Du suffrage universel, à propos d’un livre de M. Stuart Mill

Du suffrage universel, à propos d’un livre de M. Stuart Mill
Revue des Deux Mondes2e période, tome 46 (p. 44-64).
DU
SUFFRAGE UNIVERSEL
A PROPOS D'UN LIVRE DE M. STUART MILL.

Le public anglais s’est fort occupé, il y a quelque temps, d’un ouvrage de M. Stuart Mill sur le gouvernement représentatif. Dans cet ouvrage, qu’une traduction récente rend accessible aux lecteurs français[1], l’éminent publiciste a consacré au suffrage universel des pages que nous ne saurions trop méditer, même en les combattant sur quelques points. Aucune pensée hostile à cette grande institution n’anime M. Mill. De même, dans l’examen que nous voudrions faire de ses théories, et dans quelques aperçus que nous lui opposons, il n’entrera qu’un seul dessein, celui de rechercher comment l’institution dont M. Mill croit la pratique admissible en Angleterre pourrait se .développer en France par ses meilleurs côtés. Loin de vouloir être compté parmi les détracteurs de cette forme nouvelle de l’intervention du peuple dans les affaires du pays, nous croyons au contraire qu’il serait difficile d’admettre les tendances restrictives du livre de M. Mill, qui nous donne pourtant plus d’un profitable enseignement.

Le suffrage universel, base de notre établissement politique d’aujourd’hui, a parfois irrité les uns et souvent aussi imposé rudement silence aux autres; mais il est évident pour tous que c’est en elle-même seulement que cette puissante forme électorale trouvera les moyens de réformer les excès ou les faiblesses inséparables de toute combinaison humaine. Éprouvé par une expérience de quinze années, espace de temps prédestiné après lequel les choses et les hommes semblent devoir prendre toujours chez nous une couleur ou une direction nouvelle, le suffrage universel a montré çà et là une tendance marquée à se modifier lui-même en se dégageant de l’uniformité confuse de sa création primitive. Approchant en quelque sorte de ce qu’on pourrait appeler une période de formation secondaire, la force électorale paraît chercher à démêler ses élémens divers, et révèle un penchant à se classer par groupes plutôt qu’à se laisser confondre par masses dans une aveugle et muette obéissance.

Chacun a présentes à la mémoire maintes circonstances solennelles où certaines parties de notre constitution ont été proclamées perfectibles, et où l’Angleterre nous a été désignée comme un modèle à imiter dans la recherche des améliorations raisonnables. N’est-ce pas faire acte de bon citoyen que d’obéir à de telles invitations, alors surtout qu’un éminent publiciste anglais voudrait nous faire un emprunt politique en proposant d’établir dans son pays le suffrage universel avec quelques modifications? Nul moment à coup sûr n’est plus favorable pour rechercher quelles lumières jettent sur un des graves problèmes de notre époque les théories qui se produisent en Angleterre et les applications assez nombreuses qu’on a vues se succéder en France.

Le livre de M. Mill est dans son ensemble une œuvre remarquable et capitale dont il est superflu de faire ressortir l’importance et l’utilité; mais c’est la question particulière du suffrage universel en France qui nous préoccupe avant tout aujourd’hui. Il nous est donc permis de ne pas trop insister sur l’application des idées de l’auteur à son pays, d’autant plus qu’il n’en est encore qu’à la conception philosophique d’un système. Il court sans entraves dans une région purement spéculative, tandis que nous marchons, non sans quelque labeur, sur un terrain positif, hérissé de difficultés anciennes et nouvelles; des douceurs de la théorie, nous avons passé aux amertumes de la pratique, et nous ne jouissons pas à l’aise, comme en Angleterre, du privilège d’appartenir à un pays où jusqu’ici l’on peut tout dire sans rien ébranler.

M. Mill pense que la perfection, l’idéal du gouvernement en général, c’est le gouvernement représentatif, et que la perfection du gouvernement représentatif, c’est le suffrage universel; mais il ne paraît pas être bien sûr que le gouvernement représentatif et libre puisse marcher aisément avec le suffrage universel tel qu’il est aujourd’hui pratiqué. En effet, on peut être universellement représenté. sans que la représentation arrive à gouverner : où est alors le gouvernement représentatif? Aussi le savant publiciste propose-t-il plusieurs nouvelles combinaisons, dont le but est de trouver les moyens les plus complets de représenter dans les assemblées la totalité des citoyens, la minorité aussi bien que la majorité. Pour en arriver là, il recommande le système compliqué que proposait, il y a plusieurs années, un ingénieux économiste anglais, M. Hare; puis il exclut du vote soi-disant universel tous ceux qui ne savent pas lire, écrire et calculer[2], tous ceux qui ne paient pas d’impôts, et enfin quiconque a reçu depuis cinq ans quelque secours de l’assistance publique. En exigeant une série d’examens sur la cosmographie, l’histoire, l’arithmétique et la règle de trois, ce système restrictif établit une sorte de baccalauréat électoral qui donne aux plus habiles un droit de vote plural et gradué selon leurs mérites littéraires. Dans cette combinaison de vote progressif, l’électeur lettré, coté ad valorem, aurait personnellement plusieurs voix à faire valoir au scrutin, tandis que le suffrage unique serait réservé à ceux qui ne savent que lire, écrire et calculer, jusques et y compris la règle de trois. Le vote plural n’est pas en Angleterre une complète nouveauté : on y est habitué de longue main pour l’administration des paroisses et de la taxe des pauvres; mais ce mode de votation choquerait étrangement notre goût pour l’égalité. Sous quelque prétexte que ce fût, nous ne supporterions pas que notre voisin mît à lui seul dix bulletins dans l’urne électorale pendant que nous n’en déposerions qu’un. L’opinion en France a déjà été sondée à ce sujet, et ceux qui avaient timidement émis le vœu modeste que tous les électeurs fussent capables de lire et d’écrire le bulletin de vote par lequel ils disposent de leurs destinées et des nôtres ont été traités d’aristocrates et de rétrogrades. Qu’on craigne une aristocratie de l’alphabet, cela étonne un Anglais. — For shame ! — dirait-il. C’est que, sur l’autre rive de la Manche, on a le raisonnement de l’égalité philosophique, mais non pas notre instinct français de l’égalité pure, sucé avec le lait. Le pauvre assisté et l’homme qui ne sait pas lire[3] font chez nous de très belles majorités, et, comme ils ont pris une position politique assurément inexpugnable, il est bon peut-être qu’ils soient représentés, ne fût-ce que pour nous tenir au courant de leurs erreurs, de leurs menaces, de leur infériorité intellectuelle ou de leur supériorité numérique. L’électeur sans instruction pris en masse est un fondateur de gouvernement ou d’anarchie tout comme un autre; par suite de nos brusques vicissitudes politiques, l’ignorance a pris droit de cité parmi nous, et l’on doit compter avec elle, sinon s’incliner devant son pouvoir. L’on ne peut plus penser à établir que l’éducation universelle doive précéder le suffrage universel ; le citoyen illettré qui ne peut recommencer son éducation n’a nulle envie de substituer à d’autres générations ses droits et ses espérances.

