Œuvres complètes de Tertullien/Genoud, 1852/Du Manteau
Œuvres complètes de Tertullien, Louis Vivès, , Tome 2 (p. 153-171).
I. Hommes de Carthage, de tout temps maîtres de l’Afrique, aussi illustres par votre antiquité, qu’heureux sous la nouvelle face de votre empire, je me réjouis que vos jours soient assez prospères et qu’il vous reste assez de loisirs pour remarquer des vêtements. Ce sont là des fruits de la paix et de l’abondance. Du côté de l’empire, du côté du ciel, tout va bien. Toutefois, avouez-le, vous étiez vêtus d’autre façon anciennement. Vous portiez alors des tuniques que recommandaient la délicatesse de leur trame, l’éclat de leur pourpre, et la justesse de leurs formes. En effet, elles ne dépassaient point les cuisses ; elles ne s’arrêtaient point, contre la bienséance, au-dessus des genoux ; elles ne tenaient point les bras trop serrés, elles laissaient les mains libres ; comme elles serraient exactement le corps, on n’avait que faire de ceinture ; enfin, grâce à leur juste symétrie, elles allaient merveilleusement aux hommes. Quant au manteau, qui était l’habit extérieur, il avait quatre angles, se rejetait des deux côtés sur les épaules, se plissait autour du cou, et reposait sur les épaules, retenu par une agrafe. Il ressemblait à celui que portent aujourd’hui vos prêtres d’Esculape. Ainsi s’habillait dans votre voisinage Utique, votre sœur ; ainsi s’habillaient les Tyriens sur tous les points de l’Afrique.
Mais lorsque l’urne des destins du monde eut changé et que Dieu se fut prononcé pour les Romains, la cité votre sœur se hâta de changer la forme de ses vêtements, afin de saluer Scipion sous ses propres livrées, aussitôt qu’il aborderait, se faisant ainsi Romaine avant l’heure. Quant à vous, la toge ne vous fut offerte qu’après le bienfait honteux de l’amnistie, comme un présent que l’on fait à des vaincus qui ont perdu leur vieille indépendance, mais non toute gloire, après les ignominieux présages de Gracchus, après les sanglantes dérisions de Lépide, après les trois autels de Pompée, après les longs délais de César, lorsque Statilius Taurus releva vos murailles, lorsque Sentius Saturninus les inaugura avec les solennités ordinaires, lorsque enfin la paix fut cimentée. Hélas ! que cette toge a parcouru de pays ! Elle est allée des Pélasges aux Lydiens, des Lydiens aux Romains, afin qu’elle passât des épaules du peuple le plus illustre sur celles des Carthaginois.
A partir de ce moment, vous portez votre tunique, plus longue qu’auparavant, avec une ceinture à volonté ; vous soutenez par étages l’immensité des plis de votre manteau, pour le rendre plus commode. Et si, outre cela, votre condition, votre dignité, ou la circonstance, réclame un autre vêtement, vous vous mettez à railler le manteau, oubliant qu’il vous a de tout temps appartenu. Mais, à vrai dire, je ne m’étonne plus de ce défaut de mémoire en présence d’un fait bien autrement significatif. Tout le monde sait que cette Carthage, « redoutable par son ardeur belliqueuse, » inventa le bélier, non pas le bélier que nous décrit Labérius, armé de cornes qui se croisent, recouvert de laine, et traînant un corps vigoureux, mais cette machine en forme de poutre, qui sert à briser les murailles, et qui n’avait encore été poussée contre aucune d’elles ; lorsque votre cité, prenant exemple de ces animaux qui, dans la colère, se heurtent de la tête, imagina la première cet instrument formidable qu’elle éleva et laissa retomber de tout son poids. Toutefois, lorsque la patrie touchait à son dernier jour, et que le bélier, alors en usage parmi les Romains, commença d’ébranler des murailles, qui étaient jadis les siennes, les Carthaginois en restèrent dans la stupeur, s’imaginant que l’invention en était nouvelle, puisqu’elle était aux mains des étrangers.
Tant la longueur du temps peut altérer les choses !
C’est par la même raison que vous ne reconnaissez pas le manteau.
