir sous le péril d’une seule journée, et de lui montrer sur quels écueils nous nous sommes brisés. L’exposé sincère de nos fautes sera plus instructif et plus utile que celui de nos succès, et ce serait une bien puérile vanité que celle qui s’obstinerait à vouloir tout justifier dans le passé, jusqu’aux erreurs qui nous ont conduits à la catastrophe de février. Quoi qu’en ait dit le grand Corneille, le destin des états ne dépend d’un moment que lorsque toute la constitution en est altérée, et plus l’attaque sous laquelle ils succombent est méprisable, plus elle accuse la désorganisation du pouvoir.

Peu d’histoires seraient plus fécondes en enseignemens que celle de l’établissement, des prospérités et de la chute de la monarchie de 1830 ; on y verrait les germes de la catastrophe qui en a marqué la fin naître du sein même de l’événement qui la constituait, grandir couvés par ceux dont la charge était de les arracher, se développer par la connivence du gouvernement, et se retourner enfin contre lui pour l’abattre. La suprématie politique exercée de fait, à l’exclusion de trente-cinq millions de Français, par la garde nationale de Paris tiendrait dans cette histoire une place importante : corps armé de baïonnettes inintelligentes, inutile dans les temps calmes, dangereux dans les temps d’orage ; délibérant à côté des pouvoirs nationaux, parfois contre eux, et paralysant trop souvent par ses divisions ou son inertie les forces vives du pays. Cette histoire ferait aussi ressortir par leurs résultats les vices d’un système d’éducation qui, léguant chaque année à la société dix fois plus de latinistes ou de philosophes qu’elle ne peut en occuper, fait, pour quelques hommes utiles, ces multitudes de demi-savans, dans lesquelles tant de malheureux deviennent mécontens et tant de mécontens coupables ; elle montrerait l’administration organisant elle-même, par la mauvaise application du principe salutaire qui lui confie la haute direction de l’enseignement, l’abandon des professions laborieuses, et grevant l’avenir de prétentions qu’à défaut du budget, les révolutions devront défrayer.

Toutefois, si l’on sonde avec fermeté les causes de l’affaiblissement progressif du gouvernement du roi Louis-Philippe, on n’en découvrira pas de plus puissante que l’excès de ses condescendances pour le régime parlementaire et l’abandon fait à la chambre des députés des influences que le bien du pays commandait à la couronne de garder. Ce prince a souvent été accusé d’avoir prétendu faire au pouvoir exécutif une trop grande part dans le gouvernement. Plût à Dieu, pour nous et pour lui, qu’il eût mérité ce reproche ! La France comprend mal, elle l’a surabondamment prouvé depuis 1789, la fiction constitutionnelle de l’irresponsabilité du souverain, et elle admet, j’ai presque dit elle exige qu’il exerce un pouvoir correspondant aux obligations qu’elle lui impose ; d’un autre côté, la société française, maladroite à se défendre elle-même, attend toujours du gouvernement une direction, mais n’hésite jamais à la suivre. Ces dispositions de l’esprit public se manifestent dans tous les événemens de nos révolutions et si, saisissant mieux la nature et l’étendue des devoirs que le caractère de la nation impose chez nous au chef de l’état, le roi Louis-Philippe eût appliqué plus fortement aux affaires publiques la rectitude de son esprit et l’énergie patiente de sa volonté, s’il eût été plus jaloux de l’exercice de son métier de roi, il eût sauvé sa couronne et l’avenir de la patrie. Au lieu de cela, le gouvernement et l’administration même étaient descendus sur les bancs et dans les couloirs de la chambre des députés ; rien ne s’obtenait que par ses membres. Les ministres, par l’entraînement des relations, par la nature même du talent des plus brillans d’entre eux, s’étaient accoutumés à voir le pays tout entier dans l’étroite enceinte du Palais-Bourbon ; pourvu qu’ils s’y sentissent soutenus, le reste leur importait peu : ces dix-huit années les ont vus triomphans ou découragés, suivant qu’ils avaient fait une bonne ou une mauvaise séance. Envahis par les importunités des députés de tous les partis sans exception, ils étaient à peine accessibles à leurs agens les plus élevés ; absorbés par les exigences de la tribune, il ne leur restait plus de temps à donner à d’autres affaires. L’abus des influences parlementaires est d’autant plus malfaisant que, si les assemblées représentent le pays quand elles votent, elles se divisent pour solliciter en individualités qui représentent toute autre chose que l’intérêt général ; il énervait les services publics en y propageant l’opinion que le travail et le mérite étaient peu de chose, auprès du patronage ; la tiédeur, la défiance, l’incertitude à tous les degrés de la hiérarchie, symptômes funestes de décadence, se montraient dans le gouvernement ; la direction politique échappait au pouvoir, témoin la multitude des recrues que le département de l’instruction publique, par exemple, élevait pour la démagogie ; le ministère ne distinguait pas, au-dessous des quatre cent cinquante personnes qu’il appelait le pays légal, un autre pays qui, inquiet et désaffectionné, faisait fausse route faute de guides. Il s’appuyait sur la chambre seule, sur la chambre à qui le cri de vive la réforme, qui s’attaquait bien plus à elle qu’à la couronne, était à la veille d’apprendre sa fragilité. Cependant, si la plupart des ministres du dernier roi doivent être modestes quand ils se considèrent eux-mêmes, il leur est permis d’être fiers quand ils se comparent à leurs adversaires : l’opposition dynastique, en effet, n’a su que désorganiser des services, patroner des incapacités, empirer le mal qu’elle prétendait guérir, et il est fort heureux pour sa gloire que les républicains de la veille soient venus montrer de combien on pouvait encore la dépasser dans ses erreurs.

