Du Pamphlet
II. - LE PRÊTRE, ETC. - LE PEUPLE, PAR M. MICHELET.
Tacite ne nous a pas laissé ignorer que l’empereur Auguste n’aimait point ce que nous appelons aujourd’hui la liberté de la presse. L’heureux héritier de César voulut qu’on punît sévèrement ceux qui composaient de petits livres contre les particuliers. Il craignait sans doute qu’au moment où la tribune se taisait, la liberté et la malignité humaine ne cherchassent dans ces petits livres, libelli famosi, de trop cruels dédommagemens. En général, les anciens, pour qui les plus grandes licences de la harangue publique étaient une habitude et comme une émotion nécessaire, supportaient impatiemment d’être maltraités dans des écrits. Ils n’admettaient pas ces accusations auxquelles on ne pouvait répondre sur-le-champ, comme dans l’assemblée du peuple, au sénat ou devant les juges. Ils mettaient leur point d’honneur dans un échange direct de toutes les invectives, de toutes les violences de langage que leur suggérait la passion.
Nous avons pris le contre-pied de cette manière d’être : dans nos discours nous sommes plus retenus, et c’est dans nos écrits que nous mettons nos plus grandes malices. Il ne venait pas à l’esprit des orateurs antiques de s’interrompre pour se reprocher de n’être point parlementaires ; la parole tombait sur leurs têtes comme un glaive que rien ne pouvait détourner. Chez les modernes, la parole est sans doute une arme redoutable ; toutefois il est des attaques, il est des blessures qui lui sont interdites. Les combats de la tribune ont leurs règles d’honneur comme le duel, et celui qui les enfreint est sévèrement puni, car il n’est plus écouté. Moins entravé que l’orateur, l’écrivain ne connaît d’autres restrictions à sa liberté que les limites même qu’il voudra s’imposer. S’il a pour complice la curiosité avide et presque barbare du lecteur qui aime à pénétrer dans les détails les plus intimes, dans les derniers replis d’une vie et d’un caractère, il a pour juge le goût, le sens délicat et ombrageux de ce même lecteur, qui, après l’avoir quelque temps applaudi, peut le condamner brusquement, parce qu’un mot malheureux et des couleurs trop chargées lui auront déplu. Il y a dans les ames assez de passions mauvaises pour assurer le succès des plus sanglantes satires, mais il y a aussi dans les esprits assez de tact et de droiture pour réprouver les agressions grossières, les déclamations déraisonnables. Ici la délicatesse fait l’office de la charité.
Toutefois le pamphlet chez les modernes n’a pas pour unique origine l’incurable démangeaison de médire de son prochain ; d’autres et plus nobles causes l’ont aussi mis au monde. Si l’usage et la pratique de la parole ont fondé et développé la liberté antique, c’est par les idées écrites que peu à peu la liberté a commencé de poindre et de paraître dans l’Europe chrétienne. La discussion s’est établie sur les mystères de la foi, sur Aristote, sur Platon, puis elle a atteint les intérêts temporels et les affaires politiques. Le pamphlet a donc sa racine dans le génie même de la société moderne, l’esprit de discussion. Il en a pris toutes les formes et suivi toutes les fortunes. Il a été successivement barbare, diffus, cynique, spirituel, concis, élevé, divertissant. Dans le pamphlet, les esprits les plus divers, les vocations les plus différentes, se produisent, le moine, le docteur, l’homme d’épée, le légiste, le philosophe ; enfin, dans cette retentissante cohue, vous trouvez tout, depuis le cuistre le plus épais jusqu’au plus étincelant écrivain.
C’est en latin que les modernes commencèrent à s’attaquer, à s’injurier. La langue des anciens maîtres du monde, qu’on travestissait indignement dans les chancelleries et les cours de justice, fut employée à des luttes auxquelles son génie ne répugnait pas. L’idiome qu’avaient parlé les Gracques, et dont la véhémence avait accablé Antoine et Catilina, retenait encore la puissance d’exprimer et de satisfaire d’ardentes passions. La colère et le génie achevèrent de ranimer et de féconder des formes de langage et de style que le temps semblait avoir irréparablement glacées. Dans les premiers jours du XVIe siècle, avant que Luther se fût levé contre Rome, il y avait, au sein de l’ église et des universités, des controverses et des polémiques, signes avant-coureurs de mouvemens plus décisifs. La théologie, comme la jurisprudence avait ses novateurs, et les travaux de Reuchlin présentaient une analogie frappante avec les tentatives littéraires et philologiques d’Ange Politien. D’un génie autrement vaste et profond que le brillant favori de Laurent de Médicis, Reuchlin non-seulement était l’homme le plus érudit de son époque, mais à la connaissance, si rare alors, des langues hébraïque et grecque, il joignait une raison supérieure ; qui lui avait fait pressentir l’étroite union du christianisme avec les religions orientales. La tourbe des théologiens et des moines était incapable d’aller au fond d’une telle pensée, mais pour les blesser il suffisait de la prééminence qu’assurait à Reuchlin son érudition hébraïque. Reuchlin fut accusé de judaïsme : il savait l’hébreu, donc il ne pouvait être bon chrétien. Les moines de Cologne trouvèrent ce raisonnement si beau, qu’ils en firent la base des accusations par lesquelles ils entreprenaient de perdre le célèbre hébraïsant. Insinuations calomnieuses, citations infidèles, injures violentes, enfin tout ce que peut inspirer une haine de théologien, passion devenue proverbiale, odium theologicum, fut employé contre Reuchlin, qui se défendait avec fermeté, lorsqu’à cette polémique il y eut une diversion imprévue.
On commençait à parler, dans le monde théologique et savant, d’un recueil de lettres toutes adressées au même personnage, à Ortwinus Gratius, professeur de théologie à Cologne. Les correspondans du théologien ne se faisaient point connaître ; mais, si les noms qu’ils prenaient étaient imaginaires, ils professaient des principes qui, à la première vue, paraissaient excellens. Ils avaient pour Ortwinus Gratins tous les dehors du respect ; ils l’appelaient poète, orateur, philosophe, théologien, et plus si vellet ; ils lui donnaient encore les noms de scientificissimus, de profundissimus et d’illuminatissimus. Ils mandaient au professeur de Cologne les nouvelles du jour ; ils le tenaient au courant de tout ce qui s’écrivait et se disait pour et contre Reuchlin ; quant à eux, leurs sentimens n’étaient pas douteux : ils maudissaient le savant téméraire, ou plutôt l’hérétique qui était venu troubler la bienheureuse paix dont jouissait l’église. Aussi demandaient-ils à Ortwinus Gratius les moyens de répondre aux objections impertinentes de Reuchlin et de ses partisans. A l’apparition de ces lettres, les adversaires de Reuchlin furent dans la joie : ils crurent avoir trouvé des auxiliaires. Cependant à quelques-uns cette apologie parut bientôt suspecte ; d’autres ne se gênèrent pas pour en rire : enfin il ne fut plus possible de s’y tromper. Sous de perfides apparences, sous le prétexte de défendre la bonne cause, on l’attaquait.
La désolation était dans le camp du Seigneur. On n’était entré en commerce de lettres avec Ortwinus Gratius que pour se moquer de lui et de tous ses amis qui n’aimaient pas la science. Comment en douter, quand on voyait un des correspondans du professeur de Cologne lui écrire en ces termes : « Il faut que vous sachiez que le docteur Reuchlin vient de faire imprimer un livre vraiment scandaleux, sa défense, où il vous appelle un âne ; pour moi, j’ai été pris d’une telle indignation, que je n’ai pu aller plus loin ; j’ai jeté le livre, je vous l’envoie. J’ai pensé qu’il fallait que vous le connussiez, afin de pouvoir y répondre. » Parfois le ton s’élève à une éloquente gravité. « Que faut-il penser, quand on compare Érasme de Rotterdam, Jean Reuchlin, Mutianus Ruffus et d’autres encore à ces théologiens étroits et bornés, cloués à une inepte routine, ayant déserté les traces des antiques et savans soutiens de l’église, qui marchaient dans la vraie lumière des Écritures ? Également dénués de la connaissance du latin, du grec et de l’hébreu, comment ces tristes théologiens pourraient-ils comprendre les livres saints ? Aussi nous les voyons abandonner l’étude de la véritable théologie pour des argumentations, des disputes et des questions frivoles. Cependant ils se disent les défenseurs de la foi catholique, que personne n’attaque parmi nous. Pourquoi donc, s’ils veulent que leurs disputes aient quelque utilité, ne vont-ils point par le monde prêcher la parole de Dieu comme les apôtres ? pourquoi ne vont-ils pas argumenter contre les Grecs, afin de les ramener dans le sein de l’église ? S’ils craignent de s’aventurer si loin, ne pourraient-ils aller essayer contre les hérétiques de la Bohême la puissance de leurs argumens et de leurs syllogismes ? Ils s’en gardent bien, et s’acharnent à disputer là où on n’a que faire de leurs discussions oiseuses. Mais un jour le Seigneur les visitera, ces stériles ergoteurs ; il enverra de véritables docteurs, profondément versés dans les langues grecque, hébraïque et latine, qui, faisant justice de tant d’absurdes commentaires, de tant de misérables subtilités, apporteront le flambeau de la science, et nous rendront enfin la primitive et vraie théologie chrétienne, comme l’a fait récemment Érasme en corrigeant les livres de saint Jérôme. » Il est entendu que ces véhémentes paroles sont mises dans la bouche d’un mauvais chrétien, destiné à persévérer in pravitate sua, et à mourir in gehenna : l’officieux correspondant du professeur de Cologne en a horreur, et il ne les lui mande que pour qu’il y réponde. Malheureusement Ortwinus Gratius est peu fécond ; on lui écrit de toutes parts, et il ne donne signe de vie à personne : une seule fois il répond à une consultation fort délicate sur l’amour et ses plaisirs. Tout cela est dit d’une manière vive, bouffonne, et donne à connaître les mœurs du temps. Ainsi les vices des moines, leur ignorance, leurs balourdises, étaient flagellés dans les lettres adressées à l’infortuné Ortwinus Gratius, point de mire de toutes ces mordantes railleries. Ces lettres parurent réunies en deux parties, en 1516[1], un an avant les thèses de Luther, sous le titre d’Epistoloe obscurorum virorum. Bientôt elles furent dans toutes les mains. On disait alors qu’en les lisant, Érasme, qui avait un abcès à la joue, avait ri de si bon cœur, que l’abcès creva. On ne fait de pareils contes qu’à propos d’un grand succès.
