Œuvres complètes
Traduction par Héron de Villefosse, notes de Charles du Rozoir.
C. L. F. Panckoucke, éditeur (Tome troisièmep. 389-423).

DU

REPOS DU SAGE

TRADUCTION NOUVELLE

PAR M. HÉRON DE VILLEFOSSE

INSPECTEUR DIVISIONNAIRE DES MINES, MEMBRE DE l’ACADEMIE DES SCIENCES
PUBLIÉE ET ANNOTÉE

PAR M. CH. DU ROZOIR.

ARGUMENT.

Le traité du Repos ou de la Retraite du sage forme-t-il un ouvrage séparé dont les vingt-sept premiers chapitres ont été perdus ? Doit-il, à cause de la conformité du titre, être placé à la suite du traité de la Constance du sage ? Cette opinion est soutenue par des autorités dont le poids égale le nombre : ce ne sont rien moins que les Muret, les Juste-Lipse, les Fabricius, les Ernesti ; puis, après eux, Ruhkopf et M. Bouillet, jeune et savant éditeur de Sénèque, qui fait partie de la collection des Classiques Latins de M. Lemaire. Toutefois, je l’avoue ici franchement, après avoir pesé les argumens, leur opinion me paraît peut-être moins probable que l’avis de ceux qui regardent le Repos du sage comme un complément de la Vie heureuse. Si pour l’opinion contraire se trouve la conformité du titre, on peut alléguer, à l’appui de l’autre, l’exact rapport des chiffres de chapitres ; mais je suis loin de prétendre que cette raison soit bien concluante. Seulement, sans entrer dans une discussion qui ne conduirait qu’à des doutes, et dont la solution me semble indifférente[1], j’ai cru devoir suivre l’ordre des plus anciennes éditions de Sénèque. Il a été adopté par tous les traducteurs depuis Chalvet jusqu’à La Grange ; et Diderot n’hésite pas à dire : « On ne peut guère douter que ce petit traité ne soit la continuation de celui qui précède » (le traité de la Vie heureuse). Enfin, si quelque chose pouvait me donner confiance en l’opinion à laquelle je me suis arrêté, c’est qu’elle se trouve d’accord avec le sentiment du docte académicien qui s’est chargé de traduire les traités de la Vie heureuse et du Repos du sage.

Dans ce dernier livre, Sénèque débute par cet axiôme : « Les cirques, par un grand assentiment, nous recommandent les vices. Quand même nous ne voudrions qu’essayer d’un préservatif, la retraite nous assurera par elle-même un profit : isolés nous serons meilleurs. » Le repos, qui nous rend à nous-mêmes en nous séparant de la foule qui dérange notre vie, restitue à notre marche son égalité. Mais c’est là, objectera-t-on, prêcher dans l’école de Zénon la doctrine d’Epicure (ch. xxviii). Pour prouver qu’il ne s’écarte pas de la morale des stoïciens, l’auteur divise sa thèse en deux points : 1° On peut, dès l’âge le plus tendre, se livrer tout entier à la contemplation, se faire un plan de retraite, et s’exercer en secret à la vertu ; 2° on est encore plus en droit de le faire lorsque, parvenu à la vieillesse, on a payé sa dette à l’état (xxix) Les deux sectes de Zénon et d’Épicure mènent l’une et l’autre au repos, mais par des routes différentes. Épicure dit que le sage n’approchera point des affaires publiques, à moins d’y être obligé ; et Zénon, qu’il y prendra part, à moins que d’en être empêché. Le repos est le but principal chez le premier ; il n’est qu’une conséquence chez le second. Mais l’énumération des obstacles est fort étendue : c’est d’abord la corruption de l’état, dont l’administration est livrée aux méchans, puis, de la part du sage, le défaut d’autorité, de force, de santé, etc. Pourquoi irait-il s’embarquer sur un navire fracassé (xxx) ? Il existe deux sortes de républiques ; l’une, immense, et c’est le monde ; l’autre où le hasard nous a jetés : ce sera la république de Carthage ou celle d’Athènes. Le sage peut se borner à servir la grande république, et peut-être n’est-ce que dans la retraite qu’il peut la servir utilement. Toutefois, la nature nous a également formés pour la contemplation et pour la vie active (xxxi). L’homme est né pour la contemplation : la passion qu’il a d’apprendre ce qu’il ignore en est la preuve : cette passion est écrite dans la forme que la nature a imprimée à l’homme, en lui donnant une tête élevée, et qui se meut facilement sur un cou flexible. Je vis donc suivant la nature si je me consacre entièrement à la contemplation. Mais il faut qu’elle ait un but utile ; il faut que le sage dans la retraite se rende utile à l’humanité par les résultats de ses méditations solitaires. A ce titre, Cléanthe, Zénon et Chrysippe n’ont-ils pas rendu plus de services que s’ils avaient commandé des armées et administré l’état. Ici Sénèque, s’exhortant « à l’examen des choses sans partialité, sans cette haine implacable que sa secte a vouée à toutes les autres, » distingue trois genres de vie, vie active, vie contemplative, vie voluptueuse ; et, avec sa subtilité habituelle, il essaie de prouver que tous trois participent réciproquement l’une de l’autre : de même qu’on ne contemple point sans se livrer à une action, de même l’action est dirigée par la contemplation : enfin la volupté, qui n’est jamais sans but, admet aussi action et contemplation. Notre philosophe en conclut que la contemplation est admise dans tous les systèmes : elle est le but de plusieurs : pour nous elle est une station et non pas un port. Au surplus, qu’importe par quels motifs le sage embrasse la retraite, si c’est lui qui manque à l’état ou si c’est l’état qui lui manque ? Passant alors en revue tous les gouvememens, Sénèque n’en trouve pas un seul auquel le sage puisse convenir, et qui puisse convenir au sage (xxxii).