Le vote plural est trop en dehors de nos mœurs politiques françaises pour qu’il ne soit pas superflu d’insister davantage. Que le lecteur s’arrête de préférence sur le chapitre le plus nouveau et le plus intéressant du livre de M. Stuart Mill, celui qui est consacré à la défense des droits méconnus des minorités. On ne saurait trop louer en effet la recherche des moyens les meilleurs pour venir au secours des minorités, qui de nos jours subissent une dure revanche des abus de pouvoir qu’elles ont pu avoir à se reprocher en d’autres temps. « L’idée pure de la démocratie, c’est le gouvernement de tout le peuple par tout le peuple également représenté[4]. » Ce principe est aussi incontestable que hautement, libéral ; seulement le système[5] présenté par M. Mill et ses amis nous paraît difficilement praticable. On a souvent parlé de mécanisme en fait de gouvernement, mais c’est d’horlogerie politique, et de la plus fine, qu’il faudrait peut-être qualifier cette fois la combinaison électorale proposée.

Ingénieux et neuf en fait de suffrages et d’élections, le livre nous paraît devenir bien audacieux lorsqu’il défend sérieusement l’idée de faire voter les femmes, victimes de ce que l’auteur appelle « l’accident du sexe[6]. » L’action qu’exerce la femme dans le domaine des questions morales et politiques ne se prête guère aux classifications nouvelles que l’on voudrait établir. Pour ne parler que de la France, dans ce pays qui a connu ce qu’on nommait autrefois la bonne compagnie, à la cour comme à la ville, les femmes ne votaient pas, mais régnaient, et elles régnaient souvent sur des hommes d’élite. Le foyer de la famille et les salons étaient leur empire; que gagnerait-on à les en éloigner? Indulgentes ou sévères pour les entraînemens du cœur, les femmes donnaient le spectacle de hautes vertus plus souvent encore que celui d’élégantes faiblesses. Tout n’était pas futile dans un monde où l’on songeait toujours à plaire, et maintes fois les défaillances de l’esprit ou du caractère étaient soutenues ou relevées par de délicates et généreuses influences. Le commerce des femmes, prisé jadis comme l’encouragement et le délassement utiles de la vie occupée, ne l’était pas moins comme apportant aux heures de loisir ou de retraite un charme et des consolations favorables au mouvement de l’esprit; car les Françaises ont excellé dans l’art de la conversation, et dans les entretiens qu’elles présidaient s’ébauchait souvent la discussion des plus graves intérêts. Il y avait alors des réunions variées où régnait beaucoup d’indépendance de langage avec une grande égalité. Quel que fût le nom ou la fortune, on n’y était apprécié et choyé qu’en proportion de la distinction et de l’agrément personnels, par une forme de suffrage universel qui n’était pas plus exempte qu’une autre, il faut bien le dire, d’engouemens et d’erreurs. C’était une sorte de république de l’élégance, du talent, de l’esprit ou de la beauté, république des gens comme il faut, qui s’était maintenue jusqu’après la restauration. Du reste, même en laissant de côté l’hypothèse de l’introduction officielle des femmes dans la vie politique, il peut sembler douteux qu’on parvienne à établir prochainement en Angleterre le système du suffrage universel sans un entier bouleversement.

Quant à notre pays, est-ce par politesse que M. Mill s’occupe beaucoup du suffrage universel de l’Amérique et peu de celui de la France? Trouverait-il que nous n’avons pas réalisé « l’idéal du gouvernement représentatif, dont la perfection, selon lui, est le suffrage universel? » Quel que soit à ce sujet l’avis de M. Mill, il ne nous semble guère croyable que cette grande institution n’enfante pas à la longue quelque liberté dans tous les pays qui sauront la comprendre et la pratiquer. Comment faut-il comprendre et pratiquer le suffrage universel? Telle est la question que soulève le publiciste anglais, et ce qui le frappe comme tous les esprits sérieux dans l’exercice du suffrage universel, c’est l’amalgame de tous les élémens sociaux d’un pays, tous excellens, mais confondus. Quand tout le monde sans exception vote indistinctement, cela est très flatteur; mais ce qui le serait davantage, c’est que tout le monde fût représenté efficacement ou distinctement au moins, selon la nuance de sa situation, de sa personnalité ou de son intérêt. En France par exemple, ce qu’on redoute, ce n’est pas le peuple, c’est la foule, force aveugle et irresponsable. La foule électorale, aussi bien que la multitude agglomérée, renferme des dangers et une impuissance évidentes, et ni l’une ni l’autre ne constituent l’état normal et nécessaire d’une démocratie régulière. Que nous soyons une démocratie, nul n’en saurait douter; mais on ne saurait nier non plus que nous ne soyons une démocratie mixte. A ceux qui prétendent tour à tour que la France est une démocratie libérale, une aristocratie de la fortune ou du talent, une bourgeoisie ou une foule sans idées politiques, ne demandant qu’à rester en tutelle, on peut répondre, d’après plusieurs expériences contradictoires et manquées, qu’on n’en sait vraiment rien. La France n’est absolument aucune de ces choses, mais elle est plus ou moins chacune de ces choses. De là viennent les contradictions et les reviremens d’opinion si multipliés dans notre pays, qui voudrait néanmoins être représenté tel qu’il est, dans ses nuances comme dans son instabilité. Il faudrait donc trouver un instrument assez fin et assez pratique pour reproduire dans le corps électoral les différences et les transformations rapides des situations privées. Et comme il importe beaucoup d’échapper aux inconvéniens de la faiblesse ou de la domination de la foule, serait-il trop audacieux de chercher à perfectionner le système électoral en séparant les élémens principaux des intérêts existans, et en les mettant en présence, pour leur laisser apercevoir clairement ce qu’ils ont à craindre ou à espérer les uns des autres ? Une combinaison acceptable de ce genre une fois trouvée, on verrait peut-être d’une part ce qu’on procurerait au pays d’influence sur le gouvernement, et de l’autre ce qu’on donnerait de stabilité au pouvoir. Nous ne jouissons pas encore d’une diffusion des lumières suffisante, mais nous avons la diffusion de la propriété. Pourquoi n’en pas profiter afin d’établir une classification plus praticable que celle que l’on fonderait sur l’instruction, et n’entraînant d’exclusions d’aucun genre? Si la démocratie est le peuple organisé, on comprend que chacun s’y puisse rallier; mais si c’est la foule, tout le monde doit la craindre.