L’Europe chrétienne avait donc produit un pamphlet populaire. Quel en était l’auteur ? Il y avait de par le monde un gentilhomme de Franconie dont on avait voulu faire un moine, mais que la nature avait doué d’un génie incompatible avec le cloître. Ulric de Hutten commença par une longue école buissonnière une existence où les fortunes les plus diverses se trouvent mêlées. Nous le voyons parcourir l’Allemagne et l’Italie dans une telle indigence, qu’elle le réduisit à s’enrôler comme soldat ; quelques années après, il recevait de l’empereur Maximilien la couronne poétique, et il était honoré de la confiance de l’électeur de Mayence. Enfin Charles-Quint et François Ier le recherchèrent. Hutten était un esprit non moins séduisant que redoutable. Homme d’action et de pensée, homme d’épée et de style, fougueux, irascible, faisant des vers que son siècle trouvait beaux, parlant des affaires religieuses et politiques dans une prose qui aujourd’hui encore, en maint endroit, est restée éloquente, Ulric de Hutten exerçait une puissance morale d’autant plus vive, qu’elle était nouvelle, et que d’ailleurs il ne la garda pas long-temps. A trente-cinq ans, il terminait une vie qu’avaient épuisée les passions ; nous n’avons pas affaire à un saint. Tel est l’homme qui prit en main la cause de Reuchlin et de sa science : notre chevalier batailleur résolut de faire une campagne contre les moines. Pour cette entreprise, il s’adjoignit un de ses compagnons d’enfance, Crotus Rubianus, et peut-être encore quelques autres amis. Il leur communiqua son plan, les échauffa de sa verve, et c’est ainsi que furent écrites les Epistolœ obscurorum virorum, dont la plupart, et les plus ironiques, sont sorties de la plume de Hutten. Les adversaires de Reuchlin étaient assaillis à leur tour, et ne savaient d’où partaient les coups. Hutten et ses amis formaient une sorte de tribunal secret littéraire qui était la terreur de la gent monacale. Les savans et les lettrés de l’Allemagne, de la France et de l’Italie, lisaient avec surprise et ravissement ces lettres remplies d’une animation toute comique, et aujourd’hui nous saluons dans Ulric de Hutten le pamphlétaire de la réforme dont Luther fut le promoteur, et Mélanchton le théologien par excellence.
Durant le XVIe siècle, et dans la première moitié du XVIIe, le latin fut la langue générale de l’Europe. La France, il est vrai, avait déjà produit, surtout en prose, de remarquables écrivains : Montaigne nous avait offert comme une transformation gasconne de Plutarque et de Sénèque. Pour plusieurs de nos soldats et de nos diplomates, la guerre et les affaires avaient été une école de style ; enfin nous avions eu des pamphlétaires qui, bien qu’un peu novices avaient excité la gaieté de Paris aux dépens des ligueurs. Toutefois la langue française n’était pas encore un idiome européen : elle ne conquit un empire universel que par les chefs-d’œuvre qui se multiplièrent depuis la dictature du cardinal de Richelieu jusqu’à la vieillesse de Louis XIV. Au milieu du XVIIe siècle, c’était encore en latin que les débats religieux et politiques se vidaient. Quand l’héritier de Charles Ier voulut, après la mort tragique de son père, accroître encore et propager l’indignation excitée par cette catastrophe, il s’adressa au plus célèbre érudit du temps, à Saumaise, que toutes les universités de l’Europe avaient disputé à la France, et qui avait accepté à Leyde la succession de Scaliger. Saumaise se trouva comme accablé de l’honneur que lui attirait sa réputation. Ni ses travaux sur l’anthologie grecque, ni ses commentaires sur les écrivains de l’histoire auguste, ni ses excursions dans la philologie orientale, ne l’avaient préparé à un des plus graves débats que pouvait élever la controverse politique. Toutefois il ne recula pas devant une tâche si nouvelle pour lui, et, dans la même année où Charles Ier avait été frappé, il fit paraître un livre intitulé : Defensio regia pro Carolo I ad serenissimum Magnoe-Britanniœ regem Carolum II filium natu majorem, hoeredem et successorem legitimum. Nous disons un livre, car Saumaise, dans un énorme factum, a entassé tout ce qu’il savait, tout ce qu’avaient pu lui fournir les Écritures, les Grecs, les Romains et les Pères de l’Église. C’est l’érudit qui parle, et non pas l’homme. Pour exprimer son indignation au sujet du régicide commis le 30 janvier 1649, il ne trouve que des citations, vox faucibus hoesit ; Londres, après la mort du roi, avec son oligarchie révolutionnaire, lui rappelle Athènes avec ses trente tyrans. Puis il procède comme dans une dissertation ; il commence par établir l’atrocité du fait en lui-même ; il arrive aux questions de droit, et il nie compendieusement que des sujets puissent jamais juger et condamner leur souverain. Il s’attache ensuite à démontrer que le roi d’Angleterre avait sur ses sujets les mêmes droits que tous les autres monarques. Enfin, après avoir établi que Charles Ier ne pouvait être jugé par aucun tribunal, il cherche dans sa vie et dans son règne les preuves non plus de son inviolabilité, mais de son innocence. Saumaise avait proclamé au début qu’il plaidait cette cause devant l’univers entier, et il termine en disant qu’il l’a prise en main, non-seulement parce qu’il y a été invité, non tantum quia rogatus, mais parce qu’il n’en connaît pas de plus juste ; il a obéi à sa conscience, à la vérité. L’ouvrage n’était pas bon, mais le sujet était si grand, et l’auteur si célèbre, que tout ce qui lisait du latin en Europe prit connaissance de l’indigeste production de Saumaise. Par les mains d’un érudit se trouvait érigé le tribunal de l’opinion que Pascal, quelques années plus tard, devait appeler la reine du monde. Citée à ce tribunal, l’Angleterre républicaine ne voulut pas faire défaut.
Cette fois c’était la passion la plus vraie qui parlait. Il était impossible de ne pas sentir, dès les premières pages de la défense de l’Anglais Jean Milton[2], la sincérité du fanatisme qui enflammait l’écrivain. Avec quel dédain il entame la réfutation de Saumaise, dont il raille la stérile prolixité ! Milton déclare qu’il n’a en face de lui ni un orateur, ni un historien, pas même un avocat, mais une sorte de bateleur, de saltimbanque qui a recours aux plus misérables artifices pour attirer l’attention. Voilà sur quel ton se trouve sur-le-champ montée une polémique dans laquelle le secrétaire du conseil d’état de Cromwell poursuit, Saumaise de proposition en proposition, d’exemple en exemple, avec une véhémence qui dut épouvanter le professeur de Leyde. Il s’élève contre l’erreur fondamentale de Saumaise, qui avait confondu les droits d’un père avec ceux d’un roi. « Un père met au jour ses enfans, dit Milton, mais ce sont les citoyens qui créent le roi. La nature donne un père à l’homme, un peuple se donne un roi à lui-même. » Les conséquences d’une telle différence se déroulent sous la plume de Milton, qui arrive à conclure que, s’il est interdit à des enfans de punir la tyrannie d’un père, il est permis à un peuple de châtier celle d’un roi. Saumaise avait imprimé que Charles Ier avait moins péché sur le trône que le roi David. Ce rapprochement jette Milton dans une indignation violente, et lui inspire des déclamations plus cyniques à coup sûr que les galanteries du roi Charles. La réponse de Milton est plus courte de la moitié que l’ouvrage de Saumaise, et elle se lit avec une bien autre facilité. Il y a au fond du latin de Milton une vie, un mouvement qui porte le lecteur ; si l’esprit n’est pas persuadé, il est captivé du moins par cet orgueilleux et, austère patriotisme qui faisait dire à Milton en terminant : « Les Anglais n’ont pas besoin de chercher à justifier ce qu’ils ont fait par l’exemple d’autres peuples ; ils ont leurs propres lois, et, à leurs yeux, dans aucun pays il n’en est de meilleures. Pour exemple à suivre, ils ont leurs ancêtres, hommes énergiques et forts qui ne cédèrent jamais aux rois dont la volonté s’égarait jusqu’au despotisme. Nos ancêtres ont mis à mort plusieurs tyrans. Les Anglais sont nés dans la liberté, ils se suffisent à eux-mêmes ; ils ont la puissance de se donner les lois qu’ils veulent : il en est une surtout qu’ils observent par-dessus toutes les autres, c’est cette loi décrétée par la nature elle-même qui assigne à l’état social, non la satisfaction des caprices des rois, mais le salut et la liberté des bons citoyens. » A un langage aussi hautain, aussi fier, un anonyme- répondit par- un pamphlet qui avait pour titre : Cri du sang royal[3]. Cet n’était plus tant une défense de la cause monarchique qu’une vengeance exercée contre Milton, qui était représenté comme une espèce de monstre difforme, cui lumen ademptum ; s’il était aveugle, c’est que Dieu l’avait frappé de cécité pour le punir de ses crimes. Milton reprit la plume. Dans sa réplique[4], il attaque vivement un nommé Morus qu’il soupçonnait être l’auteur de l’injurieux libelle, puis il se défend lui-même : la discussion politique vient ensuite, et il la termine par une longue et chaleureuse apostrophe à Cromwell, qui depuis quelques, mois avait été proclamé lord protecteur des trois royaumes. Milton s’adresse à Cromwell parce qu’en lui reposent toutes les espérances de la patrie, parce qu’il a entre ses mains le dépôt sacré de la liberté anglaise. « Cromwell, lui dit-il, tu ne peux être libre sans nous, car la nature a voulu que celui qui usurpe la liberté des autres perdît le premier la sienne. » Milton demande aussi au lord protecteur de respecter la liberté de l’église, et de ne pas accoupler, par un mélange adultère, deux puissances essentiellement différentes, la puissance civile et la puissance spirituelle. Il réclame la liberté de penser ; par elle seule, la vérité peut fleurir. Enfin, interpellant ses concitoyens, il les exhorte à se réformer eux-mêmes, à chasser du milieu d’eux les passions, les vices, les désordres qu’ils ont entendu punir chez les partisans de la royauté. Il adjure l’Angleterre d’éviter le sort de Rome antique, et de ne pas oublier que la liberté, c’est la justice, c’est la vertu. De tels sentimens font souvent oublier, en lisant les pamphlets de Milton, qu’ils contiennent l’apologie du régicide. Avant de répondre à Saumaise, Milton s’était adressé au parlement pour réclamer la faculté d’imprimer sans censure ; il aimait la liberté comme citoyen, comme chrétien, comme penseur. Dans ses actes, dans ses écrits, il porta l’ardeur d’un croyant, l’imagination d’un poète, et cette dernière qualité l’a fait immortel. Qu’importe au monde aujourd’hui la prose politique de Milton ? Le pamphlétaire est oublié ; le poète est dans la mémoire de tous. Il y a dans la poésie une incorruptible vertu qui rend contemporains de tous les âges ceux qu’elle a vraiment inspirés. Les systèmes et les révolutions se succèdent, les mœurs et les idées changent avec une rapidité que rien n’arrête : qui survit à toute cette instabilité ? La beauté, la beauté dans la forme, dans l’expression. Aussi Byron n’a-t-il jamais songé à multiplier ses discours au sein de la chambre des lords pour accroître sa gloire.
