DU
DROIT DE VISITE.

Au moment où les chambres vont s’occuper de nouveau, selon toute apparence, du droit de visite, il ne sera pas sans utilité de retracer ici les évènemens auxquels a donné lieu cette question, ceux surtout qui remontent aux temps de l’empire, déjà éloignés de nous. Ce récit, trop long pour la tribune, pourra servir à préparer et à éclairer la discussion.

C’est un principe fondamental du droit des gens que la mer est le domaine commun des nations, que nul ne peut en prétendre la domination exclusive. Ce principe n’est pas de pure convention ; il est fondé sur la nature des choses. La mer, placée entre les continens, est leur lien nécessaire, la seule voie par laquelle ils peuvent communiquer entre eux et échanger leurs produits ; elle renferme dans son sein des ressources inépuisables pour la nourriture des hommes. Or, aucune restriction à l’usage des biens que nous a départis la Providence ne peut être justifiée qu’autant qu’elle a pour but la conservation même de ces biens. Si la terre pouvait être commune, il faudrait qu’elle le fût ; mais si tôt que la population a acquis un certain développement, les produits spontanés du sol ne suffisent plus à la nourrir : la culture devient nécessaire, et avec la culture la propriété. Rien de semblable pour la mer ; ses richesses ne sauraient s’épuiser, et l’usage qu’en peut faire chacun ne porte aucun préjudice à l’usage des autres. Si une exception est admise, ce n’est point pour la pleine mer, mais pour une faible portion de ses rivages où la pêche, nécessaire à la nourriture des habitans, s’épuise et où le privilége est utile et peut s’exercer.

De cette communauté de la pleine mer découle un autre principe, c’est que tout navire est une portion du territoire de la nation à laquelle il appartient, et qu’il n’est pas plus permis de l’envahir que d’envahir ce territoire ; principe salutaire qui le protége, dans son isolement, au milieu des mers, et qui rend insaisissables, en temps de guerre, les personnes et les marchandises qu’il transporte, si sa nation n’est point engagée dans la guerre.

Cette doctrine, les neutres l’ont toujours invoquée, l’Angleterre l’a toujours méconnue. Une fois elle l’a admise en théorie. Le traité d’Utrecht de 1773 a établi que ni les marchandises ni les personnes ne seraient saisies en temps de guerre sur les bâtimens neutres, lors même qu’elles appartiendraient à l’ennemi ; mais quand éclata la guerre de l’indépendance américaine, qui mit aux prises la marine anglaise avec celles de la France, de l’Espagne et de la Hollande, l’Angleterre ne tint aucun compte des priviléges des neutres, elle fit saisir en mer tous les bâtimens russes, suédois ou autres, qui portaient des bois de construction en France ou en Espagne, et confisqua ces bois, bien qu’ils ne fussent pas compris dans les objets de contrebande de guerre dont le transport était seul interdit par les traités. L’impératrice Catherine publia alors une déclaration[1] portant qu’elle ferait respecter ses droits par la force. La Suède, le Danemark, la Prusse, l’Autriche, le Portugal et Naples adhérèrent à cette déclaration de neutralité armée. On se promit de faire convoyer les bâtimens marchands pour les protéger contre les insultes de l’Angleterre, et de se prêter, en cas d’attaque, un mutuel secours. Des collisions eurent lieu entre les bâtimens neutres et les bâtimens anglais.

La fin de la guerre d’Amérique fit cesser cette querelle ; mais elle recommença avec la guerre de la révolution française. Paul Ier reprit l’ouvrage de Catherine. Il publia une nouvelle déclaration de neutralité armée[2] à laquelle adhérèrent la Suède, le Danemark et la Prusse. La mort tragique de Paul Ier, survenue trois mois après, et un combat sanglant livré par les Anglais à la flotte danoise, dissipèrent cette ligue. Les évènemens empêchèrent qu’elle ne se reformât. La guerre continentale enveloppa toutes les puissances : les unes suivirent la fortune de la France, les autres celle de l’Angleterre ; aucune ne garda la neutralité et n’eut à en revendiquer les droits.

Cependant une nation nouvelle était née au-delà de l’Atlantique, qui devait désormais prendre en main la défense des priviléges des neutres, et leur prêter un appui tel qu’ils n’en avaient jamais obtenu. À peine la guerre fut-elle déclarée entre la France et l’Angleterre, que celle-ci fit visiter en mer les bâtimens des États-Unis, et confisquer les marchandises qui furent reconnues propriété française ; non contente de cela, elle fit enlever sur ces bâtimens, pour les employer à son service, tous les matelots présumés d’origine anglaise ou canadienne, sans excepter même ceux qui avaient été naturalisés citoyens américains. C’était pousser aussi loin que possible l’abus de la force et le mépris des droits des neutres. Les États-Unis invoquèrent le principe reconnu par l’Angleterre elle-même dans le traité d’Utrecht, que le pavillon couvre la marchandise[3]. Ils se plaignirent plus vivement encore de la saisie de leurs matelots, représentant à quelles erreurs on était exposé par la similitude du langage des deux peuples, et la difficulté de distinguer ceux qui étaient réellement d’origine anglaise et ceux qui n’en étaient pas ; l’injustice d’enlever ceux qui étaient naturalisés, et qui devaient plus encore se croire en sûreté sous la protection du pavillon américain ; le danger enfin auquel on exposait les bâtimens qu’on privait d’une partie de leur équipage, et qui étaient obligés de poursuivre ainsi leur route. Rien ne put amener la fin de ces violences. L’Angleterre répondit, quant aux marchandises, qu’elle ne pouvait pas souffrir que la France continuât son commerce sous un autre pavillon, et qu’elle devait lui faire subir tous les maux de la guerre, pour la contraindre à la paix ; quant aux matelots, que la guerre les lui rendait nécessaires, que son existence même en dépendait, et que la constitution n’admettait pas qu’un Anglais pût jamais se soustraire, même par la naturalisation en pays étranger, à l’allégeance envers son pays, qu’il se devait toute sa vie à son service.

Les États-Unis, sans être satisfaits de ces raisons, furent obligés de s’en contenter. Faibles encore, et sans marine, ils n’étaient point en état de recourir à la force. Un changement utile venait d’être opéré dans leur constitution, dont le fruit n’était pas encore recueilli. Washington, assis le premier dans le fauteuil de la présidence, jugea qu’une guerre entreprise dans ce moment serait funeste aux États-Unis et arrêterait pour long-temps le cours de leur prospérité naissante ; qu’il fallait, avant de s’y déterminer, avoir épuisé tous les moyens de négociation. Il fit partir un envoyé extraordinaire pour Londres, chargé de demander que les bâtimens américains ne fussent plus visités, et de négocier en même temps un traité de commerce et la restitution des forts sur les lacs, promise par le traité de 1783.

Les deux derniers points furent accordés sans difficulté. Un traité de commerce avantageux fut conclu ; mais, sur le droit de visite, le cabinet de Londres fut inflexible : il promit seulement des indemnités pour les retards qui seraient causés, pour les erreurs qui pourraient être commises. Le négociateur crut devoir accepter ce qui était accordé, et s’en remettre au temps pour obtenir le reste.

La nouvelle de ce traité causa un vif mécontentement aux États-Unis. On fut plus sensible à l’omission qu’il renfermait qu’aux avantages qui y étaient contenus. Des pétitions furent adressées au président et au sénat pour qu’il ne fût point ratifié. La chambre des représentans alla plus loin, elle adressa un message au président pour demander communication des instructions qui avaient été données au négociateur. Le président n’eut garde d’abandonner celui-ci, qui n’avait pas violé ses instructions, ni de donner la communication demandée. Il répondit qu’au sénat seul appartenait de ratifier, avec lui, les traités, et qu’obligé par son serment de respecter et faire respecter la constitution, il ne ferait rien contre la démarcation qu’elle avait établie entre les pouvoirs. Cette opposition de la chambre des représentans n’empêcha point la ratification du traité. Le président et le sénat pensèrent qu’il serait insensé de renoncer volontairement aux avantages qu’il renfermait, que le silence gardé sur le droit de visite n’en était pas la consécration ; que les protestations ne subsistaient pas moins, et que la restitution des forts et le traité de commerce seraient, pour les États-Unis, des moyens d’arriver à faire respecter leurs droits par la force, la première en mettant dans leurs mains des positions militaires importantes, le second en développant leur prospérité et leur richesse. L’opinion ne tarda pas à reconnaître la sagesse de cette résolution, et la popularité de Washington, un moment obscurcie, reprit tout son éclat.