Il est peu judicieux sans doute de répondre à la proposition d’un système compliqué par celle d’un autre système tout aussi hasardeux; néanmoins on admettra peut-être sans malveillance l’étude absolument théorique d’un suffrage universel modifié et divisé par groupes de situations et de catégories, car bien que les classes aient disparu, les différences de situation sont restées. Le suffrage universel sans restriction ne saurait-il être établi sur une base mixte et pondérée, fondement nécessaire d’un juste équilibre représentatif? S’il était permis de comparer l’arithmétique à l’art de la politique, qui est l’opposé des sciences exactes, on pourrait dire en principe qu’il serait heureux de trouver une combinaison et une règle de proportion par lesquelles on supposerait qu’en fait d’élections la propriété est au nombre comme le nombre est à l’industrie, celle-ci au commerce, et ainsi de suite entre les principaux élémens du pays[7]. Il est évidemment impossible de réaliser exactement une telle balance, toutefois on peut approcher plus ou moins de cet idéal de pondération. Mais, dira-t-on, pour fonder une classification électorale sans partager la société en classes, système incompatible avec les progrès et les idées modernes, quelle organisation adopter, qui ne soit ni arbitraire, ni choquante? En dehors de l’ignorance et de l’instruction, deux mots, richesse et pauvreté, semblent indiquer la grande et presque la seule distinction qui subsiste entre les habitans de notre pays. Serait-ce sur une base aussi brutale, aussi élémentaire qu’on pourrait songer à établir une division électorale? Nul ne voudrait le prétendre ; mais indépendamment des personnes il est une classification tout aussi naturelle et aussi positive qui se présente d’elle-même. C’est la division par grands intérêts, non en prenant ce mot d’intérêt dans le sens étroit de la préoccupation personnelle du gain et du profit particulier, mais tel que l’entendent les Anglais, qui conçoivent une plus haute idée des intérêts et qui en ont fait presque des institutions (money interest, land interest, etc.) : intérêts rivaux, mais non ennemis, parce qu’ils ne peuvent se passer les uns des autres. Il y a aujourd’hui comme une sorte de dédain pour les théories politiques, tous les regards se portent sur les théories sociales; or l’étude des intérêts entre dans le vif de cette dernière question.

Nous entendons d’ici des protestations éloquentes et nombreuses s’élever contre l’égoïsme et l’esprit mesquin des intérêts ; mais la classification dont il s’agit n’exclut en rien la puissance de l’opinion et des idées. Et d’ailleurs où que l’on prenne les électeurs et les élus, il y a beaucoup de chance pour que les uns et les autres aient toujours quelque vue intéressée patente ou cachée. Une combinaison politique fondée sur le désintéressement semble difficile à rencontrer; quel serait le jury d’examen chargé de constater les aptitudes en une pareille matière ?

Au reste, la division des intérêts matériels et moraux séparément groupés et applicables au suffrage fractionné est toute trouvée: c’est celle des grands intérêts conservateurs et producteurs. Les divers intérêts, agricoles, ouvriers, manufacturiers, intellectuels ou commerciaux, sont des cadres précis et distincts; quoi qu’on fasse, ils subsisteront toujours; pourquoi n’en point user comme d’instrumens d’ordre et de division ? Une telle division, portant sur les choses et non pas seulement sur les personnes, ne présente aucun des inconvéniens de l’ancien établissement des classes; l’indépendance de tous au contraire serait ainsi pleinement respectée, car chacun pourrait changer de groupe électoral comme de situation, et l’ouvrier à 2 francs par jour, devenu par hasard ou par industrie propriétaire, inventeur, chef de fabrique ou commerçant, irait voter avec les électeurs qui ont des intérêts analogues à ceux que comporte sa situation nouvelle; comme il aurait changé de condition de fortune, il changerait de catégorie électorale de plein droit, sans demander la permission à personne. Dans le vote universel, mais divisé, se retrouverait naturellement la part plus ou moins grande de chaque fraction sociale existant de fait dans le pays. Ce serait, quant aux élections, une véritable institution mixte, et les chambres résultant de ce système se plieraient aussi bien que toute autre combinaison gouvernementale aux variations de prépondérance et de restriction des influences parlementaires.

Si le suffrage universel imparfait n’est ni un maître prévoyant ni un serviteur toujours docile, c’est au moins une puissance réelle et franche; en faire l’essai consciencieux est l’œuvre de notre temps. Le gouvernement par les masses a, comme toute autre forme politique, ses difficultés et ses inconvéniens; mais, lorsque nous parlons de division électorale, ce n’est point dans l’idée d’affaiblir l’institution du suffrage universel d’après l’ancienne maxime : diviser pour régner. Au contraire, le but de notre proposition serait de fournir au pouvoir central la faculté de diviser pour moins régner, et s’il est opportun aujourd’hui de s’occuper spéculativement de représentation et de votes, supposons un instant que le suffrage universel ne soit pas le suffrage de la foule, mais celui des élémens distincts et égaux du peuple entier; ne pourrait-on alors, afin de reproduire par le système électif l’image fidèle de la société, adopter la division qu’on s’est proposé de tracer ici, comme esquisse rapide des forces vives du pays : c’est-à-dire d’abord l’intérêt agricole et celui de la propriété, représenté par tout individu, riche ou pauvre, possédant une terre ou une maison, ainsi que par tout fermier payant un bail; ensuite l’intérêt commercial, industriel et maritime, choisissant ses députés à part; puis l’intérêt ouvrier mieux groupé, ayant comme les autres, en proportion de sa force numérique, ses députés spéciaux; enfin l’intérêt intellectuel, littéraire et moral[8], embrassant tout ce qui, sans propriété et sans fortune indépendante, vit chez nous des professions libérales.

Sans s’arrêter aux difficultés de détail, que résoudrait peu à peu l’expérience, à supposer qu’un tel système fût jugé admissible[9], ne pourrait-on prétendre que le pays serait ainsi réellement représenté, et trop réellement peut-être au gré de quelques-uns?

Les premières épreuves de l’extension illimitée du privilège électoral ont amené bien des désappointemens. Avec le suffrage universel, on s’attendait à ce que tout le monde serait satisfait; mais dans la réalité, quelque étendu ou restreint que soit le droit de vote, il faut nécessairement qu’il y ait toujours une forte part de gens mécontens et battus aux élections. L’avènement des masses à la vie politique ne change rien à ces conditions, car le fond même des institutions électives est d’accepter d’avance également la victoire ou la défaite. Les systèmes politiques modernes établis sur l’élection ne sont praticables et utiles que par la résignation des minorités et par la modération des majorités; c’est ce qu’on a trouvé de mieux jusqu’à présent, mais ce n’est que cela. La théorie absolue des droits du nombre peut, comme toute autre, être facilement poussée à l’absurde, et pour rappeler à ce propos une des plus judicieuses pensées de M. Mill, la différence entre l’esclave irresponsable et l’homme libre, c’est que le premier obéit à un ordre personnel et direct, le second à une loi; mais il faut toujours finir par obéir à quelqu’un ou à quelque chose.

Les uns croyaient qu’avec le suffrage universel tout était perdu, d’autres que tout serait toujours sauvé. Cela n’a été ni si pernicieux ni si parfait; mais cette institution, créée en faveur du nombre, peut arriver à des résultats contraires à l’égalité. Ainsi le suffrage universel pur et simple étouffe et écrase les minorités, non point seulement les minorités politiques, qu’on appelle des partis quand elles sont vaincues, et le pays légal quand elles triomphent, mais encore les minorités numériques. Ainsi cent ouvriers dans une ville de dix mille commerçans ne seront jamais représentés comme ouvriers; ils pourront voter pour tel candidat, mais ce candidat ne sera pas le leur en propre. Un ou deux grands manufacturiers, au milieu de dix mille ouvriers de leurs fabriques, ne seront pas non plus spécialement représentés, tant que les élections resteront uniquement fondées sur le nombre et sur la division par localités. Nommés aujourd’hui d’après cette division seulement, les députés ne pourraient-ils pas l’être d’après une division par localités et par personnes tout à la fois? C’est une question qu’il n’est pas superflu d’examiner, car si, par le hasard de sa résidence, chacun peut espérer d’être représenté selon son opinion politique, ce qui est très vague pour la plupart des électeurs, il ne l’est pas selon sa situation sociale. Le classement géographique et local est-il donc plus judicieux qu’un autre?