C’est à l’époque de Cromwell que le pamphlet commença à devenir une des habitudes des mœurs anglaises. Il était naturel que le peuple qui avait trouvé son originalité non pas dans l’invention, mais dans la pratique constante du gouvernement représentatif, fît le premier un usage politique de l’imprimerie. A la discussion parlementaire s’associe désormais une forme nouvelle de débat. Ce qui préoccupe le pays, ce qui le passionne, a sur-le-champ dans quelques pages une expression courte et populaire. A côté de la tribune, le pamphlet : c’est le papier qui parle[5]. Au XVIIe siècle, le pamphlet acquit en Angleterre une importance d’autant plus grande, que le journal, la gazette, étaient dans l’enfance, et qu’on ne connaissait pas encore la publicité périodique des Revues. Les écrits de Milton furent donc comme le point de départ d’un genre de littérature politique dont les Lettres de Junius[6] devaient être l’apogée. Un autre chef-d’œuvre précéda celui-ci, les Provinciales. Ces deux livres nous offrent ce que l’art de la discussion a produit de plus industrieux et de plus éclatant. Le pamphlet religieux et philosophique de Pascal roule sur les matières les plus générales et les plus subtiles, le pamphlet politique de Junius sur les affaires les plus positives : Pascal attaque les doctrines et les sophismes d’une société célèbre, Junius s’élève contre les actes et la corruption de l’administration de son pays ; avec le premier vous passez en revue les plus hautes questions morales, avec le second les principes fondamentaux de l’ordre constitutionnel : tous deux vous font goûter les meilleures jouissances de l’esprit, car non-seulement ils poussent la démonstration jusqu’à l’évidence, mais ils charment le lecteur, ils le remuent par des contrastes, par des effets qu’ils doivent tant à leur verve satirique qu’à une éloquence d’une irrésistible simplicité.
Répandre des vérités utiles, combattre des erreurs dangereuses, attaquer des hommes pervers, tel est le triple but du pamphlet. Tantôt le pamphlétaire ne se propose qu’un de ces résultats, tantôt il les poursuit tous les trois. Il a l’ambition, qui n’est pas médiocre, d’être lu de chacun et de persuader tout le monde, les ignorans comme les habiles, les gens frivoles comme les esprits attentifs. Pour y parvenir, sera-t-il jamais assez clair, assez fort, assez précis ?
Ces qualités n’auront de puissance que si on les applique à propos. On ne crée pas à sa fantaisie le thème, l’occasion d’un pamphlet : on ne peut qu’avoir le mérite, et il est grand, de répondre aux provocations que des circonstances graves et décisives adressent à l’écrivain. Quand en 1788 l’abbé Sieyes établit en quelques pages ce que devait être le tiers-état, et ce qu’il avait été jusqu’alors, la France entière lut son pamphlet et battit des mains.
Le pamphlétaire ressemble à ces héros d’Homère que le poète nous montre sortant des rangs pour combattre seuls. Il a l’humeur querelleuse, et il aime les rencontres, les prises à partie. Le journaliste appartient à une armée soit comme soldat soit comme général : le pamphlétaire s’isole, il se bat à son heure, à sa guise, sans autre discipline que sa volonté. Son talent profitera des inconvéniens de son caractère, et, s’il est difficile à vivre, il sera délicieux à lire. Sous les drapeaux de Napoléon, il y eut pendant quelques années un officier qui faisait le désespoir de ses chefs par son tempérament indisciplinable, et dont les camarades redoutaient la parole caustique. Il arrivait parfois à cet officier de quitter son corps pour aller visiter les bibliothèques de l’Italie : il préférait les manuscrits aux bulletins de la grande armée. A ses yeux, l’empire était plus ridicule que grand, et il eût donné toutes les campagnes d’Alexandre et de César pour un vers de La Fontaine. Or, comment l’homme devant qui Napoléon et sa gloire n’avaient pas trouvé grace eût-il été plus indulgent pour les travers et les fautes de la restauration ? Pendant neuf ans, de 1816 à 1825, la restauration fut poursuivie des impitoyables railleries d’un homme qui, par son goût de l’antiquité et sa manière d’écrire, ressemblait plutôt à un contemporain d’Amyot et de Rabelais qu’à un libéral du XIXe siècle. Paul-Louis Courier se mit à attaquer la cour et l’église, et son ironie fut meurtrière. L’audace de ce nouvel Ulric de Hutten épouvantait jusqu’à ses amis ; elle se riait des entraves et des fictions constitutionnelles. Les opinions et les lieux communs du libéralisme avaient une puissance nouvelle sous la plume de cet humoriste, que rien ne pouvait ni adoucir, ni intimider, ni détourner de son but. Loin de décliner le titre de pamphlétaire, il y aspirait ouvertement, et n’ignorait pas quels travaux, quelles conditions étaient nécessaires pour le mériter.
M. de Cormenin a eu la même ambition. Jusqu’à quel point l’a-t-il satisfaite ? C’est ce qu’il est possible de rechercher aujourd’hui, sans craindre qu’un jugement littéraire, paraisse entaché de partialité politique. Les passions dont s’inspirait M. de Cormenin en écrivant ses pamphlets sont sinon tout-à-fait éteintes, du moins bien assoupies : lui-même en a perdu l’ardeur. Nos impressions et nos sentimens sont si mobiles, que quelques années suffisent pour donner un air d’ancienneté aux choses qui paraissaient les plus vives et les plus fécondes en émotions. Déjà les pamphlets de M. de Cormenin sont vieux. Notre dessein n’est pas de les déprécier par cette première remarque, mais nous voulons examiner s’il y a dans ces petites feuilles des qualités assez fortes pour les défendre contre cette action du temps si rapide et si destructive.
Avant d’arriver au pamphlet, M. de Cormenin a été poète et publiciste. C’est lorsqu’il était auditeur au conseil d’état qu’il eut son âge poétique. Il a chanté la naissance du roi de Rome, il a célébré la gloire du moderne César dont il se flatta même un moment d’avoir attiré l’attention. En effet, dans une pièce intitulée : Adieux de Gallus à la nymphe de Blanduse, il s’écriait :
Mes chants flattent César ! César aime la gloire !
Ils sont dignes de lui.
Toutefois l’enthousiasme lyrique de M. de Cormenin n’allait pas jusqu’à l’entraîner lui-même au milieu des combats. Il paraît qu’il avait obtenu d’être exempté des levées extraordinaires pour les gardes d’honneur. Peut-être dans le fracas des armes, qui chaque jour allait croissant, se prit-il à se repentir de son inaction, car nous trouvons les vers suivans dans la même pièce des Adieux de Gallus :
Mais quoi ! de nos guerriers l’impétueux courage
S’arrache au doux repos.
Tous les vrais citoyens déploient dans nos villes
Une mâle vertu,
Étouffant l’hydre impur des discordes civiles
A leurs pieds abattu, :
Et moi, lâche Romain, sur un lit de fougère,
Je perdrais mes beaux jours
A chanter les Sylvains…
Et moi, lâche Romain, est beau. C’est le relicta non bene parmula du nouvel Horace. Au surplus, en 1815, M. de Cormenin servit un moment à Lille comme garde national. Il serait puéril d’insister davantage sur les excursions poétiques du jeune auditeur. M. de Cormenin a éprouvé pour Napoléon une admiration vive, et il l’a exprimée dans des vers dont les meilleurs sont très médiocres. Tout cela n’a rien que de naturel et d’ordinaire. Comment la jeunesse du conseil d’état, qui avait le rare avantage d’entendre Napoléon, quand il n’était pas à la tête des armées, présider et vivifier la discussion des plus importantes affaires de l’empire, n’eût-elle pas eu quelque enthousiasme pour l’omnipotence intellectuelle d’un pareil génie ? Il y a quelques années, M. de Cormenin a raconté une de ces séances impériales où le débat s’élevait si haut. L’admiration fort légitime de M. de Cormenin n’en avait point fait un Pindare : il faut s’en féliciter, le droit administratif y eût trop perdu. Il est fort heureux que l’auteur des Adieux de Gallus n’ait eu qu’un degré de poésie compatible avec les questions du contentieux. Toutefois les odes de M. de Cormenin ont aujourd’hui un mérite, c’est de nous prouver qu’à vingt-trois ans il ne portait pas
- … Dans son cœur
- La liberté gravée, et les rois en horreur.