Mais le directoire français ne se prêta pas de même à la politique du président et aux raisons qui le déterminaient. Depuis long-temps il le sollicitait de faire respecter sa neutralité, ou de rompre avec l’Angleterre. La signature et la ratification du traité de commerce, sans l’abolition du droit de visite, achevèrent de l’exaspérer. Il décréta que tout bâtiment américain, rencontré par la marine française, ou entrant dans les ports de France, serait tenu de justifier, par certains papiers de bord, qu’il n’avait pas été visité, faute de quoi il serait confisqué. En vain le président représenta qu’on ne pouvait rendre les bâtimens des États-Unis responsables des violences exercées contre eux, ni exiger d’eux d’autres papiers de bord que ceux portés aux traités ; en vain il offrit, pour preuve d’une loyale impartialité, de les laisser visiter par la marine française aussi long-temps que la marine anglaise les visiterait ; en vain John Adams, successeur de Washington, envoya à Paris des négociateurs pour calmer le directoire et pour arranger avec lui ce différend : le directoire refusa de les recevoir. Une vive irritation éclata aux États-Unis à la nouvelle de cet affront. On s’aigrit de plus en plus de part et d’autre, et les hostilités éclatèrent. La frégate française l’Insurgente s’empara, après un combat, d’un bâtiment de guerre américain, et fut prise à son tour[4]. Le droit de visite, au lieu d’allumer la guerre entre les États-Unis et l’Angleterre, la fit naître entre la France et les États-Unis.

Une guerre aussi impolitique ne pouvait durer long-temps. L’opinion, en France, se révolta contre la conduite du directoire. Il fut obligé de solliciter lui-même les États-Unis d’envoyer de nouveaux commissaires, et quand ils arrivèrent, le directoire n’existait plus. Napoléon avait pris sa place. Le rétablissement de la bonne intelligence avec les États-Unis marqua l’avènement du premier consul. Il méditait, à cette belle époque de sa vie, de rendre la paix à la France comme il lui avait rendu le repos intérieur : pouvait-il mieux commencer qu’en la réconciliant avec la confédération américaine, son alliée naturelle ? Il signa avec elle un traité d’amitié et de commerce[5] ; ce traité stipula la restitution des prises faites de part et d’autre. Il annula le décret du directoire, quant aux pièces de bord qui devaient être produites par les bâtimens des États-Unis pour justifier qu’on ne les avait point visités. Il renouvela toutefois la consécration du grand principe que le pavillon couvre la marchandise, laissant au temps à lui faire porter ses fruits.

Un court intervalle de paix suivit entre la France et l’Angleterre, pendant lequel le commerce américain respira et ne fut plus en butte au droit de visite ; mais l’Angleterre, dans le traité d’Amiens, n’avait voulu rien garantir pour le jour où les hostilités recommenceraient. Elles recommencèrent quatorze mois après, et, avec elles, toutes les violences de la marine anglaise ; celle-ci saisit, sur les bâtimens des États-Unis, jusqu’aux passagers français. Napoléon, par représailles, retint prisonniers en France les voyageurs anglais que la paix d’Amiens y avait attirés, et qui avaient cru pouvoir y demeurer en sûreté.

Alors commença entre l’Angleterre et Napoléon un duel formidable, dans lequel les deux combattans, pour s’atteindre, foulèrent également aux pieds les droits des neutres, c’est-à-dire ceux du commerce américain. Napoléon, partout où il portait ses armes, fermait les ports au commerce anglais. Il espérait par là détruire les finances de son ennemi, réduire les nombreux ouvriers de ses fabriques au désespoir, et le contraindre à demander la paix. L’Angleterre ne voulut pas souffrir que, pendant qu’on la privait de son commerce, celui de la France et de ses alliés pût continuer à la faveur du pavillon américain. Un ordre du conseil de l’amirauté anglaise déclara en état de blocus tous les ports de la France et des pays occupés par ses troupes, défendant aux neutres d’en approcher, sous peine d’être saisis et confisqués[6] ; c’était l’acte le plus exorbitant qui eût jamais été fait contre les neutres. Il était de principe, dans le droit public européen, qu’un port ne pouvait être déclaré en état de blocus qu’autant qu’il y avait, à son entrée, une force suffisante pour défendre aux neutres d’en approcher, une force telle qu’ils ne pussent passer sans danger. Ainsi l’avait établi ou plutôt rappelé la déclaration de Catherine de 1780. Prétendre bloquer par une déclaration des pays entiers, c’était étendre sans mesure les droits de la guerre, non-seulement par rapport aux contrées qu’on frappait de cet interdit, mais relativement aux neutres qu’on empêchait de commercer avec elles. Napoléon, forcé de suivre l’Angleterre sur ce terrain, répondit par son décret de Berlin, qui déclara les îles britanniques en état de blocus et ordonna la confiscation de tout bâtiment convaincu d’avoir commercé ou voulu commercer avec elles[7].

Les bâtimens américains, ainsi saisis par les Anglais s’ils commerçaient avec la France, par les Français, s’ils commerçaient avec l’Angleterre, pouvaient tenter de débarquer leurs marchandises sur un point du continent non encore occupé par les troupes françaises, d’où ces marchandises seraient répandues par terre dans les autres pays. Ils auraient échappé par là aux prohibitions de l’Angleterre. Cette ressource leur fut ôtée ; un ordre du conseil défendit aux neutres d’aborder sur un point quelconque du continent, sans avoir auparavant touché en Angleterre et acquitté les droits sur les marchandises dont ils étaient chargés[8]. C’était faire de l’Angleterre l’entrepôt forcé de tout le continent, et convertir en marchandises anglaises celles du monde entier ; c’était faire payer par toute l’Europe un tribut à l’Angleterre. Napoléon, pour l’empêcher, rendit son décret de Milan, qui déclarait dénationalisé tout bâtiment neutre qui toucherait en Angleterre, et ordonnait de le confisquer comme anglais[9].

Les États-Unis, ainsi traités par l’Angleterre comme au temps où ils étaient sa colonie et ne pouvaient commercer qu’avec elle, se plaignirent vivement de ce nouvel abus de la force et des représailles auxquelles la France se trouvait entraînée. Ils demandèrent la révocation des ordres du conseil, pour que Napoléon pût révoquer ses décrets. On ne leur répondit que par de nouvelles violences. Un acte de la marine anglaise vint y mettre le comble.

La frégate américaine, la Chesapeake, naviguant dans les eaux des États-Unis, fut rencontrée par le vaisseau de guerre anglais le Léopard. Celui-ci, l’ayant hélée, prétendit rechercher à son bord les matelots déserteurs de la marine anglaise qui pouvaient s’y trouver. Jamais pareil affront n’avait été fait à un bâtiment de guerre. Le droit de visite ne s’était exercé jusqu’alors que sur les bâtimens marchands. Le capitaine de la Chesapeake répondit que ses instructions ne lui permettaient pas de se laisser visiter ; qu’il n’avait point, d’ailleurs, à son bord de déserteurs, les lois de son pays le lui défendant, et qu’on devait s’en rapporter à sa parole. Le capitaine du Léopard insista, offrant de se soumettre, de la part des Américains, à la même visite pour rendre la mesure réciproque. Nouveau refus de la part du capitaine américain. Le Léopard alors, sans autre avertissement, fit feu sur la frégate, qui n’y était point préparée, lui tua trois hommes, en blessa un plus grand nombre, et la contraignit d’amener son pavillon. Les Anglais, étant montés à bord de la Chesapeake, en enlevèrent quatre hommes qu’ils dirent leur appartenir, en pendirent un, comme déserteur, aux vergues de leur vaisseau, et laissèrent la frégate libre d’aller faire réparer ses avaries.

Cet affront, le plus sanglant qu’eussent encore reçu les États-Unis, excita dans toute la confédération l’indignation la plus vive. On appela de toutes parts la guerre. Le président publia une proclamation annonçant qu’elle serait déclarée, si une réparation éclatante n’était accordée immédiatement par le gouvernement britannique, et, en attendant, il interdit aux bâtimens de guerre anglais l’entrée des ports des États-Unis, même la navigation dans leurs eaux, et ordonna de mettre les côtes-en état de défense[10].