II. Eh bien ! d’accord ; qu’il soit une mode étrangère, de peur qu’originaire de Carthage, il ne rougisse ou ne se plaigne de se voir aujourd’hui parmi les Romains. Assurément la fonction la plus habituelle de la nature est de changer de vêtement : ce monde que nous foulons change continuellement de face. Qu’importe qu’Anaximandre reconnaisse plusieurs mondes ? Qu’importe que tout autre, qu’un Silène, par exemple, aille criailler aux oreilles de Midas qu’il y a un autre monde habité par les Méropes ? les oreilles de Midas étaient assez grandes pour des balivernes plus grandes encore. Il y a mieux. Si Platon se figure un autre monde, dont celui-ci ne serait que l’image, il faudra aussi que ce monde supérieur soit sujet aux mêmes vicissitudes. En effet, s’il est monde, il se composera de substances et de fonctions diverses pour ressembler au monde d’ici-bas ; il ne serait pas réellement un monde, s’il n’était pas fait comme ce monde. Voilà pourquoi les êtres divers qui concourent à cette unité remplissent diverses fonctions en changeant tour à tour. D’ailleurs, ces vicissitudes perpétuelles entretiennent l’harmonieuse discordance de cette diversité. Le monde tout entier est donc soumis au changement, puisqu’il se compose de dissonances et se renouvelle par la variété. Toujours est-il évident, même pour des yeux aussi fermés que ceux d’Homère, que ce monde, notre domicile, est une suite de formes changeantes. Le jour et la nuit se succèdent réciproquement. Le soleil se renouvelle à ses stations annuelles, la lune à ses périodes de chaque mois. La confusion distincte des astres nous cache aujourd’hui une étoile qu’elle nous montrera demain. L’enveloppe du ciel est tantôt sereine et lumineuse, tantôt obscurcie par des vapeurs ; tantôt ce sont des torrents de pluie qui se précipitent ; tantôt des projectiles qui s’y mêlent ; d’autres fois, ce n’est qu’une rosée légère ; puis voilà la sérénité première. Sur la mer, même inconstance : aujourd’hui que les vents soufflent également, elle est tranquille et innocente : demain une brise modérée l’agite ; soudain la voilà qui bondit sous la vague. De même, si vous regardez la terre, qui aime à changer de parure avec les saisons, à peine oserez-vous dire que ce soit la même terre, tout à l’heure verte pour vos yeux, aujourd’hui jaune, dans quelques jours toute blanche. N’en puis-je pas dire autant de ses autres ornements ? Les torrents qui descendent des montagnes, les sources d’eau qui se jouent sous la terre, le lit des fleuves en se couvrant de limon, ne se renouvellent-ils pas constamment ? Que dis-je ? Le monde tout entier changea autrefois d’aspect, puisque les eaux l’engloutirent. Les coquillages et les trompes de mer voyagent aujourd’hui encore sur les montagnes, voulant sans doute prouver à Platon que les plus hauts sommets avaient flotté sous les eaux. Quand celles-ci se retirèrent, le globe reprit sa première forme, autre par ce changement, quoique toujours le même. Son extérieur change encore accidentellement, lorsque le site est bouleversé. Ainsi Délos n’existe plus parmi les îles ; Samos n’est plus que du sable ; la sibylle n’a pas menti. On cherche encore dans la mer Atlantique une île qui égalait en grandeur la Libye ou l’Asie. Un des côtés de l’Italie, détaché par la fureur de l’Adriatique et de la mer de Toscane, entre lesquelles il était enfermé, forma de ce débris la Sicile. Toute cette plage, ainsi déchirée, refoulant dans son détroit les vagues des deux mers qui s’y rencontrent, donna une cruauté nouvelle à cette mer, qui ne vomit pas les naufrages, mais les dévore.
Le continent souffre aussi des révolutions, qu’elles lui viennent du ciel ou de lui-même. Jette les yeux sur la Palestine, là où le fleuve du Jourdain lui sert de limite. Qu’aperçois-tu ? -Désert immense ; région désolée ; plaines stériles. Cependant des cités, des peuples nombreux la couvraient autrefois ; son sol était en grand renom. Ensuite, comme Dieu est un vengeur terrible, l’impiété de ces villes attira sur elles une pluie de feu. Depuis ce jour, on ne parle plus de Sodome ni de Gomorrhe. A leur place, la cendre ; et la mer qui est voisine vit de la mort, de même que ce sol maudit. L’antique Volsinies, ville de Toscane, périt dans un semblable embrasement. Je crains bien que la Campanie, qui a déjà perdu Pompéia, ne puisse pas échapper à ses propres flammes. Mais Dieu veuille l’épargner ! Plaise au ciel que l’Asie n’ait plus à redouter désormais les déchirements de son sol ! Plaise au Ciel encore que l’Afrique n’ait eu à trembler qu’une seule fois devant ces gouffres soudains, et que ses crimes soient suffisamment expiés par ce camp qui se déroba sous ses pas !
Mille autres calamités semblables ont changé la face du monde et la situation des lieux. Quelque tristesse qu’il y ait à poursuivre, je dirai que les guerres n’ont pas causé moins de désordres que la décadence des empires. Combien de fois les royaumes n’ont-ils pas changé depuis Bélus, fils de Ninus, si toutefois Ninus régna le premier, comme l’estiment les vieux historiens profanes ! Chez vous d’ordinaire, la narration ne remonte pas plus haut. L’histoire du monde commence par les Assyriens. Pour nous qui lisons les annales divines, nous connaissons l’histoire du monde dès sa naissance.