L’ame d’un Brutus n’habitait pas dans l’ame du jeune auditeur au conseil d’état.
Qu’un homme de talent ne veuille pas rester enseveli sous les ruines d’un gouvernement ou d’un parti vaincu, faut-il beaucoup s’en étonner ? En 1814, M. de Cormenin ne négligea rien pour être compris dans l’organisation du conseil d’état de la restauration ; en 1815, Napoléon revient pour quelques mois, M. de Cormenin réussit à se faire réintégrer dans le conseil d’état de l’empire. Louis XVIII rentre à Paris après Waterloo, M. de Cormenin obtint encore sa réintégration dans le conseil d’état royal. Il se sentait invinciblement attiré vers un corps au milieu duquel il devait conquérir la meilleure part de sa renommée. Dès 1818, il jugeait l’institution où il n’occupa jamais que le rang de maître des requêtes. L’ouvrage intitulé : Du Conseil d’État envisagé comme conseil et comme juridiction dans notre monarchie constitutionnelle[7], était un remarquable début. Dès les premières pages, l’auteur montrait à la fois de la fermeté et de la mesure. « Si, dans la recherche d’une meilleure organisation, disait-il, je suis conduit à proposer quelques changemens, je désire et je supplie qu’on les discute avec sévérité, parce que je suis convaincu moi-même qu’il y a souvent plus de périls à innover qu’à maintenir ; mais, d’un autre côté aussi, je ne pense pas qu’il soit tout-à-fait vrai de dire qu’on innove, lorsque c’est toute une société qui se renouvelle, lorsque, renversée dans ses antiques fondemens, elle change de place et cherche une assiette plus ferme contre les coups du temps, de la fortune et des hommes. » Les membres les plus éminens du conseil. M. Cuvier, le chevalier Allent, furent frappés de l’essai du jeune martre des requêtes, et, s’ils n’en approuvèrent pas toutes les théories, ils reconnurent la sève d’un esprit vigoureux qui avait déjà remué beaucoup de questions, et qui même ne craignait pas d’anticiper sur l’avenir. Dans une note de sa brochure, M. de Cormenin émettait, le premier peut-être, l’idée qu’une indemnité était due par l’état aux émigrés, aux anciens propriétaires des biens confisqués. Cependant, rapporteur assidu des affaires du contentieux administratif, il comprenait de plus en plus le rôle et l’importance d’une jurisprudence souvent appelée à suppléer la législation même. N’était-il pas possible de tirer des décisions rendues dans les innombrables espèces soumises à la juridiction administrative, des règles, des principes qui auraient le double avantage de fixer la doctrine sur certains points, et sur d’autres de préparer des lois nécessaires ? L’entreprise était vaste, ardue, et elle demandait la double puissance de l’analyse et de la logique. Ces deux qualités, M. de Cormenin les possédait ; elles constituent encore aujourd’hui ce qu’il y a de plus réel dans son talent. Ces qualités expliquent le succès éclatant qu’obtinrent les Questions de droit administratif dès 1822, époque où parut la première édition. Jamais livre de jurisprudence n’a été si populaire, à ce point que pendant un moment il semblait représenter seul le droit administratif. Il ne faut toutefois pas oublier que dès 1818 M. Macarel, qui vivait alors dans une véritable intimité de pensées et d’études avec M. de Cormenin, prenait l’initiative pour débrouiller les principes de la matière[8]. Plus tard, M. Degérando traçait un vaste programme et comme une sorte de codification de la législation administrative. Enfin, dans ces derniers temps, M. Vivien s’est frayé une voie nouvelle en interrogeant les faits sociaux plus encore que les lois écrites. Dans la double sphère de la science et de la pratique administrative, il y a place pour tous les genres d’esprit et de vocation.
La révolution de 1830 trouva M. de Cormenin siégeant à la chambre des députés, et elle lui inspira dès les premiers momens plus de surprise et de dépit que d’enthousiasme. Tout en ayant voté avec la majorité constitutionnelle des 221, M. de Cormenin n’avait jamais pensé que la résistance du parlement et du pays aboutirait à une victoire populaire et décisive. Cet éclatant triomphe le prit au dépourvu ; il en fut embarrassé, presque blessé. Trop de liens le rattachaient à la restauration pour qu’il la vît disparaître sans regret. Que fallait-il augurer de ce gouvernement nouveau qui s’établissait au milieu d’une tempête, et sur lequel allaient sans doute fondre bien des orages ? L’enivrement démocratique était au comble : fallait-il s’en défendre ou le partager ? C’est au milieu de ces alternatives, de ces perplexités, que M. de Cormenin dut prendre un parti ; pour choisir le meilleur, il avait toute la maturité nécessaire, il avait alors quarante-trois ans[9]. On a souvent reproché à M. de Cormenin de cacher des opinions légitimistes sous des apparences républicaines : il les a mal cachées, car tout le monde les a reconnues. C’est qu’il y a de la sincérité dans ce double personnage de M. de Cormenin, et de plus il a porté dans l’un et l’autre rôle les mêmes qualités et les mêmes défauts.
La chambre des députés recevait, le 12 août 1830, la démission de M. de Cormenin, qui se déclarait sans pouvoir pour faire un roi, une charte, un serment. M. de Cormenin a tâché d’expliquer pourquoi il avait attendu le 12 août pour prendre ce parti. « Attaché sur mon banc, a-t-il écrit, pendant l’improvisation de la charte, je gardai l’immobilité du silence. J’étais absorbé dans la contemplation de mon illégalité. Je n’entendais rien. Je n’apercevais plus la chambre. Je ne voyais que le peuple. Sa grande image était devant moi. » Quelques jours après, le 20 août, M. de Cormenin donnait sa démission de maître des requêtes, brisant lui-même le lien qui le rattachait au gouvernement nouveau. Dans les premiers momens où, après le triomphe, les grandes situations se partageaient entre les vainqueurs, M. de Cormenin avait songé au poste de procureur-général à la cour de cassation : M. Dupin y fut nommé. La présidence du conseil d’état devint la récompense d’un publiciste illustre, de Benjamin Constant. De ce côté encore les espérances de M. de Cormenin étaient trompées. Si des compensations lui furent offertes, il les refusa. Après avoir échoué devant le collége électoral d’Orléans, M. de Cormenin fut renvoyé au Palais-Bourbon par les électeurs du département de l’Ain, et quand, en 1831, la chambre eut été dissoute, il reparut au parlement en réunissant les suffrages de quatre collèges électoraux. Cette quadruple élection enfla son courage, et, dès le mois d’août de la même année, il commença de publier des Lettres sur la Charte et la Pairie ; il y demandait la convocation des assemblées primaires ; il y rappelait que dès 1829 il avait émis le vœu de l’abolition de l’hérédité de la pairie. Seulement il oubliait qu’à cette époque c’était surtout dans l’intérêt du pouvoir royal et pour ne pas énerver la prérogative qu’il combattait cette hérédité. Quand il eut pris à partie la pairie et la charte, M. de Cormenin eut l’idée d’écrire sur la liste civile. Dans l’hiver de 1830, il avait été l’un des membres d’une première commission de la liste civile qui avait examiné tous les élémens, tous les détails de cette matière délicate ; aussi la connaissait-il à fond quand M. Casimir Périer apporta un projet nouveau à la chambre de 1831. Le sujet parut merveilleux à M. de Cormenin, échauffé d’ailleurs par les éloges que commençaient à lui accorder les légitimistes et les républicains. Aussi aborda-t-il la question d’un ton triomphant : « J’ai porté les premiers coups à l’hérédité de la pairie. Si je pouvais ébrécher la liste civile ! » C’en est fait : le pamphlétaire est descendu dans l’arène, et il voudra d’un seul coup conquérir une popularité sans rivale.