Tout ce que ce traité peut présenter de paradoxal en faveur de l’abus d’une vie contemplative, se trouve corrigé par Sénèque lui-même dans le traité de la Tranquillité de l’âme (iii) ; et l’on peut le voir, dans ses lettres, dire de lui-même qu’il dédaignerait d’étudier et d’apprendre s’il devait conserver pour lui seul tout ce qu’il aurait appris, et s’il ne pouvait communiquer sa science aux autres. Laissons donc ce qu’il peut y avoir d’un peu trop subtil dans les chapitres que nous possédons sur le Repos du sage, et méditons avec fruit les incontestables vérités qui s’y trouvent.

Ce traité a été traduit par Chalvet, les Fargues, La Grange ; en partie par La Beaumelle : Diderot et le sénateur Vernier en ont fait l’un et l’autre une analyse intéressante.

C. D.
DU REPOS ou DE LA RETRAITE DU SAGE.

XXVIII… Les cirques par un grand assentiment nous recommandent les vices1. Quand même nous ne voudrions qu’essayer d’un préservatif, la retraite nous assurera par elle-même un profit ; isolés, nous serons meilleurs. Dira-t-on qu’il est permis de se retirer auprès des hommes les plus vertueux, et de choisir un modèle, sur lequel on règle sa vie ? Cela ne se fait, qu’au sein du repos. Alors, on peut obtenir ce qu’on a une fois trouvé bon, du moment qu’il n’intervient personne, qui influant sur le jugement encore faible, avec l’assistance de la multitude, le détourne de son but ; alors, peut s’avancer d’un pas égal et soutenu cette vie, que par les projets les plus divergens nous coupons en morceaux. Certes, de tous nos maux le plus grand, c’est que nous changeons, même de vices ; de cette manière, nous n’avons seulement pas l’avantage de persister dans un mal déjà familier. Un mal vient après l’autre nous séduire, et pour surcroît de torture, nos jugemens sont tout à la fois dépravés et capricieux. Jouets des flots, nous embrassons les objets, en les saisissant l’un après l’autre : ce que nous avons cherché, nous l’abandonnons ; ce que nous avons abandonné, nous le cherchons de nouveau : chez nous, se succèdent alternativement les désirs et le repentir. Nous dépendons, en effet, tout entiers des jugemens d’autrui, et ce qui nous semble être le meilleur, c’est ce qui est recherché, ce qui est vanté, par beaucoup de personnes, non pas ce qu’il faut vanter et rechercher. A nos yeux, une route est bonne ou mauvaise, non par elle-même, mais d’après la multitude des traces, parmi lesquelles il n’en est aucune de gens qui reviennent2.

Vous me direz : « Que fais-tu, Sénèque ? tu désertes ton parti. Assurément, les stoïciens de votre école disent : Jusqu’au dernier terme de la vie, nous serons en action, nous ne cesserons de travailler au bien public, d’assister chacun en particulier, de porter secours, même à nos ennemis, d’une main obligeante2*. C’est nous, qui pour aucun âge ne donnons d’exemption de service, et qui, suivant l’expression de ce guerrier si disert, « pressons nos cheveux blancs sous le casque3. » C’est pour nous, que, loin qu’il y ait rien d’oisif avant la mort, bien au contraire, si la chose le comporte, la mort elle-même n’est pas oisive. Que viens-tu nous parler des commandemens d’Épicure, dans le camp même de Zénon4 ? Que n’as-tu le courage, si tu renonces à ton parti, de te faire transfuge, plutôt que traître ? » Voici, pour le moment, ce que je vous répondrai : Est-ce que vous me demandez quelque chose de plus, que de me rendre semblable à mes chefs ? Eh bien ! ce sera, non pas où ils m’auront envoyé, mais où ils m’auront conduit, que j’irai.