De ce que le commerce, l’intelligence et les arts, la propriété, l’industrie ou la force ouvrière ne sont pas représentés par des nombres égaux d’électeurs, il ne s’ensuit pas que l’un de ces intérêts soit condamné à être opprimé par un autre, ni aucun d’eux sacrifié; le pouvoir ne doit pencher d’aucun côté, et la proportion numérique toute seule n’est point une raison de justice ni d’égalité. Le nombre pris comme seule base électorale peut, en certains cas, dénaturer et vicier toutes les élections, sans donner même à la foule qui l’emporte une véritable et personnelle satisfaction, ni un organe politique particulier et spécial. Que dans chaque catégorie de la société la majorité décide au déplaisir de la minorité, il s’y faut résigner; mais rien n’oblige d’établir que l’égalité entre les individus supprime l’égalité entre les intérêts, car tout citoyen est double: il est citoyen, puis autre chose encore, c’est-à-dire propriétaire, ouvrier, industriel ou savant, et ne faut-il pas concilier son double droit d’existence et de situation? L’homme civilisé doit-il être jeté nu et dépouillé devant l’urne électorale, sans autre évaluation que son existence physique, et sans qu’il soit tenu aucun compte de ce qu’il sait, produit ou possède? Pour que l’élargissement de la liberté des élections fût un progrès et non un danger, et fît la juste part des intérêts, il faudrait donc nécessairement admettre quelque modification ou complément à la doctrine présente du suffrage universel; mais, lorsqu’on cherche un point de départ politique quelconque, à la fois positif et moral, on ne sait où le prendre. La commune est plutôt un fait qu’un principe, et peut difficilement aujourd’hui être considérée comme l’origine ou l’école d’une force politique : c’est une division toute matérielle et le premier échelon local du gouvernement, ou plutôt chaque commune n’est qu’une des mailles du grand filet administratif qui nous enveloppe, et un cadre ou engin commode pour nous saisir et nous guider. Le canton et le département, dans leur organisation présente, semblent offrir des conditions à peu près analogues. Aussi, nous résignant provisoirement à chercher une solution dans des régions peu élevées, le premier point de départ et la justification d’une classification électorale ne pourraient-ils être d’abord l’impôt, relation la plus palpable de toutes entre le gouvernement et les administrés? Ce serait un premier partage se pouvant prêter à des subdivisions plus détaillées.

Quel est le droit de tous sur le vote, sur la quotité et l’emploi de l’argent fourni par les impositions? Jusqu’à quel point celui qui n’en paie pas doit-il concourir au choix de ceux qui sont élus pour établir cet impôt et en régler l’usage? Peut-on mettre la main dans la bourse de son voisin et, sans délier la sienne, lui imposer de lourdes dépenses? Cela semble contraire à la justice et à l’égalité, et peut produire de funestes effets. « Ceux qui ne paient pas d’impôts, disposant par leurs votes de l’argent d’autrui, ont toutes les raisons imaginables pour être prodigues, et aucune pour être économes. Chacun sait que c’est là ce qui, dans les grandes villes des États-Unis, a fait monter à un chiffre tellement exorbitant les impôts locaux[10]).» Comme ce sont les représentans qui votent les impositions, si le suffrage est emporté par la seule force du nombre, celui-ci est tout puissant pour dépenser l’argent d’autrui. Or, tant qu’on admettra les droits de la propriété, il faudra bien admettre aussi qu’il doit y avoir une part d’influence et de direction plus forte sur l’emploi des revenus du pays pour ceux qui en fournissent les élémens. C’est ce qui au reste est appliqué parmi nous pour les dépenses communales, à la fixation desquelles concourent dans une égale proportion les plus imposés de la commune réunis aux membres du conseil municipal. Ce principe accepté, bien qu’obscur et modeste, pourrait, s’il était développé, amener de grandes conséquences ; en effet, chacun de nos droits exercés nous impose un devoir, et chaque devoir accompli nous donne aussi un droit corrélatif.

Jusqu’à présent, l’axiome du suffrage universel se réduit à ce raisonnement : j’existe, donc je vote. Sans trop s’écarter du droit matériel de l’existence qu’on prend pour base, sans trop manquer à l’esprit de l’axiome, on pourrait ajouter ceci : Je paie, donc je vote, et comme j’existe aussi, il faut donc qu’on me fournisse, comme citoyen imposé, le moyen de peser d’un double poids dans la balance électorale : au double titre premièrement de représentant d’une partie de la richesse publique et privée qui paie, secondement de représentant d’une existence individuelle. Nous avons en effet deux espèces d’impôts, l’un qui s’applique à tous, l’autre qui ne pèse que sur quelques-uns; on pourrait donc soutenir à la rigueur qu’en fait d’influence il faudrait que chacun en eût pour son argent. Les impôts indirects et de consommation sont, il est vrai, supportés par tout le monde; mais celui qui paie l’impôt foncier, les prestations et les patentes, n’est pas moins soumis qu’un autre aux charges indirectes : il acquitte par conséquent double imposition. Nous n’avons à traiter ici ni de la nature ni de l’assiette de l’impôt, et, quels que soient les changemens successifs que dans l’avenir puissent amener des théories nouvelles sur l’impôt, le présent seul nous occupe. Il faut être de son temps, bien qu’on soit démocrate, et si l’on ne peut établir une exacte relation entre l’influence politique et les charges supportées, encore faudrait-il au moins chercher une sorte de prudente proportion. Le suffrage universel, en dehors de l’application actuelle, se prête-t-il à d’autres combinaisons que celles du vote à deux degrés, ou du vote plural et gradué, recommandé par M. Mill pour éviter les inconvéniens de la foule? La grande et simple division des intérêts avec égalité entre eux ne serait-elle pas préférable ou au moins plus admissible en principe? En tout cas, l’examen de cette théorie aujourd’hui a l’avantage de fournir un cadre saisissante l’étude et à l’analyse des élémens et des intérêts séparés du corps électoral. Le suffrage universel étant le gouvernement du nombre, nous sommes conduit à rechercher ce que c’est que le nombre en France. Voici comment on peut le décomposer et l’analyser, d’après les sources les plus officielles, bien qu’elles soient insuffisantes dans le détail.


Divisions par 35,000. Électeurs Division par 35,000. Députés.
Agriculture, fermage, grande, moyenne et petite propriété 5,285,000 151
Commerce, industrie 1,505,000 43
Professions libérales 455,000 43
Ouvriers agricoles non propriétaires, ouvriers industriels et du commerce, prolétariat pur 2,730,000 78
Totaux 9,975,000 285

D’après le dénombrement qui a servi de base à ces chiffres, la balance dynamique de la puissance élective du pays se produit donc ainsi : la propriété et l’agriculture possèdent une force législative de 151 députés[11]; cette force est pour le commerce et l’industrie de 43 députés[12], et de 13 pour les professions libérales[13]; pour les ouvriers simples prolétaires[14], la force législative est de 78 députés. Que ces forces soient mises chacune à part ou confondues, elles n’en existent pas moins dans le rapport des chiffres qui viennent d’être exposés. Avec le système de vote d’aujourd’hui, on ignore et il est impossible de savoir dans quelles proportions ces forces s’appliquent ou se développent aux élections : est-ce un bien ? Au moyen du suffrage divisé, ces forces se montreraient à nu et en présence : serait-ce un mal? N’y aurait-il pas en outre un grand avantage à savoir d’où vient chaque député, non point seulement de quel lieu géographique, mais encore de quelle région sociale?