Il s’agit aujourd’hui, pour les deux pouvoirs qui régissent l’état, de rester dans les erremens de ceux qui les ont précédés ou d’en sortir. Si courte que soit notre mémoire, des exemples récens signalent quelles seraient les conséquences prochaines du premier de ces partis. Si les entraînemens et les faiblesses qui ont conduit la monarchie constitutionnelle au bord du précipice se reproduisaient aujourd’hui, si les exigences de clientelle des représentans complétaient la désorganisation de l’administration et la ruine des finances, si les partis qui divisent l’assemblée nationale mettaient au service de leurs arrière-pensées les pouvoirs qu’ils ont reçus pour le rétablissement de l’ordre, si le président de la république, oublieux de son nom et des exemples qui lui ont été légués, désertait ses devoirs envers la nation, nous savons quel abîme serait ouvert devant nous. Ces dangers sont-ils impossibles à conjurer aujourd’hui ? Osons espérer que non.

L’accord est possible, facile entre le président et l’assemblée, et, s’il ne l’était plus par suite de taquineries mesquines qui ne seraient pas de notre temps, celle des deux parties qui mettrait les torts de son côté, assemblée ou pouvoir exécutif, jouerait un très gros jeu. Pétries du même limon que la nation, les assemblées veulent, avant tout, être gouvernées, et plus elles sont nombreuses, plus elles en sentent le besoin. Jamais elles n’ont été moins résolues qu’aujourd’hui à repousser l’ascendant bienveillant de la connaissance des faits, de la puissance du travail ; et ce dont se plaint la législature actuelle, c’est précisément de manquer de cette direction forte, à défaut de laquelle la puissance et la vigueur de toute réunion d’hommes s’éteignent bientôt dans le découragement et l’ennui. Les habitudes désolantes de sollicitation universelle que reprennent à contre-cœur nos représentans peuvent même se perdre ; elles leur sont plus à charge qu’on ne croit, et ils subissent dans les exigences et les dégoûts auxquels les soumet le crédit qu’ils usurpent la punition du mal qu’ils commettent. Sous la monarchie, l’universalité des députés, sauf quelques intrigans de profession, eût béni tout ministère dont la résistance à ses obsessions l’eût délivrée de celles du dehors, et ce ministère eût conquis, par l’accomplissement énergique de ses devoirs, l’ascendant durable qui ne s’achète jamais par des complaisances. Il n’en serait pas autrement aujourd’hui. Quelques pertes qu’ait faites le pouvoir exécutif, il lui reste assez de forces pour tout reconstituer : il est armé du choix des hommes, bien supérieur à l’élection, et gouverner, c’est choisir, a dit Louis XIV ; lui seul sait réaliser, quand il est éclairé, l’ordre dans la cité, l’économie dans les finances, les réformes dans l’administration dont on parle dans les assemblées ; lui seul sait maintenir la règle, quand il est ferme. Si, par un inexplicable travers, des assemblées ou plutôt des fractions d’assemblée s’obstinaient à l’entraver dans la carrière du bien, leur cause serait promptement perdue devant la nation.

On voit, il est vrai, de temps en temps, des divisions aussi inexplicables dans leurs causes que funestes dans leurs effets se former dans le sein de la législature : elles sont le plus grand embarras de notre situation ; mais à peine sont-elles accomplies, que leurs fauteurs, avertis par le danger, appellent la fusion des partis, la conciliation des intérêts, et proclament que le salut de la société est à ce prix. L’union ne sortira pourtant ni des concessions faites par la sagesse des hommes, ni du sentiment des périls de la situation : elle était aussi nécessaire sous la première assemblée législative que sous celle-ci, et l’on sait quelle fut la durée de la réconciliation qui fut scellée par le baiser Lamourette ; mais l’union s’opérerait infailliblement à la suite d’un pouvoir énergique, se contentât-il de faire avec résolution et persévéra ace de bonnes choses à défaut de grandes. Aucun parti ne refuserait impunément son concours à une administration plus forte de ses actes que de ses paroles ; si sa résistance ne fléchissait pas sous la toute-puissance de l’opinion publique, son isolement deviendrait une abdication. Le secret de la puissance dans notre siècle et notre pays, c’est donc le bon emploi du temps, c’est le travail, le travail auquel Napoléon prétendait devoir sa fortune et celle de la France.