Mais j’aime mieux parler de choses plus gaies, puisqu’elles changent également. En effet, si la mer a englouti, si le ciel a dévoré, si la terre a enseveli, si le glaive a moissonné, ces pertes sont réparées ailleurs avec usure. Dans l’origine, la terre était inutile dans la plus grande partie de son étendue, puisqu’elle était privée d’habitants ; quelque famille venait-elle à s’y établir, elle y était seule avec elle-même. Mais, ayant reconnu que tantôt elle trouvait l’abondance, tantôt la disette, elle se mit à défricher et cultiver toutes ces terres, afin qu’à l’imitation de ces plantes qui provignent par leurs surgeons, les peuples engendrassent des peuples, les cités des cités, et se répandissent sur la face de l’univers. Les nations versèrent ailleurs le superflu de leur population, comme des essaims d’abeilles. La surabondance des Scythes enrichit la Perse ; les Phéniciens débordent sur l’Afrique ; les Phrygiens enfantent les Romains ; la semence des Chaldéens se développe en Égypte, d’où elle sort quelque temps après pour former la nation juive. Ainsi la postérité d’Hercule, occupant avec Téménus le Péloponnèse, le rend illustre. Ainsi les Ioniens, compagnons de Nélée, couvrent l’Asie de cités nouvelles. Ainsi les Corinthiens, sous la conduite d’Archias, fortifient Syracuse.
Mais pourquoi citer l’antiquité, puisque nous avons sous les yeux nos propres changements ? Quelle partie du monde n’a pas réformée le siècle présent ? Combien de villes n’a pas enfantées, accrues, ou restituées la triple vertu de l’empire actuel ? Grâce à Dieu qui favorise tant d’Augustes en un seul, que de revenus nouveaux portés sur le registre des censeurs ! que de peuples purifiés ! que d’ordres illustrés ! que de Barbares refoulés ! Avouez-le : cet univers, depuis que la ciguë de l’hostilité est déracinée et que les épines d’une amitié trompeuse ont disparu, est un champ soigneusement cultivé par cet empire, plus délicieux que le verger d’Alcinoüs, plus odoriférant que les bosquets de roses de Midas. Si tu approuves les changements de l’univers, pourquoi blâmer ceux de l’homme ?
III. Les animaux eux-mêmes, au lieu de vêtement, changent de forme. La plume toutefois tient lieu d’habit au paon, et même de l’habit le plus riche. Que dis-je ? La pourpre de son cou est plus éclatante que celle des plus rares coquillages. L’or de son dos est plus éblouissant que tous les clous d’or du monde ; sa queue balaie la terre plus pompeusement que la plus longue simarre ; mélange d’un nombre infini de couleurs, nuancée, chatoyante, sa parure, qui n’est jamais la même, semble toujours différente, quoiqu’elle soit toujours la même quand elle paraît différente : enfin elle change autant de fois qu’elle se remue. Il faut nommer aussi le serpent, quoique après le paon. En effet, il change la peau et l’âge qu’il tient de la nature. Aussitôt qu’il a pressenti la vieillesse, il s’enferme dans un passage étroit, y laisse une peau ridée en même temps qu’il s’y glisse, et dépouillé de lui-même dès l’entrée, ne sort de sa caverne que brillant et rajeuni. L’hyène, si tu l’observes bien, change de sexe tous les ans, une année mâle, l’autre année femelle. Je ne dis rien du cerf, qui, arbitre de son âge, n’a qu’à se repaître d’un serpent pour se renouveler, par ce poison et cette défaillance, dans l’éclat de sa première jeunesse.
Il se rencontre encore un humble quadrupède, à la démarche lente, à la peau rude, et qui habite les champs. C’est la tortue de Pacuvius ? diras-tu. Point du tout. Le vers de ce poète s’applique à un autre animal qui, pour être des plus petits, ne laisse pas d’avoir un grand nom. Qui entendra parler du caméléon, sans le connaître, s’imaginera que c’est au moins quelque lion formidable. Mais rencontre-le dans une vigne, caché tout entier sous un de ses pampres, alors tu riras de l’exagération de la Grèce dans ses dénominations. En effet, point de suc dans son corps, quoique des animaux beaucoup plus petits n’en manquent pas. Le caméléon n’est qu’une peau, cependant il vit ; sa petite tête tient immédiatement à son dos, car il n’a point de cou ; aussi ne se tourne-t-il qu’avec effort. Mais ses yeux, ou pour mieux dire, ses deux points de lumière, placés à fleur de tête, se portent rapidement à droite et à gauche, dans leur éblouissante mobilité. A peine peut-il s’élever de terre, tant il est pesant et fatigué, il ne marche qu’ avec lenteur et péniblement ; on s’aperçoit qu’il a fait du chemin, ou ne l’a pas vu marcher ; toujours à jeun, jamais défaillant, il se nourrit en bâillant, il rumine en respirant ; le vent, voilà sa pâture. Toutefois il a la vertu de changer complètement, sans cesser d’être lui-même. En effet, quoiqu’il n’ait qu’une couleur qui lui soit propre, il prend celle de l’objet qui l’approche. Au caméléon seul il a été donné, comme le dit le proverbe, de se jouer de sa peau.