En tout cas, la proportion de représentans assignée aux divers intérêts pouvant varier à chaque élection d’après les changemens survenus dans l’état et la situation des électeurs[15], c’est une simple question de chiffres aussi facile à saisir et à résoudre par les gouvernés que par les gouvernans. Cette combinaison électorale serait en outre conforme aux principes de la plus stricte égalité, puisqu’on mettrait sur la même ligne les ouvriers médiocres, qui produisent peu, et les habiles ouvriers, qui produisent beaucoup, et que pareillement on placerait sur le même pied les propriétaires ou commerçans qui paient beaucoup d’impôts et ceux qui en paient peu, et que les députés des uns comme des autres auraient une part égale d’influence politique dans le gouvernement. Sans qu’il soit nécessaire d’être riche, il suffirait d’être détenteur d’une fraction de la richesse nationale pour être appelé à représenter celle-ci au scrutin, de même qu’il ne serait pas besoin d’être un travailleur intelligent ou courageux pour représenter l’intérêt ouvrier, car il y a quelques oisifs volontaires dans les classes laborieuses, et leurs droits, égaux aux nôtres, sont sacrés.

Pour que la représentation distincte des intérêts fût complète, il faudrait d’abord que chaque catégorie votât séparément, et alors les ouvriers et les pauvres, toujours trop facilement poussés à réclamer violemment contre l’ordre établi, verraient avec évidence qu’ils ont par ce moyen une voie ouverte aux réclamations légales, et ils se croiraient beaucoup mieux défendus et protégés par des représentans spéciaux. Peut-être en ce cas obtiendrait-on que l’ouvrier farouche et abusé n’allât pas conspirer dans l’ombre, ce qui n’est ni fier ni digne d’un électeur et du citoyen d’un grand pays.

En outre le vote séparé pourrait conduire au renouvellement annuel des assemblées par cinquièmes. Cette théorie a déjà été l’objet d’une brillante discussion en 1817; est-elle absolument condamnée? De l’élection échelonnée il résulterait chaque année une infusion nouvelle de l’esprit du pays dans le pouvoir représentatif; ce serait une chambre qui ne vieillirait pas, et en politique il n’est guère permis de vieillir parmi nous.

D’après cette hypothèse, les intérêts séparément groupés serviraient à diviser et à fortifier le suffrage universel, mais non à gouverner directement. Dans leur accord et leur confrontation se rencontreraient d’utiles élémens pour gouverner, et la chambre élective produite par un tel système ne serait uniquement ni une chambre de commerce, ni un comice agricole, ni une réunion de syndicats ou d’actionnaires, mais le lien véritable et la grande unité du pays, représenté tout entier par chaque député d’après le principe admis jusqu’ici en France et en Angleterre malgré les divisions locales et les circonscriptions géographiques adoptées chez l’une et l’autre nation. Quant à l’esprit d’une chambre ainsi constituée, on peut être sans crainte. Les intelligences s’élèvent et s’échauffent vite dans les grandes assemblées politiques. Les Français réunis prendront toujours les questions d’assez haut, et, dès qu’ils auront commencé, ne seront pas longtemps à chercher, leurs voies dans l’art de bien discourir au Palais-Bourbon, ce paradis perdu des émotions parlementaires. Sans rien abandonner ni sacrifier dans la défense de notre cause, nous pouvons prendre en main celle du pauvre et de l’ouvrier, pour ne pas les laisser tomber sous la domination de rêveurs funestes ou d’agitateurs intéressés. S’il ne faut pas se laisser gouverner par les ouvriers et les pauvres, il est bon de ne les pas traiter comme des enfans, car ce sont en tout cas des enfans terribles. En outre, avec le suffrage universel divisé, chaque minorité vaincue sur le terrain électoral n’aurait lieu d’en vouloir qu’à ses pareilles. Lorsqu’elle se trouverait opprimée dans son choix, elle ne se devrait plaindre que de confrères qui ont au fond les mêmes intérêts; ce serait une querelle de famille qui aurait peu de chances de s’envenimer.

Il est inutile d’ajouter que les représentans des intérêts divers pourraient être choisis dans toutes les situations, et que dans le choix des députés les règles seraient les mêmes que celles qui existent aujourd’hui. Les propriétaires adopteraient à leur gré pour représentant un astronome ou un général, et de même les ouvriers, les commerçans ou les lettrés choisiraient indistinctement pour député un publiciste, un propriétaire, un géomètre, un médecin, un avocat, ou tout autre. Si les artisans voulaient se faire représenter par l’un d’eux, on ne saurait les en empêcher; mais s’ils le faisaient exceptionnellement, par amour-propre de classe, ils ne gagneraient pas à voir leur cause défendue et plaidée, ainsi que les grandes questions politiques décidées par l’ignorance présomptueuse d’un des leurs, et, dans le cas où celui-ci serait assez instruit pour être à la hauteur de son mandat législatif, il n’y aurait plus lieu de le considérer comme un simple artisan. Il est probable que, dans l’hypothèse du suffrage divisé, les choix seraient à peu près semblables à ce qu’ils furent à d’autres époques; seulement la signification en serait différente. En outre, pour rendre pratique cette combinaison électorale, il serait indispensable de ne pas tomber dans une réaction exagérée contre l’administration et la puissance gouvernementale, qui ont aussi bien que le dernier d’entre nous leur droit de légitime défense. A charge de revanche, ne doit-on pas leur donner ce que les Anglais appellent fair play? D’après le principe développé par M. Stuart Mill[16], il y a certaines choses que le gouvernement, « l’exécutif, » peut seul bien faire : en revanche, il est un autre ordre d’affaires qui se font mieux sans lui; mais, pour que la représentation nationale offre une fidèle image du pays tel qu’il est, l’influence du pouvoir central, à laquelle nous sommes habitués, ne saurait se trouver absolument exclue des assemblées. Ne pourrait-on, comme en Angleterre, par quelque fiction admise et réglée, remettre à la nomination du gouvernement dans la chambre législative un certain nombre de sièges? Quelques personnes trouveront sans doute qu’il est un peu naïf de prendre dans notre pays tant de souci du gouvernement; cependant, lorsqu’il s’agit de rendre la liberté durable, l’exemple de l’Angleterre nous enhardit, et aucune des précautions qu’elle a été la première à prendre ne nous paraît devoir être négligée.