Personne n’a vécu dans nos assemblées sans apercevoir qu’elles ne sont guère prisées du public et d’elles-mêmes qu’en raison du spectacle qu’elles donnent. Sous le régime du privilège électoral, ce spectacle était une grande affaire ; il a beaucoup perdu de son prestige et de son importance par l’établissement du suffrage universel. Les masses, qui n’ont point de place dans la salle des séances, ne sauraient être séduites, comme les assistans, par le talent des acteurs et l’éclat de la représentation. C’est par l’administration, plus nécessairement chargée parmi nous qu’en aucun autre pays de pourvoir aux besoins collectifs de la société, qu’elles sont en contact avec le gouvernement, et c’est bien moins sur le bruit que fait un député que sur l’action qu’exerce un préfet, qu’elles jugent l’autorité souveraine, s’y affectionnent ou s’en détachent : elles estiment avant tout la droiture et la vigueur, et, quand elles en trouvent dans un pouvoir exécutif qui procède non moins immédiatement d’elles que les assemblées, elles savent le mettre à l’abri des caprices du parlement. Il reste d’ailleurs au pouvoir exécutif, dans les attributions qu’il exerce sans le concours de la législature, un champ assez vaste à féconder pour acquérir séparément des titres puissans à la reconnaissance de la nation, et la faire, au besoin, juge entre les assemblées et lui. Les ministres n’ont qu’à regarder autour d’eux pour trouver des alimens à leur activité, et l’embarras du choix peut seul arrêter leur essor. Il dépend d’eux de rétablir l’équilibre dans les finances, en substituant, dans beaucoup de services, la puissance de l’intelligence à la stérilité de la profusion, et cet équilibre serait le gage de l’affermissement de l’ordre, du retour du travail et de la sécurité de l’avenir.

Nos deux principales plaies financières sont l’Algérie et les colonies. Les ministères dont elles dépendent n’ont su faire de ces possessions que des espèces de maisons de campagne pour l’armée de terre, l’amirauté et le commissariat de la marine ; ils n’ont ni résolu ni même étudié aucune des grandes questions qui s’y agitent ; la preuve en est dans la série des commissions qu’ils ont créées pour cela, et au bout de laquelle ils ne sont pas encore parvenus ; il semble qu’ils se soient partout donné la tâche de réaliser par de très grands moyens les moindres résultats possibles. Du règne de François Ier à celui de Louis XIII, nous avons fait en petit dans nos concessions d’Afrique ce que nous faisons en grand depuis vingt ans en Algérie ; le contraste était le même entre l’exagération des charges et la mesquinerie des effets. Vint le cardinal de Richelieu, et tout changea de face : ce fut le tour des dépenses de se réduire, des avantages de grandir. Qu’on étende progressivement dans les mêmes lieux le système d’administration de ce grand homme, et l’Algérie deviendra pour la France un point d’appui, au lieu d’être un fardeau. Il en est à peu près de même à l’égard des colonies transatlantiques ; la suppression des dépenses que nous employons à les gâter serait à elle seule un bienfait. Si l’on objectait que ces réformes seront impossibles tant que les colonies dépendront des départemens de la guerre et de la marine, que des ministres enfermés dans une spécialité et détournés par tant d’autres soins ne sauraient atteindre un but aussi multiple que l’administration de tous les élémens sociaux réunis dans chaque établissement, la nécessité de la création d’un ministère des colonies pourrait ressortir du débat. On ne saurait nier que si l’on faisait administrer notre industrie par le département de la guerre, et la Bretagne par celui de la marine, la chute des fabriques et l’extension des landes ne marchassent bientôt du même pas, et l’on aurait alors, pour nous déclarer impropres à l’industrie agricole et manufacturière, autant de motifs qu’on en a d’alléguer aujourd’hui notre inaptitude aux entreprises coloniales. Des colonies ne sont point des établissemens militaires. L’Angleterre et la Hollande, qui l’ont compris, font régir les leurs par des ministères spéciaux ; leurs colonies et leur navigation y gagnent également. Une semblable disposition serait facile à justifier chez nous, maintenant que l’Algérie a remplacé les Indes et le Canada, et que la nécessité d’ouvrir des émonctoires à la métropole oblige l’administration à considérer sous un nouveau point de vue les établissemens d’outre-mer. Partagées entre deux ministères, l’Algérie et les colonies y sont des accessoires qui souffrent du voisinage d’autres services. Réunies, elles formeraient un ensemble digne d’une sollicitude exclusive et susceptible d’une fécondité qu’on ne paraît pas soupçonner.