Le congrès, extraordinairement convoqué, alla plus loin. Frappé du nombre considérable de bâtimens américains déjà confisqués par l’Angleterre et par la France, il craignit que les États-Unis ne perdissent tout leur matériel naval, et ne fussent ainsi hors d’état, dans des temps meilleurs, de reprendre leur commerce. Cette crainte lui inspira une résolution extraordinaire, celle de renoncer jusqu’à nouvel ordre à toute navigation. Il rendit le bill d’embargo par lequel défense était faite aux bâtimens de commerce américains de sortir de leurs ports ; son espoir était que cette interdiction complète de tous rapports entre l’Europe et l’Amérique causerait à l’Angleterre et à la France des embarras qui les contraindraient à modifier leurs mesures. Mais il aurait fallu, pour cela, que l’interdiction eût une certaine durée, et quand vint, à la session suivante, le moment de renouveler le bill, il rencontra la plus vive opposition. Les états du nord et ceux du sud, ordinairement divisés d’opinion, furent d’accord pour se plaindre d’une mesure qui empêchait les uns de naviguer, les autres de vendre leurs produits. « Que nous sert, dirent les premiers, de conserver nos vaisseaux, si c’est pour qu’ils pourrissent dans les ports ? Quelques-uns, du moins, échappaient aux croisières anglaises, et la vente, à un prix plus élevé, de leurs cargaisons nous dédommageait de la perte des autres. Qui nous donnera maintenant les moyens d’entretenir nos navires inactifs, et de faire subsister cette multitude de matelots et d’ouvriers de toute profession qui vivaient de la navigation ? Le remède inventé par le congrès est pire que le mal. C’est un suicide auquel nous ne saurions plus long-temps consentir.— Donnez-nous, disaient les états du sud, un moyen d’écouler les cotons, les tabacs, les riz qui remplissent nos magasins, car si nous ne vendons pas nos récoltes, avec quoi voulez-vous que nous fassions nos cultures, que nous habillions nos esclaves et que nous les nourrissions ? Quel plus grand mal pourraient nous faire nos ennemis que celui que nous nous faisons nous-mêmes ? Le congrès, institué pour nous protéger, n’a pas le droit de nous empêcher de vivre. Qu’il renonce à ses mesures, ou nous ne prendrons conseil que de la nécessité, et du droit naturel, plus fort que toutes ses lois. »

Ce concert de plaintes, accompagné de menaces de séparation, ne permit pas de renouveler purement et simplement le bill d’embargo. On le remplaça par le bill de non-intercourse, qui défendait pendant un an le commerce avec la France et l’Angleterre seulement, et déclarait que si, dans ce délai, l’un ou l’autre pays révoquait ses mesures, les relations reprendraient immédiatement avec lui et resteraient interdites avec l’autre ; et, pour faire preuve d’impartialité envers eux en les mettant sur un pied d’égalité, le bill interdit aux bâtimens de guerre français, comme à ceux de l’Angleterre, l’entrée des ports des États-Unis et la navigation dans leurs eaux.

Ce bill parut un moment avoir atteint son but. Le ministre d’Angleterre aux États-Unis, séduit par l’espèce de prime qu’il offrait à celle des deux nations qui se départirait la première de ses mesures de rigueur contre les neutres, signa un traité qui révoquait les ordres du conseil à l’égard des États-Unis, et leur donnait en même temps satisfaction sur l’affaire de la Chesapeake. Cette nouvelle, annoncée par une proclamation du président, causa une vive joie, mais qui fut de courte durée. Le cabinet anglais refusa de ratifier le traité ; son ministre, dit-il, avait agi sans autorisation ; il était prêt à accorder satisfaction pour l’affaire de la Chesapeake, si les États-Unis voulaient, de leur côté, renoncer à leurs actes hostiles contre le commerce et la marine de l’Angleterre, mais il n’abandonnerait jamais des droits d’où dépendaient la sûreté et l’existence même du pays.

Napoléon, de son côté, se plaignit amèrement de ce que, sous prétexte d’impartialité, on avait étendu à la France des mesures auxquelles elle n’avait pas fourni de motif, et il rendit son décret de Rambouillet, par lequel, usant de représailles, il fermait aux bâtimens de guerre et de commerce des États-Unis tous les ports de la France et des pays occupés par ses armées[11]. Il eut recours en même temps, pour soutenir son système continental, à un expédient extraordinaire, celui des licences ; la France manquant de sucre, de café, de cochenille, et d’autres denrées coloniales nécessaires à sa consommation ou à ses manufactures, il délivra des permis pour l’introduction des quantités nécessaires, à la charge d’exporter des marchandises françaises pour une valeur égale. Mais comme l’Angleterre refusait de recevoir la plupart de celles-ci, on les jetait à la mer en sortant du port. Une commission était instituée près du ministère du commerce pour veiller à ce que la valeur des marchandises importées ne fût pas amoindrie, et celle des marchandises exportées exagérée. On estime qu’il fut ainsi importé pour plus de 100 millions de produits coloniaux dans trois années. Il en revint au trésor impérial des sommes considérables par les droits de douane, dont le tarif était exorbitant.

Pendant ce temps, les embarras du cabinet de Washington n’avaient pas diminué. Le bill de non-intercourse n’ayant pas obtenu en Europe plus de succès que le bill d’embargo et excitant les mêmes plaintes aux États-Unis, il fallut, à la session suivante du congrès, chercher une autre combinaison ; on s’arrêta à celle-ci. Le bill de non-intercourse fut suspendu jusqu’au 3 mars 1811, c’est-à-dire que jusqu’à cette époque les bâtimens des États-Unis furent autorisés à commercer avec la France et l’Angleterre comme avec les autres pays. Si, avant le 3 mars 1811, l’un ou l’autre pays avait révoqué ses mesures contre les neutres, le bill, à dater de cette révocation, demeurait définitivement révoqué à son égard, et le commerce redevenait libre avec lui ; trois mois étaient encore donnés à l’autre pour suivre cet exemple, et, s’il ne l’avait pas fait, le bill reprenait son exécution vis-à-vis de lui[12].

Cette combinaison, soit par sa propre vertu, soit par l’effet des circonstances, eut plus de succès que les précédentes. Napoléon crut y voir un moyen de rétablir ses relations avec les États-Unis et d’amener leur rupture définitive avec l’Angleterre. Dans cette vue, il fit remettre à leur ministre à Paris, le 5 août 1810, une note annonçant qu’il avait révoqué ses décrets à dater du 1er  novembre suivant. Ce ministre, sans en demander d’autre preuve, annonça la révocation au président des États-Unis, et celui-ci, le lendemain du jour où les mesures de la France devaient cesser d’être exécutées (le 2 novembre), publia une proclamation qui rétablissait le commerce avec elle. Il en publia une autre, trois mois après, qui déclarait le commerce avec l’Angleterre de nouveau interdit[13].

Ces deux proclamations et les circonstances qui les avaient accompagnées excitèrent, de la part du gouvernement anglais, des plaintes amères ; il prétendit que le décret annoncé par la note du ministre des affaires étrangères de France n’avait jamais existé, donnant pour preuve qu’on ne l’avait point publié, et cependant, dit-il, cette publication était nécessaire, dans le système du bill américain, pour mettre l’Angleterre en demeure. Il accusa le gouvernement des États-Unis d’avoir été dupe ou complice d’une ruse du gouvernement français. Le fait est que quand le président, pour se justifier, fit demander à Paris une expédition du décret qui aurait dû accompagner la note du 5 août 1810, on ne put en produire qu’un du 28 avril 1811[14], postérieur à la proclamation du président du 2 novembre, qui avait rétabli le commerce avec la France. Ce décret, prenant acte de la proclamation, déclarait les décrets de Berlin et de Milan révoqués à l’égard des États-Unis, à dater du 1er  novembre précédent.

Quoi qu’il en soit, les rapports rétablis avec la France demeurèrent rompus avec l’Angleterre. Celle-ci redoubla de rigueur dans la visite et la saisie des bâtimens américains ; plus de neuf cents furent confisqués. L’irritation, de part et d’autre, fut telle qu’il ne fallait plus qu’un incident pour allumer la guerre ; cet incident se présenta. Le sloop de guerre anglais le Petit Belt, de 18 canons, ayant été rencontré par la frégate des États-Unis la Présidente, celle-ci le héla, suivant l’usage, pour qu’il se fît connaître. Le sloop, pour toute réponse, lui envoya un boulet qui abattit son grand mat. Un combat s’engagea dans lequel les Anglais perdirent trente-deux hommes. D’un autre côté, on acquit la preuve que le gouvernement anglais, s’attendant à la guerre, pratiquait des machinations dans les états voisins du Canada, pour en faciliter l’invasion. Le président Madison jugea que le moment était venu de se décider, et de faire respecter les droits des États-Unis par les armes. Il convoqua extraordinairement le congrès, lui rendit compte de ce qui s’était passé, et demanda les moyens de soutenir l’honneur national[15].