XXIX. Maintenant, je vous prouverai que je ne déserte pas la doctrine des stoïciens : car eux-mêmes ils n’ont pas déserté celle qu’ils professent ; et cependant, je serais très-excusable, quand je suivrais, non pas leurs préceptes, mais leurs exemples. Ce que j’ai à vous dire, je le diviserai en deux parties. D’abord, j’établirai que l’on peut, même dès le bas âge, se livrer tout entier à la contemplation de la vérité, chercher une manière de vivre, et la mettre en pratique, en se tenant à l’écart. Ensuite, j’établirai qu’après avoir achevé son temps de service, dans un âge avancé, on est, plus que jamais, en droit d’agir ainsi, et de reporter sou âme vers d’autres œuvres : on fait alors comme les vierges de Vesta, qui, partageant leurs années entre les diverses fonctions, apprennent à célébrer les cérémonies sacrées, et quand elles l’ont appris, l’enseignent aux autres.

XXX. Telle est aussi l’opinion des stoïciens, je le démontrerai. Ce n’est pas que je me sois fait une loi de ne rien hasarder contre le dire de Zénon 5 ou de Chrysippe ; mais, la nature même de la chose comporte que je me range de leur avis : suivre toujours l’opinion d’un seul, c’est le propre, non pas d’un sénat, mais d’une faction6. Plût à Dieu, j’en conviens, que déjà l’on connût tout, et que la vérité, sans voile, fût généralement avouée ! Dans les décrets nous ne ferions nul changement : aujourd’hui, nous cherchons la vérité, avec ceux mêmes qui l’enseignent.

Deux sectes principales sont en discord sur ce point, celle des épicuriens, et celle des stoïciens ; mais, l’une et l’autre, elles envoient au repos, par des chemins différens. Épicure dit : « Le sage n’approchera point des affaires publiques, à moins d’y avoir été poussé par quelque circonstance. » Zénon dit : « Le sage approchera des affaires publiques, à moins d’en avoir été empêché7. » Le premier fait résulter le repos, d’une résolution prise d’avance ; le second le déduit d’une cause accidentelle. Or, cette cause embrasse une grande étendue : si l’état est trop corrompu pour que l’on puisse le secourir, s’il est envahi par les méchans, le sage ne fera point des efforts qui seraient superflus ; il n’ira pas non plus, sans pouvoir servir à rien, se consumer, s’il n’a que peu d’autorité on de forces ; d’un autre côté, l’état ne devra point l’admettre au maniement des affaires, s’il est d’une santé qui s’y oppose. Comme le sage ne lancerait pas à la mer un vaisseau fracassé, comme il ne s’enrôlerait pas pour la guerre, étant débile, de même, s’il est question d’une vie qu’il saura ne pas lui convenir, il n’en approchera point. Ainsi donc, celui pour lequel toutes choses sont encore entières peut aussi, avant de subir l’épreuve d’aucune tempête, se tenir en un lieu de relâche, et de prime abord, se confier à un nouvel apprentissage ; il peut couler tous ses jours dans ce repos heureux, eu cultivant les vertus, qui sont susceptibles d’être pratiquées, même par les gens les plus tranquilles. Voici, en effet, ce qui est exigé de l’homme : c’est qu’il soit utile aux hommes8 ; s’il se peut, à beaucoup ; s’il se peut moins, à quelques-uns ; si moins, aux plus proches ; si moins encore, à lui-même. Oui, lorsqu’il se met en état de servir les autres, c’est de l’affaire commune, qu’il s’occupe. Comme celui qui se rend plus vicieux, ne se nuit pas à lui seul, mais nuit encore à tous ceux que, devenu meilleur, il aurait pu servir, de même, si quelqu’un mérite bien de sa propre personne, en cela il sert les autres, parce qu’il prépare un homme qui les servira.

XXXI. Embrassons par la pensée deux républiques9 : l’une est grande et vraiment chose publique ; elle renferme les dieux et les hommes ; là, ce n’est pas à tel ou tel coin de la terre, que nous avons égard, c’est par le cours entier du soleil, que nous mesurons les confins de notre cité ; l’autre est la république à laquelle nous attacha le sort de notre naissance. Cette dernière sera celle, ou d’Athènes, ou de Carthage, ou de quelque. autre ville qui n’ait pas rapport à tous les hommes, mais qui n’en concerne qu’un certain nombre. Quelques-uns travaillent en même temps pour l’une et pour l’autre république, pour la grande et pour la petite ; d’autres, seulement pour la petite ; d’autres, seulement pour la grande.

Cette grande république, nous pouvons la servir tout aussi bien au sein du repos, je ne sais même si ce n’est mieux, en examinant les questions que voici : Qu’est-ce que la vertu ? en est-il une seule, ou plusieurs ? Est-ce la nature, ou l’art, qui fait les gens de bien ? Est-il unique, ce corps qui embrasse les mers et les terres, et les êtres accessoirement unis, soit à la mer, soit à la terre, ou bien, Dieu a-t-il semé dans l’espace beaucoup de semblables corps ? Est-ce un tout continu et plein, que la matière de laquelle sont formés tous les êtres en naissant, ou bien, est-elle distribuée çà et là, et le vide a-t-il été incorporé aux solides ? Dieu, restant assis devant son ouvrage, le considère-t-il, ou bien, le met-il en action10 ? Dieu est-il répandu au dehors et tout autour, ou bien, intimement lié à l’ensemble ? Le monde est-il immortel, ou bien, est-ce parmi les choses périssables, et nées pour un temps, qu’il faut le compter ?