Il a fallu préluder longuement pour arriver par degrés jusqu’à l’homme. Il est certain qu’il fut créé nu, et qu’à son origine il resta sans vêtements aux regards de celui qui l’avait formé. Mais il déroba la connaissance du bien et du mal, avant le moment marqué et contre la défense qu’il avait reçue. Voilà que, se hâtant de couvrir dans son corps nouveau ce que la pudeur ne couvrait pas auparavant, il environne depuis ce moment de feuilles le figuier. Puis il est chassé du lieu de son berceau, et il s’en va par le monde, couvert de peaux comme un criminel condamné aux mines. Mais c’est là un mystère, et il n’appartient pas à tous de le connaître.
Eh bien ! parlez-moi de ce qui est à vous. Dites-moi ce que racontent les Égyptiens, ce qu’Alexandre a déposé dans son histoire et que lit tous les jours la mère, c’est-à-dire que, du temps d’Osiris, Ammon, qui était riche en troupeaux d’oies, quitta la Libye pour le voir. Dites-moi encore que Mercure, alors présent avec eux, ayant touché par hasard la toison d’un bélier, fut charmé de la délicatesse de sa laine et tondit aussitôt une jeune brebis. Pendant qu’il essaie ce que lui conseillait la flexibilité de cette matière, voyant qu’elle s’allonge sous ses doigts, il en forme un vêtement sur le modèle du vêtement ancien, qu’il avait cousu avec des fils de l’écorce du tilleul. Mais vous, vous avez mieux aimé faire honneur à Minerve du travail de la laine et de la fabrication de la toile, quoique Arachné y fût plus habile.
Passons maintenant à la matière elle-même. Je ne veux pas parler des laines de Milet, de Selges, d’Altin, de Tarente ou de la Bétique, que la nature elle-même colore. Je vais plus loin, puisque les arbustes eux-mêmes nous vêtissent, ainsi que le lin qui se dépouille de sa teinte verte et prend la couleur de la neige en étant lavé. Mais comme s’il ne suffisait pas de planter et de semer des tuniques sur la terre, il a fallu pêcher au fond des mers ses vêtements. En effet, certains coquillages, riches d’une mousse qui imite la laine, se couvrent d’une sorte de toison. Qui ne connaît le ver à soie ? C’est une espèce de ver qui, filant sa propre substance dans les airs, tend son domicile avec plus d’adresse que les cadrans de l’araignée, puis dévore son ouvrage pour le rendre bientôt après : tuez-le, vous déroulerez une trame vivante.
C’est ainsi que le génie du luxe s’est mis à la recherche de mille matières précieuses pour embellir ses vêtements. D’abord ils étaient destinés à couvrir l’homme, parce qu’il fallait pourvoir à la nécessité. Mais depuis, le faste prenant la place de la nécessité, on se para, on se surcharge à d’ornements orgueilleux, et on multiplia ses vêtements. Les tins sont particuliers à certains peuples ; les autres sont communs à tous et peuvent être portés utilement. De ce nombre est le manteau. Quoiqu’il soit plus grec que romain, maintenant que le Grec a envahi le Latium, le vêtement y a pénétré avec le langage. Ainsi le Romain qui chassait les Grecs de ses murs, apprenait néanmoins leur langue sur ses vieux jours. Ainsi le même Caton qui, pendant sa préture, se montrait l’épaule découverte à la manière des Grecs, ne favorisa pas moins les Grecs que s’il eût porté le manteau.
IV. Que dire maintenant si, tandis que la mode romaine vous paraît le salut de tous, vous retenez en même temps les dissolutions des Grecs ? Ou, s’il n’en va point ainsi, d’où vient que, dans des provinces où régnaient de plus nobles exercices, et que la nature vous a départies pour dompter la stérilité des champs, vous avez adopté les jeux de la palestre, qui usent le corps et le fatiguent sans profit ? Pourquoi cette huile mêlée à la poussière dont vous frottez vos membres ? Pourquoi vous roulez-vous sur le sable ? pourquoi ces aliments qui fortifient sans engraisser ? D’où vient que, chez quelques Numides, qui ornent leur tête de la crinière du cheval, on se fait raser le visage jusqu’à la peau, et que le rasoir n’épargne que la tête ? D’où vient que les hommes velus emploient la résine pour épiler les parties secrètes, ou la pince pour arracher les poils du menton ? Quel prodige donc que de pratiquer tout cela en répudiant le manteau : Ces infamies viennent de l’Asie. Ô Libye, et toi Europe, qu’avez-vous de commun avec des ornements de théâtre que vous ne savez pas revêtir ? En effet, pour quelle raison s’épiler à la manière des Grecs, plutôt que de se vêtir à leur façon ? Le changement d’habit devient un crime, non pas quand on change la coutume, mais quand on change la nature. Il y a une grande différence entre le respect que l’on doit au temps et celui que réclame la religion. La coutume devra fidélité au temps ; la nature la doit à Dieu. Il a donc renversé l’ordre de la nature ce héros de Larisse, lorsqu’il prit les vêtements d’une jeune fille, lui qui avait été nourri de la moelle des bêtes féroces, ce qui lui a fait donner le nom qu’il porte[1], parce que ses lèvres n’avaient jamais sucé de mamelles ; lui encore qui, formé à une rude école, avait eu pour précepteur un monstre, habitant des forêts et des montagnes.