Le congrès délibéra à huis-clos ; jamais plus grave question ne l’avait occupé ; on entendit les partisans de la paix et ceux de la guerre. « Qu’attendons-nous, dirent ceux-ci, pour prendre les armes ? L’Angleterre n’a-t-elle pas poussé assez loin l’insulte envers nous ? N’a-t-elle pas assez fait pour notre ruine ? Faut-il rappeler les confiscations et les avanies essuyées par notre commerce, les visites faites jusque sur nos bâtimens de guerre, nos citoyens enlevés en vue de nos côtes, invoquant en vain le pavillon qui devait les protéger, nos marins attaqués en pleine paix et victimes de cette agression imprévue ? Souffrirons-nous plus long-temps ces blocus qui nous ferment des continens entiers, et cette prétention de nous contraindre à toucher en Angleterre, comme au temps où nous vivions sous le joug d’un honteux vasselage ? L’Angleterre se justifie par les mesures de la France ; mais est-ce la France qui a pris l’initiative de celles dirigées contre les droits des neutres ? n’en souffre-t-elle pas au contraire, et ne joint-elle pas ses protestations aux nôtres ? Ses décrets n’étaient que des représailles, et cependant elle les a révoqués. On veut que nous la forcions de recevoir les marchandises anglaises : cela est-il en notre pouvoir ? L’Angleterre, par une pareille prétention, montre bien qu’elle n’a qu’une chose en vue, c’est de nous interdire le commerce pour le faire seule. En vain espérerions-nous en obtenir quelque chose par les négociations : n’a-t-elle pas déclaré mille fois qu’elle ne renoncera jamais aux droits odieux dont nous nous plaignons ? » Les partisans de la paix ne contestèrent point des griefs qu’ils partageaient. Eux aussi pensèrent que les États-Unis ne pouvaient pas accepter la législation draconienne de l’Angleterre au sujet des neutres, mais ils furent d’avis de temporiser encore. « On n’était pas en mesure, dirent-ils, de soutenir la guerre avec quelque chance de succès. Avait-on achevé de mettre les côtes en état de défense ? Où étaient les vaisseaux qui devaient les protéger contre les insultes de la marine anglaise, que la guerre d’Europe laissait presque entièrement disponible ? Les griefs des États-Unis provenaient uniquement de la lutte engagée entre la France et l’Angleterre. Cette lutte venant à cesser, on n’aurait plus de motif de visiter leurs vaisseaux. Or, elle semblait arrivée à un état de violence qui permettait d’en espérer la fin. Un peu de patience encore, et quel que fût le vainqueur, de Napoléon ou de l’Angleterre, on serait délivré, sans guerre, de la tyrannie sous laquelle on gémissait. »

Ce conseil de temporisation ne prévalut point. Rien encore ne justifiait l’espérance que la guerre entre la France et l’Angleterre fût près de finir. Napoléon était dans toute sa force, et la Grande-Bretagne, inaccessible à ses armes, luttait contre lui en Espagne et préparait les élémens d’une nouvelle coalition. La majorité du congrès pensa que les États-Unis ne pouvaient attendre indéfiniment le redressement de leurs griefs, et que la situation où les avait mis l’Angleterre n’était plus tenable. Soixante-dix-neuf voix contre quarante-neuf se prononcèrent, dans la chambre des représentans, pour la guerre, et dix-neuf voix contre treize dans le sénat. Le président annonça, par une proclamation, cette grande résolution[16]. Il eut soin de déclarer que les États-Unis n’entendaient point par là se mêler en aucune façon aux querelles de l’Europe, qu’ils ne prenaient les armes que pour les griefs qui leur étaient propres, et qu’ils les déposeraient aussitôt que l’Angleterre consentirait à respecter leurs justes droits.

Les États-Unis, au moment où ils entreprirent cette guerre, n’avaient encore qu’une population de six millions d’habitans. Cinq ou six mille hommes constituaient toutes leurs troupes régulières, et dix frégates toute leur marine. Cependant ils soutinrent, pendant trois campagnes, l’effort de la puissance anglaise, depuis les bords du Niagara jusqu’aux bouches du Mississipi. Leurs flottilles défirent celles de l’ennemi sur les lacs Champlain et Erié. Ils envahirent la frontière du Canada. Moins heureux sur leur frontière maritime, ils ne purent empêcher qu’elle ne fût insultée par les flottes anglaises. Des troupes de débarquement, ramas de déserteurs de toutes les nations qui avaient abandonné, en Espagne, les drapeaux de Napoléon, promenèrent sur les bords de la Delaware la mort et l’incendie. Washington, la capitale de la confédération, fut occupée, et ses principaux édifices livrés aux flammes ; mais la victoire de Jackson, à la Nouvelle-Orléans, vengea cet affront. Un corps de dix mille hommes, l’élite de l’armée anglaise en Espagne, y fut défait et contraint de se rembarquer, laissant sur le terrain deux mille morts, et parmi eux le général qui le commandait[17].

Les Américains soutinrent mieux encore la lutte sur mer. Ils n’engagèrent que des combats de frégate à frégate et en prirent quatre[18], tandis qu’ils n’en perdirent que trois[19]. Ils s’emparèrent de plusieurs bâtimens de guerre de moindre grandeur. Leurs marins montrèrent la bravoure la plus brillante, et on put juger la supériorité de leur artillerie par l’énorme disproportion des morts des deux côtés. Leurs corsaires enfin allèrent croiser jusque dans la Manche, et capturèrent un grand nombre de bâtimens anglais.

Pendant ces trois années de guerre, on essaya plusieurs fois, mais en vain, de négocier. L’empereur de Russie, après avoir joint en Europe ses armes à celles de l’Angleterre, regrettant la diversion que la guerre d’Amérique opérait en faveur de Napoléon, offrit sa médiation. Les États-Unis l’acceptèrent ; le cabinet anglais la déclina. Les actes dont se plaignaient les États-Unis, dit-il, et notamment la presse des matelots, avaient leur source dans la constitution ; il ne lui était pas permis de mettre la constitution en compromis. Personne ne peut dire quand et comment aurait fini cette guerre, si aucun évènement en Europe n’était venu y mettre un terme. L’orgueil de part et d’autre était tellement engagé, les intérêts tellement contraires, que nul ne pouvait reculer. Les États-Unis n’avaient presque ni armée ni marine, mais ils auraient construit des vaisseaux, et leurs milices se seraient aguerries. L’Angleterre d’ailleurs était si éloignée du théâtre des opérations, qu’elle perdait, par cet éloignement, une grande partie des avantages attachés à sa supériorité navale et au nombre de ses soldats.

Mais, peu de jours après que les États-Unis avaient déclaré la guerre à l’Angleterre, Napoléon partait pour sa campagne de Russie, et les désastres qui l’y attendaient mirent fin à sa puissance. Les alliés, maîtres de Paris et de la France, y établirent un autre gouvernement qui conclut la paix avec l’Europe. La nouvelle en fut portée aux États-Unis, et fit prévoir la fin des hostilités, sans les arrêter sur-le-champ. Des négociations s’ouvrirent à Gand entre les commissaires américains et ceux de l’Angleterre. On y agita de nouveau toutes les questions relatives aux droits des neutres. Les négociateurs américains auraient voulu que l’Angleterre renonçât à la visite de leurs bâtimens, à la saisie des marchandises et des matelots que protégeait leur pavillon, et aux blocus fictifs, contraires au droit des gens. Les Anglais répondirent qu’ils ne prétendaient nullement visiter les bâtimens en temps de paix, que ce n’était pour eux qu’un droit de guerre, mais qu’il était alors indispensable à leur défense, et qu’ils ne s’en relâcheraient point non plus que des actes qui en étaient la conséquence. La paix avec la France avait mis fin, dirent-ils, à l’exercice de ces droits. Voudrait-on continuer de se battre pour de pures abstractions ? Les commissaires américains eurent beau insister ; ils ne purent obtenir aucune concession, et, placés dans l’alternative ou de continuer une guerre contre laquelle une vive opposition commençait à se manifester aux États-Unis, ou d’accepter une paix qui ne compromettait pas leurs droits et laissait subsister, en cas de nouvelles violations, leurs protestations et leurs réserves, ils jugèrent ce dernier parti préférable, et signèrent la paix au moment même où les Anglais et les Américains, en présence devant la Nouvelle-Orléans, allaient se livrer un combat sanglant que la connaissance de ce traité eût prévenu[20].