Celui qui se livre à de telles contemplations, quel mérite a-t-il envers Dieu ? le mérite d’empêcher que ses œuvres si grandes ne restent sans témoins. Nous avons coutume de dire que le souverain bien est de vivre selon la nature : cela posé, la nature nous a engendrés pour l’un et pour l’autre objet, pour la contemplation des choses, et pour l’action.

XXXII. Maintenant, prouvons ce que nous avons dit en premier lieu. Eh bien ! ne sera-ce pas prouvé, si chaque homme se consulte lui-même, pour vérifier quel vif désir il a de connaître ce qu’il ne connaît pas, quel intérêt tout récit éveille en lui ? Il est des gens qui naviguent et qui endurent les fatigues des voyages les plus longs, pour le seul avantage de connaître quelque chose de caché et d’éloigné. Voilà ce qui attire les peuples en foule vers les spectacles ; voilà ce qui fait percer des voies dans les espaces fermés, fouiller dans les réduits secrets, dérouler les antiquités, étudier les mœurs des nations barbares. C’est un esprit curieux, que la nature nous a donné : pleine du sentiment de son industrie et de sa beauté, elle nous a engendrés pour être spectateurs de si grands spectacles ; elle perdait le fruit d’elle-même, si des ouvrages si grands, si éclatans, si artistement conduits, si achevés, des ouvrages toujours divers et toujours beaux, elle ne les montrait qu’à la solitude. Pour que vous sachiez bien qu’elle veut des spectateurs, et non pas un simple coup d’œil, voyez quel poste elle nous assigna. C’est au milieu d’elle-même, qu’elle nous a établis’, et elle nous a donné de voir tous les êtres autour de nous. Elle ne s’est pas bornée à poser l’homme tout droit11 ; mais, comme elle le destinait encore à la contemplation, voulant qu’il eût la faculté de suivre les astres dans leur cours, depuis le lever jusqu’au coucher, et de tourner le visage à mesure que tourne l’univers, elle lui a fait une tête haute, qu’elle a placée sur un cou flexible. Ensuite, elle a produit sur la scène les signes, au nombre de six pendant le jour, de six pendant la nuit. Point de partie d’elle-même, qu’elle n’ait déployée. C’est que, par le moyen des objets qu’elle avait offerts à la vue, elle voulait encore faire désirer les autres. En effet, nous ne voyons pas tous les objets, nous ne les voyons pas aussi grands qu’ils le sont ; mais notre regard se fraie le chemin en suivant des traces, et jette les fondeinens de la vérité, afin que la recherche passe de ce qui est découvert à ce qui reste obscur, et trouve quelque chose de plus ancien que le monde lui-même.

D’où ces astres sont-ils sortis12 ? quel fut l’état de l’univers, avant que les êtres allassent, chacun de leur côté, constituer des parties diverses ? quelle raison sépara les choses plongées dans la confusion ? qui leur assigna des places ? est-ce d’eux-mêmes et naturellement, que les corps pesans sont descendus, que les corps légers ont pris l’essor pour s’envoler ? ou bien, malgré la tendance et le poids des corps, quelque force plus relevée leur a-t-elle fait la loi ? ou bien, est-il vrai, ce qui prouve le mieux que l’homme est animé d’un esprit divin, est-il vrai qu’une partie et comme quelques étincelles du feu sacré aient jailli pour tomber sur la terre, et se soient fixées en un lieu étranger ?

Notre pensée force les remparts du ciel13 et ne se contente pas de savoir ce qui lui est montré. Ce que je scrute, dit-elle, c’est ce qui se trouve au delà du monde ? Est-ce une étendue infinie, ou bien, cela même est-il enfermé dans ses bornes ? Quel aspect ont les choses du dehors ? sont-elles informes, confuses, ou bien, occupent-elles un même espace dans toutes leurs dimensions, ou bien, sont-elles aussi disposées symétriquement pour une certaine élégance ? tiennent-elles à ce monde, ou bien, en sont-elles séparées par un long intervalle, et roulent-elles dans le vide ? est-ce par le moyen de molécules indivisibles, que s’opère la structure de tout ce qui est né, de tout ce qui sera, ou bien, la matière des corps est-elle continue, et sujette à changer dans sa totalité ? les élémens sont-ils opposés entre eux, ou bien, sans se combattre, concourent-ils aux mêmes effets par des voies différentes ? L’homme étant né pour de telles recherches, jugez combien c’est peu de chose, que le temps qui lui est donné, lors même qu’il se le réserve tout entier. Admettons que la complaisance n’en laisse rien dérober, ni la négligence rien perdre, qu’il ménage les heures avec une extrême avarice, qu’il s’avance jusqu’aux dernières limites de la vie*humaine, que rien de ce que la nature lui a constitué ne soit bouleversé par la fortune ; malgré cela, homme qu’il est, pour la connaissance des choses immortelles il est trop mortel.