Ç’a toujours été une des prétentions de M. de Cormenin d’être dans ses actes et dans ses écrits le plus logique des hommes. Ne s’est-il pas écrié quelque part : « Je leur montrerai ce que c’est qu’un logicien ! » C’est en honneur de la logique qu’il envoya sa démission à la chambre des députés le 12 août 1830, disant qu’il n’avait pas pouvoir pour prêter un serment à un nouveau roi. Toutefois ce serment, il le prêtait quelques mois plus tard en revenant siéger à la chambre. L’inconséquence était si flagrante, qu’il a été obligé lui-même de la reconnaître. « Je sais, a-t-il écrit, que j’aurais dû non-seulement donner ma démission, mais ne pas reparaître à la chambre ; je sais que j’aurais dû, non pas seulement protester, mais m’abstenir ; je sais que pour avoir été plus conséquent que tous les députés, sans exception, qui ont fait le roi et la charte, je ne l’ai pas encore été assez, et que, pour être parfaitement logique, j’aurais dû pousser jusqu’au bout la rigueur inexorable du principe[10]. » Après avoir ainsi manqué à la logique, M. de Cormenin crut expier sa faute en poussant à leurs dernières conséquences ses principes démocratiques, et c’est alors qu’il imagina d’attaquer directement la royauté. Il se prit à parler avec un singulier mépris non-seulement du gouvernement nouveau, mais de la monarchie restaurée en 1814. « Louis XVIII et Charles X avaient un ordinaire immense de gentilshommes de la chambre et de maîtres d’hôtel, écuyers, officiers des gardes, aumôniers, valets et courtisans, grands et petits, rouges, bleus, noirs, violets, galonnés, dorés, argentés, titrés, mitrés, moirés, portant manteaux, hermine, épaulettes, camails, rubans, cordons, plaques et chaînes d’or, etc., etc.[11]. » Mais n’est-ce pas à ces mêmes princes, auxquels M. de Cormenin donne par dérision un pareil entourage, qu’il avait demandé des lettres de noblesse ? Sous Louis XVIII, des lettres patentes conféraient à M. de Cormenin le titre de baron ; en 1826, Charles X le créait vicomte. Cinq ans après, M. de Cormenin traçait un tableau burlesque de la cour de Charles X et de Louis XVIII. Était-ce logique ? Néanmoins, dans un des traits les plus saillans de son caractère, M. de Cormenin a été fidèle à lui-même. Il a toujours aimé ce qui sépare de la foule, ce qui résonne, ce qui retentit. Issu d’une famille de robe, il a voulu s’agréger à la noblesse. Après 1830, il a cherché à se distinguer entre tous comme démocrate, à échapper à l’égalité républicaine par le fracas de sa réputation.
Oui, si M. de Cormenin a été pendant quelques années le plus virulent des pamphlétaires, il a été entraîné à prendre ce rôle par une logique fausse et une vanité sincère. Qu’on ajoute à ces causes la vivacité des circonstances, la séduction et le despotisme exercés par certains applaudissemens, et l’on s’expliquera comment un homme qui s’était dévoué pendant dix-huit ans au culte des institutions et des idées monarchiques est arrivé d’un bond aux dernières exagérations de la démagogie ; confirmation nouvelle de la vérité de cette parole du duc de La Rochefoucauld : En France, tout arrive.
Mais enfin quelle est la valeur des écrits que dictèrent à M. de Cormenin ses passions ou plutôt ses caprices démocratiques durant dix ans environ ? Les pamphlets dont l’histoire a gardé le souvenir roulent toujours sur des questions capitales dans les destinées d’un peuple. Les lettres de M. de Cormenin sur la liste civile ont-elles cet avantage ? Quand les représentans du pays discutent, au commencement d’un règne, avec une scrupuleuse exactitude, les élémens de la dotation accordée à la couronne, ils remplissent un des devoirs de leur mandat. Ces comptes, ces détails, ont une importance véritable. Si l’on sort de cette juste mesure pour prétendre que la liberté, le sort du pays, dépendent de tel ou tel chiffre, on peut parvenir à dénaturer le débat, à l’envenimer, mais non pas à le grandir. Pour nous, qui ne sommes ni courtisan ni tribun, en relisant les pamphlets de M. de Cormenin sur la liste civile, sur les questions de dotation et d’apanage, nous avons admiré combien la véhémence convulsive de l’écrivain est peu en harmonie avec la nature même du sujet. Malgré tous ses efforts, l’écrivain ne peut faire oublier, qu’il ne s’agit après tout que d’un million de plus ou de moins, ou d’une somme de cinq cent mille francs. Aussi l’on se surprend à dire comme Sganarelle quand il connaît les motifs de la grande colère du docteur Pancrace : Je pensais que tout fût perdu. Quoi qu’il en soit, dans ces petits écrits M. de Cormenin montre une verve grossière, une énergie violente bien faite pour plaire à l’exaltation de l’esprit de parti ; il est inépuisable en invectives, il adresse à ses adversaires, avec plus d’abondance que de goût, tous les sarcasmes que lui suggère l’amertume de son humeur.
- … Jussit quod splendida bilis. (HORACE.)
Il ne manque pas non plus d’habileté pour trouver le langage le plus agréable aux mauvais instincts de la nature humaine, et pour traiter l’envie comme une vertu patriotique.
Toutefois on ne lit pas long-temps M. de Cormenin sans éprouver une fatigue qu’explique la monotonie d’un style toujours égal dans sa raideur et sa violence. Pour changer à propos de ton, pour trouver ces contrastes, ces points de vue qui reposent le lecteur tout en lui découvrant des aspects nouveaux, M. de Cormenin n’a l’esprit ni assez flexible, ni assez étendu. Dans ses pages, jamais une lueur de comique n’a brillé. C’est à ce don divin du comique qu’on reconnaît les maîtres. Au lieu de nous montrer Socrate apostrophant sans relâche les sophistes avec une rudesse intraitable, Platon fait de quelques parties de ses dialogues des comédies charmantes où la délicatesse de l’enjouement et de la plaisanterie porte à la fausse sagesse des atteintes profondes. Dans cet art, Pascal a su égaler Platon, et souvent Paul-Louis Courier est parvenu à se placer pas trop loin de Pascal. Le comique a une puissance merveilleuse de persuasion ; il détend les esprits, puis s’en empare, et il se trouve qu’à l’aide de cet aimable auxiliaire la vérité y a pénétré. On chercherait inutilement de pareils effets dans la prose de M. de Cormenin : c’est un logicien qui s’élève parfois à la véhémence de l’orateur, comme dans sa lettre à Casimir Périer. Même dans les momens où son talent est le plus réel, il est toujours monotone.
Comme pour répondre à ces reproches par la variété de ses sujets, M. de Cormenin, qu’enhardissait le retentissement de ses pamphlets, se mit à écrire des études sur les orateurs parlementaires. Le sentiment qui domine dans ces études est la haine de la tribune. Avant la révolution de juillet, en 1828, M. de Cormenin entrait à la chambre avec le désir fort légitime de s’y faire un nom. Il prit une part active aux travaux parlementaires, traita des questions importantes[12]. Quand il prononçait, quand il lisait à la tribune des discours substantiels, on l’écoutait. Dans les matières de législation et de jurisprudence administrative, c’était une autorité. Néanmoins, comme s’il avait perdu avec le souvenir de ces premiers succès toute envie d’en obtenir de nouveaux, depuis 1830 M. de Cormenin garda au sein de la chambre un silence obstiné, et il n’osa pas, au milieu des vifs débats dont nous avons eu le spectacle pendant les premières années qui suivirent la révolution, aventurer son éloquence écrite. Alors le taciturne député résolut de citer à son tribunal tous ces orateurs importuns, au verbe sonore ; s’il est muet à la chambre, il éclatera sur le papier.
C’est ainsi que l’auteur des Études sur les Orateurs parlementaires, auxquelles il a donné plus tard le titre ambitieux de Livre des Orateurs, a été entraîné à confondre deux choses fort différentes, la critique et la satire. Cette confusion suffit déjà pour indiquer à nos lecteurs pourquoi il ne nous est pas possible de mettre M. de Cormenin à côté de Cicéron et de Quintilien, qui ne se sont jamais avisés de substituer à la sévérité littéraire l’acrimonie du libelliste. M. de Cormenin a reconnu lui-même à quels excès il s’était emporté : il a repris la plume plusieurs fois pour atténuer, pour effacer ses injustices les plus vives, et il a rempli de ses variantes de nombreuses éditions. Des démocrates ont relevé ces changemens : ils les ont attribués au désir de désarmer des inimitiés puissantes, et de se ménager pour l’avenir des suffrages, académiques. Pourquoi ne pas voir plutôt dans ces amendemens le mouvement loyal d’un honnête homme qui regrette et répare autant qu’il est en lui les erreurs où il était tombé ?
En dépit de ces réparations morales, en dépit de toutes les retouches de l’écrivain, le Livre des Orateurs n’a pu devenir un monument de critique littéraire. En vain à ses premières ébauches l’auteur a fait subir mille métamorphoses, tantôt ajoutant une introduction didactique, puis établissant des parallèles, d’abord entre les orateurs et les écrivains, plus tard entre les diverses espèces d’éloquence ; un autre jour donnant pour escorte aux orateurs de notre parlement Mirabeau, Danton, O’Connell et même l’empereur Napoléon. De toutes ces additions, de tous ces supplémens, il n’est pas sorti un livre, mais une série de petits morceaux sans cohésion, sans unité. Dans le désir qui l’anime de multiplier les pages, M. de Cormenin aborde étourdiment certains sujets qu’il aurait dû éviter dès qu’il y apercevait la trace de devanciers redoutables. N’a-t-il pas eu l’imprudence d’entreprendre l’éloge du pamphlet après Paul-Louis Courier ? Comparons.