Je le supporterais dans un enfant que sa mère craint de perdre. Mais qu’après avoir atteint l’âge d’homme, qu’après avoir donné une preuve clandestine de sa virilité avec une jeune fille, il continue de laisser flotter sa stole, de bâtir l’édifice de sa chevelure, de farder sa beau, de consulter son miroir, d’orner son cou, de porter des pendants d’oreilles à la manière des femmes, ainsi que le représente le bouclier conservé à Sigée, voilà ce qui m’indigne. Il est bien vrai que dans la suite il fut soldat ; car la nécessité le rendit à son sexe. La trompette du combat avait sonné, et les armes n’étaient pas loin. Le fer, dit le poète, attire l’homme. D’ailleurs, si après avoir senti cet aiguillon, il eût continué de vivre sous des habits de jeune fille, il eût pu se marier aussi comme tel. Voilà donc une double métamorphose : d’homme il devient femme, de femme il devient homme. Changement monstrueux, puisqu’il ne devait ni désavouer la vérité de son sexe, ni confesser ensuite le déguisement. L’une et l’autre manière de changer ne lui valurent rien : la première offensa la nature ; la seconde lui enleva la vie.
La volupté a travesti un autre héros, d’une façon plus honteuse encore que ne l’a fait la sollicitude maternelle. Je sais bien que vous l’adorez ; mais vous devriez rougir plutôt de ce porteur de massue, de flèches et de peau, qui préféra les ajustements d’une femme à tout ce qui composait sa gloire et son surnom. Une infâme Lydienne a eu le pouvoir de transformer, par une double prostitution, Hercule en Omphale, et Omphale en Hercule. Où est Diomède avec ses crèches sanglantes ? où est Busiris avec ses autels convertis en bûchers ? où est Géryon, triple dans son unité ? La massue d’Hercule regrettait l’odeur de leurs cervelles brisées, pendant qu’elle était arrosée de parfums. Le vieux sang de l’hydre, le vieux sang des Centaures était effacé par la pierre ponce destinée à polir le miroir. Quel fut le triomphe de la mollesse, quand ces flèches qui avaient percé des monstres servaient peut-être à coudre des couronnes ! Au reste, les épaules d’une femme honnête, ni même de quelque héroïne, n’auraient jamais pu supporter la rudesse des dépouilles du monstre, si elles n’avaient été apprêtées, adoucies, et parfumées d’avance avec quelque essence odorante ou précieuse, Omphale ne manqua pas de le faire, sans doute. Que dis-je ? elle peigna la crinière du monstre ; et de peur que la mâchoire du lion ne blessât son cou délicat, elle cacha son mufle dans ses cheveux, et ses dents dans les tresses qui tombaient de son front. Le généreux animal eût rugi sous l’outrage, s’il l’avait pu. Il est certain du moins que Némée, si quelque génie l’habite, poussait des gémissements : alors, en effet, elle s’aperçut qu’elle avait perdu son lion. Ce qu’était Hercule sous les somptueux ornements d’Omphale, on peut en juger par Omphale, que je viens de représenter sous la peau d’Hercule.
L’athlète Cléomaque qui, au pugilat, avait presque égalé le héros de Tirynthe[2], après s’être signalé à Olympie, abjura aussi son sexe par une transformation incroyable, en subissant des blessures honteuses[3] entre la peau et au-delà ; aussi mérita-t-il d’être couronné parmi les foulons de Novius[4], et ce fut à bon droit que le poète comique Lentulus le flétrit dans ses habitants de Catine. En effet, il couvrit de bracelets les traces du gantelet ; il échangea le vêtement grossier de l’arène contre la robe des courtisanes.
Je ne parle ni de Physcon ni de Sardanapale. Les connaîtrait-on comme rois, s’ils n’avaient surpassé tous les hommes en dissolution ? Il faut me taire d’ailleurs, de peur qu’ils ne m’accusent d’avoir oublié quelques-uns de vos Césars, qui n’ont pas été moins infâmes. Il faudrait une liberté toute cynique pour nommer un César plus impur que Physcon, plus voluptueux que Sardanapale, un demi-Néron enfin[5].
Le souffle de la vaine gloire n’a pas été moins puissant pour changer le vêtement de l’homme, encore que l’homme restât. Toute passion est un feu qui échauffe ; mais sitôt qu’elle arrive à l’affectation, l’ardeur de la gloire est un incendie qui dévore. Tu vois s’allumer à ce brasier un grand roi, qui n’a eu rien au-dessus de lui que la gloire. Vainqueur des Mèdes, il fut vaincu par le vêtement des Mèdes. Écartant la cuirasse triomphale, il se montra sous la robe flottante de ses captifs. Ainsi donc, en jetant sur sa poitrine, à la place de ces écailles dont elle gardait encore l’empreinte, un tissu transparent qui le couvrait sans le cacher, il éteignit sous les brises et la délicatesse de la soie, cette ardeur belliqueuse qui ne lui avait pas permis encore de respirer. Le Macédonien n’était pas assez orgueilleux par lui-même, il fallait encore que la vaine pompe des habits le dégradât.