Le département de la marine ne perdrait rien à cette création, surtout si par un retour salutaire au système de Colbert on lui rendait la partie de ses attributions nécessaires qui est restée éparse dans les départemens des travaux publics, de la guerre, des finances et du commerce. Une étroite connexion s’établirait alors entre tous les intérêts, toutes les ressources maritimes du pays, et elle doublerait notre force tout en réduisant nos dépenses ; mais, sans aller si loin, l’administration n’accepte-t-elle pas une situation bizarre, lorsqu’elle attend les investigations d’une commission parlementaire en présence d’abus qu’il dépend d’elle de réformer, et lorsqu’elle peut introduire dans les services des vivres, de l’artillerie, des constructions par exemple, des améliorations et des économies également importantes en moins de temps qu’il n’en faudra à nos honorables représentans pour se mettre au fait de la moindre de ces difficultés ?

Dans l’intérieur du territoire, le travail appelle de tous côtés l’ouvrier, et, pour ne citer qu’un seul point, Lyon, cette seconde capitale de la France que Napoléon releva de ses ruines, et qui est devenue depuis vingt ans un foyer d’émeutes, Lyon a-t-il été l’objet d’une attention suffisante ? Le commissaire extraordinaire qui s’appelle l’état de siège y comprime un amas de matières incandescentes toujours près de faire explosion ; mais, pour les disperser et les éteindre, il reste à prendre des mesures efficaces, et la durée des soins qu’exige un mal qui vient de loin est une raison de plus de mettre la main à l’œuvre sans perte de temps.

À défaut d’autres indications utiles, l’administration en trouverait plus d’une dans les œuvres du prince Louis-Napoléon. De tous ses écrits, le traité de l’Extinction du paupérisme est, à juger par le soin qu’on a mis à le répandre, celui auquel ses amis ont attaché le plus de prix. Le paupérisme ! c’est en effet l’ulcère de notre époque : ce n’est pas la même chose que la pauvreté timide et laborieuse que nos aïeux ont plainte et soulagée ; il a trop souvent l’impudence, les besoins et les prétentions des vices dont il procède, et il a fallu un mot nouveau pour exprimer ce mal honteux des sociétés modernes. Le traitement du paupérisme est le problème le plus épineux qui soit posé devant nous ; il exige plus de lumières, de fermeté, de patience, de temps, que la Providence n’en a départi à aucun des gouvernemens de nos jours, et les remèdes par lesquels on a prétendu le guérir n’ont guère eu pour effet que de l’alimenter et de l’étendre. Le prince Louis-Napoléon, il faut lui en rendre grace, n’a point abordé ce sujet par la fausse voie où, se copiant et se prônant les uns les autres, quelques philanthropes de bonne foi et beaucoup de charlatans marchent à une popularité flatteuse ou lucrative. La multiplication des secours, l’élargissement des hospices et des maisons de refuge, les devoirs de la famille mis à la charge de la communauté, ne sont pas ses spécifiques contre le fléau. Il ne veut pas faire descendre les hommes à cet état de dégradation insolente ou servile qui accompagne la mendicité exercée dans un atelier national de Paris aussi bien que celle qui s’agenouille à la porte d’un couvent d’Italie. C’est par le travail, par la propagation de l’esprit de propriété, qu’il prétend éteindre le paupérisme, et il espère remporter cette victoire non-seulement sans qu’il en coûte rien au trésor, mais en l’enrichissant. Malheureusement les détails de l’exécution donnent quelque lieu de craindre que la chaleur des sympathies de l’auteur pour les classes pauvres ne lui ait fait accepter de confiance plus d’une donnée hasardée. Le métier des princes est moins de faire des défrichemens que d’en ordonner, et ils peuvent contenter de déterminer les conditions qui affectent les intérêts généraux auxquels se rattachent les entreprises. Prétendre tout régenter, jusqu’à l’organisation des ateliers de culture, croire à sa prévoyance plutôt qu’au discernement et à l’expérience des hommes qu’on met aux prises avec les difficultés de l’exécution, se priver de l’énergie d’action de la liberté aiguillonnée par l’intérêt individuel, c’est faire tout autre chose que d’assurer le succès. Aussi, l’abstention de proposer aucun projet fondé sur les combinaisons étudiées pour l’extinction du paupérisme n’est pas la moindre des nombreuses preuves de bon sens qu’ait données, depuis quinze mois, l’élu du 10 décembre. Est-ce à dire que la perspective d’un défrichement général des terres incultes ne soit qu’une illusion ? que s’il conserve la généreuse ambition de signaler son gouvernement par la réalisation d’une partie du bien qu’il rêvait dans sa captivité, le président de la république doive renoncer à la satisfaire ? Il vaut mieux répondre à ces questions par un fait que par des vœux et des conjectures.