Dans le dernier de ses écrits, dans le plus achevé de tous, Paul-Louis raconte qu’à la sortie de l’audience où il avait été condamné comme pamphlétaire, il rencontra sur le grand degré du palais un honnête libraire, M. Arthus Bertrand, qui avait été un de ses jurés, et qui s’en allait dîner après l’avoir déclaré coupable. La conversation s’engagea bientôt entre Paul-Louis et son juge, qui était bon homme au fond, et lui assura ne l’avoir condamné que parce que lui, Courier, avait publié un écrit d’une feuille et demie, lequel écrit était un pamphlet. Cependant, quelques jours après, Courier recevait une lettre d’un de ses bons amis, sir John Bickerstaff, qui l’engageait à persévérer et à multiplier ses pamphlets. Après avoir transcrit une notable partie de la lettre de son ami sir John, Paul-Louis remarque combien les conseils qu’il lui donne diffèrent de l’avis de M. Arthus Bertrand sur les pamphlets : « celui-ci ne voit rien de si abominable, l’autre rien de si beau. Quelle différence ! Et remarquez : le Français léger ne fait cas que des lourds volumes ; le gros Anglais veut mettre tout en feuilles volantes. » Mais qui n’a pas présent à l’esprit le petit chef-d’œuvre de Courier qu’il a intitulé Pamphlet des Pamphlets, et dans lequel, grace tant à l’interlocuteur qu’au correspondant qu’il se donne, il peut, en quinze à vingt pages, passer d’un comique digne de Molière à la plus mâle éloquence ? Voilà le maître. M. de Cormenin a voulu renchérir sur Courier, et il a imaginé d’enrôler parmi les pamphlétaires presque tous les grands écrivains. Paul-Louis nous avait appris que son ami sir John lui avait écrit au courant de la plume. « Faites des pamphlets comme Pascal, Franklin, Cicéron, Démosthènes, comme saint Paul et saint Basile… » Cela est vif et court, cela tient à la fois de la vérité et du paradoxe, et risquerait de devenir faux, si on y insistait trop. M. de Cormenin tombe précisément dans l’écueil, et, ne trouvant pas cette liste des pamphlétaires illustres assez longue, il y met Tacite, Archiloque, Horace, Perse, Juvénal, Boileau, Swift, Gilbert, Bossuet, Bourdaloue, Massillon, Fénelon, Racine et Socrate. Il y en a d’autres encore : ce sont Lucien, Théophraste, Abeilard, Molière, Voltaire, Beaumarchais et Labruyère. Avec plus de réflexion et de goût, M. de Cormenin eût compris qu’à force de vouloir étendre et glorifier le pamphlet, il en effaçait lui-même l’originalité. « Tout ce qui honore la vertu, s’écrie-t-il, tout ce qui flétrit le crime, tout ce qui punit les tyrans, tout ce qui chante la gloire, la patrie et la liberté, tout cela est pamphlet. » C’est bien enfler la voix pour n’arriver qu’à être faux, froid et commun. Paul-Louis Courier avait parlé du pamphlet comme d’une puissance nouvelle et bien autre que la tribune : De l’imprimé, rien ne se perd, avait-il dit, et il avait jeté en passant ce grand trait : De tout temps les pamphlets ont changé la face du monde. M. de Cormenin a voulu à son tour célébrer la puissance du pamphlet et nous le montrer circulant partout : « Le pamphlet court, il monte l’escalier du grand salon ; il grimpe sous les tuiles par l’échelle de la mansarde ; il entre, sans se heurter, sous la basse porte des chaumières et des huttes enfumées. Échoppes, ateliers, tapis verts, âtres, guéridons, escabeaux, il est partout. » Paul-Louis priait Dieu de le délivrer du langage figuré : — Jésus, mon sauveur, s’écriait-il, sauvez-nous de la métaphore ! S’il eût pu lire les écrits de M. de Cormenin, qu’eût-il pensé ? Devant le pamphlet montant l’escalier, qu’eût-il dit ?
Le Livre des Orateurs est une longue galerie de portraits que M. de Cormenin a souvent repris en sous-œuvre et changés de place. Dès l’origine, M. Guizot et M. Thiers ouvraient la collection ; ils la ferment aujourd’hui. Dans la dernière édition, nous ne retrouvons pas non plus M. de Lamartine au même endroit. Ces portraits et d’autres ont été non-seulement retouchés, mais rallongés. Ils datent de 1836. Depuis cette époque, les hommes politiques peints par M. de Cormenin ont considérablement accru leurs titres à la célébrité, et ils ont grossi leur propre histoire. M. de Cormenin a désiré enrichir son œuvre de tous ces développemens, et d’ailleurs il lui est arrivé de ne plus voir les choses et les physionomies contemporaines sous le même jour. Toutefois, sauf quelques traits qu’il a cru convenable et honnête d’effacer, il n’a voulu rien sacrifier d’essentiel de ce qu’il avait primitivement élaboré, et aux pages écrites il s’est mis à ajouter des pages nouvelles. Aussi du même personnage vous avez deux ou trois portraits, ce qui produit l’effet le plus discordant et trouble l’esprit plutôt qu’il ne l’éclaire. Si notre conclusion est sévère, elle est inévitable : c’est que M. de Cormenin a souvent enfreint les conditions fondamentales du genre que pendant quelques années il a si assidûment cultivé. Le portrait historique et littéraire veut être tracé avec une fermeté, avec une précision décisive : il ne souffre ni tâtonnement, ni rature, ni supplément. L’écrivain n’y peut réussir qu’avec une connaissance intime et complète des hommes et des choses, qu’armé de convictions définitives. Voilà pourquoi il est si difficile de peindre des contemporains qui s’agitent sous nos yeux ; ils changent, l’écrivain aussi, et tout est à recommencer.
Quelle peine M. de Cormenin s’est donnée pour atteindre, dans le Livre des Orateurs, à un style qui pût nous paraître beau ! que de veilles ! que d’efforts ! Ce travail opiniâtre est louable, et, s’il n’a pas tout vaincu, c’est qu’il est des imperfections, des aspérités naturelles, des habitudes invétérées, dont ne saurait triompher la volonté la plus persévérante. C’est assez tard que M. de Cormenin s’est mis en mouvement pour courir après l’éclat littéraire : dans cette laborieuse recherche, il a porté les qualités que nous lui savons, sa verve de raisonneur, ses connaissances profondes de jurisconsulte et de publiciste. Était-ce assez ? Telle manière d’écrire, qui, dans des matières de politique et de législation, sera louée comme ayant une sobriété convenable, une austère simplicité, appliquée à des sujets littéraires, paraîtra sèche et triste. M. de Cormenin l’a compris, et il a voulu se procurer tout ce qui lui manquait. Pendant plusieurs années, il a beaucoup lu ; il n’a rien épargné pour acquérir en littérature des connaissances, un vernis ; aussi, nous le voyons, dans les diverses éditions de son livre, aborder successivement tous les sujets, toucher à tout, comme pour nous montrer ses acquisitions nouvelles. Malheureusement cet estimable labeur n’a pas pour résultat l’harmonie, mais plutôt je ne sais quelle bizarrerie éblouissante, où tous les tons, où toutes les couleurs éclatent à la fois. Ni nuances, ni transitions. Inégal, aride et diffus, dur et brillant, le style de M. de Cormenin, dans le Livre des Orateurs, est l’expression singulière d’un esprit plus énergique que puissant, qui se tend, se tourmente et s’obsède, pour ainsi dire, lui-même. Sans doute, tant de fatigues ne sont pas toujours stériles : dans le Livre des Orateurs, il y a des pages éclatantes, des traits heureux, d’habiles démonstrations ; enfin il y a ce fonds satirique que l’auteur n’a pu ni voulu trop atténuer, et qui lui a recruté bien des lecteurs. Toutefois, que M. de Cormenin en soit bien convaincu, ses meilleurs titres comme prosateur ne sont pas là : nous les trouvons dans les pages graves et pleines qu’il a publiées sur des choses qu’il sait profondément. Quand il compose le Discours sur la Centralisation, il se place plus haut comme écrivain que lorsqu’il affiche des prétentions à une littérature sémillante.
Dans ces dernières années, les fumées démocratiques de M. de Cormenin ont commencé à se dissiper, et nous l’avons vu peu à peu reprendre ses premiers sentimens. En 1844, il publia la Légomanie, où il s’éleva contre l’initiative parlementaire, où il défendit la prérogative royale, à l’occasion du projet de loi sur le conseil d’état, se félicitant d’être d’accord sur ce point avec un très haut et très puissant personnage, où enfin il eut pour plusieurs ministres des paroles flatteuses. Ce langage était remarquable de la part de l’auteur des Lettres sur la Liste civile, qu’il avait appelées ses Philippiques. Que se passait-il donc dans l’esprit de M. de Cormenin ? L’an dernier, il fit paraître Oui et Non. M. le cardinal de Bonald avait, dans un mandement, attaqué les libertés de l’église gallicane ainsi que le concordat, et le conseil d’état avait déclaré qu’il y avait abus dans le mandement de M. le cardinal. Alléguant qu’il n’était ni jésuite, ni janséniste, ni ultramontain, ni gallican, M. de Cormenin prit parti pour le cardinal contre le conseil d’état, et il demandait pourquoi, lorsque tout se dégrade, se flétrit et se meurt, il n’y avait d’indépendance que dans le clergé ! Cette fois on se fâcha dans le parti démocratique, et ses journaux adressèrent de sévères remontrances à ce nouveau défenseur de l’église. Loin de tenir compte de ces réprimandes, M. de Cormenin s’en fit lui prétexte pour pousser les choses à bout, et il publia une réponse qu’il intitula Feu ! Feu ! Ce fut une volte-face complète, une explosion de tout ce que la passion put suggérer au pamphlétaire offensé. « Il faut, s’écriait-il, que ces prétendus démocrates qui m’insultent sachent que je suis trop fier pour obéir à leurs caprices, et trop courageux pour ne pas leur dire la vérité. » Un pareil ton fit crever la tempête, et une nuée de petits écrits vint tomber sur M. de Cormenin. On vit paraître alors : Feu contre Feu, Feu et Flamme, Eau sur Feu, Feu Timon, Paix ! Paix ! Boulet rouge, etc. Quelle mêlée ! quel tapage ! Dans tous ces pamphlets et dans d’autres encore, on criait à la trahison ; on y démontrait que M. de Cormenin n’avait jamais été un vrai démocrate : c’était s’en apercevoir un peu tard.
