Du Prud’homme qui retira de l’eau son compère

Du Prud’homme qui retira de l’eau son compère


Un pêcheur était occupé à jeter ses filets en mer. Il voit quelqu’un tomber dans l’eau. Il vole à son secours, cherche à l’accrocher par ses habits avec sa perche et vient à bout de le retirer ; mais par malheur il lui crève un œil avec le croc. Le noyé était son compère qu’il reconnaît. Il l’emmène chez lui, le fait soigner et le garde jusqu’à ce qu’il soit guéri. Celui-ci n’est pas plus tôt sorti qu’il forme plainte contre le pêcheur pour l’avoir blessé. Le bailli leur assigne un jour auquel ils doivent comparaître. Chacun expose ses raisons, et les juges au moment de prononcer, se trouvent embarrassés, quand un fou qui était là élève la voix. « Messieurs, dit-il, la chose est aisée à décider. Cet homme se plaint qu’on l’a privé d’un œil. Eh bien ! faites-le jeter à l’eau au même endroit. S’il s’en retire, il est juste qu’il obtienne des dédommagements contre le pêcheur, mais s’il y reste, il faut l’y laisser et récompenser l’autre du service qu’il a rendu. » Ce jugement fut trouvé très équitable. Mais le noyé, qui eut peur qu’on ne l’exécutât, se retira bien vite et se désista de sa demande.

C’est temps perdu que d’obliger un ingrat, il ne vous en sait nul gré. Sauvez un larron de la potence, vous serez fort heureux si le lendemain il ne vous vole pas.