J’étais, il y a quelques semaines, à Cherbourg, et j’y retrouvais, sous de gigantesques transformations, les chemins où, sortant des bancs de l’école, il m’avait été donné de suivre la trace des pas de l’empereur Napoléon : j’y relisais, inscrits sur le rivage en caractères de granit, des décrets et des ordres que j’avais écrits sous sa dictée pendant son voyage de Normandie. Voulant arrêter ses vues sur les travaux de défense de Cherbourg, l’empereur monta, le 27 mai, avec le prince Eugène, le général Chasseloup-Laubat et les officiers du génie attachés à la place, sur les roches élevées que couronne le fort du Roule ; et le port, la côte, la rade se déployèrent sous ses yeux dans toute leur magnificence. Il aperçut à l’est de la ville et au bord de la mer une vaste étendue de sables à demi fixés sous un tapis de mousse et de chiendent, et demanda quel était ce terrain. C’étaient les Mielles de Cherbourg et de Tourlaville, inutile propriété de l’état, formée des sables jetés à la côte par les vents et les marées. Le soir, il donnait ses ordres, et le 6 juin, signant à Saint-Cloud un décret par lequel il prescrivait la création d’établissemens municipaux appropriés aux nouvelles destinées de la ville de Cherbourg, il rangeait parmi les ressources affectées à ces dépenses la concession des mielles et l’autorisation de les vendre ; mais il voulait qu’auparavant on ouvrît au travers un canal d’arrosage et des rues, des chemins faits pour donner une valeur à ces terrains voués en apparence à une éternelle stérilité. On accusa l’empereur de faire un présent dérisoire, on s’égaya sur sa prétention de paraître généreux lorsqu’il n’imposait qu’une charge, et l’on ne se fit pas faute de prédire la ruine de la ville. Malgré les retards causés par la chute de l’empire, les prescriptions de Napoléon ont été suivies. Une large route s’est dirigée au travers des mielles vers Barfleur, Saint-Vaast et la Hougue ; des rues, des chemins latéraux, les partageant en compartimens, en ont de tous côtés rendu l’accès facile, et c’est dans cet état qu’après avoir pourvu aux travaux d’ensemble, l’administration les a livrées à l’industrie privée. Cherchez aujourd’hui sur ce territoire les ondulations sauvages des dunes de 1811 : vous trouverez à la place une ville nouvelle, et plus loin une plaine nivelée, des sables fécondés par le mélange des vases du port et des immondices de la ville, des jardins, des vergers, des prairies, partout une végétation luxuriante, une population active, et, pour résumer en un chiffre le changement qui s’est opéré, des terrains qui n’avaient de valeur que celle du gibier qui s’y prenait atteignent aujourd’hui, quand ils sont affectés à la culture, le prix de 5 à 10,000 francs l’hectare, et, quand ils le sont aux constructions, un prix très supérieur encore. Les bases du travail local se sont élargies, la masse des subsistances disponibles s’est accrue, et une nouvelle matière imposable s’est créée au profit de l’état.

Ainsi, l’activité a succédé à l’inertie, l’abondance à la stérilité, et jamais le difficile problème du passage des terres vagues à l’état de culture n’a reçu de solution plus complète et plus heureuse ; mais, parce qu’au lieu d’être distribuées à des indigens ou à des paresseux enrégimentés en atelier national, ces terres ont été vendues, au profit du public, à des personnes capables d’y verser, sous une forme ou sous une autre, un capital considérable, les classes pauvres ont-elles été exclues des avantages inhérens à l’acte même de la transformation ? Loin de là. La valeur acquise par ce sol n’est pas autre chose que l’immobilisation des fruits de l’intelligence qui a dirigé l’opération, du prix des engrais, des amendemens, des transports, des outils, du travail manuel. À qui sont allés les salaires, si ce n’est à la partie de la population qui vit de l’emploi de ses bras ? Et si l’on faisait la récapitulation exacte des sommes réparties en main-d’œuvre, plus d’un compte se solderait en perte comparativement aux résultats obtenus. Les ouvriers, quand ils n’ont pas travaillé pour eux-mêmes, ont ici reçu leur rémunération sous la forme qui leur convenait le mieux, c’est-à-dire sous celle qui, comportant le moins de retard, est le mieux à l’abri des mécomptes et des éventualités, et, chose importante pour leur dignité morale, ils ont agi dans la libre disposition de leurs personnes, du fruit de leurs sueurs, et n’ont point appris que leur petite fortune pût avoir d’autres sources que le travail, l’économie et la bonne conduite.

De grands défrichemens par colonies d’indigens ont été organisés par l’administration publique en Hollande et en Belgique ; l’intelligence, le dévouement, les capitaux, l’esprit de suite, rien n’y a manqué, et cependant, quand on s’est rendu un compte sincère des résultats de ces entreprises, il ne s’en est pas rencontré une seule qui n’eût imposé à la société des charges très supérieures aux avantages recueillis. Les individus mêmes auxquels devaient profiter les sacrifices d’autrui sont restés en proie à des vices et à des misères ignorés des ouvriers libres à la disposition desquels on met des travaux semblables à ceux des mielles de Cherbourg.