Mais ne voilà-t-il pas que les philosophes s’abandonnent aux mêmes excès ! J’entends dire que plusieurs ont philosophé dans la pourpre. Si le philosophe paraît sous la pourpre, pourquoi pas aussi avec le baxa d’or[6] ? C’est une mode tyrienne, mais qui n’a rien de grec que de porter une chaussure qui n’est pas dorée. Mais un autre, dira-t-on, revêtit la soie et chaussa l’airain. Il avait raison. Il marcha avec une cymbale aux pieds, pour rendre des sons pareils à ceux des Bacchantes, puisqu’il en avait les habits. Que si Diogène aboyait encore quelque part du fond de son tonneau, il n’eût pas souillé de ses pieds fangeux le philosophe, comme s’en souviennent les lits de Platon, mais il l’eût pris par le corps pour le jeter dans le sanctuaire des Cloacines, afin que l’insensé qui avait rêvé qu’il était dieu, saluât les immondices ses sœurs avant de faire reconnaître aux hommes sa divinité.
Voilà les habits qu’il est juste de désigner du regard, de montrer au doigt, et de railler avec des signes de tête, puisqu’ils intervertissent la nature et blessent la modestie. Que l’homme qui traîne jusqu’à terre une robe délicate et chargée de plis, entende retentir à ses oreilles ce vers du comique : « Voyez donc ce fou ! que d’étoffe perdue ! Mais, en vérité, depuis que Rome n’a plus de censeurs qui surveillent et flétrissent, qu’aperçoit-on au sein de cette licence ? Des affranchis sous les insignes des chevaliers des esclaves dont les épaules sont encore rouges des meurtrissures du fouet, transformés en personnes libres ; des gens de bas aloi déguisés en patriciens, des pâtres en citadins, des bouffons en sénateurs, des paysans en soldats que dire enfin ? fossoyeur, corrupteur public, gladiateur, tous sont vêtus comme toi.
Maintenant jette les yeux sur les femmes. Tu verras que Cécina Sévère représenta vivement au sénat que les matrones ne devaient point paraître en public sans la stole traînante. Enfin le décret de l’augure Lentulus punit comme adultère celle qui passerait outre. Loi pleine de sagesse ! Quelques matrones romaines avaient répudié à dessein ces vêtements témoins et gardiens de la pudeur, parce qu’ils étaient un obstacle à leurs dissolutions. Mais aujourd’hui, corruptrices d’elles-mêmes, afin qu’on les aborde avec plus de liberté, elles ont proscrit la robe flottante, la ceinture, la pantoufle, le voile, et même la litière et le siège avec lesquels elle étaient toujours dans une sorte de retraite, et comme enfermées chez elles, même lorsqu’on les portait en public. Mais l’un éteint son flambeau, l’autre allume un flambeau qui n’est pas le sien. Regarde ces louves qui vivent de la lubricité publique, et ces courtisanes elles-mêmes qui font de l’artifice un trafic ou plutôt, si tes yeux ne doivent pas même s’abaisser sur ces repaires où la pudeur est immolée au grand jour, contemple-les, quoique de loin, tu y rencontreras des matronnes. Et lorsque la prêtresse de ces cloaques porte des étoffes de soie ; lorsqu’elle couvre de perles sa gorge plus impure que le lieu même ; lorsqu’elle ajuste à ses mains souillées des plus abominables impuretés, des bracelets que des femmes pudiques ne voudraient pas usurper sur les héros auxquels on les donne pour récompense ; lorsque enfin elle attache à une jambe déshonnête un brodequin blanc ou des mules de pourpre, pourquoi n’arrêtes-tu point les yeux sur ces ornements, ou sur ceux qui appellent la religion au secours de leur nouveauté ? Ainsi, dans les initiations de Cérès, les femmes sont vêtues de blanc, portent une bandelette distinctive et un chapeau privilégié. Ainsi, celles que passionne un sentiment contraire affectent les vêtements lugubres et couronnent leur tête d’une toison noire, lorsqu’elles s’agitent avec fureur dans le sanctuaire de Bellone, jusqu’à perdre la raison. Ainsi on fête Saturne par des bandes de pourpre plus larges et un manteau couleur de feu, comme celui des Galates ; ainsi encore on se rend Esculape favorable par des pantoufles à la manière des Grecs, et par un manteau tel que le mien, si ce n’est que celui-là est plus péniblement ajusté. Raison de plus pour le censurer et le railler du regard, puisque, simple et sans affectation sur ma personne, il est au moins coupable de superstition. En effet, depuis que le manteau a commencé d’être l’habit de la sagesse, qui renonce aux vaines superstitions, il est devenu plus auguste que toutes les dépouilles et tous les voiles du monde. Insigne de nos prêtres, il s’élève au-dessus de la tiare et des autres ornements. Baisse donc les veux, je te le conseille ; vénère un vêtement qui ne peut avoir à tes yeux qu’un défaut, celui d’avoir répudié tes erreurs.