Ne serait-ce pas donner trop d’importance à cette étude que de s’arrêter aux objections qui se présenteront peut-être à l’esprit de ceux que troublent certains souvenirs de 1848, lorsqu’on parle de la représentation spéciale et distincte des populations ouvrières? Nous ne sommes ici que dans le domaine de la théorie, et une telle discussion serait assurément prématurée. Il n’y a pas lieu non plus de répondre à ceux qui craindraient de voir dans la division du corps électoral un retour déguisé vers les anciennes séparations de la société en classes. Ce serait en tout cas à de plus autorisés que nous de résoudre ces graves questions; seulement on a vu depuis quatre-vingts ans surgir et s’écrouler tant de choses, qu’il nous paraît embarrassant de décider ce qui est impossible et ce qui ne l’est pas.

D’autres objections d’un ordre différent nous touchent de plus près. Il en est une par exemple que nous prévoyons et à laquelle nous tenons à répondre, car elle tendrait à mettre le système que nous exposons en lutte avec un des principes les plus chers à la société française depuis 89. Dans un classement électoral conçu d’après les bases qui viennent d’être développées, y aurait-il un danger réel pour l’égalité des citoyens? Nous ne pouvons le croire. Il est incontestable que pour le choix d’un maître, et devant la loi ainsi que devant la protection ou la répression de la justice, nous sommes tous égaux; mais l’égalité se trouve déplacée et portée hors de son domaine lorsqu’on en veut faire un argument rigoureux contre toute distinction entre les forces électorales. Le but de l’élection est de donner, par l’exercice d’un droit et d’un devoir communs à tous, la représentation et l’image fidèle du pays résumé dans une assemblée. Les chambres représentatives sont un miroir qui est utile en raison de l’exactitude de l’image qu’il reproduit. Il n’y a aucun prétexte pour que le pouvoir et l’administration, épris de leur mutuelle ressemblance, se bornent toujours à s’offrir réciproquement leur portrait tiré à beaucoup d’exemplaires par le procédé de la chambre obscure de la candidature officielle. C’est notre portrait, à nous autres petits administrés, que nous aimerions à voir reproduire et demander; nous ne le refuserions pas, si on trouvait quelque utilité à ce qu’il se rencontrât un moyen de représenter fidèlement non-seulement nos opinions et nos situations respectives, mais encore leurs inégalités, qui subsistent malgré tout dans bien des choses contemporaines.

Au reste, le temps présent lui-même ne proteste-t-il pas contre certaines idées exagérées d’égalité absolue, et n’est-il pas soumis à un courant double et inverse? On pourrait aujourd’hui reconnaître deux sortes d’égalités, une égalité négative et une égalité positive, dont l’attraction et la répulsion se font sentir comme deux pôles contraires. La première consiste à abattre tout ce qui s’élève, à entraver tout ce qui se distingue et à appauvrir tout ce qui s’enrichit; la seconde, c’est-à-dire l’égalité positive, consiste à aider et à encourager le vice à se changer en vertu, la faiblesse en forces utiles, l’indigence en richesse, et à ramener tout ce qui est abaissé à un niveau supérieur. Cette dernière manière d’entendre l’égalité n’est-elle pas celle que veulent fermement adopter la société et l’état, dont les encouragemens et les récompenses sont comme une provocation universelle à l’inégalité et à l’émulation, seuls gages assurés de progrès et de liberté? L’idéal de la loi humaine est de proclamer égaux et de traiter comme tels tous ceux qui ne le sont pas; espérer ou promettre autre chose, ne serait-ce pas approcher beaucoup de la déraison?

Quoi qu’il en soit pour nous qui, libres de naissance depuis 1789, sommes réputés possesseurs du double et précieux privilège de la liberté et de l’égalité, ne nous laissons pas entamer sur ce bon terrain de combat où il ne faut ni déchoir ni se laisser tourner. Seulement qu’on n’oublie pas de remarquer qu’égalité et identité ne sont pas même chose, et qu’égaux, mais différens, nous servons tous dans la même armée, mais non pas dans le même régiment.

En définitive, la pratique du suffrage universel nous impose une tâche des plus ardues, car, assoupi, le suffrage universel peut demeurer une fiction inutile, tandis que, réveillé, il peut devenir une formidable réalité. Est-ce un motif de se décourager? Dans notre société puissante et mêlée, que l’on se plaît souvent à trop calomnier, la vie circule active et abondante, et l’on vient de voir que sa sève endormie ne saurait être absolument comprimée. Le bien ne règne jamais sans partage; mais on doit s’estimer heureux de trouver l’occasion de lutter pour lui la tête haute. Certaines forces se sont déplacées pour faire place à des forces nouvelles, auxquelles l’arène s’ouvrira quelque jour. Ainsi la culture du sol a pris un rang où l’on ne s’attendait pas à la voir parvenir; une jeune génération riche et distinguée par ses connaissances a préféré le grand fermage à d’autres carrières, et, enlevant d’assaut l’agriculture, la mise en première ligne parmi les situations honorables de la société. Ce mouvement des classes éclairées vers les occupations agricoles relevées par la science et l’industrie ne sera point passager, car les femmes auxquelles s’intéresse à si juste titre M. Mill s’y sont associées; malgré les avantages acquis de l’aisance et de l’éducation, elles ont la judicieuse et saine ambition de César, qui aimait mieux être le premier au village que le second dans Rome. Voudra-t-on se montrer hostile à cette nouvelle aristocratie des campagnes? Non certes : l’égalité, pour être complète et sincère, ne doit entraîner aucune exclusion prononcée au nom de rivalités anciennes qui ne sont plus.

Plus heureux qu’en 89, nous avons vu s’effacer tous ces antagonismes de classes qui ont envenimé et perdu tant de choses, mais qui ont disparu devant des nécessités nouvelles et des périls communs; le champ est libre aujourd’hui pour tout ce qui a su s’élever et mériter ou conserver l’estime et la considération. La faveur du jour n’est pas encore pour celui qu’un contemporain a spirituellement appelé « l’homme-obstacle; » toutefois un peu d’indépendance plaît encore dans nos contrées. Tous les hommes peuvent être indépendans, les uns malgré leur pauvreté, d’autres malgré leur richesse menacée; mais les vertus moyennes ont besoin de s’appuyer sur certaines conditions matérielles et morales d’une existence indépendante. Il sera peut-être permis aussi de regretter que les représentans de l’honneur intellectuel de notre pays soient comme anéantis et perdus dans la foule. Nous ne voulons point à la vérité être exclusivement gouvernés par la littérature et la science, mais nous voudrions encore moins être gouvernés sans elles au nom de ceux qui ne savent pas lire. La toute-puissance électorale du nombre est une suffisante garantie contre l’influence des hommes qui n’ont que le talent pour fortune, et qui sont assurés, ceux-là du moins, de n’être pas dépouillés. Voudrait-on leur reprocher de s’opposer à la tendance des sociétés modernes vers la médiocrité collective? Comme le dit si bien M. Mill, « on ne peut arriver à avoir une démocratie habile, si la démocratie ne consent pas à ce que la besogne qui demande de l’habileté soit faite par ceux qui en ont[17]. » À cette sage réflexion on pourrait ajouter que la diffusion des saines lumières, d’une instruction morale, économique, religieuse, historique, est d’autant plus nécessaire que l’état politique d’un pays est plus imparfait.