La combinaison rapide qui jaillit du cerveau de Napoléon à l’aspect de ces terres inertes n’est pas seulement la plus simple et la meilleure que la législature et l’administration puissent appliquer aux espaces incultes qui sont à leur disposition ; elle est probablement la seule économique, la seule efficace. Les communes des quatre-vingt-cinq départemens du continent possèdent à elles seules 4,639,220 hectares[7] : c’est le onzième de la surface de notre territoire ; c’est presque l’étendue de huit départemens. Une notable partie de ces terres sollicite une transformation analogue à celle des mielles de Cherbourg. Étudier pour chaque groupe les conditions spéciales de mise en valeur collective, les réaliser sur les avances ou les emprunts des communes, mettre dans le commerce et livrer à l’industrie privée des terres pourvues, par l’ouverture de chemins, de canaux d’arrosage ou de desséchement, de germes féconds d’amélioration, voilà des moyens aisés et infaillibles d’accroître les ressources des communes, d’appeler dans la circulation les capitaux timides, de faire surgir de place en place, dans tout le pays, des sources de travail, d’asseoir sur l’accroissement de la richesse territoriale le progrès des revenus de l’état obéré ; voilà de quoi tenter l’ambition d’un ministère d’action. Ce système, si facilement applicable aux propriétés des communes, le serait à plus forte raison à beaucoup de propriétés de l’état. Toutes les mielles placées à portée de puissans moyens de fertilisation ne sont pas, il s’en faut, dans la banlieue de Cherbourg. Les dunes de Dunkerque, de Calais et de Boulogne, les relais des embouchures de la Somme et de l’Authie, les sables étendus au nord et au sud de Granville, les grèves du Mont-Saint-Michel, les lagunes de la Camargue et des côtes de Languedoc, les alluvions de la baie de Fréjus, et tant d’autres qu’on découvrirait en se donnant la peine de regarder, s’offrent pour donner l’impulsion, et il convient que l’état devance ici les communes. Puisse l’autorité des exemples de Napoléon ouvrir au travail cette vaste et féconde carrière ! puisse-t-elle fournir aux populations des campagnes qu’on égare un motif de plus de revenir au vrai, (le bénir et de glorifier cette grande mémoire !

Mais, dira-t-on peut-être avec la vie politique actuelle, où veut-on que des ministres prennent le temps de travailler ? — Si cette vie est inconciliable avec l’expédition des affaires, qui est toujours le premier besoin et dans ce moment la seule voie de salut du pays, il faut la changer. D’abord, le travail direct des ministres, celui dont ils sont maîtres absolus, est-il bien organisé ? On dit qu’ils se réunissent tous les jours en conseil ; c’est se condamner à perdre beaucoup d’heures précieuses. L’empereur Napoléon, qui savait le prix du temps, ne rassemblait les siens qu’une fois par semaine, le mercredi : il pourvoyait à l’unité des travaux par la secrétairerie d’état, institution excellente pour la rapide expédition des affaires, et dont la forme actuelle du gouvernement comporterait le rétablissement modifié. Quant aux rapports avec la législature, trois ministres, ceux de l’intérieur, de la justice, des relations extérieures, suffisent à la direction habituelle des travaux parlementaires ; eux seuls doivent, à tous les instans, appartenir à la politique et à la tribune ; la nature de leurs attributions leur permet de se dispenser des détails sans inconvénient et de ne conserver que la haute direction et la haute surveillance des affaires de leurs départemens. Les autres ministres doivent être uniquement des hommes d’administration et d’autorité : ils n’ont à occuper la tribune que pour la défense d’intérêts avec lesquels ils sont plus familiers que personne, et la meilleure manière de plaire à l’assemblée ou d’y exercer une influence salutaire n’est pas pour eux d’être assidus à ses séances ; c’est d’économiser son temps en consacrant le leur à l’étude des questions qu’ils ont à lui soumettre. Que cette division du travail entre les départemens ministériels devienne une règle, et le temps, qui manque à tout, suffira pour tout, l’aptitude des hommes s’élèvera au niveau des difficultés à résoudre ; la marche des affaires deviendra simple et rapide pour la législature, satisfaisante pour les administrés ; chaque jour verra disparaître un embarras, aplanir un obstacle : nous vivons dans un pays toujours empressé d’escompter au profit de la sécurité présente les moindres espérances de la sécurité à venir. La nécessité de simplifier les rouages de l’administration et de leur imprimer plus d’action impliquerait peut-être des modifications d’attributions, dont la seule considérable serait la réunion des départemens des travaux publics, de l’agriculture et du commerce en un seul ; mais la pratique des affaires indiquerait à elle seule les changemens utiles.