V. Vous avez beau faire, dis-tu. Quoi ! passer de la robe au manteau ? Que serait-ce donc si j’avais abandonné le diadème et le sceptre ? Anacharsis changea-t-il autrement, lorsqu’il préféra la philosophie au royaume de la Scythie ? Mais que le manteau ne soit pas un signe que j’ai passé à quelque chose de mieux, d’accord ; il porte en lui-même sa défense. D’abord, point de vêtement plus commode à prendre ni moins embarrassant. Il n’est pas nécessaire qu’un artiste en forme la veille les plis depuis le haut jusqu’en bas, qu’il les arrondisse en baguettes, qu’il les rassemble en un point central qui soit comme le bouclier de la robe, et qu’il en fixe la forme avec des agrafes. Il ne faut pas non plus que revenant le lendemain avec le jour, après avoir pris la ceinture et la robe à laquelle il convenait de donner moins d’ampleur ; après avoir reconnu si le nœud était en bon état et avoir réformé ce qui pouvait y manquer, il allonge la robe du côté gauche ; qu’il retire des épaules cette immense circonvolution d’où naît le sein là où les plis cessent ; ni qu’après avoir dégagé le côté droit, il la rejette sur le gauche avec un autre pan de cette robe, plissé comme le premier, qui va battre sur le dos, jetant ainsi sur celui qu’il habille un fardeau véritable. J’en appelle à ta conscience : n’est-il pas vrai que la toge est pour toi un fardeau plutôt qu’un vêtement ? Que portes-tu ? un paquet ou un habit ? Si tu le nies, je te suivrai jusqu’à la maison ; je te verrai te précipiter dès que tu auras touché le seuil : on ne se débarrasse jamais d’aucun vêtement avec autant de plaisir que de la toge.
Nous ne disons rien des souliers, qui sont, à proprement parler, le supplice de la toge, qui souillent les pieds en les protégeant, et dont l’usage est si déraisonnable. Ne vaut-il pas mieux marcher les pieds nus pour s’endurcir au froid et à la chaleur, que de se mettre à la torture dans des souliers ? Avouons-le ! les cordonniers de Venise, avec leurs brodequins efféminés, ont rendu un admirable service à la commodité de la marche.
Au contraire, rien de plus libre que le manteau, fût-il double comme celui de Cratès ; il ne faut pas tant d’apprêts pour s’en revêtir. Tout l’effort qu’il réclame, c’est qu’on s’en couvre en le déployant. On le peut d’un seul jet qui environne avec bienséance tout le corps de l’homme, parce qu’il le couvre tout entier. Tout en cachant les épaules, il les laisse voir ou les renferme à volonté ; quoique attaché aux épaules, il ne les surcharge point ; il ne les accable point ; il ne s’inquiète point de la symétrie des plis ; il se maintient aisément ou se rajuste de lui-même. Le quitte-t-on, on ne le confie à aucune tenaille pour le lendemain. Si la tunique dépasse, on n’a pas le supplice d’une ceinture. La chaussure qui l’accompagne est des plus propres ; ou bien le pied est nu, ce qui va mieux à l’homme que le brodequin.
Voilà ce que j’avais à dire en faveur du manteau, dont tu n’as attaqué ici que le nom. Mais on en veut à la profession de ceux qui le portent. Pour moi, dit-on, je ne dois rien au forum, au champ de Mars, au sénat : je ne veille pour aucun office ; je ne m’empare d’avance d’aucune tribune, je ne fréquente aucune audience des préteurs ; je ne respire point l’odeur des égouts ; je ne salue point les barreaux d’aucun juge ; je ne brise point les bancs des avocats ; je ne trouble point la justice ; je ne plaide point à grand bruit ; je ne suis ni juge, ni soldat, je vis en dehors du peuple. J’ai assez à travailler en moi-même : mon unique affaire, c’est de n’en avoir pas. On vit plus heureusement dans la retraite que dans le tumulte du siècle, mais on craint de passer pour un homme inutile. Il faut se consacrer, dit-on, à la patrie, à l’État, à la chose publique. Il y a une ancienne maxime : « Qui doit mourir pour soi-même ne naît pas pour autrui. » Toujours est-il que quand il est question des Épicure, des Zénon, tu décores du nom de sages ces hommes qui ont enseigné aux autres le repos, et l’ont consacré sous le nom de la volupté unique et souveraine.