Le traité de Gand stipula seulement la restitution des prisonniers et celle des territoires réciproquement conquis ; les États-Unis adhérèrent à l’abolition de la traite des noirs. Ainsi finit cette guerre, laissant entières les questions qui l’avaient amenée, et sans que ni l’une ni l’autre des parties belligérantes abandonnât rien des prétentions qui leur avaient mis les armes à la main.

Cependant, si les États-Unis ne purent faire reconnaître leurs droits par les traités, et obtenir qu’on promît de les respecter à l’avenir, ils leur firent donner une autre sorte de consécration, en obtenant une indemnité pour la violation de ces droits dans le passé. Déjà, dans le prix par eux payé à la France, en 1803, pour la cession de la Louisiane, ils avaient retenu le montant de l’indemnité qu’ils réclamaient pour les confiscations exercées contre eux avant cette époque ; ils poursuivirent et obtinrent de même, après 1814, des réparations pécuniaires de la part de toutes les puissances belligérantes qui avaient illégalement saisi leurs bâtimens.

Il semblait qu’il ne dût plus être question du droit de visite jusqu’au renouvellement d’une guerre maritime. Toutes les nations étaient en paix. Nulle part le canon ne retentissait sur l’Océan. Les ordres du conseil, les décrets de Berlin et de Milan étaient tombés avec Napoléon. L’Angleterre ne pouvait alléguer aucun motif de visiter les navires des autres nations, de troubler leur commerce et de porter atteinte à l’indépendance de leur pavillon ; mais cette exception, née de l’état de guerre, elle aspira à l’introduire dans la paix, et en trouva un motif spécieux.

Wilberforce, avec cette persévérance que les Anglais apportent à la poursuite d’une idée, avait sollicité, pendant vingt ans, du parlement, l’abolition de la traite des noirs. Chaque session, de 1787 à 1807, l’avait vu renouveler sa généreuse motion, soutenue d’abord par une faible minorité, combattue par des hommes considérables, tels que le duc de Clarence, qui a régné depuis sous le nom de Guillaume IV, lord Eldon, qui a été chancelier, les lords Liverpool, Sidmouth et Hawkesbury, qui ont été ministres. Traité par eux de fanatique, il vit d’année en année sa minorité s’accroître jusqu’à ce qu’elle devînt majorité, et le succès couronna enfin ses efforts. Le ministère de M. Pitt et le parlement, peu favorables à la mesure, furent obligés de céder, vaincus par l’opinion extérieure et par la persistance d’un homme que ni la guerre terrible à soutenir contre la France, ni l’état intérieur de l’Angleterre, de plus en plus critique, n’avaient pu détourner de son but.

Mais du jour où le gouvernement anglais fut obligé d’entrer dans cette voie, il n’y entra pas à demi. S’interdire la traite des noirs, et la laisser libre aux autres, ne pouvait lui convenir. C’eût été placer ses colonies dans une exception dommageable, qui ne leur eût pas permis de soutenir la concurrence avec celles des autres pays. L’opinion religieuse, d’ailleurs, qui avait obtenu la consécration d’un grand principe d’humanité, n’aurait pas tenu le gouvernement quitte à si bon marché. Elle voulait qu’il le fît adopter par tout l’univers, et l’Angleterre avait une assez haute idée de sa puissance pour se croire capable de réussir dans ce dessein.

Le gouvernement anglais profita donc de la première occasion qui s’offrit, celle du congrès de Vienne, pour demander que les autres puissances adhérassent à l’abolition de la traite des noirs qu’il avait proclamée. Les souverains étaient rassemblés après la victoire pour s’en partager les fruits. Heureux d’être délivrés du joug de la France, le bonheur les disposait à la générosité. L’Angleterre, d’ailleurs, avait des droits à leur reconnaissance, et exerçait un juste ascendant sur eux ; elle ne trouva donc aucune difficulté de faire admettre par eux sa proposition, et l’abolition de la traite des noirs entra dans le droit public européen.

La conséquence de cet acte fut que chaque gouvernement rendit des lois pour empêcher ses sujets de se livrer au commerce des noirs ; la France ne resta pas en arrière. Une ordonnance du 8 janvier 1817 prononça la confiscation de tout navire français qui tenterait de débarquer des noirs dans les colonies. Elle établit des croisières dans leur voisinage, pour veiller à l’exécution de cette défense. Tout bâtiment français qui tenterait de l’enfreindre dut être confisqué. Les autres puissances maritimes suivirent son exemple ; mais cela ne suffit point à l’Angleterre, et avant que l’expérience de ces mesures eût été faite, et en eût constaté l’inefficacité, elle demanda que les puissances se concédassent réciproquement le droit de visite sur leurs bâtimens respectifs, en sorte que la croisière anglaise pût visiter les bâtimens français, et la croisière française les bâtimens anglais, et ainsi pour les autres nations. Sans cela, dit-elle, tout bâtiment négrier, à la vue d’un croiseur de sa nation, n’avait qu’à arborer un autre pavillon pour se mettre à l’abri de la visite, et rendre vaines les mesures des gouvernemens. C’était ramener la question la plus délicate du droit maritime, celle qui, depuis plus de cent ans, tenait toutes les nations en défiance de l’Angleterre, et leur avait mis plusieurs fois contre elle les armes à la main ; c’était leur demander de renoncer à l’inviolabilité de leur pavillon. La crainte des conséquences qui en pouvaient naître n’empêcha point les puissances placées sous l’influence de l’Angleterre, trop faibles pour lutter contre elle, d’accéder à ses désirs. L’Espagne, le Portugal, les Pays-Bas, firent avec elle des conventions qui consacrèrent le droit de visite réciproque, et introduisirent pour la première fois ce principe dans le droit public européen. Mais il n’en fut pas de même des autres nations : la France et les États-Unis surtout opposèrent une vive résistance aux vœux de l’Angleterre.

Les démarches de celle-ci auprès de la France commencèrent dès 1817, lorsque notre territoire était encore occupé par les troupes étrangères. Le ministère Richelieu déclina la proposition, par le double motif de l’inopportunité d’une telle mesure et des dangers qu’elle présentait. On ne manquerait pas, dit-il, dans la situation douloureuse où se trouvait la France, d’y voir le doigt de l’Angleterre et un acte de soumission à sa volonté. La réciprocité ne serait qu’apparente, à raison du nombre supérieur de bâtimens de guerre que la force de la marine anglaise lui permettrait d’entretenir dans ses croisières. Les marins anglais, enflés par le sentiment de cette supériorité et par le souvenir récent de leurs victoires, traiteraient sans ménagement les bâtimens français livrés à leur inspection, et qui pouvait prévoir ce que produirait la vieille rivalité des deux nations qui seraient ainsi en présence ? « Le roi, d’ailleurs, ne se croyait pas en droit, sans le concours des chambres, de livrer ses sujets à une juridiction étrangère, en autorisant la marine anglaise à les saisir, et une commission mixte à prononcer sur la légalité des prises. Mieux valait respecter un principe qui n’avait admis jusqu’à présent aucune exception[21]. »

Les rapports dans lesquels on était avec l’Angleterre firent penser qu’on ne devait cependant pas lui opposer un refus sans correctif, et pour lui donner une marque de déférence, pour marquer le zèle dont on était animé contre la traite des noirs, on présenta aux chambres une loi qui punissait de peines plus sévères ceux qui s’y livreraient[22]. Cette loi, reçue avec quelque ombrage, parce qu’elle paraissait venir de l’étranger, fut votée en silence, comme l’avaient été celles que la contrainte de l’occupation avait arrachées pour des contributions de guerre et pour des cessions de territoire. On rendit bientôt après une ordonnance qui établissait une croisière sur la côte d’Afrique pour en assurer l’exécution.