Arrivé au terme de cet aperçu rapide de nos infirmités, faut-il, à l’exemple de ceux dont l’ambition est de les aggraver, chercher dans les écrits du prince Louis-Napoléon si, le regard et l’esprit tendus vers la perspective évanouie des destinées que lui promettaient les constitutions de l’empire, il aurait quelquefois rêvé, au milieu des souffrances de l’exil, à ce qu’eût été le règne de Napoléon III ? Cela fût-il, ce ne serait pas un grand crime. Le métier de gouvernant n’a certes pas, dans l’Europe actuelle, des attraits tels qu’on ne doive, quand on sent le besoin d’être gouverné, un peu de gratitude à ceux qui veulent bien s’embarrasser de ce soin ; il ne faut pas les décourager : assez de princes pensent peut-être en 1830 ce que pensait il y a une centaine d’années notre compatriote le marquis d’Argens. – « Que feriez-vous, marquis, si vous étiez roi de Prusse ? lui disait en soupant à Sans-Souci le grand Frédéric. — Si j’étais roi de Prusse !… je chercherais, sire, quelque bonne dupe qui consentit à me donner en échange de ma couronne un château avec cinquante mille livres de rente en Provence, et, dès que je l’aurais trouvée, je la mènerais chez un notaire et lui ferais signer son engagement sans lui laisser le temps d’apercevoir l’énormité de sa bévue. » — Certainement la thèse serait aujourd’hui soutenable ailleurs même qu’à Sans-Souci, et il est d’autant moins nécessaire de la mettre en discussion à Paris, qu’un sceptre et urne couronne y procureraient aujourd’hui beaucoup moins de force que d’embarras. La force est dans le travail intelligent et opiniâtre, dans le rétablissement du principe de l’autorité, dans le choix dés personnes que le gouvernement investit de sa confiance, point ailleurs. Il n’y a pas plus de panacée aux maux de la société qu’à ceux du corps humain ; les uns et les autres ne se guérissent que par le régime et la persévérance, et découvrît-on le secret de rétablir instantanément les anciennes bases de l’ordre dans le pays, nous n’en serions guère plus avancés, si le gouvernement devait continuer à se traîner dans les erremens d’incurie qui nous ont conduits où nous sommes : les mêmes causes produiraient les mêmes effets. Le peuple français veut que ses affaires se fassent, que les ressorts de l’administration soient enfin retendus, et celui qui abordera résolûment cette tâche, encore à peut près intacte, recevra, quel qu’il soit, comme Salomon quand il eut choisi la sagesse, tout le reste par surcroît.

Les criminelles folies que nous avons à combattre par ces moyens loyaux ont déjà passé sur le monde. Le socialisme que nous voyons tous les jours dans les journaux, dans les almanachs, à la tribune, que nous avons rencontré dans la rue le 24 février, le 15 mai, le 24 juin 1848, le 29 janvier, le 13 juin 1849, est de tous les temps, de tous les pays, et sa prétention la plus ridicule est celle d’être nouveau[8]. Il y a dix-neuf cents ans qu’il s’appelait en Italie le parti de Catilina : toute la différence est que, le combat engagé, le Catilina de Rome se précipite au plus épais des rangs ennemis, et son corps se retrouve loin en avant des siens, entouré de cadavres, tandis que les Catilinas de Paris envoient leurs soldats aux coups, et, du plus loin qu’ils entendent Petreius venir à eux, se sauvent au travers d’un châssis crevé. Souvenons-nous cependant que, dans les grandes crises sociales, le courage est l’unique moyen de salut : le ciel n’a jamais aidé ceux qui s’abandonnaient eux-mêmes, et nous pouvons avoir quelque jour devant nous de plus redoutables adversaires que les aventuriers de 1848.

La Hollande a plus d’une fois vu quelques porcs, oubliés sur une de ses digues, la fouiller de leur groin pour en arracher des larves et ouvrir un sillon où s’infiltre un filet d’eau : en un instant, le sillon devient brèche, la mer s’y précipite. La négligence d’un pâtre à surveiller d’immondes appétits coûte la submersion d’une province, et des années de rudes labeurs, de sollicitudes inouies, suffisent à peine pour réparer la faute d’un moment. Cette histoire est la nôtre, à cela près que nous tous, entraînés dans le cataclysme du 24 février, depuis les plus grands jusqu’aux plus petits, nous avons eu dans les causes de ce châtiment de la Providence notre part d’incurie, de faiblesse, d’illusions ou de folie. Nous en sommes aujourd’hui à cette époque de lente et pénible reconstruction, à cet enchaînement de travaux et de veilles dans lesquels le moindre oubli, la moindre lassitude, peuvent remettre en question tout l’avenir de la patrie, et la faire descendre encore de la place amoindrie qu’elle occupe en Europe. Ayons sans cesse les yeux fixés sur le danger présent et que le passé serve de leçon à l’avenir : la brèche n’est pas fermée, et toute la digue est ébranlée jusque dans ses fondemens. Quand les institutions républicaines elles-mêmes sont attaquées avec une fureur sauvage par ceux qui s’en prétendent les champions exclusifs, ce serait nous faire une étrange illusion que de nous croire au terme de nos peines et de nos combats. Une barbarie nouvelle s’est dressée au cœur même de la civilisation de l’Occident, et une hideuse fatalité la condamne à tenter encore de s’imposer à la société par la violence. Le jour venu, la France ne manquera ni d’un homme de tête pour diriger sa défense, ni de gens de cœur pour le suivre, et, avec l’aide de Dieu, la barbarie sera une dernière fois vaincue ; mais cette lutte, là France, l’humanité, la religion, commandent de ne rien épargner pour en conjurer les horreurs.