Ainsi donc, c’est selon la nature, que je vis, si je me suis donné à elle tout entier, si je suis son admirateur et son adorateur. Or, la nature a voulu que je remplisse les deux fonctions, celle d’agir, et celle de vaquer à la contemplation. Je remplis l’une et l’autre : car, la contemplation même n’existe pas sans l’action. Mais il faut savoir, dites-vous, si l’on s’est porté vers la première à cause du plaisir, pour ne chercher en elle, qu’une assidue contemplation, sans résultat ; celle-ci, en effet, est douce, elle a ses attraits. A cela, je vous répondrai : il faut également savoir, avec quelle intention vous menez la vie de citoyen : est-ce pour vivre toujours agité, sans jamais prendre le temps de reporter vos regards, des choses humaines vers les choses divines ? Former des désirs sans aucun amour des vertus, sans culture de l’esprit, et faire des œuvres toutes nues14, ce n’est aucunement digne d’approbation ; car, de telles semences doivent être mêlées et répandues ensemble : de même, c’est un bien imparfait et languissant, qu’une vertu qui s’est jetée dans le repos, sans aucun acte, sans jamais montrer ce qu’elle a appris. Qui songe à nier qu’elle doive en pratiquant essayer ses progrès, non-seulement penser à ce qu’il faut faire, mais encore mettre quelquefois la main à l’œuvre, et les projets qu’elle a médités, les réaliser par l’exécution ? Eh bien ! si ce n’est pas le sage lui-même, qui soit cause du retard, si ce qui manque n’est pas l’homme capable d’action, mais l’occasion d’agir, permettrez-vous au sage de sé concentrer en lui-même ? Dans quelle intention se consacre-t-il au repos ? c’est comme sachant bien que, seul avec lui-même, il fera encore des actes par lesquels il se rende utile à la postérité. Oui, nous le disons avec assurance, les Zénon, les Chrysippe, ont fait de plus grandes choses, que s’ils eussent conduit des armées15, occupé des postes éminens, établi des lois ; et des lois, ce n’est pas pour une cité seule, c’est pour le genre humain tout entier, qu’ils en ont établi. Quel motif y a-t-il donc, pour qu’il ne convienne pas à l’homme de bien de jouir d’un tel repos, d’un repos qui lui permette de gouverner les siècles futurs, et de porter la parole, non pas devant un petit nombre d’auditeurs, mais devant tous les hommes de toutes les nations, quels qu’ils soient, quels qu’ils puissent être un jour ? En un mot, je le demande, est-ce d’après leurs préceptes, que vécurent Cléanthe, et Chrysippe, et Zénon ? Sans contredit, vous répondrez qu’ils ont vécu comme ils avaient dit que l’on doit vivre. Or, aucun d’eux n’administra la république. « C’est qu’ils n’eurent pas, dites-vous, soit la fortune, soit le rang, que l’on a coutume d’admettre au maniement des affaires. » Mais, ces mêmes sages néanmoins ne menèrent pas une vie paresseuse ; ils trouvèrent moyen de rendre leur tranquillité plus utile aux hommes, que ne le sont les courses et les sueurs des autres. Aussi, n’en ont-ils pas moins passé pour avoir beaucoup agi, bien qu’à l’égard des affaires publiques ils fussent dans l’inaction.

De plus, il est trois genres de vie, entre lesquels ou a coutume de chercher quel est le meilleur : l’un vaque au plaisir, l’autre à la contemplation, le troisième à l’action. D’abord, mettant de côté le débat, et cette haine implacable que nous avons jurée aux partisans des autres doctrines, voyons si tout cela n’arrive pas au même point, sous des titres différens. Ni celui qui approuve le plaisir n’est étranger à la contemplation, ni celui qui se livre à la contemplation n’est étranger au plaisir, ni celui dont la vie a été destinée à l’action n’est étranger à la contemplation.

« Il est bien différent, dites-vous, qu’une chose soit l’objet que l’on s’est proposé, ou qu’elle soit l’accessoire d’un autre objet. » Sans doute, grande est la différence : cependant, l’un des objets n’existe pas sans l’autre. Cet homme ne contemple pas sans action, pas plus que cet autre n’agit sans contemplation ; et quant au troisième, que nous mésestimons d’un commun accord, ce n’est pas un plaisir inerte, qu’il approuve ; c’est celui que, par le moyen de la raison, il rend stable pour son individu.