L’Angleterre ne se rebuta pas pour cela ; elle renouvela ses instances auprès des puissances, au congrès d’Aix-la-Chapelle, convoqué pour régler le mode de libération du territoire de la France. Le duc de Richelieu fit la réponse qu’il avait déjà faite, et persista dans son refus. Les autres puissances l’imitèrent. La Russie insista sur ce que le droit de visite réciproque demandé par l’Angleterre ne pouvait avoir d’effet qu’autant qu’on obtiendrait l’adhésion de toutes les puissances sans exception, de manière à ce que les bâtimens négriers ne pussent emprunter, pour se mettre à l’abri de la visite, le pavillon d’aucune d’elles, et sur ce qu’on ne pouvait se flatter d’arriver à une telle unanimité. « Autant il est vrai, dit-elle, que l’établissement universel du droit de visite réciproque contribuerait à faire atteindre le but, autant il est incontestable que le concert devient illusoire, pour peu qu’un seul état maritime se trouve dans l’impossibilité d’y adhérer. Or, la Russie ne saurait prévoir une accession aussi unanime. Il lui paraît hors de doute qu’il existe des états qu’aucune considération ne pourra décider à se soumettre à un principe nouveau, d’une si haute importance. Dès-lors, on ne peut se dissimuler qu’il faut chercher dans un système différent le moyen d’extirper le commerce des noirs. » Et à la suite de ces réflexions, le cabinet russe proposait l’établissement, sur la côte d’Afrique, d’une sorte de chevaliers de Malte, recrutés parmi toutes les nations, qui auraient pour mission de courir sus aux bâtimens négriers, et qui, suffisans pour cette tâche, seraient cependant trop faibles pour abuser de leur droit, et pour exciter les ombrages des puissances dont ils tiendraient leur pouvoir[23].

Repoussée à Aix-la-Chapelle, l’Angleterre revint à la charge à Vérone, dans le congrès qui avait pour but les affaires de la Grèce et de l’Espagne. Elle demanda de nouveau que le droit de visite réciproque fût consenti, et ne réussit pas mieux. M. de Châteaubriand répondit pour la France, « que si celle-ci pouvait consentir à ce qui lui était demandé, cette concession aurait les suites les plus funestes. Le caractère national des deux peuples anglais et français s’y opposait ; s’il était besoin de preuve à l’appui de cette opinion, il suffirait de se rappeler que cette année même, en pleine paix, le sang français avait coulé sur le rivage d’Afrique. La France reconnaissait la liberté des mers pour tous les pavillons. Elle ne réclamait pour elle que l’indépendance qu’elle respectait dans les autres, et qui était nécessaire à sa dignité. »

Les États-Unis avaient été sollicités dans le même temps d’accorder leur adhésion, et on put croire un moment qu’ils céderaient. Leur ministre à Londres signa, en 1824, une convention qui consentait, dans certaines zones, le droit de visite réciproque ; mais, quand le traité arriva aux États-Unis, il fut repoussé par l’opinion. La vieille aversion pour le droit de visite se réveilla dans toute sa force, et le sénat, auquel appartenait la ratification du traité, y mit deux conditions : l’une que les mers d’Amérique seraient retranchées de celles où pouvait s’exercer le droit de visite, l’autre que le traité pourrait être toujours résilié à la volonté des parties en prévenant six mois d’avance. De telles restrictions équivalaient à un refus de ratification ; on ne put s’accorder avec le gouvernement anglais, et le traité n’eut pas d’autre suite.

Telle était la situation des choses quand la révolution de 1830 éclata en France et changea le gouvernement du pays. L’Angleterre, en quinze ans d’efforts, n’avait obtenu que l’adhésion de l’Espagne, du Portugal et des Pays-Bas ; les autres puissances refusaient d’abandonner un principe pour lequel elles avaient long-temps combattu, et à leur tête figuraient la France et les États-Unis, dont l’exemple devait être tout puissant sur elles.

La nouvelle situation de la France inspira à l’Angleterre l’espoir de mieux réussir auprès d’elle : la première, elle avait reconnu le gouvernement né de la révolution ; ce gouvernement était vu avec défiance par d’autres et pouvait craindre qu’une coalition des souverains absolus ne se formât contre lui. Le cabinet anglais, avec cette persévérance qu’il apporte dans tous ses desseins, reprit son œuvre interrompue et demanda que le droit de visite réciproque fût consenti par la France. Il invoqua les droits de l’humanité violés par la continuation de la traite, et l’honneur qui résulterait pour le gouvernement de juillet d’un concours plus efficace accordé pour la répression de cet odieux trafic. L’alliance de l’Angleterre était importante à ménager ; tout traité fait avec elle semblait la resserrer, et certains membres du gouvernement, il est juste de le dire, animés de l’esprit de Wilberforce, étaient particulièrement touchés des grands principes de la liberté humaine, plus disposés par conséquent à voir les avantages de la mesure que ses dangers ; ils avaient fait adopter peu de temps auparavant (le 4 mars 1831) une loi terrible contre la traite, qui punissait de peines infamantes jusqu’aux bâilleurs de fonds et aux assureurs. La demande de l’Angleterre, par ces diverses causes, fut mieux accueillie qu’à d’autres époques ; on entra en négociation avec elle, et une convention fut signée le 30 novembre 1831, par laquelle les deux gouvernemens s’accordèrent réciproquement le droit de visite. Cette convention détermina les latitudes dans lesquelles le droit pourrait s’exercer ; c’étaient celles que devaient nécessairement traverser les bâtimens qui se livreraient à la traite, soit pour aller acheter les noirs, soit pour les transporter à leur destination. Il fut dit qu’une convention spéciale fixerait chaque année le nombre des croiseurs de chaque nation, qui ne pourrait différer de plus du double ; que les croiseurs de chaque nation seraient commissionnés par l’autre pour pouvoir visiter les bâtimens de celle-ci ; que tout bâtiment retenu comme suspect serait conduit dans la colonie la plus voisine de la nation à laquelle il appartenait, pour y être jugé d’après les lois de son pays ; que les deux gouvernemens enfin agiraient de concert pour mener les autres puissances à adhérer au traité. Une autre convention du 22 mars 1833, publiée en même temps que la première, et qui ne fixa pas davantage l’attention au milieu des troubles et des crises ministérielles dont le pays était agité, expliqua de quelle manière les navires retenus seraient conduits dans un port de leur nation et livrés à leurs juges ; la part qu’auraient les capteurs dans le produit de la confiscation ; les signes qui autoriseraient de retenir les navires comme suspects, tels que la disposition intérieure, la nature et la quantité des approvisionnemens de ces navires, la présence de certains instrumens. On indiqua enfin les lieux où les bâtimens capturés devraient être conduits, et les formalités à remplir, en cas d’abus dans l’exercice du droit de visite, pour en obtenir le redressement.

Les deux gouvernemens, conformément à ces conventions, envoyèrent des croisières et se délivrèrent réciproquement des commissions pour leurs croiseurs respectifs. L’exemple de la France et ses démarches, jointes à celles de l’Angleterre, amenèrent l’adhésion du Danemark, de la Sardaigne, de la Suède, de Naples, de la Toscane et des villes libres. Dix ans on vécut sous ce régime, et si on s’en était tenu là, si surtout la bonne intelligence avait continué de régner entre la France et l’Angleterre, il aurait pu durer un certain temps encore sans fixer l’attention publique et sans que rien avertît de son danger. Mais l’Angleterre et la France s’étaient engagées, par le traité de 1831, à solliciter l’adhésion de toutes les puissances. Elles agirent à cet effet auprès des cours de Vienne, de Berlin et de Saint-Pétersbourg ; l’Angleterre surtout se donna beaucoup de mouvement, espérant, par cet accord unanime, en imposer aux États-Unis, et obtenir d’eux quelque concession. Les trois cours finirent par consentir ; seulement, leur dignité ne leur permettant pas de donner une simple adhésion à des traités à la négociation desquels elles n’avaient point pris part, il fallut en préparer un nouveau. Plusieurs fois le cabinet anglais communiqua des projets à celui des Tuileries ; ce ne fut qu’en 1838 qu’il obtint de l’ambassadeur de France à Londres la signature d’un protocole à présenter aux trois cours. Ce protocole n’était pas la simple reproduction des conventions de 1831 et 1833. L’Angleterre y avait fait donner plus d’extension aux zones dans lesquelles le droit de visite pourrait être exercé ; il comprenait toute la côte des États-Unis et les mers qui baignent la partie septentrionale de l’Amérique et de l’Europe, au-dessus du 32e degré de latitude nord, en sorte que toute la navigation entre l’Europe et les États-Unis y était enveloppée, et tous les navires qui allaient d’un continent à l’autre pouvaient être visités. Trois années se passèrent en négociations avec les cours de Pétersbourg, de Berlin et de Vienne, avant qu’on fût d’accord sur la rédaction définitive du traité. La Russie s’alarma de l’extension donnée au droit de visite : elle demanda et obtint que la côte septentrionale des États-Unis en demeurât affranchie ; le traité enfin fut signé par les représentans des cinq cours, le 20 décembre 1841, non point aussi étendu que le projet de 1838, mais soumettant au droit de visite des mers qui n’y étaient pas comprises par les conventions de 1831 et 1833.

