Du polythéisme hellénique/Livre III/Chapitre III

Livre III — Chapitre III

CHAPITRE III

LES MYSTÈRES


Les Grecs désignaient sous le nom de Mystères, du mot μυειν ; fermer la bouche, rester muet, certaines cérémonies religieuses qui s’accomplissaient dans la nuit, et en silence. Un mystère n’était pas, pour eux un dogme incompréhensible pour la raison et imposé par l’autorité ou accepté par la foi ; cette idée est tout à fait étrangère au polythéisme ; c’était seulement un secret qu’on ne devait pas révéler, απορρητον, une chose ineffable. On appelait τελετη accomplissement des cérémonies qui composaient les mystères. Ce mot, qui signifie aussi perfectionnement, exprimait à la fois la consécration des signes visibles du mystère ; et la purification de ceux qui y participaient ; c’est ce que nous traduisons par Initiation. Le nom d'Orgie était souvent confondu avec celui de mystères, mais en général, on l’appliquait surtout aux fêtes Dionysiaques, soit parce qu’elles se célébraient dans les champs, εν οργασιν, soit à cause de leur caractère enthousiaste et extatique, οργη ; on finit par donner le nom d’orgies, à toutes les fêtes bruyantes et désordonnées. Le nom de mystères, réservé d’abord aux fêtes des déesses de l’agriculture, fut étendu de bonne heure aux fêtes de Dionysos, par suite de l’association des trois grandes divinités de la production et de la mort. Le culte de Dionysos sert de passage entre l’ancienne religion hellénique et les religions barbares qui l’altérèrent progressivement. Tous les dogmes nouveaux empruntés à la Phrygie, à la Perse, à la Syrie et à l’Égypte, s’introduisirent en Grèce sous la forme de mystères, et on finit par chercher hors de la Grèce, et surtout en Égypte ; l’origine des initiations, comme on y avait cherché celle de toutes les autres formes de la religion grecque.

On peut expliquer le caractère, secret des mystères par des raisons théologiques qui tiennent aux rapports intimes du dogme et du culte dans l’Antiquité. Toutes les fois que l’homme cherche à traduire sa pensée, soit par des gestes, soit par des mots, soit par des formes plastiques, il faut que le signe qu’il emploie soit la représentation aussi exacte que possible de la chose signifiée. Au début de toutes les langues on trouve l’harmonie imitative ; dans les religions, que j’ai souvent comparées à des langues ; les cérémonies extérieures sont toujours l’expression sensible des croyances populaires, et comme il faut un mot pour rendre, chaque idée, à chaque symbole religieux correspond une forme particulière du culte. Plus un peuple a d’idées, plus sa langue est riche ; le polythéisme est la synthèse la plus large de toutes les idées religieuses, sa langue religieuse doit donc être la plus riche et la plus variée ; chacune de ses conceptions a une expression propre, une cérémonie spéciale qui en est le signe extérieur. Les dieux du ciel sont invoqués à ciel ouvert ; leur culte est public parce que leur action est visible au grand jour, leurs temples sont ouverts par en haut, et on ne les prend pas à témoin dans un endroit fermé. Le dieu de la lumière et de l’harmonie, le dieu prophète, n’a pas de mystères ; son temple est toujours ouvert, et chacun peut l’interroger. Le dieu des transitions et des échanges, le dieu commun à tous, n’a pas de temples ; mais sa statue est dans tous les carrefours, et son culte est mêlé à celui de tous les autres dieux, comme celui de la vierge Hestia, la pierre du foyer. La déesse politique de la civilisation, la vierge active, au génie pratique, règne sur les acropoles, d’où elle protège les cités. Le dompteur des monstres, le héros divin qui a conquis le ciel par son courage, est honoré par les luttes viriles et les jeux sacrés. Mais les déesses souterraines, dont l’action est cachée, ne peuvent être invoquées que dans un endroit fermé, μεγαρον ; elles font germer les plantes et les font rentrer sous terre, elles tiennent les clefs de la vie et de la mort, et comme elles gardent leur secret dans un silence éternel, les cérémonies symboliques qui représentent leur action mystérieuse doivent s’envelopper aussi d’ombre et de silence.

Depuis que Prométhée a ravi le feu du ciel, les dieux ont caché les sources de la vie : « L’homme est devenu semblable à l’un de nous, disent les Elohim de Chaldée, prenons garde qu’il ne mange de l’arbre de vie et qu’il ne meure point. » La vie nous est prêtée, mais en deçà comme au delà règne la nuit impénétrable ; les passages sont gardés ; la naissance et la mort sont le secret des dieux. Il y a certainement quelque chose de sacré dans les contradictions qui planent autour des deux portes de la vie ; on se découvre devant un cercueil et on fait le contact d’un cadavre ; mélange de respect et de dégoût, représenté par le Styx, redoutable témoin des serments des dieux. Si la mort est enveloppée d’une horreur mystérieuse, l’acte non moins mystérieux de la génération se couvre chez tous les peuples des voiles instinctifs de la pudeur. Pourquoi ces rougeurs involontaires s’il y a là une loi divine ? Elle est la base de la famille, le chaîne sainte de la communion des êtres et on n’ose pas en parler. C’est que la pudeur est la couronne des chastes déesses, l’auréole de la vierge mère ; il faut laisser à chaque dieu son empire : la lumière souillerait ce qui appartient à la nuit.