« Ainsi donc, s’écrie-t-on, cette secte même de voluptueux est en action ! » Et pourquoi ne serait-elle pas en action, puisque Épicure lui-même dit que parfois il se détachera du plaisir, qu’il ira jusqu’à désirer la douleur, si au dessus du plaisir doit planer le repentir, ou s’il s’agit de prendre une douleur moindre, au lieu d’une douleur plus grave. « A quoi tend ce discours ? » A faire voir que la contemplation plaît à tous les hommes. Pour d’autres c’est le but ; pour nous, c’est un lieu de relâche, et non pas un port. Joignez à cela, que d’après la loi de Chrysippe, il est permis de vivre au sein du repos, je ne dis point par résignation, mais par choix. Ceux de notre école nient que le sage doive approcher des affaires d’aucune république. Mais qu’importe comment le sage arrive au repos, que ce soit, ou parce que la république lui manque, ou parce que lui-même il manque à la république ? Si la république doit manquer à tous, et elle manquera toujours à ceux qui la chercheront avec dédain, je demande dans quelle république le sage approchera des affaires. Sera-ce dans celle d’Athènes ? Là, Socrate est condamné ; Aristote, pour ne pas l’être, a fui ; là, l’envie opprime les vertus. Vous me nierez que le sage doive approcher des affaires de cette république. En ce cas, sera-ce dans la république de Carthage, que le sage approchera des affaires ? Là, ce n’est que sédition ; tout homme de bien a pour adversaire la liberté ; il y règne, contre ceux d’un autre parti, une cruauté étrangère à tout sentiment humain, et les concitoyens mêmes y sont traités en ennemis. Cette république, le sage la fuira encore. Si je veux les passer toutes en revue, je n’en trouverai aucune qui puisse tolérer le sage, ou que le sage puisse tolérer16. Si l’on ne la trouve pas, cette république, telle que nous l’imaginons, dès-lors le repos devient un besoin pour tous, puisque la seule chose qu’il fût possible de préférer au repos n’existe nulle part.

Qu’un homme dise qu’on fait très-bien de naviguer, qu’ensuite il nie qu’il faille naviguer sur une mer où des naufrages aient lieu ordinairement, où il s’élève souvent des tempêtes subites et capables d’emporter le, pilote dans une direction contraire, cet homme-là, je crois, me défend de mettre à la voile, bien qu’il vante la navigation17.



NOTES DU TRAITÉ SUR LE REPOS DU SAGE.

XXVIII. 1. Les cirques… nous recommandent les vices. « Rien ne serait moins vrai que cette assertion (en faveur de la solitude) s’il fallait s’attacher rigoureusement à la lettre : car on a dit avec raison : Malheur à celui qui est seul… L’on peut dire en général que, dans toutes les positions, il faut assez de société pour goûter les charmes de la solitude, et assez de solitude pour goûter les agrémens de la société. » (Vernier, Abrégé analytique de la vie et des œuvres de Sénèque, pag. 321 et 322.)

2. De gens qui reviennent.

Des pas empreints sur la poussière,
Tous, sans exception, regardent sa tanière,
Pas un ne marque de retour.
(La Fontaine, le Lion malade et le Renard.)

2*. D’une main obligeante. (Voyez le chap. xix et la note 32 du traité qui précède.)

3. Pressons nos cheveux blancs sous le casque.

Jusqu’ici la fortune et la victoire mêmes
Cachaient mes cheveux blancs sous trente diadèmes.
(Racine, Mithridate.)
Qu’il est beau de couvrir les cheveux blancs d’un père
Des lauriers de son fils.
(Le Brun, Odes.)

4. Dans le camp même de Zénon. Principia était la partie du camp où se trouvait la tente du général.

XXIX. 5. Contre le dire de Zénon. Conférez ici ce que Sénèque a dit ci-dessus dans le traité de la Vie heureuse, chap. iii. Rien ne prouve mieux qu’il n’adoptait pas aveuglément les principes du Portique : il examinait tout, et suivait ce qui lui paraissait conforme à la raison. Ses réflexions à ce sujet sont d’un excellent esprit ; elles annoncent un philosophe qui cherche sincèrement la vérité, et qui a pris pour règle de sa conduite cette devise de tous les sages : amicus Socrates, amicus Plato, sed magis arnica veritas. La Grange.

XXX. 6. Non pas d’un sénat, mais d’une faction. « Quum boni cœunt, quum pii et casti congregantur, non est factio dicenda, sed curia. (Tertullien, Apolog. xxxix.)

7. A moins d’en avoir été empêché. Cicéron développe cette pensée de Zénon dans son traité de la Fin des biens et des maux, liv. iii, chap. 20 ; mais il attribue seulement cette doctrine à Chrysippe. — IIoXtTÉuffEe^at « paat tov ço<pov, av y.ri ti xwXuyi, wç <p7]<rt Xpuatrriroç. (Diogène-Laerce, liv. vii.)