Cependant les dispositions n’étaient plus les mêmes en France qu’à l’époque où ces conventions avaient été signées, et cette fois le traité ne passa pas inaperçu. L’Angleterre, par le traité du 15 juillet 1840, s’était séparée de la France sur les affaires d’Orient, et avait excité chez celle-ci une vive émotion et un profond ressentiment ; à la nouvelle du traité, ce ressentiment éclata, et la vieille rivalité nationale qu’on avait réveillée se fit jour. La presse cita plusieurs exemples de bâtimens français maltraités. Elle montra les marins anglais rudoyant nos matelots, brisant les écoutilles, bouleversant la cargaison, consommant ou enlevant les provisions ; le bâtiment arrêté dans sa marche ; ou même envoyé, sur de frivoles prétextes, pour se faire juger au loin, et ne pouvant, après son acquittement, obtenir une indemnité de ses pertes ; sa spéculation, pendant ce temps, manquée et faite par les Anglais, qui en ont eu connaissance par les papiers de bord ; nos armateurs découragés n’osant plus se livrer au commerce avec l’Afrique, et ce commerce, qui serait susceptible de s’accroître, devenant, grace au droit de visite, le privilége exclusif des Anglais. « Que les conventions de 1831 et 1833 eussent été consenties dans un moment où on n’en prévoyait pas les inconvéniens, et où les deux nations étaient alliées, cela se comprenait, mais après l’expérience faite de leurs dangers, et surtout après le traité du 15 juillet, par lequel l’Angleterre avait brisé l’alliance, donner à ces conventions une consécration nouvelle, et les étendre à d’autres mers, serait aussi contraire à la dignité qu’à la politique de la France. »

Une circonstance contribua à fortifier cette disposition des esprits. L’Angleterre, en même temps qu’elle négociait avec la France et les trois grandes puissances pour la signature du traité, avait négocié avec les États-Unis, non plus pour obtenir leur adhésion au droit de visite réciproque, qu’ils étaient résolus de ne jamais accorder, mais pour qu’ils permissent du moins à ses croiseurs, quand ils rencontreraient un bâtiment portant pavillon américain, de s’assurer qu’il était bien américain. On publia une correspondance entre le ministre des affaires étrangères d’Angleterre et le ministre des États-Unis à Londres, sur ce sujet. Le ministre anglais y soutenait que, sans cette vérification, la répression de la traite était impossible, et les traités entre les puissances complètement vains. Tout bâtiment négrier rencontré par les croiseurs, à quelque nation qu’il appartînt, arborerait le pavillon américain et se mettrait ainsi à l’abri de la visite. Les États-Unis ne pouvaient refuser aux cinq puissances unies pour la répression de la traite le moyen d’accomplir leurs vues bienfaisantes, quand ce moyen ne portait aucune atteinte à leurs droits. On promettait que, si le bâtiment était reconnu véritablement américain, il serait laissé libre de continuer sa route, fût-il chargé de noirs. Les notes du ministre anglais donnaient à entendre que, si les États-Unis, par une jalousie exagérée de l’inviolabilité de leur pavillon, ne consentaient pas à la vérification demandée, les puissances se passeraient de leur consentement et ne se laisseraient pas arrêter par un morceau d’étamine, dans l’accomplissement de la généreuse mission qu’elles s’étaient donnée. Le ministre américain répondait que le droit qu’on prétendait exercer, c’était encore le droit de visite sous une autre forme, puisqu’il ne pouvait s’exercer qu’en visitant le bâtiment, en examinant son équipage, et en fouillant dans ses papiers. On pouvait, sans doute, usurper le pavillon des États-Unis pour la traite des noirs comme pour la piraterie, mais ils se réservaient, dans un cas comme dans l’autre, de réprimer eux-mêmes cette usurpation en visitant les bâtimens qui en seraient soupçonnés. Ils ne pouvaient déléguer à personne le droit de s’immiscer dans la police de leur navigation, de vérifier les papiers de bord de leurs bâtimens et de décider de leur nationalité. On savait trop à quels excès les marins anglais, une fois sur le bâtiment et ayant la force en main, pouvaient se livrer. Que si la marine anglaise, soupçonnant un bâtiment de porter faussement le pavillon américain, le visitait, ce ne serait pas en vertu d’un droit à elle concédé, mais par exception et à ses risques et périls. Si l’évènement justifiait ses soupçons, elle serait justifiée ; mais, dans le cas contraire, elle serait responsable vis-à-vis des propriétaires du navire dont elle aurait lésé les intérêts et vis-à-vis du gouvernement américain dont elle aurait violé le pavillon. Cette responsabilité serait plus ou moins grande suivant la conduite qu’on aurait tenue à bord du navire et selon que les motifs qui auraient autorisé les soupçons seraient plus ou moins légitimes. Ces principes avaient suffi jusqu’alors pour assurer la répression de la piraterie, ils suffiraient encore pour la réprimer comme pour réprimer la traite des noirs. Les États-Unis avaient eu trop à souffrir du droit de visite pour lui ouvrir la porte, sous quelque forme que ce fût. Ils ne permettraient pas, en temps de paix, une inquisition qu’ils avaient repoussée en temps de guerre, et, si on tentait de l’exercer malgré eux, ils sauraient faire respecter ce morceau d’étamine dont on parlait avec tant de dédain. »

Une telle correspondance, publiée en France dans le moment où la même question allait s’y agiter, ne pouvait manquer d’agir fortement sur les esprits. Le ministre des États-Unis à Paris ne resta pas non plus inactif. Sentant toute la gravité, pour son pays, du traité conclu entre la France et l’Angleterre, il présenta, le 13 février, au ministre des affaires étrangères une note qui fut publiée quelque temps après, dans laquelle il témoignait son regret de voir la France s’engager dans cette politique, et demandait si elle induirait du traité, comme l’Angleterre, la nécessité de vérifier la nationalité des bâtimens américains, auquel cas la paix serait inévitablement troublée entre les deux pays. Il rappelait les luttes qu’ils avaient soutenues ensemble pour la liberté des mers. Verrait-on, disait-il, la France déserter cette cause et se ranger du côté de l’Angleterre contre les États-Unis, après que les deux nations avaient si long-temps combattu sous le même drapeau ? Une brochure, qui lui fut attribuée, parut dans le même temps, pleine du récit des maux causés par le droit de visite. Elle rappelait les paroles par lesquelles un Anglais lui-même, lord Stowell, avait condamné d’avance la prétention élevée aujourd’hui par son gouvernement, de vérifier la nationalité des bâtimens américains malgré eux. Lord Stowell, tout en maintenant le droit de visite en temps de guerre, revendiqué par son pays, n’admettait pas qu’on pût l’exercer en temps de paix sans le consentement des parties. « Aucune nation, avait-il dit, ne pouvait exercer un droit de visite sur les bâtimens dans les portions communes de l’Océan qu’à titre de puissance belligérante ; aucune n’avait le droit de poursuivre l’émancipation de l’Afrique par la force aux dépens des libertés de l’Europe ou de l’Amérique. Il n’était pas permis, en vue de l’avantage le plus grand, de recourir à des moyens illicites, et, pour faire triompher un principe, de renverser les principes non moins sacrés qui lui faisaient obstacle. » L’auteur, à l’appui de ces plaintes contre la marine anglaise, citait aussi ce passage d’un journal anglais (le Sun), qui contenait l’aveu de sa conduite : « L’habitude de l’arbitraire parmi nos officiers de marine, disait-il, est engendrée et entretenue par notre mode de recrutement naval ; et cette habitude, ils ne font pas difficulté de s’y livrer dans la visite des bâtimens étrangers. » On lisait enfin, dans la brochure, cette déclaration, que toute tentative de la part de l’Angleterre pour soumettre à la visite le pavillon des États-Unis serait le signal de la guerre entre les deux nations, aussi certainement que le soleil de demain se lèverait sur elles.