Les mystères semblent s’être développés plus tard que les autres formes de la religion grecque. Déméter et Perséphone sont quelquefois nommées dans l’ Iliade et dans l'Odyssée, mais sans qu’il y soit question du caractère secret de leur culte. Le silence d’Hésiode étonne encore davantage, puisqu’un de ses poèmes a pour sujet l’agriculture, et que le pays où il vivait, la Béotie était le séjour de ces populations thraces d’où les légendes font sortir Eumolpe et Orphée. Il est vrai, qu’il y a vers la fin des Travaux un vers où on peut voir unes allusion aux mystères : « Si tu te trouves au milieu des sacrifices allumés, ne te moque pas des choses secrètes, car le dieu s’offense de cela. »

Mais le sens de ce passage dépend du mot αιδηλα, dont les scholiastes donnent plusieurs explications différentes ; l’allusion est donc fort incertaine. L’hymne à Déméter est le plus ancien monument de la religion d’Eleusis, et quoiqu’il appartienne bien à l’école des Homérides, on s’accorde à le regarder comme une des dernières productions de cette école. On trouve le culte de Démèter sous sa forme probablement la plus ancienne chez les Arcadiens, dont les traditions remontent aux premiers âges de la Grèce. Ils adoraient la Terre sous le nom de Déméter la noire. De son union avec Poséidon naissaient le cheval Arion, qui semble comme Pégase une personnification des sources, et une déesse dont Pausanias n’ose pas dire le nom et qu’il appelle seulement Notre-Dame, Δεσποινα. Je suppose que ce devait être une déesse lunaire, Artémis ou Hécate, car on a toujours attribué à la Lune une action sur la végétation, sur la vie et sur la mort, et de là ses rapports avec la Terre ; comme elle paraît sortir des flots, on peut lui donner pour père Poséidon. On sait qu’Eschyle avait fait Artémis fille de Déméter et non de Léto ; c’est peut-être pour cela qu’il fut accusé d’avoir vidé le secret des mystères. Il paraît qu’il n’était pas initié, mais il aimait à ressusciter les traditions pélasgiques. Parmi les temples d’Eleusis, il y en avait un consacré à Artémis qui garde l’entrée, fonction qui la rapproche d’Hécate ou d’Eileithuia, et un autre au père Poseidon. Peut être était-ce en souvenir d’une religion antérieure à la colonie thrace des Eumolpides. Mais cette vieille religion eut elle dès l’origine un caractère secret ? Il me semble qu’on pourrait, expliquer le silence d’Homère à cet égard, en se rappelant qu’à cette époque, primitive, où il n’y a pas encore de nations, mais seulement des familles, à peine groupées en tribus, où la distinction des cultes privés et des cultes publics n’existe pas encore, les cérémonies sont extrêmement simples et n’attirent pas d’étrangers ; on n’a donc pas à recommander le silence. Si dans ces fêtes champêtres la génération des plantes et des fruits est exprimée naïvement par des symboles empruntés à la génération humaine, personne ne songe à s’en offenser, ni à en rire ; l’enfant ne sait pas qu’il est nu, son innocence lui tient lieu de pudeur ; c’est aux approches de la puberté de la Grèce qu’ont dû commencer les mystères.

Pour conserver au culte de Déméter son caractère chaste et féminin ; on n’employa pas partout les mêmes moyens. A Hermione, personne ne pouvait voir ce qu’on gardait dans l’intérieur du sanctuaire de Déméter Chtonia, excepté les quatre vieilles femmes chargées d’offrir les sacrifices à la déesse. Les Athéniens, qui plus que tous les autres Grecs donnaient à la religion un caractère politique, et qui adoraient Déméter comme principe du travail civilisateur, sous le nom de Thesmophore, réservaient cependant aux femmes seules l’entrée du Thesmophorion. De même à Mégalopolis, il n’était permis qu’aux femmes d’entrer dans le temple et le bois sacré de Déméter. Mais le plus souvent, comme à Éleusis, on admettait des personnes des deux sexes, en imposant seulement le secret aux initiés.