8. Utile aux hommes. Le sénateur Vemier a observé une contradiction entre ce passage et ce que Sénèque vient de dire un peu plus haut ; et, à ce propos, il demande comment l’homme pourra être utile à ses semblables « s’il se livre uniquement à une contemplation stérile, fût-ce même des plus grandes et des plus sublimes vérités...... Celui qui, dans la retraite, travaille à se rendre utile aux autres, n’est plus l’homme inactif dont Sénèque a d’abord voulu parler : ainsi, c’est déjà travailler pour la société que de s’occuper à se rendre utile aux hommes. Le loisir du sage n’est pas de languir dans une molle et honteuse oisiveté, mais de tendre constamment à acquérir pour répandre. En général, la retraite n’est permise qu’après avoir rempli les devoirs de la société. » (Ibid., pag. 325.)

Il n’est pas sans intérêt non plus de lire comment, sans oser critiquer ce philosophe, pour lequel il professait tant d’enthousiasme, Diderot rectifie implicitement ce qu’il peut y avoir de contradiction dans les raisonnemens de Sénèque.

« En effet, dit-il, au milieu des brigues et des cabales de l’ambition, parmi cette foule de calomniateurs qui empoisonnent les meilleures actions ; entouré d’envieux qui font échouer les projets les plus utiles, tantôt pour vous en ravir l’honneur, tantôt pour se ménager de petits avantages ; de ces politiques ombrageux qui épient les progrès que vous faites dans la faveur du souverain et du peuple, pour saisir le moment où il convient de vous desservir et de vous renverser ; de cette nuée de méchans subalternes qui ont intérêt à la durée des maux, et qui pressentent la tendance de vos opérations ; qu’a-t-on de mieux à faire qu’à renoncer aux fonctions d’état ? N’est-on utile qu’en produisant des candidats, en secourant les peuples, en défendant les accusés, en récompensant les hommes industrieux, en opinant pour la paix ou pour la guerre ?… Non : mais je ne mettrai pas sur la même ligne celui qui médite et celui qui agit. Sans doute la vie retirée est plus douce, mais la vie occupée est plus utile et plus honorable ; il ne faut passer de l’une à l’autre qu’avec circonspection ; c’est même l’avis de Sénèque. »

XXXI. 9. Deux républiques. Cette même distinction entre la république où le sort vous fait naître et la grande république du genre humain, se retrouve dans la Consolation à Marcia, chapitre xviii ; dans l’épître lxviii, et dans maints autres endroits de Sénèque.

10. Ou le met-il en action. Voyez le traité des Bienfaits, liv. iv, chap. 19.

XXXII. 11. L’homme tout droit….

Os homini sublime dédit, cœlumque tueri
Jussit, et erectos ad sidera tollere vultus.
(Ovide, Metam., lib. i, v. 85.)

12. D’où ces astres sont-ils sortis ? Dans les Époques de la nature, Buffon s’est fait les mémés questions : les solutions qu’il a données, comme l’observe M. Bouillet, ne sont plus aujourd’hui admises par les savans. Seulement il s’est montré éloquent comme l’est ici Sénèque.

Il est évident que La Fontaine, dans sa fable intitulée Songe d’un habitant du Mogol, a été inspiré par ce beau passage de notre philosophe. Tout cet apologue, au reste, est un éloge de la solitude.

Si j’osais ajouter au mot de l’interprète,
J’inspirerais ici l’amour de la retraite ;
Elle offre à ses amans des biens sans embarras,
Biens purs, présens du ciel, qui naissent sous les pas.
Solitude où je trouve une douceur secrète,

Lieux que j’aimai toujours, ne pourrai-je jamais
Loin du monde et du bruit goûter l’ombre et le frais ?
Oh ! qui m’arrêtera sous vos sombres asiles !
Quand pourront les neuf sœurs, loin des cours et des villes,
M’occuper tout entier, et m’apprendre des cieux
Les divers mouvemens inconnus à nos yeux,
Les noms et les vertus de ces clartés errantes
Par qui sur nos destins et nos mœurs différentes, etc.

Ailleurs notre fabuliste dit encore en parlant des astres :

Aurait-il imprimé sur le front des étoiles
Ce que la nuit des temps nous couvre de ses voiles, etc.
(L’Astrologue qui se laisse tomber dans un puits.)

13. Notre pensée force les remparts du ciel. Cœlum ipsum petemus stultitia, a dit Horace dans une acception bien différente.

14. Faire des œuvres toutes nues. Nudas edere operas. Cette expression de Sénèque a quelque chose de la simplicité de l’Évangile.

15. Que s’ils eussent conduit des armées. « Vaut-il mieux avoir éclairé le genre humain, qui durera toujours, que d’avoir ou sauvé, ou bien ordonné une patrie qui doit finir ? Faut-il être l’homme de tous les temps, ou l’homme de son siècle ? C’est un problème difficile à résoudre. » Diderot.

16. Puisse tolérer. « En passant en revue tous les gouvernemens, Sénèque n’en trouvait pas un seul auquel le sage pût convenir, et qui pût convenir au sage.