M. de Cormenin devait renoncer aux opinions qui l’avaient séduit en 1830. Il avait vécu trop long-temps dans les idées d’ordre et de gouvernement, dans l’étude et dans l’application des lois, dans le respect des institutions monarchiques, pour ne pas quitter un jour le parti radical, auquel il n’avait prêté son talent et sa plume que dans l’espoir et en échange d’une popularité bruyante ; mais pourquoi ce retour naturel à ses premières doctrines coïncide-t-il avec des exagérations d’une autre sorte ? M. de Cormenin revient aux principes conservateurs de l’ordre social, et en même temps il se déclare l’adversaire du pouvoir civil ; il n’a pour la société tout entière, pour la bourgeoisie comme pour la jeunesse, que des paroles d’injure et d’anathème ; il écrit que la jeunesse polke, et que la bourgeoisie ripaille. Est-ce avec un pareil style que M. de Cormenin se flatte d’entrer à l’Académie française ? Comment perdre à ce point toute mesure dans le langage, toute équité pour le fond des choses ? M. de Cormenin a souvent répété qu’il avait un esprit indépendant : c’est vrai ; mais cet esprit indépendant est mobile, irritable, ouvert à toutes les impressions, amoureux des applaudissemens. Le petit écrit Oui et Non avait reçu des écrivains du clergé de vifs éloges ; il y eut même un prélat qui appela M. de Cormenin un homme providentiel et suscité d’en haut. Louanges funestes, breuvage enivrant ! Désormais M. de Cormenin n’écrira plus que pour être exalté par le clergé, comme il le fut pendant un temps par le parti radical ; il a changé de public, nous pourrions dire de maître, et cette indépendance dont il se prétend si jaloux, il l’a encore une fois aliénée.
Puissions-nous nous tromper ! M. de Cormenin est arrivé à une époque dans sa vie et dans sa renommée où il doit vouloir n’appartenir qu’à lui-même, et n’être l’instrument d’aucune faction, d’aucune coterie. Pour être nouvelles, les convictions religieuses de M. de Cormenin n’en sont pas moins sincères, nous le croyons. Nous ne dirons pas qu’il se fait le flatteur du clergé, après avoir été celui du peuple, parce que, dans ses Entretiens de village, il nous montre l’église comme le centre naturel de toutes les affections morales de la communauté villageoise. C’est au village que la religion est surtout sainte et belle ; c’est au village qu’un curé aussi pauvre que ses rustiques paroissiens, une église souvent vieille et délabrée, un autel qui n’a d’autre parure que les fleurs des champs, donnent à la religion une incomparable majesté. C’est là que la religion, toujours bonne et salutaire, mérite l’amour et le respect de tous, des savans non moins que des simples d’esprit. Nous avons d’autres sentimens pour ceux qui, au nom du christianisme, excommunient leur pays, maudissent la science, la civilisation ; et calomnient leur siècle pour l’effrayer de lui-même, pour en saisir l’empire.
Dans ses Entretiens de village, M. de Cormenin semble dire adieu au pamphlet. En 1834, plusieurs de ces entretiens villageois avaient paru sous le titre de Dialogues de maître Pierre. M. de Cormenin annonce qu’il les a refondus ; la vérité est qu’il a supprimé complètement six dialogues qu’il avait consacrés, en 1834, au développement de ses principes démocratiques,et qu’il avait appelés dialogues politiques pour les distinguer de ceux qui suivaient sous le titre de dialogues utilitaires. Dans cette première partie, l’auteur traitait de la souveraineté du peuple et demandait un congrès national qui devait établir le gouvernement du pays par le pays ; puis venaient des tableaux populaires, une scène avant les élections, une autre après la nomination du député ; enfin maître Pierre allait au Palais-Bourbon pour y apercevoir le représentant de son endroit, M. Nicolas, auquel les ministres souriaient et tendaient la main. Aujourd’hui M. de Cormenin a fait disparaître tout cela, et son nouvel ouvrage, où se trouvent refondus les dix dialogues utilitaires de la première édition, nous offre quarante et un entretiens roulant sur des sujets qui se rapportent tous à la condition physique et morale du peuple des campagnes. C’est un livre pratique s’adressant à la raison de tous, écrit d’un style simple, clair et parfois excellent. Quelle différence avec la manière tourmentée de Oui et Non, de Feu ! Feu ! et même de la Légomanie ! Il est sensible combien les derniers pamphlets de M. de Cormenin sont inférieurs aux premiers ; ils offensent souvent le goût et la langue par un style prétentieux et contourné, par des associations, par des créations de mots qui doivent aujourd’hui causer de cuisans regrets à l’auteur, maintenant qu’il est d’un sens plus rassis.
Le succès légitime des Entretiens de village récompense M. de Cormenin de son retour à ces sujets graves et pratiques, à ces matières de législation et d’utilité sociale pour lesquels il est fait. Comme publiciste, M. de Cormenin a été et sera toujours un écrivain éminent : c’est comme publiciste et non comme pamphlétaire qu’il a des titres à une réputation sérieuse et méritée. Pour lui, le pamphlet n’a été qu’une fantaisie, un épisode ; au fond, il n’a jamais eu les passions profondes et tenaces d’un vrai pamphlétaire démocrate ; il jouait plutôt un rôle qu’il ne donnait l’essor à des convictions intimes et lentement formées : aussi nous l’avons vu emprunter un nom pour mieux représenter le personnage qu’il avait adopté. M. de Cormenin s’est mis derrière Timon ; on eût dit qu’il ne voulait monter sur la scène qu’avec un masque sur la figure, comme les acteurs antiques. Que M. de Cormenin redevienne lui-même ; qu’après avoir beaucoup écrit, trop peut-être[13], il ne dissémine plus ses forces, mais que, les disciplinant avec sévérité, il ne nous donne plus que des témoignages incontestables d’un talent épuré. De cette façon, ses pamphlets, dont aujourd’hui le bruit expire, se trouveront encadrés entre les travaux de sa virilité et ceux d’une verte et féconde vieillesse.
Pendant que M. de Cormenin renonce à la popularité démocratique, M. Michelet la brigue ouvertement, et c’est par des pamphlets religieux et philosophiques qu’il espère la conquérir. Ce n’est pas aux questions proprement politiques que M. Michelet s’attaque ; il déclare même qu’il ne voudrait jamais entrer dans la vie publique. « Je me suis jugé, dit-il ; je n’ai ni la santé, ni le talent, ni le maniement des hommes. » En revanche, dans la région des idées, il a une ambition illimitée, sans frein ; il s’enthousiasme avec une candide impétuosité pour des pensées qu’il croit neuves et puissantes. À l’âge où d’ordinaire on se calme, il s’emporte ; c’est un jeune homme de cinquante ans. Il a soif du bruit comme un débutant qui de sa vie n’aurait encore rien imprimé. Il donne à ses publications les titres qu’il croit les plus propres à attirer les chalands, de ces gros titres qui sautent aux yeux. L’an dernier c’était le Prêtre, aujourd’hui c’est le Peuple. Rien ne paraît à l’auteur assez vaste, assez retentissant, tant il est enflammé de zèle pour la propagation de ce qu’il appelle la vérité !
Ces passions si vives sont des plus respectables, car l’extrême bonne foi de l’écrivain en est tout ensemble la cause et la justification. Jusque dans ces dernières années, M. Michelet n’avait vécu que pour ses études et ses labeurs historiques ; des attaques, des calomnies absurdes, vinrent l’émouvoir ; peut-être eût-il dû les mépriser, il y répondit. Cette diversion appela l’attention de M. Michelet sur des questions auxquelles jusqu’alors il n’avait guère songé ; il les aborda avec l’ardeur d’un combattant qui cherche des armes contre ses adversaires, puis avec la joie d’un homme qui croit découvrir des vérités nouvelles. C’est ainsi que nous l’avons vu, dans son écrit du Prêtre, nous donner une édition un peu tardive de toutes les critiques qui, au XVIe siècle et au XVIIIe siècle, furent dirigées contre le catholicisme et contre l’église. Avec Luther ces critiques étaient nouvelles, avec Voltaire elles furent accablantes. Quand M. Michelet est venu les reproduire, le monde, les rapports réciproques de la religion et de la philosophie, tout avait changé.
Aujourd’hui la publication que M. Michelet a intitulée le Peuple témoigne d’une distraction plus forte du savant historien : là, il ne ressuscite plus ce qui fut écrit dans les trois derniers siècles ; il répète ce qui vient d’être dit autour de lui par des contemporains qu’il connaît, dont il apprécie le talent. Aussi n’avons-nous pas à établir sur le fond de son livre des discussions auxquelles ici même nous nous sommes déjà livré. Parce qu’il plaît à M. Michelet d’isoler la bourgeoisie du peuple et de la condamner à une sorte d’impuissance morale, imposerons-nous à nos lecteurs l’ennui de revenir sur des débats épuisés ? M. Michelet, dans le Peuple, répète, avec quelques variantes, ce que M. de Lamennais avait écrit dans le Livre du Peuple. Nous signalâmes alors les erreurs du prêtre démocrate, et nous eûmes même à défendre nos critiques contre un écrivain célèbre dont la brillante intervention fut très remarquée dans ce recueil. Toutes les questions que M. Michelet agite dans sa nouvelle publication d’une manière confuse ont été mainte fois, dans ces quinze dernières années, traitées, approfondies. Pour apporter son tribut, M. Michelet arrive bien tard. Avant lui, M. Buchez et son école avaient souvent imprimé que la France est la fraternité vivante, et que l’histoire de France est dans le monde la seule véritable histoire. La France est un devoir, nous avait dit M. Buchez ; M. Michelet écrit aujourd’hui que la France est une religion : l’analogie est évidente. Voici où les différences commencent. Si M. Buchez est catholique, M. Michelet ne l’est plus ; il ne veut maintenant d’autre religion que le culte de la France ; il ne reconnaît aujourd’hui que l’incarnation de 89, et Dieu n’a plus d’autre autel que l’autel de la patrie. Voilà une révélation négative des plus singulières. M. Michelet affirme que l’homme est surtout corrompu par la famille : cela n’est pas plus nouveau que vrai ; c’est une des propositions connues de certains socialistes. Enfin il n’est guère d’idée erronée, de paradoxe du livre de M. Michelet que nous ne puissions restituer aux véritables propriétaires.