J’ai rapporté d’après Pausanias les traditions qui faisait du sacerdoce d’Éleusis une propriété des Eumolpides. Les Athéniens avaient les Thesmophories, qui étaient chez eux une fête nationale, mais les Éleusinies étaient le patrimoine des Éleusiniens, le souvenir de leur ancienne indépendance. Le culte de Déméter était célébré par eux sous une forme spéciale qui en faisait un culte privé ; quiconque demandait à assister à leurs cérémonies, était dans la situation d’un étranger admis à une fête de famille, sous la condition toute naturelle de respecter le foyer de ses hôtes et de ne pas divulguer les secrets qu’ils lui confient. Violer ces secrets, c’était attenter à une propriété garantie par les lois, et c’était en même temps commettre un parjure, car ceux qui demandaient l’initiation s’engageaient par serment à un silence absolu. Toute profanation était poursuivie par les Eumolpides devant les tribunaux d’Athènes. L’histoire a gardé le souvenir de quelques procès de ce genre ; le plus célèbre est celui d’Alcibiade, accusé, avec Andocide et quelques autres, d’avoir parodié les mystères au milieu d’une orgie, à la suite de laquelle ils auraient en outre mutilé les statues d’Hermès. Les Eumolpides, secouant vers le couchant leurs robes de pourpre, prononcèrent leurs terribles imprécations. Seule, l’hiérophantide Théano, refusa de s’y associer, disant quelle était chargée de faire des vœux pour ses concitoyens, non de les maudire. Les accusations aussi graves ne pouvaient être intentées légèrement ; la loi athénienne punissait très sévèrement les dénonciateurs qui n’obtenaient pas le cinquième des suffrages. Mais en donnant des garanties aux accusés, les Athéniens devaient aussi préserver de toute atteinte cette religion des mystères, qui n’était pas seulement une propriété privée, mais qui était devenue, par l’admission des Éleusiniens dans la république d’Athènes, une propriété nationale. L’initiation, considérée comme un privilège des citoyens d’Athènes, avait, pour eux toute l’importance d’un droit politique ; elle devait être entourée d’autant de restrictions que le droit de cité, et protégée par autant de garanties. La violation du secret des mystères était donc une sorte de crime d’État ce qui d’ailleurs est conforme aux habitudes des Grecs, chez qui les institutions religieuses étaient en même temps des institutions nationales.

Ainsi, aux raisons théologiques qui partout enveloppaient de silence et d’ombre le culte des puissances chthoniennes, se joignaient, à Eleusis en particulier, des raisons historiques et politiques plus que suffisantes pour expliquer le secret des mystères, sans qu’il soit besoin d’imaginer une opposition quelconque entre les cultes mystiques et les formes publiques de la religion. Le mystère Eleusinien n’était qu’un des symboles de la religion populaire. Comme tous les autres, il a sa source dans les traditions de l’époque pélasgique, et il a reçu sa forme de l’épopée. C’est ce qui résulte des diverses légendes rapportées sur Eumolpe, l’ancêtre vrai ou supposé des Eumolpides. Selon lstros, il était petit-fils de Triptolème ; selon Akésodore, il était chef d’une tribu de Thraces venue au secours des Éleusiniens autochtones dans la guerre contre Erechtheus. Androtion rapporte l’établissement des mystères, non pas à cet ancien Eumolpe, mais à son cinquième descendant, du même nom que lui, et fils de Musée. Les Eumolpides appartenaient à cette famille à la fois poétique et religieuse a laquelle les Grecs rapportaient le culte des Muses, et d’où étaient sortis ces aèdes qui avaient civilisé la Grèce par la poésie. Le nom même d’Eumolpide signifie habile chanteur, comme Homéride signifie rassembleur, de chants. Après la réunion des poèmes homérique et hésiodiques, on fit circuler des poésies religieuses sous les noms d’Eumolpe, d’Orphée, de Musée, de Pamphôs. Diodore de Sicile parle d’un poème dionysiaque attribué à Eumolpe ; les hymnes orphiques avaient été composés, selon Pausanias, pour les Lycomèdes, une autre famille sacerdotale d’Eleusis, et Pomphôs, d’après le même auteur, aurait fait le premier un hymne en l’honneur de Déméter. Enfin un hymne homérique, retrouvé en Russie vers la fin du siècle dernier [XVIIIe siècle] ; expose en détail toute la légende des grandes déesses d’Eleusis. Il n’y a donc aucune distinction a faire sous le rapport du dogme entre la religion d’Éleusis, et les autres mythes de l’hellénisme ; c’est toujours une tradition populaire développée par la poésie.