Qu’on nous permette de le redire en finissant, pendant qu’en fait de suffrage universel M. Mill parcourt le vaste champ de la théorie, nous nous débattons dans les nécessités de la pratique : devant chacun de nos efforts se dresse une complication nouvelle; mais, dans cette lutte pour un progrès prudent et raisonnable, il est naturel qu’on s’attache à l’étude d’un livre remarquable sur le gouvernement représentatif,- dont on peut tirer cette leçon générale : il faut avant tout échapper au culte théocratique de la foule divinisée dont le despotisme n’est pas plus rassurant qu’aucun autre. C’est contre un pareil danger qu’il s’est fait une sorte de protestation dans le mouvement électoral dont notre pays vient d’être le théâtre. Quelques-uns prétendaient que les masses, immobiles et fixées dans le dédain du contrôle et de la liberté politiques, arrêteraient partout l’élan de ceux que le nivellement sous l’autorité ne suffit pas à contenter; le suffrage universel ne leur répond pas, mais, comme le philosophe grec devant le sophiste, il se lève et marche. On ne peut certes pas dire que les choses aient changé de face, mais il est facile de voir qu’elles ont pris une teinte différente. Le succès brillant de quelques-uns au dernier scrutin et la défaite honorable de plusieurs autres montrent qu’un nouvel ordre d’idées a pris naissance dans le pays. La question soulevée n’est pas, quoi qu’on dise, une question de parti. Bien qu’on ait cherché à imprimer un cachet de lutte personnelle et directe au mouvement discret qui n’était au début que le résultat d’un légitime esprit d’examen, personne n’a songé à crier ni vive le roi, ni vive la ligue; des idées plus générales ont amené un commencement de réaction qui intéresse le salut même des démocrates; « car l’aversion inintelligente de la démocratie pour tout principe et tout élément d’organisation sociale autre qu’elle-même pourrait leur être aussi funeste[18]. »

Au reste, comme on peut le constater par l’examen des chiffres et des classemens qui viennent à l’appui de cette étude, le grand nombre et les gros bataillons, auxquels la Providence se montre souvent favorable, sont du côté des classes moyennes, qui peuvent aussi revendiquer désormais, comme appoint légitime à leur puissance, les grands talens, les hautes situations et les grosses fortunes, qui y rentrent ou qui en sortent, ainsi que cette partie sédentaire du prolétariat, qui se fixe et s’élève par le travail, l’économie, l’ordre et la propriété. Tout le mouvement du monde moderne est dans ce sens; il ne faut pas le laisser détourner de sa tendance, ni souffrir que des appels inconsidérés à l’égalité absolue créent une perpétuelle entrave à la liberté sage et réglée.

Que les systèmes représentatifs soient autre chose qu’une chimère, ou que les élections et le pouvoir législatif soient simplement le résultat d’une opération d’arithmétique, on n’a qu’à se compter pour voir ceux qui doivent être non les maîtres, mais la force vitale du pays. Si l’on doit trembler devant certains fantômes de désordre possible trop grossis et trop souvent invoqués, l’abdication sexennale du pays aux mains d’un seul par le vote universel est-elle le plus sûr abri contre des éventualités funestes? L’on ne tombe pas toujours sur des Titus ou des Marc-Aurèle, et ce dernier lui-même n’a-t-il pas signé, quoiqu’à regret, dit-on, des édits de persécution contre les chrétiens? Qui n’aimerait à rencontrer le bon despote dont M. Mill nous trace un gracieux portrait? Tout comme le savant publiciste, on serait heureux sans doute d’en faire son ami, mais non point de lui confier aveuglément une toute-puissance sans limites.

Nous formons un autre rêve que celui d’une monarchie absolue tempérée par la révolution, cette fée ironique et puissante qui nous vend parfois si cher ce qu’on croit qu’elle nous donne, et l’on peut souhaiter autre chose qu’un état d’intermittence où l’on passerait de la mollesse et de l’abandon général sous un despotisme comfortable aux secousses violentes d’une liberté réveillée à l’improviste : oscillation périodique qui, pour le prochain retour du balancier de nos destins, nous présagerait un épisode de licence redoutable, si l’astrologie révolutionnaire peut établir ses calculs sur l’expérience du passé.

En nous-mêmes est la vraie sauvegarde contre le désordre ; nul ne peut lutter utilement pour nous sans que nous nous en mêlions. Dans les difficultés inévitables de la vie politique, la victoire ne reste pas à ceux qui, se retirant loin du théâtre de la lutte, ne veulent combattre que par procuration. Si l’on n’a pas encore trouvé la juste limite entre le droit de résistance et le droit de renversement, c’est à nous de la chercher maintenant. L’énergie et l’esprit politique d’un peuple peuvent se faire jour à travers toutes les institutions, sans aller sans cesse chercher des systèmes plus ou moins ingénieux, car tant valent les hommes, tant valent les institutions. Sous les divers uniformes et sous les divers drapeaux qu’adopta notre pays dans les diverses phases de son histoire, sous l’armure féodale du chevalier comme sous la tunique du simple fantassin, nos soldats ont toujours montré les mêmes vertus guerrières. Sous toutes les formes de gouvernement, on peut également déployer les mêmes faiblesses ou les mêmes vertus politiques et civiles.

Un nouveau bail commence avec la législature nouvelle, un réveil s’est fait dans les esprits, il s’est même répandu dans l’air comme un parfum d’opposition. Nous avons six ans pour préparer un nouveau progrès et pour travailler à l’avènement de deux grandes choses qui ne sauraient être inconciliables en pays chrétien, c’est-à-dire le principatum ac libertatem de Tacite. Dans six années, les maîtres de notre première jeunesse auront vieilli, ceux à côté desquels ont combattu nos pères et nos aînés seront moins propres à la lutte active, et n’auront plus guère que de sages conseils à nous donner; auront-ils des héritiers ou des successeurs? Leur héritage sera lourd à porter; mais évidemment la lice est entr’ouverte, et il faut concourir, sinon pour la palme, du moins pour une part dans l’action. Dans six ans, pour beaucoup d’entre nous l’heure de la maturité aura sonné; d’ici là, laboremus, ce qui veut dire souffrons aussi bien que travaillons. Ce double sens nous convient; l’avenir est peut-être dans nos mains, le laisserons-nous échapper?

Parmi les alternatives du désordre et de l’autorité extrêmes, la France a souvent confié son sort à ceux qui ne travaillaient pas pour la liberté; ne pourrait-on aujourd’hui se montrer plus clairvoyans et plus difficiles? Dès que tout le monde est représenté, la pratique du gouvernement représentatif est-elle à jamais impossible? Beaucoup assurent qu’avec la démocratie on ne saurait faire de la liberté et de l’ordre tout ensemble, et que s’il faut avoir une confiance illimitée dans la liberté, qui nous vient de Dieu, on doit n’accorder qu’une confiance restreinte aux libéraux, qui ne sont pas toujours inspirés du ciel. En effet, lorsqu’on suppute les malheurs et les renversemens que nous avons traversés, ou qui nous menacent au nom de la liberté, si souvent confisquée en fin de compte, qui peut être paisiblement libéral? mais qui peut ne l’être pas quand on considère quelles sont les conséquences funestes et inévitables de tout despotisme prolongé? Néanmoins que les timides s’enhardissent, le temps nous pousse, le suffrage universel a marché; qui voudra rester seul sur des rives dépassées? Dans quelques parages que nous mène le vaisseau ballotte de la patrie, il faudra bien aller ; plus on est loin du port, plus on a besoin des efforts de tous pour accomplir la tâche malaisée de l’habileté dans le bien et du succès dans l’honnête. C’est pourtant dans cette voie difficile qu’il nous faut avancer plus ou moins pour garder notre rang parmi les nations, et soit qu’on fasse, soit qu’on néglige son métier d’homme libre, on doit reconnaître que le pays commence à désirer une participation plus active et un contrôle plus effectif dans ses affaires, et on pourrait conjecturer que la période qui vient de s’ouvrir ne s’achèvera pas sans que la démocratie véritable, qui comprend tout le monde, appuyée sur les côtés perfectibles de la constitution actuelle, réclame ses franchises et ses droits de bourgeoisie.