Deux instrumens de salut nous restent : une législature dont la majorité est animée des plus loyales intentions, et un pouvoir exécutif encore fortement organisé. Le problème à résoudre est la conciliation entre la gestion hardie des affaires du pays et le respect scrupuleux des droits du parlement. L’assemblée constituante de 1848 ressemblait, dans ses derniers temps, disait-on, à ce géant de l’Arioste, qui conservait encore l’attitude du combat, quand on s’aperçut, en le poussant, qu’il était mort. L’assemblée législative n’en est pas là ; mais la langueur de ses travaux, les ajournemens dont ses déclarations d’urgence sont la préface, la paralysie dont la menacent ses divisions, ne la montrent pas préparée à prendre une initiative vigoureuse. Elle est capable de recevoir une impulsion, et c’est au pouvoir exécutif de la donner. Que le président de la république s’inspire de la lecture du Moniteur du consulat ; que, sortant d’un cercle étroit, il appelle à lui, sans distinction d’origine et de parti, tout ce qu’il y a d’honnête, de capable, de désintéressé ; qu’une administration laborieuse, intelligente, se place à côté de l’assemblée, s’étende dans les départemens, — et le pouvoir parlementaire deviendra un appui solide, et bientôt la loi du travail, s’exécutant dans l’ordre matériel comme dans l’ordre politique, guérira les maux de la France et sauvera la société. C’est là ce que réclamaient les six millions de votans du 10 décembre ; c’est là ce qu’ils attendent encore, et, quand le pouvoir exécutif fera son devoir, l’assemblée et la nation feront le leur.


J.-J. BAUDE.

  1. Séance de l’assemblée constituante du 14 avril 1849.
  2. Constitution du 22 frimaire, loi du 28 pluviôse an VIII.
  3. « L’époque de la convocation du corps législatif est trop prochaine pour qu’il soit possible de pourvoir au remplacement des députés sortans. » (Exposé de motifs du 12 novembre 1813.)
  4. Le corps législatif se renouvelait d’année en année par cinquième.
  5. Sénatus-consulte du 15 novembre 1813.
  6. Esprit des Lois, liv. XIX, c. 5, 6, 7.
  7. Relevé par département de la contenance et de la valeur des biens communaux non affectés à un service public. (Lithographié au ministère de l’intérieur en 1847.)
  8. Entre des centaines de faits qu’offrent les temps modernes à l’appui de cette proposition, en voici un qui s’est accompli sur le territoire d’un de nos départemens de l’est : « En ce temps (1524) se leva un populaire qui vouloit maintenir tous les biens estre communs, sous lequel prétexte se meirent ensemble quatorze ou quinze mille villains pour marcher droict en Lorraine et de là en France, estimant pouvoir tout subjuguer, parce qu’ils auoient opinion que la noblesse de France estoit morte à la bataille. Lesquels païsans assemblez, partout où ils passoeient, pilloeient les maisons des gentilshommes, tuoient femmes et enfans avec cruauté inusitée. Pour à quoi obuier, monsieur le duc de Guise et le comte de Vaudemont, son frère, après auoir assemblé toutes les garnisons de la Bourgongne et Champagne, tant de cheval que de pied, et entre autres le comte Ludouic de Belle-loyeuse (Belgiojoso), qui auoit deux mille hommes de pied italiens, marchèrent au deuant de la furie de ce peuple : lesquels ils rencontrèrent à Sauerne, au pied de la montagne, tirant le chemin de Strasbourg. Et encore qu’ils fassent quinze mil contre six mil, se fiant lesdits seigneurs à leur gendarmerie, les chargèrent et les défeirent et taillèrent tous en pièces, hormis ceux qui se sauuèrent à la montagne : et y moururent de ce populaire de huict à dix mille hommes, et des nostres peu, et entre autres de rostre part y furent tuez le capitaine S. Malo et le seigneur de Bétune, capitaine de la garde dudit duc de Guise. Onc depuis cette deffaite ne fut nouvelle que cette canaille se dut rassembler. » (Mémoires de Messire Martin Dubellay, etc, In-folio ; Paris, 1582, p. 121.)