Les phases de la végétation, confondues dans un même symbole avec la destinée humaine, les alternatives de la vie, de la mort et de la renaissance sont exposées dans l’hymne homérique à Déméter sous les formes vives ; précises et colorées qui sont propres à la mythologie grecque. La nature est représentée sous les traits d’une mère ; la vie, sous ceux d’une jeune plante, d’une jeune fille. Pendant qu’elle cueillait, le narcisse, la plante narcotique et mortelle, dans les champs de Nysa, au milieu des Océanides, le sol s’entrouvre, et elle est enlevée par le roi des profondeurs souterraines, Hadès. Cependant, Hécate a entendu ses cris, et le Soleil, qui voit tout, dénonce à Déméter le ravisseur de Coré. La déesse, irritée contre Zeus qui a donné sa fille pour épouse au roi des morts, s’éloigne de l’assemblée des dieux. Vêtue de noir, cachée sous les traits d’une vieille femme, elle est accueillie à Éleusis par les filles de Céléos, qui la conduisent à leur mère Métanire. Mais rien ne peut distraire sa douleur, elle refuse toute nourriture jusqu’au moment où une vieille servante, lambé, par ses propos joyeux parvient à la faire sourire. Alors la déesse accepte le hykéon, le breuvage sacré des mystères, dont elle-même enseigne la préparation. Cependant elle ne découvre pas encore sa divinité, car elle est irritée contre les dieux qui ont permis le rapt de sa fille. Elle dit qu’elle s’appelle Dèô, qu’elle vient de Crète et qu’elle a été enlevée par des pirates ; elle demande à élever Démophon, l’enfant de Métanire, qui lui a donné l’hospitalité, et entre ses mains l’enfant grandit d’une manière merveilleuse. La divine nourrice ne lui donnait pas de nourriture, mais elle le frottait d’ambroisie, et, pour le rendre immortel, elle le purifiait chaque nuit par le feu. Malheureusement Métanire, qui la surprend, pousse un cri d’épouvante ; alors la déesse, troublée dans son opération magique, se fait connaître, ordonne aux Éleusiniens de lui élever un temple et institue les orgies. Cependant les champs étaient toujours frappés de stérilité, la famine allait détruire l’humanité et les dieux ne recevaient plus d’offrandes. Zeus envoie Iris à Déméter ; la déesse refuse de se laisser fléchir et redemande sa fille. Hermès va chercher Coré et la ramène à la lumière ; mais elle a goûté de la grenade, son mariage est consommé, elle doit passer un tiers de l’année auprès de son époux, le reste avec sa mère et les autres immortels. Rhéié vient de la part de Zeus chercher les deux déesses et les ramène dans l’Olympe, les champs se couvrent de nouveau de moissons abondantes, et les hommes célèbrent à Éleusis les mystères des grandes déesses.

On voit par cette analyse que l’institution des mystères est directement rattachée à la légende religieuse dont ils devaient perpétuer le souvenir. Le culte, qui n’était là comme ailleurs que l’expression extérieure du dogme, reproduisait toutes les phases de cette légende, dont les personnages divins étaient représentés par des prêtres. L’enlèvement de Coré, le grand deuil de la nature, de la Mère des douleurs, puis l’allégresse du ciel et de la terre à la résurrection du printemps, formaient un véritable drame sacré, avec des alternatives de tristesse et de joie, de terreur et d’espérance. Toute proportion gardée entre les spectacles grossiers d’une époque barbare et les magnificences de l’art athénien, c’était quelque chose d’analogue aux mystères du Moyen âge, qui représentaient aussi la mort et la résurrection d’un dieu. Il y avait comme dans les drames ordinaires, qui en Grèce se rattachaient aussi à la religion, des hymnes, des chants, des processions symboliques figurant les courses de Déméter et d’Hécate, et des effets de théâtre auxquels la perfection de la scénographie grecque donnait un caractère imposant et grandiose. Des clartés splendides succédant tout à coup aux ténèbres faisaient passer les âmes d’une religieuse horreur aux consolations du réveil. L’idée de la vie éternelle jaillissait spontanément de cet enseignement muet qui pénétrait dans l’âme par les sens et la persuadait bien mieux qu’une démonstration métaphysique.

L’hellénisme enveloppe toujours dans les mêmes symboles l’homme et la nature. L’enlèvement de Coré et son retour, ce n’est pas seulement la graine qu’on jette en terre et qui renaît dans le plante, c’est le réveil de l’âme au delà du tombeau. La destinée humaine n’est qu’une forme particulière de ce dualisme éternel, de cette grande loi d’oscillations et d’alternatives qui fait partout succéder la mort à la vie et la vie à la mort. Au dernier acte de l’initiation, le grand, l’admirable, le plus parfait objet de contemplation mystique était l’épi de blé moissonné en silence, germe sacré de la moisson nouvelle, gage certain des promesses divines, symbole rassurant de renaissance et d’immortalité. Ces rapprochements qui se présentent si naturellement à l’esprit, les Grecs les retrouvaient dans les mots même de leur langue :

« Mourir, dit Plutarque, c’est être initié aux grands mystères, et le rapport existe entre les mots comme entre les choses (τελευτη), l’accomplissement de la vie, la mort, tel est le perfectionnement de la vie, l’initiation). D’abord des circuits, des courses et des fatigues, et dans les ténèbres, des marches incertaines et sans issue ; puis, en approchant du terme, le frisson et l’horreur, et la sueur et l’épouvante. Mais après tout cela une merveilleuse lumière, et dans de fraîches prairies la musique et les chœurs de danse, et les discours sacrés et les visions saintes ; parfait maintenant et délivré, maître de lui-même et couronné de myrte, l’initié célèbre les orgies en compagnie des saints et des purs, et regarde d’en haut la foule non purifiée, non initiée des vivants qui s’agite et se presse dans la fange et le brouillard, attachée à ses maux par le crainte de la mort et l’ignorance du bonheur qui est au delà. »