A une telle réclamation non encore nettement formulée par le suffrage universel, quelle est la réponse que l’avenir nous réserve? Nul ne peut la prévoir; mais de graves prémisses paraissent avoir été posées. Il semble que nous commencions une page nouvelle de l’histoire contemporaine, et l’on ne saurait trop, à l’exemple de M. Stuart Mill, s’efforcer d’éclairer les routes encore inconnues où s’avancent les masses électorales du pays, qui cherchent à exercer leur part d’influence sur le mouvement légal de la vie civile et politique.


Duc D’AYEN.

  1. Le Gouvernement représentatif, par M. Stuart Mill, traduit et précédé d’une introduction par M. Dupont-White, 1 vol. in-12; 1862.
  2. Pages 197-201. — Pour les citations et les renvois, voyez la traduction française de M. Dupont-White.
  3. D’après les renseignemens statistiques les plus dignes de foi, la proportion de conscrits français qui ne savent pas lire est de 30 pour 100. La proportion de personnes contractant mariage qui ont déclaré ne pas savoir signer est de 33 pour 100. — Voyez à ce sujet l’intéressant ouvrage de M. Louis Reybaud sur le Coton et la Statistique comparée de M. Maurice Block.
  4. M. Mill, page 156.
  5. Les principaux traits du système peuvent se résumer ainsi : la quotité d’électeurs ayant droit à un représentant une fois déterminée, tout candidat serait élu qui réunirait une égale quotité de votes, bien qu’obtenus dans divers collèges électoraux. L’électeur qui ne voudrait pas du candidat local inscrirait sur son bulletin, par ordre de préférence, une liste d’autant de noms qu’il jugerait convenable, ne telle façon que le vote de cet électeur fût imputé à celui des candidats pour lequel le nombre légal de voix ne serait pas dépassé, ce qui éviterait les votes inutilement perdus et permettrait aux minorités locales éparses dans tout le pays de se réunir pour le choix d’un représentant. (Stuart Mill, p. 65 et suiv.) — Il serait intéressant d’examiner combien de députés non recommandés officiellement eussent été nommés aux élections de 1863 par les minorités éparses dans notre pays et groupées d’après le système que propose M. Stuart Mill.
  6. Page 221.
  7. Dans la constitution passagère de 1791, un tiers de la représentation était pris dans le territoire, un tiers dans la contribution, un tiers dans la population.
  8. Chacun sait qu’en Angleterre les universités de Cambridge et d’Oxford nomment à la chambre des communes des représentans particuliers et spéciaux.
  9. Nous partageons les doutes exprimés par l’honorable écrivain au sujet même des opinions toutes personnelles qu’il expose; mais il est dans les traditions de la Revue d’accueillir volontiers les études élevées et sincères comme celle-ci. (N. du D.)
  10. M. Stuart Mill, page 199.
  11. Agriculture : 7,846,000 individus en 1851 (nous adoptons ici les chiffres de M. Maurice Block, Statistique comparée), pouvant se diviser ainsi :
    Fermiers. 570,000
    Métayers, colons ou autres cultivateurs donnant aux propriétaires une partie de leurs récoltes 380,000
    950,000

    Journaliers propriétaires parcellaires en 1851: 3 millions de ceux-ci ne payaient pas de contribution personnelle; exemption motivée par leur extrême indigence, que l’autorité municipale avait constatée. Ces 3 millions de propriétaires indigens, en supprimant un tiers pour femmes, mineurs, incapables, donnerait 2 millions d’électeurs petits propriétaires et journaliers à la fois.
    Les fermiers étant souvent propriétaires et réciproquement, le nombre de propriétaires distincts est difficile à établir ; mais la proportion entre la grande, la moyenne et la petite propriété est celle-ci :

    hectares
    Grande propriété 6,469,000
    Moyenne propriété 25,439,000
    Petite propriété 9,901,000
    41,810,000

    D’après la dernière statistique du ministère du commerce et de l’agriculture, le nombre des propriétaires ruraux s’élève à 6,200,000 environ, chiffre fort inférieur à celui de 7,846,000; mais en défalquant sur ce dernier chiffre un nombre présumé de 2 millions pour double emploi dans les relevés, mineurs, femmes, incapables, faillis, on peut s’arrêter au chiffre approximatif de 5,285,000 électeurs propriétaires et agriculteurs, qui, divisé par 35,000, donne 151 députés pour l’agriculture, etc.

  12. Actionnaires et rentiers, capitalistes non propriétaires, commerçans et industriels et maîtres de fabriques, 1,672,467 ; grande industrie, 124,133; petite industrie et commerce, 1,548,334. Nombre des patentes en 1857,1,712,433. Réduction à 1,505,000 électeurs : 43 députés.
  13. Professions libérales, 495,978, auxquels on peut ajouter quelques milliers d’électeurs officiers de terre et de mer, non inscrits dans les précédentes catégories. Réduction approximative au chiffre de 455,000 électeurs : cela donne pour les professions libérales 13 députés.
  14. Ouvriers agricoles non propriétaires, 3,480,218 hommes et femmes réunis; en retranchant un tiers pour les femmes, on a le chiffre d’environ 2,300,218; puis, en retranchant un dixième pour individus de 15 à 21 ans, reste environ 2,100,000. Si l’on sépare les journaliers non propriétaires de ceux qui le sont, d’après la proportion indiquée de 760 sur 1,000, on obtient environ 1,000,000 ouvriers agricoles électeurs.
    Ouvriers industriels et du commerce, serviteurs, etc 2,109,894
    Ouvriers agricoles 1,600,000
    3,709,894

    En adoptant une réduction de 979,894 pour apprentis, mineurs, incapables, sans domicile, on trouve, comme chiffre approximatif des électeurs ouvriers, 2,730,000. — Députés, 78.

  15. Pour réunir les suffrages de 35,000 électeurs exclusivement pris dans une catégorie spéciale, il se présente une grave difficulté; ne faudrait-il pas souvent sortir des limites des circonscriptions actuelles? L’intérêt agricole et ouvrier, plus nombreux, pourrait voter à la commune; les autres groupes d’électeurs, plus épars, pourraient voter au chef-lieu de canton ou d’arrondissement.
  16. P. 108,109.
  17. Page 139.
  18. M. Guizot, la Génération de 1789, Revue du 15 février dernier.