« En passant en revue plusieurs de nos gouvernemens, le sage serait encore de l’avis de Sénèque. » (Le même.)

17. La navigation. Juste-Lipse pense qu’il manque ici quelque chose, et que ce traité n’est pas achevé : mais ces sortes de conjectures sont souvent si incertaines, que les commentateurs devraient s’y livrer avec moins de complaisance et de facilité. Ces assertions hardies : desunt multa ; desunt pauca ; desiderantur non-nulla, si fréquentes dans les éditions qu’ils ont publiées des auteurs anciens, me paraissent toutes hasardées et peu philosophiques ; car il est très-difficile de savoir si tel ou tel traité, tel ou tel dialogue, telle ou telle oraison, sont plus ou moins complets. Parmi les ouvrages anciens ou modernes que nous supposons entièrement terminés, et qui le sont en effet, quel est celui auquel on ne pourrait pas ajouter encore une infinité de choses utiles, curieuses, instructives, nécessaires même, et dont on ne pourrait pas également retrancher un assez grand nombre de faits, de réflexions, de détails, de développemens, de discussions, sans nuire à l’ensemble de l’ouvrage, sans le mutiler dans ses principales parties, sans diminuer l’évidence et la force des raisonnemens, et sans rien omettre d’absolument essentiel au but de l’auteur ? J’en dis autant du traité des Bienfaits, de celui de la Colère, etc. Malgré le défaut de liaison, réel ou apparent, que les commentateurs ont cru apercevoir dans plusieurs endroits de ces ouvrages, personne n’est en droit d’affirmer qu’ils ne sont pas parvenus entiers jusqu’à nous. Les écrivains qui pensent beaucoup, sont ennemis de toute espèce de méthode, et s’y assujétissent difficilement. Les vérités, après s’étre accumulées, pour ainsi dire, dans leur tête, par une méditation forte et continue, en sortent en foule et avec précipitation… velut agminefacto, qua data porta, ruunt. Ils laissent leurs idées se succéder sous leur plume dans l’ordre où elles se présentent à leur esprit, sans se mettre en peine si elles naissent immédiatement du fond du sujet, ou si elles n’y sont liées et unies que par quelques-uns de ces rapports très-fins, très-déliés, qui, ne pouvant être aperçus que par des lecteurs d’une sagacité peu commune, sont perdus pour des esprits vulgaires. Montaigne est plein de ces défauts aimables ; mais il justifie le prétendu désordre de son livre, par une observation également fine et profonde. « C’est l’indigent lecteur, dit-il, qui perd mon sujet, non pas moi : mes fantaisies se suivent ; mais par fois c’est de loin, et se regardent, mais d’une vue oblique. » On pourrait dire la même chose de Sénèque. Mais sans recourir à cette solution, supposons qu’il y ait en effet dans plusieurs de ses traités des omissions réelles, et quelquefois même de la confusion ; est-ce une raison suffisante pour les croire incomplets, et pour y soupçonner souvent des lacunes plus ou moins considérables ? Lorsqu’on écrit sur une matière quelconque, ne l’envisage-t-on pas sous le point de vue le plus analogue au caractère et à la tournure particulière de son esprit, au genre d’études et de connaissances dont on s’est occupé avec le plus de succès ; en un mot, par les cotés les plus favorables à l’emploi de toutes ses forces ? n’en écarte-t-on pas alors nécessairement une foule de questions que des hommes différemment organisés et avec des talens divers, regardent comme les plus importantes ? dit-on même sur celles dont on s’est proposé l’examen, tout ce qu’on devrait dire ? suit-on toujours rigoureusement le plan qu’on s’était fait ? Des réflexions ultérieures, des vues nouvelles, des idées neuves, ou des rapports nouveaux et très-fins, aperçus entre des vérités déjà connues, ne forcent-ils pas quelquefois dé l’étendre, de le circonscrire, de le changer même dans une infinité de points, et de remuer certaines pierres, auxquelles on n’avait pas cru auparavant devoir toucher ? Enfin, ne quitte-t-on jamais le ton froid, méthodique et sec d’un dissertateur ; et ne se permet-on pas souvent de ces écarts, de ces excursions qui ressemblent tout-à-fait à une conversation, qui donnent à un ouvrage un air facile et original, qui sèment de quelques fleurs une route longue, pénible et escarpée, et qui font dire d’un auteur ce qu’on a dit de Montaigne, qu’il causait avec son lecteur ? Rien n’est donc plus téméraire, et, j’ose le dire, plus ridicule, que toutes ces formules répandues dans les notes des critiques : il y a ici une grande lacune ; il manque là quelque chose : car deux lignes suffisent quelquefois pour détruire totalement, ou pour rétablir l’ordre et la liaison entre les différentes parties d’un ouvrage, etc.

La Grange.
FIN DU TOME TROISIÈME.
  1. Voyez à la fin des notes sur ce traité une remarque curieuse à ce sujet tirée de La Grange.