Ce passage, conservé par Stobée, me semble un de ceux qui peuvent le mieux donner une idée de l’ensemble des mystères. Quant au sens de quelques formules, comme Konx Ompax, à la nature des objets sacrés conservés dans la corbeille mystique, et à tout le détail liturgique des cérémonies, il faut nous résigner à l’ignorer ; c’était en cela principalement que consistait le secret de l’initiation. Il fallait que ce secret fût bien peu de chose pour avoir été gardé par tant de gens ; les Éleusinies, réservées d’abord aux citoyens d’Athènes, devinrent peu à peu accessibles à tout le monde ; il suffisait d’être présenté par un Athénien. Les esclaves, exclus d’abord comme les bâtards et les étrangers, finiront par y être admis. Dans une comédie de Théophile, un domestique disait en parlant de son maître :

« C’est lui qui m’a fait connaître les lois grecques, qui m’a enseigné les lettres, qui m’a initié aux mystères divins. »

Les initiés ne formaient pas une aristocratie intellectuelle ; rien, absolument rien ne justifie l’opinion qui les représente comme une classe de mandarins lettrés, méprisant les croyances du peuple. S’il y a eu en Grèce des philosophes qui ont méconnu la profondeur et la haute portée morale de la religion de leur patrie, cela tenait à la tournure particulière de leur esprit, à leurs tendances théocratiques et monarchiques, et nullement à l’enseignement des mystères. Non seulement cet enseignement n’était pas en opposition avec le reste de la mythologie, mais il était lui-même entièrement symbolique, sans aucune espèce de démonstration ni d’explications. Chacun le comprenait à sa manière ; dans les histoires de dieux morts et ressuscités qui faisaient le fond de tous les cultes mystiques, les Evhéméristes croyaient voir une preuve que les dieux n’étaient que des mortels divinisés ; pour d’autres, comme Cicéron, ces symboles empruntés à la vie de la nature semblaient éclairer plutôt la nature des choses que celle des dieux ; mais la plupart étaient surtout frappés, comme Plutarque, des allusions à la vie morale de l’âme.

« L’opinion d’Aristote, dit Synésios, est que les initiés n’apprennent rien, mais qu’ils reçoivent des impressions, qu’ils sont mis dans une certaine disposition à laquelle ils ont été préparés. »

Telle est, en effet, la nature de l’enseignement religieux ; il ne s’adresse pas à la raison comme l’enseignement philosophique, mais à toutes les facultés de l’homme à la fois ; il agit par les sens sur l’imagination, sur le cœur et sur l’intelligence. Les grands mystères de la nature, la lumière, le mouvement, la vie ne se prouvent pas, ils s’affirment. De même les symboles, qui sont l’expression humaine des lois divines, ne se démontrent pas, ils s’exposent, et la conviction descend d’elle-même dans les âmes préparées à la recevoir. Ce caractère se retrouve même dans les religions modernes : Jésus-Christ ne parle qu’en paraboles.

Les initiés n’étaient pas seulement spectateurs dans le drame d’Eleusis ; ils y jouaient un rôle comme le chœur dans les tragédies ; c’est du moins ce que semble indiquer le chœur des mystes dans les Grenouilles d’Aristophane. C’est, ainsi que dans les mystères du Moyen âge le peuple chantait des psaumes. De même aussi, pendant la messe, les assistants mêlent leurs chants aux cérémonies symboliques du drame de la Passion. Quelques usages qui se conservent dans l’Église grecque, par exemple celui de fermer les portes pendant certains actes du saints sacrifice rappellent le caractère secret des mystères de l’Antiquité. Ce n’est pas sans raison que les Grecs donnent le nom de mystères aux sacrements, et en particulier à l’Eucharistie ; le Kykéon, ce pain sacré de la communion primitive, était comme le saint sacrement des chrétiens, un signe sensible destiné à sanctifier l’homme. Les meurtriers et les impies étaient exclus de l’initiation ; on s’y préparait par le jeûne, en souvenir du deuil de Déméter, par une continence rigoureuse pendant la neuvaine sacrée, par une sorte de baptême dans la mer, et par tout un ensemble de purifications, que figuraient dans la légende ces charbons ardents sur lesquels la déesse plaçait son nourrisson, le fils de Métanire.

Quand les mystes avaient reçu la nourriture divine qui les unissait aux dieux, quand ils avaient traversé toutes les épreuves, tous les degrés de l’initiation, jusqu’à l’Epoptie, c’est-à-dire à la contemplation des saints mystères, leur bonheur était assuré même dans la mort, car ils connaissaient les secrets de la vie éternelle.