La forme sauve-t-elle le fond ? Si M. Michelet n’a voulu que prendre note des pensées très vagues qui lui ont traversé l’esprit à propos de toutes les questions auxquelles il a touché, nous conviendrons avec plaisir qu’il nous a déroulé une succession parfois assez piquante de sentimens et d’images. Naïveté, ironie maladive, détails intimes, formules ambitieuses, lieux communs dégénérant en mensonges à force d’exagération, tout cela forme un chaos devant lequel l’esprit éprouve les impressions les plus contraires. Au moment où la raison est choquée, voici un élan d’ame qui vous remue, un trait d’imagination qui vous charme ; parfois aussi on croirait sentir des larmes dans les phrases entrecoupées et amères qui éclatent et retombent en pathétiques exclamations. Cependant M. Michelet proclame qu’il écrit pour le peuple. De bonne foi, que pourra comprendre et conclure l’homme du peuple en lisant péniblement l’ouvrage qui lui est destiné ? Saura-t-il s’il doit aimer la civilisation ou la haïr, quand il verra l’auteur gémir sur la disparition des sauvages de l’Amérique, sur le sort des Indiens Ioways, de ces races héroïques qui, selon M. Michelet, laissent une place vide dans le globe, un regret au genre humain ? Dans le monde de l’industrie, que faut-il penser des machines ? L’auteur les maudit, et cependant il reconnaît dans une note qu’elles sont nécessaires. Lequel vaut mieux, pour un pays, d’être pauvre ou d’être riche ? L’auteur fait presque un crime à l’Angleterre de son opulence, et à ses yeux la France a cet avantage moral, d’être un pays de pauvreté. Au milieu de tant de propositions contradictoires, bizarres, que croire, que penser ? M. Michelet, qui s’attache à nous prouver aujourd’hui, par de longues histoires de famille, qu’il est peuple plus que personne, ne sait pas instruire le peuple, il ignore comment il faut lui parler. En dépit de ses prétentions, il appartient toujours à la classe de ces malheureux bourgeois lettrés pour lesquels il a tant de dédain, et il en est d’autant plus, de cette bourgeoisie, qu’il y a souvent plus d’étrangeté et de recherche dans la distinction de son talent littéraire. Il est un homme qui, en 1732, commença à publier un almanach qu’il destinait au peuple ; il continua cet almanach pendant vingt-cinq ans, et il en vendait annuellement dix mille exemplaires. Le même homme eut l’idée de réunir tous les proverbes qui contiennent, comme on sait, la sagesse des nations, et il en composa un discours qu’il mit dans la bouche d’un bon vieillard. Ce discours fut reproduit par tous les journaux de l’Amérique ; réimprimé en Angleterre en forme d’affiche, il eut deux traductions en France, où les curés en achetèrent un grand nombre d’exemplaires pour les distribuer à leurs paysans. Celui-là était vraiment du peuple, et il savait écrire pour lui.
La critique est l’épouvantail de M. Michelet. Dans maint endroit de son livre, il cherche à prévoir et à réfuter les objections qu’elle lui présentera. Il la redoute comme une ennemie, et c’est bien à tort. La critique ne montre-t-elle pas une sollicitude sincère pour son talent quand elle regrette le faux emploi qu’il en fait, quand elle compte les momens précieux qu’il dérobe à son Histoire de France ? « J’ajourne mon grand livre, dit M. Michelet, le monument de ma vie. » Pourquoi ? Quelle nécessité impérieuse exige un pareil sacrifice ? Ni les circonstances ni la nature de son esprit ne provoquent M. Michelet à se faire pamphlétaire. Nous avons conseillé à M. de Cormenin de redevenir publiciste, nous conjurerons M. Michelet de rester historien. Il n’est pas sage, en avançant dans la vie, de vouloir accroître par des tentatives éphémères une renommée à laquelle dans d’autres temps on a su donner des fondemens solides. Les plus belles époques de notre histoire attendent M. Michelet ; qu’il y consacre toute la vigueur, toute la maturité de son talent, sans s’égarer davantage dans des épisodes au moins inutiles. La critique n’a pas l’espoir d’être entendue sur-le-champ de M. Michelet : trop de séductions en ce moment se pressent autour de lui ; mais peut-être plus tard, dans ces heures de solitude et de recueillement où l’homme et l’écrivain ne sont plus qu’en face d’eux-mêmes, il regrettera d’avoir vécu si long-temps loin de l’histoire, sa chère étude.
C’est vrai : le pamphlet est chose séduisante. Songer qu’avec quelques pages on peut acquérir une immense popularité ! Le procédé n’est-il pas expéditif, et le résultat admirable ? Aussi que de gens ont fait des pamphlets, sans soupçonner le fardeau qu’ils se mettaient sur les épaules, sans voir dans quel temps, au milieu de quelle atmosphère ils vivaient ! Avaient-ils les dons nécessaires pour réveiller l’indifférence publique ? Quand vingt journaux chaque matin ouvrent leurs colonnes à tous les intérêts, à toutes les passions, êtes-vous sûr, si vous élevez à côté une tribune, de conquérir un auditoire ? Qu’avez-vous à nous dire de vif, de nouveau, de triomphant ? Ne savez-vous pas que pour se faire écouter un moment de tant d’hommes affairés, distraits, difficiles, ce ne serait pas trop de la verve d’Aristophane ou de l’éloquence du paysan du Danube ? Les écrivains, quels qu’ils soient, démocrates ou monarchiques, religieux ou philosophes, qu’ils aient une réputation à commencer ou à compromettre, ne doivent pas oublier que, pour faire des pamphlets durables, il faut des circonstances et des talens extraordinaires.
- ↑ Depuis cette époque, ces lettres ont souvent été réimprimées en Allemagne dans le XVIe siècle. La petite édition de Londres de 1710 est préférable aux éditions allemandes.
- ↑ Joannis Miltoni Angli pro populo Anglicano Defensio contra Claudii anonymi, alias Salmasii, Defensionem Regiam. Londini, 1651.
- ↑ Regis sanguinis. Clamor ad Coelum, adversus parricidas Anglicanos.
- ↑ Joannis Miltoni Defensio secunda pro populo Anglicano ; 1654.
- ↑ Quelle est l’étymologie du mot pamphlet, que nous avons emprunté à l’Angleterre ? Nous avons consulté sur ce point un de nos collaborateurs dont les lecteurs de la Revue connaissent la compétence en matière de langue et de littérature anglaise. Voici les indications que nous devons à l’ingénieuse érudition de M. Philarète Chasles. Avant l’invention de l’imprimerie, le mot était anglais et s’écrivait pamflete, dans ces deux phrases par exemple, l’une empruntée à Chaucer et l’autre à Gower : this leud pamflete, « ce vulgaire livret » (Testament of Love, by Chaucer, liv. III), et : small stories and pamfletes, « petites histoires et livrets » (Apollyne of Tyre, by Gower). Le premier imprimeur anglais, Caxton, écrit paunflet, et prétend que l’étymologie de ce mot est celle-ci : par un fil. Pegge, l’étymologiste du XVIe siècle, n’est pas de cet avis. Il trouve la racine de pamphlet dans paulm (paume), creux de la main. Suivant quelques-uns, le mot serait espagnol, papaleta ; selon d’autres, il serait flamand, pampier ; enfin il en est qui le font hollandais, pamphier. On peut choisir. M. Philarète Chasles, pour ne rien omettre, n’a pas voulu laisser dans l’oubli la prétentieuse absurdité d’un des derniers étymologistes, de Grose, qui affirme que pamphlet dérive de Pamphilus, nom propre. Notre savant collaborateur termine ainsi la petite consultation philologique qu’il a eu l’obligeance de nous donner : « Faute de mieux, je préférerais paulm et fly-leaf. Fly-leaf veut dire feuille volante, et, soit que l’on choisisse paulm-leaf ou paulm-fly-leaf, on a un sens et un son raisonnable : feuille volante, grande comme la main. »
- ↑ On sait que les Lettres de Junius ont été tour à tour attribuées à lord Chatham, à Dunning, à Burke, à Hamilton, à Boyd, et que toutes ces conjectures se sont trouvées fausses. En 1816 parut un véritable traité où l’on cherchait à établir l’identité de Junius avec sir Philip Francis. Quelques années après, cette opinion a été reprise et soutenue dans une dissertation signée de J. W. Lake, éditeur de la collection des prosateurs anglais. Tous ces efforts n’ont rien édifié de péremptoire, et la question est restée obscure. Celui qui a écrit les Lettres de Junius est peut-être le seul écrivain qui ait persisté à mettre entre la gloire et lui un anonyme impénétrable.
- ↑ 1818, brochure de 238 pages.
- ↑ Elémens de Jurisprudence administrative, par L. Macarel, avocat, 1818.
- ↑ Dès les premiers momens de la révolution, quelques membres du gouvernement provisoire siégeant à l’Hôtel-de-Ville eurent l’idée d’offrir à M. de Cormenin les fonctions de commissaire au département du commerce et des travaux publics. M. de Cormenin les refusa.
- ↑ Première lettre sur la Charte et sur la Pairie.
- ↑ Première lettre politique sur la Liste civile. Cette première lettre parut à la fin de décembre 1831.
- ↑ La constitution de la pairie, le conseil d’état, les appels comme d’abus, le cumul des traitemens, le jury en matière des délits de la presse.
- ↑ En 1836, la Société belge de librairie publia à Bruxelles quatre volumes ayant pour titre : Libelles politiques, par M. de Cormenin, membre de la chambre des députés de France. Dans cette collection étaient rassemblés non-seulement les pamphlets signés par M. de Cormenin, mais tous les articles qu’il avait écrits dans les journaux. Chaque libelle est précédé d’un argument. Le soin avec lequel ces argumens sont rédigés semble révéler une main paternelle.