Toutefois il me sera permis à moi aussi d’être utile au monde. D’un lieu élevé, ou des marches de l’autel, je propose pour les mœurs des remèdes qui sont plus efficaces que tes services pour la santé des républiques, des cités et des empires. En effet, si je voulais user d’amertume avec toi, je te dirais que la toge a fait plus de mal à la république que la cuirasse. Pour moi, je ne flatte aucun vice, je ne pardonne à aucune indolence, je ne fais grâce à aucune vanité. J’applique le fer à l’ambition de M. Tullius, qui paie cinq cent mille sesterces une petite table de citronnier, ainsi qu’à celle d’Asinius Gallus, qui achète deux fois autant une table de la même Mauritanie. Hélas ! que d’or pour quelques taches de bois ! Mais que dire de Sylla, quand il commande des plats du poids de cent livres ? Je crains toutefois que cette vaisselle ne soit bien chétive vis-à-vis de ce vaste bassin de cinq cents livres que fit construire Drusillanus, affranchi de Claude, et qui était nécessaire peut-être aux tables que je mentionnais tout à l’heure. S’il exigea pour sa construction un fourneau spécial, il méritait bien aussi une salle à manger. J’ouvre encore avec le scalpel la cruauté de Védius Pollion, qui jetait ses esclaves à l’avidité des lamproies. Barbare qui, prenant plaisir à la cruauté, nouvelle pour lui, d’une bête terrestre, sans dents, sans ongles, sans cornes, se complut à convertir des poissons en animaux féroces, qu’il faisait cuire immédiatement, afin de goûter la chair de ses esclaves qu’il retrouvait encore dans leurs entrailles. Je percerai du même fer la gourmandise de l’orateur Hortensius, qui le premier put égorger un paon pour s’en nourrir ; celle d’Aufidius Lurcon, qui le premier corrompit les animaux en les engraissant, et leur donna une saveur adultère par des aliments forcés ; celle d’Asinius Céler, qui acheta six mille sesterces un seul surmulet ; celle du comédien Ésope, qui composa un plat de cent mille sesterces avec des oiseaux de grand prix, chanteurs et parleurs. Son fils, après ce mets splendide, trouva le secret d’une faim plus somptueuse encore : il avala une perle, déjà précieuse rien que par son nom, j’imagine, pour ne point souper plus pauvrement que son père. Je ne parle point des Néron, des Apicius, ni des Rufus. Je donnerai un purgatif à l’impudicité de Scaurus, à la passion du jeu qui travaille Curius, à l’ivrognerie d’Antoine. Souviens-toi que la plupart d’entre eux ont porté la toge. Sous le manteau on ne trouve point de gens pareils. Qui donc purgera la ville de ces ordures ? Personne, si ce n’est les discours qui partent du manteau.
VI. Vous m’avez persuadé, par votre discours, le plus sage de tous les remèdes ! me dis-tu. Toutefois, quoique l'éloquence se taise, ou retenue par la jeunesse, ou entravée par la timidité, une philosophie sans langue parle par sa vie seule, et le manteau lui-même est une éloquence. Voir le philosophe, c’est l’entendre. Je fais rougir le vice qui me rencontre. Qui ne se sent pas ému à l’aspect de son antagoniste ? Qui pourra me nuire par ses regards, quand il ne le peut pas même par son esprit ? Certes, ils sont grands les bienfaits du manteau, puisqu’à son seul souvenir les mauvaises mœurs elles-mêmes rougissent. Qu’on sache maintenant à quoi sert la philosophie, car elle n’est pas toute avec moi. Je possède encore d’autres arts utiles au public. Je suis porté par celui qui enseigne les premières lettres, par celui qui dénoue la voix de l’enfant, par celui qui trace sur le sable les premiers principes des nombres ; par le grammairien, par le rhéteur, par le sophiste, par le médecin, par le poète, par le musicien, par le devin qui observe les astres ou le vol des oiseaux. Enfin tous les arts libéraux s’enveloppent du manteau à quatre angles. lis ne viennent qu’après les chevaliers romains, oui sans doute ; nais aussi toute la honteuse engeance des maîtres d’armes et des gladiateurs marche-t-elle sous la toge. Eh bien ! y a-t-il encore quelque déshonneur à quitter la toge pour le manteau ? Voilà ce que le manteau dit pour sa défense. Quant à moi, je lui assigne un autre honneur : une secte instituée par Dieu et une discipline nouvelle, l’ont adopté pour insigne. Réjouis-toi, tressaille d’allégresse, ô manteau ! Une philosophie meilleure t’a honoré de sa présence, depuis que tu as commencé de revêtir un Chrétien.
- ↑ Achille, de Α-χοιλος, sans lèvres, parce qu'il ne s'en était pas servi pour téter.
- ↑ Au lieu de antè, j'ai lu avec quelques éditions, arte.
- ↑ Succubum agens, dit le commentateur.
- ↑ Le poète Novius a écrit une fable sous ce titre, le Foulon, pour se moquer de ceux qui trafiquent honteusement d'eux-mêmes. Plaute désigne un acte de ce genre par ces mots: fructus fullonius. Mais pourquoi foulon? parce que, disent les commentateurs, ces sortes d'hommes étaient aussi flexibles aux désirs d'autrui, que le drap lorsqu'il a été foulé.
- ↑ Ce trait retombe sur Domitien. Tertullien l'a déjà appelé ailleurs une moitie de Néron. On sait d'ailleurs que Domitien affectait de prendre le nom de cet empereur.
- ↑ Espèce de chaussure.