« Heureux, dit Pindare, celui qui, après avoir vu ces choses, descend sous la terre ! Il connaît la fin de la vie, il connaît la loi divine. »

Il semblait que la sanctification conférée par ce sacrement devait s’étendre jusque sur l’autre vie :

« Le sort des initiés et celui des profanes sont différents même dans la mort », dit l’hymne homérique.

Cette différence supposait implicitement que les mystes avaient rempli les conditions de pureté qui leur étaient imposées, autrement on aurait pu demander, comme Diogène, si un brigand initié serait plus heureux qu’Epaminondas qui ne l’était pas ; les actes extérieurs de piété ne suppléaient pas plus aux bonnes œuvres dans l’Antiquité qu’aujourd’hui. Mais l’influence, morale des mystères n’en était pas moins généralement reconnue. Selon Diodore de Sicile, ceux qui avaient participé aux mystères passaient pour devenir plus pieux, plus justes et meilleurs en toute chose.

« Vous avez été initiés, disait le rhéteur Andocide aux Athéniens, et vous avez contemplé les rites sacrés des deux déesses, afin de punir les criminels et de sauver ceux qui sont purs d’injustice. »

Les symboles mystiques se transformèrent comme tous les autres dans le cours des âges. Triptolème, qui est seulement nommé dans l’hymne homérique parmi les rois d’Eleusis, paraît avoir joué plus tard un rôle plus important ; on le voit souvent représenté dans les monuments, et surtout sur les vases, assis sur le char ailé de Déméter, traîné par des serpents : les deux déesses sont à ses côtés. Il fut même substitué à Minos, comme juge des morts, au moins dans les légendes athéniennes. Un autre personnage dont l’importance devint encore bien plus considérable, Iacchos, n’est pas nommé dans l’hymne homérique : son association avec les grandes déesses est donc postérieure à la rédaction de ce poème.

C’est probablement à l’époque où le culte d’lacchos s’introduisit dans la religion d’Eleusis que furent établis les petits mystères, ou mystères d’Agra, qui correspondaient aux Anthestéries, ou fêtes de Dionysos, comme les grands mystères étaient en rapport avec les Thesmophories. Car lacchos, le médiateur, l’initiateur mystique, n’est, comme Zagreus, qu’une forme de Dionysos. M. Alf. Maury le rapproche avec assez de vraisemblance, de lasios ou lasion, personnage associé à Déméter dans les légendes épiques. Rien n’est plus naturel que d’unir dans un même culte les principales divinités de l’agriculture, de la production et de la mort. L’idée du grain de blé qui meurt pour ressusciter en épi se représente sous une autre forme dans la pluie divine tombant sur la terre pour renaître dans la liqueur sacrée des libations. Le vin pouvait être pris comme le pain pour symbole de la communion des êtres. Cependant il est très difficile de savoir exactement quel était le rôle de Dionysos dans les mystères. Remplaçait-il Démophon comme nourrisson de Déméter ? Était-il substitué à Hadès comme époux de Perséphone, où était-il le fils d’une des grandes déesses ? Dès qu’il est question de Dionysos, toute la mythologie devient obscure et indécise ; les distinctions des types disparaissent et s’effacent, Rhéa est identifiée avec Déméter, Coré (Perséphone), sous le nom de Brimô, avec Hécate, qui elle-même n’est pas distincte d’Artémis. Bientôt Rhéa, Déméter et Coré semblent se confondre, et toutes puissances multiples de la nature sont absorbées dans la vague unité du panthéisme. Si on possédait encore les anciens poèmes dionysiaques, on pourrait suivre dans ses transformations ce culte étrange qui sert de passage entre le polythéisme grec et les religions unitaires de l’Orient ; mais les poésies orphiques que nous possédons appartiennent à une époque où déjà la confusion est complète. Le dieu qui frappe ses ennemis de vertige semble avoir traité de même ses adorateurs ; l’orphisme est le délire de l’ivresse et de l’extase ; la pensée humaine est entraînée comme la nature entière dans la grande orgie.

L’orphisme, qui fut le principal agent de la décomposition de l’Hellénisme, n’était pas un sacerdoce, mais un thiase, c’est-à-dire une congrégation religieuse qui s’était formée, ou du moins recrutée avec les débris de l’institution pythagorique. Les Orphiques avaient, comme les Pythagoriciens, une discipline ascétique et des formules de purification qui s’alliaient à un système de métempsycose peut-être emprunté aux Égyptiens[ou à l’Inde]. De plus, ils composaient des poésies religieuses, et, sous prétexte de réformer le culte national, ils embrouillaient toutes les légendes et les compliquaient d’une foule de rêveries philosophiques et de superstitions étrangères qui en changeaient le caractère primitif. Ils altérèrent surtout les cultes mystiques, dont ils rattachaient l’origine à leur prétendu initiateur, Orphée, et sur lesquels ils greffaient toujours le culte de leur patron Dionysos.

Il faut remonter assez haut pour saisir le point de départ des idées orphiques. Jusqu’à Onomacrite, par exemple, contemporain de Pisistrate, qui fabriqua sous le nom d’Orphée un poème dionysiaque sur la passion de Zagreus, sa mort et sa résurrection. Quoique ce poème soit perdu, on sait, par de nombreuses indications, quel était le sens général de cette légende qui venait probablement de la Phrygie, et qui se retrouve dans la plupart des religions de l’Asie et de l’Égypte. Toujours le principe actif de la vie est représenté par un jeune dieu qui meurt à l’automne et qui ressuscite au printemps, et la nature, par une déesse qui s’afflige de sa mort et se réjouit de son retour. Tel est le sens des mythes de Zagreus déchirée par les Titans, du troisième Cabire tué par ses frères, d’Osiris mutilé par son frère Typhon. La même idée se reproduit dans la fable de le mutilation d’Attys et dans celle de la mort d’Adonis ; la seule différence entre tous ces symboles, c’est que la nature est tantôt la mère, tantôt la sœur ou l’épouse du dieu mort et ressuscité.

L’analogie de ces légendes avec celle de Déméter et de Coré est évidente, et on comprend que des emprunts réciproques aient été faciles. Les Orphiques se firent les colporteurs de ces échanges que favorisait d’ailleurs le goût naturel des Grecs pour les importations étrangères. Malheureusement, le caractère chaste et sévère de la religion grecque eut souvent à souffrir de ces emprunts. Les mythes phrygiens et syriens ont presque toujours un caractère obscène. Les processions phalliques, le culte de Priape, viennent de cette source. En confondant toutes les déesses dans la nature, tous les dieux dans un principe créateur, les Orphiques avaient conservé des distinctions de rôles ; c’était un dieu sous plusieurs noms, un dieu en plusieurs personnes, qui s’engendrait lui-même en s’incarnant dans le sein de sa mère. De là, dans la forme des mythes, des accouplements monstrueux et bizarres dont l’expression, notamment dans les mystères de Sabazios, peut expliquer les accusations des Pères de l’Église. Il est vrai que ces accusations étaient réciproques, car, dans ce conflit de doctrines qui signale la décadence du vieux monde, on voit poindre les querelles religieuses qui remplissent si tristement l’histoire du monde moderne. Les coups les plus violents ne partent pas toujours des camps opposés ; les gnostiques et les manichéens sont fort maltraités par d’autres sectes chrétiennes. Apulée ne ménage pas davantage les prêtres mendiants de la déesse de Syrie. Il est difficile de prendre parti dans ces querelles, surtout après que les derniers vainqueurs ont étouffé la voix des vaincus. Mais on peut remarquer du moins que la plupart des attaques des chrétiens contre l’immoralité des mystères s’adressent à des dogmes orphiques. Et pourtant, l’orphisme fut le véritable précurseur du christianisme ; il substitua au principe de la pluralité des causes celui de l’unité divine, au culte de la vie le culte de la mort, à la morale active et politique de la Grèce républicaine la morale passive et ascétique de l’Orient.

La doctrine de la métempsycose et de la palingénésie tendait, à représenter le corps comme une prison de l’âme, et la vie terrestre comme l’expiation de quelque crime antérieur. Pour éviter un sort pareil ou pire, encore dans une autre vie, il fallait se purifier de toutes les souillures. Le dieu des mystères était appelé le libérateur, λυαῖος, le rédempteur des âmes, le chœur des astres, conduit par Dionysos, représentait dans son évolution circulaire la descente et l’ascension des âmes, tour à tour entraînées vers la Terre par l’ivresse de la vie et ramenées vers le ciel par l’ivresse de l’extase. Le Soleil de nuit, le chorège des étoiles, était le dieu de la mort et de la résurrection ; de là tant de représentations de bacchanales sur les sarcophages. Depuis que l’activité politique était morte, l’esprit cherchait un aliment dans la vie religieuse ; mais la religion républicaine, le culte national des héros protecteurs, avait disparu avec la liberté et la patrie. Dans les âmes repliées sur elles-mêmes, il n’y avait place que pour la religion de la crainte ; chacun songeait à son salut, chacun tremblait à l’idée de la mort prochaine et des expiations à venir, chacun sacrifiait aux dieux de la mort.

On courait chez les endormeurs de remords, on allait des Orphéotélestes aux Métragyrtes, des mystères d’Isis à ceux de Mithra, on demandait le baptême par l’eau ou le baptême par le sang, appelé taurobole ou criobole : le myste descendait dans une fosse au-dessus de laquelle on immolait un taureau ou un bélier, et le sang tombait sur lui goutte à goutte.

Dans les mystères de Samothrace, les purifications étant proportionnelles aux fautes, il fallait se confesser au prêtre des Cabires, appelé Koiès. On dit que Lysandre, invité à déclarer quel était son plus grand crime, avait répondu :

« Est-ce toi ou les dieux qui l’exigent ? — Ce sont les dieux, dit le prêtre. — Eh bien retire-toi, reprit Lysandre ; s’ils m’interrogent, je leur répondrai. »

La même question fut faite à Antalcidas, qui répondit seulement :

« Les dieux le savent. »

Il paraît d’ailleurs qu’il y avait des crimes inexpiables, car on dit que Néron n’osa pas s’approcher d’Athènes à cause des imprécations qui éloignaient les parricides des mystères d’Eleusis. Selon Zosime, Constantin ayant voulu se faire purifier du meurtre de son fils, les prêtres lui diront qu’il n’y avait pas d’expiation pour un pareil crime ; ce fut alors qu’il embrassa le christianisme, sur l’assurance qui lui fut donnée que les chrétiens savaient effacer toute espèce de péché. Ces purifications n’étaient pas nouvelles en Grèce ; on en voit de nombreux exemples dans les légendes héroïques. A la vérité, Homère n’en parle pas, mais il en est déjà, question dans les Cycliques ; on se purifiait pour les meurtres involontaires. Ces cérémonies n’étaient, dans l’origine, que le signe visible du repentir, qui réconcilie l’âme avec les dieux et avec elle-même ; mais, comme il arrive souvent en pareil cas, on finit, quelquefois par attribuer une vertu expiatoire aux formules elles-mêmes, et par s’imaginer que les eaux lustrales suffisaient pour laver les souillures.

Les cultes mystiques furent la dernière forme de la pensée religieuse de la Grèce ; la religion et la philosophie se réconcilièrent dans l’orphisme. On trouve la formule philosophique du panthéisme dans quelques fragments dé l’école orphique qui nous sont parvenus ; en voici un que Stobée cite sous le nom de Linos :

« L’univers règle toutes choses selon les différences. Tout sort de l’univers, et l’univers sort de tout. L’unité est tout, chaque être est une part de l’unité, tout est dans l’unité. Car, de ce qui était un, sont sorties toutes choses, et de toutes choses sortira de nouveau l’unité par la loi du temps. Toujours un est multiple, l’illimité se limite sans cesse et persiste sous tous les changements. La mort, immortelle et mortelle à la lois, enveloppe tout l’univers se détruit et meurt, et sous les apparences mobiles et les formes passagères qui voilent à tous les regards ses métamorphoses, il demeure incorruptible dans son éternelle immobilité. »

De ces dogmes devait sortir une résignation austère qui convenait à la fatigue universelle des âmes :

« Ô univers, s’écrie Marc-Aurèle, tout ce qui te convient me convient ; rien n’est prématuré ni tardif pour moi dans tout ce qu’amènent tes heures ; tous tes fruits me sont bons, ô nature ! Tout sort de toi, tout est dans toi, tout rentre en toi ! »

A mesure que les ombres du soir s’étendaient dans le ciel du vieux monde, la vue des choses divines devenait moins distincte. Tous les types divins semblaient se confondre dans une puissance unique et sans bornes, adorée sous mille noms.

« J’ai entendu tes prières, dit-elle dans Apulée, moi, la Nature, mère des choses, la maîtresse de tous les éléments, née au commencement des siècles, la somme de tous les Dieux, la reine des Mânes, la première des vertus célestes, la face uniforme des dieux et des déesses. J’équilibre par mes mouvements les hauteurs lumineuses du ciel, les souffles salutaires de la mer, le silence lugubre des enfers ; divinité unique, qu’adore l’univers entier sous des aspects multiples, par des rites variés, sous des noms divers. Les Phrygiens premiers-nés m’appellent la Mère de Pessinonte, les autochtones de l’Attique, Athéna Cécropienne, les Chypriotes entourés par les flots, Aphrodite de Paphos, les Crétois armés de flèches, Artémis Dictynne, les Siciliens aux trois langages, Perséphone Stygienne, les Éleusiniens, la nourrice Déméter. Les uns me nomment Héra, les autres Enyo, ceux-ci Hécate, ceux-là Rhamnusia. Mais chez les Éthiopiens qu’éclairaient les premiers rayons du dieu Soleil, chez les Aryâs, chez les Égyptiens, instruits des sciences antiques, on m’honore par les rites qui me sont propres et on me donne mon vrai nom, la reine Isis. »

Aux approches de la nuit, le monde tendait les bras vers cette mère antique des choses, qui tire tout de son sein et y fait tout rentrer. Absorbé comme un vieillard dans la pensée de la mort, il essayait de se résigner à ce long sommeil et passait des terreurs superstitieuses aux extases de l’espérance. Et revenant pour mourir dans cette vieille Égypte qui avait été son berceau et qui allait être sa nécropole, il se coucha en silence dans le tombeau du passé, et sa dernière adoration fut pour Sarapis, le dieu de la mort.