Ce fut sous ces auspices que s’ouvrit la session des chambres françaises. Le traité du mois de décembre, comme chacun s’y attendait, fut tout d’abord attaqué, à l’occasion de l’adresse, dans la chambre élective. L’opposition se plaignit qu’après le traité du 15 juillet, par lequel l’Angleterre s’était séparée de la France, on lui eût fait une semblable concession ; elle reproduisit tous les reproches faits au droit de visite en général, et cita de nouveaux exemples des abus produits par les conventions de 1831 et de 1833, des violences exercées sur nos bâtimens, des préjudices causés à notre commerce ; elle demanda pourquoi aucun bâtiment anglais n’avait eu à former de semblables plaintes contre notre marine ? Cela ne venait-il pas de ce que nous ne les visitions point, ou les visitions avec plus d’égards et de modération ? Elle en conclut que la réciprocité n’était qu’illusoire, et que, loin d’étendre les conventions de 1831 et 1833, il faudrait les abolir. Un amendement fut proposé par elle, dont le but était d’empêcher la ratification du traité dont elle se plaignait. Les plaintes de l’opposition trouvèrent cette fois de la sympathie dans la majorité, et tout ce que purent faire les amis du ministère pour dissimuler sa défaite et pour empêcher l’adoption de l’amendement de l’opposition, ce fut d’en présenter un eux-mêmes, un peu différent dans la forme, mais semblable dans le fond ; il était ainsi conçu : « Nous avons la confiance qu’en accordant son concours à la répression d’un trafic criminel, votre gouvernement saura préserver les intérêts de notre commerce et l’indépendance de notre pavillon. » L’auteur de l’amendement expliqua qu’il avait pour but d’empêcher la ratification du traité, et il ajouta qu’à ses yeux, ceux de 1831 et de 1833 étaient inutiles, parce que la traite était réduite à de telles proportions, que les moyens ordinaires suffisaient parfaitement pour la réprimer. L’amendement, ainsi expliqué, fut voté, malgré les ministres, par une immense majorité. La discussion contribua autant que le vote à discréditer le traité qui en était le sujet, parce qu’on vit les cabinets qui s’étaient succédé au pouvoir en rejeter l’un sur l’autre la responsabilité. Enfin, le ministre des affaires étrangères, pressé de dire, après l’adoption de l’amendement, s’il ratifierait ou non le traité, déclara qu’en présence du vote de la chambre, il ne le ratifierait point, tel du moins qu’il était conçu. Le refus de ratification fut en effet notifié au cabinet anglais, et celui-ci ne dut pas en être médiocrement blessé, car, dans le discours de la couronne prononcé à l’ouverture du parlement, la reine avait annoncé que c’était chose conclue, et que les cinq puissances avaient signé le traité. L’opposition, dans la chambre des communes, en fit un sujet d’interpellation. Le ministre des affaires étrangères du dernier cabinet demanda au premier ministre s’il était vrai que la France refusât de ratifier le traité. Ce refus ne lui paraissait pas probable, parce qu’aucune des circonstances qui autorisent un refus de ratification ne se rencontrait en cette occasion. Le représentant de la France signataire du traité n’avait pas agi sans autorisation ; il n’avait pas dépassé ses pouvoirs. La France, au contraire, s’était unie à l’Angleterre pour proposer ce traité aux trois autres puissances, et rien n’avait été fait que de concert avec elle. M. Peel répondit qu’il conservait en effet l’espoir que le traité serait ratifié, et que le protocole restait ouvert pour recevoir la signature de la France, quand elle jugerait à propos de la donner.

Les chambres se séparèrent dans cette situation, et peu après parut une lettre du ministre des affaires étrangères d’Angleterre au conseil de l’amirauté, par laquelle, informé que des violences étaient commises par la marine anglaise dans l’exercice du droit de visite, il chargeait le conseil de donner des instructions aux commandans des croisières, pour qu’ils agissent avec plus de modération. C’était reconnaître la justice des plaintes portées dans les chambres françaises. Le dernier cabinet, de qui ces croisières tenaient leurs instructions, se plaignit amèrement de ce que ses successeurs condamnaient aussi légèrement la marine anglaise et la livraient à l’animadversion des étrangers ; on lui répondit que les juges de la couronne consultés avaient jugé ses instructions illégales, et que le devoir de ses successeurs avait été de réparer le mal qu’il avait fait. Cet acte du cabinet anglais, fait à bonne intention, tourna contre son but, parce qu’il fit sentir le défaut d’égalité dans l’association des deux marines anglaise et française. Qu’était-ce, en effet, pour celle-ci, qu’une justice et une modération qui dépendaient du bon vouloir de l’autre, et qui étaient subordonnées au caractère hostile ou bienveillant du ministre qui occupait le pouvoir ? La France ne pouvait être flattée de se trouver dans une position semblable.

Cependant le protocole restait toujours ouvert, et on se demandait comment finirait ce débat. Le cabinet français obtiendrait-il quelque modification, et, moyennant cela, se déterminerait-il à ratifier, ou se séparerait-il définitivement des quatre puissances, et le traité serait-il conclu sans lui ? Ce qui se passait en Amérique devait avoir sur la politique du cabinet dans cette affaire une grande influence.

L’Angleterre, obérée dans ses finances, menacée dans sa tranquillité intérieure par la stagnation des fabriques et la misère du peuple, obligée de faire face, au dehors, à la guerre de la Chine et aux désastres de l’Inde, avait voulu s’assurer du moins la paix avec les États-Unis. Elle y avait envoyé, dans cette vue, un négociateur d’un haut rang, lord Ashburton, autrefois M. Baring, que ses vastes relations commerciales en Amérique et le mariage qu’il y avait contracté rendaient plus propre qu’aucun autre à régler les différends entre les deux pays. Le droit de visite, ou du moins le droit de vérifier la nationalité du pavillon américain, devait être un des objets de la négociation. La France était impatiente de savoir ce que feraient les États-Unis : accorderaient-ils, sous une forme quelconque, le droit de visite ? L’opinion du pays se rallierait alors plus aisément à une concession semblable. Persisteraient-ils, au contraire, dans leur refus ? Il deviendrait plus difficile que jamais de ratifier le traité.

On apprit bientôt que lord Ashburton n’avait rien obtenu, et que l’Angleterre avait reculé. Le traité conclu le 9 août n’accordait ni le droit de visite réciproque ni celui de vérifier le pavillon. Il statuait simplement que les deux gouvernemens entretiendraient des croisières pour surveiller chacun, séparément et à part, les bâtimens de la nation et les empêcher de se livrer à la traite. C’était précisément le système qui avait prévalu dans la discussion des chambres françaises, et dont le vœu avait été exprimé par leur amendement. Le traité des États-Unis donnait à ce vœu encore plus de force, et toute pensée de ratifier le traité sans de profondes modifications devait être abandonnée. Quelles modifications avaient été demandées ? c’est ce qu’on ignore, mais tout annonce qu’elles reçurent un mauvais accueil.

Quoi qu’il en soit, le cabinet français jugea que le moment était venu de demander lui-même la clôture du protocole. Le laisser plus long-temps ouvert n’avait pour lui que des inconvéniens. La nouvelle session approchait, et il ne fallait pas qu’on pût le soupçonner de vouloir ratifier. Ce soupçon lui attirerait de nouveaux orages. Il demanda donc et obtint sans difficulté que le protocole, resté ouvert à sa demande, fût fermé. La note qui en demandait la clôture donnait, dit-on, pour motif du refus définitif de ratification, l’opposition rencontrée dans les chambres ; à quoi le cabinet anglais répondit qu’il ne pouvait admettre un pareil motif, parce qu’il n’était pas de ceux qui autoriseraient ce refus, et parce que l’opposition des chambres françaises rencontrait un sentiment contraire dans le parlement anglais, qui autoriserait le cabinet de Londres à insister. « Retirez, aurait-il dit, votre note, et demandez simplement la clôture du protocole ; elle sera prononcée. » Sur quoi la note aurait été retirée. Le traité a donc été définitivement conclu à quatre, et ainsi se sont reproduites jusqu’au bout toutes les circonstances du traité du 15 juillet : — négociation entamée par un ministère, poursuivie par d’autres, et venant mourir dans les mains d’un dernier cabinet qui en recueille toute l’amertume ; — influence de la chambre élective se jetant à la traverse d’une négociation et lui imprimant une direction différente qui empêche, en 1839, d’adhérer à l’amoindrissement de l’Égypte, en 1842, d’adhérer au droit de visite ; — concert provoqué par la France pour régler une question à cinq et se terminant par un traité à quatre dont elle est exclue.

Ce résultat n’était pas encore connu aux États-Unis quand le congrès s’est rassemblé, mais on a vu par le message du président du 5 décembre qu’ils ont applaudi aux efforts de leur ministre à Paris pour l’obtenir, et qu’ils se flattent que les puissances de l’Europe aboliront entièrement le principe dangereux qu’elles ont laissé s’établir[24]. Tels sont les principaux faits auxquels a donné lieu, dans le siècle dernier et dans celui-ci, la question du droit de visite. On y voit quelle importance elle a toujours eue dans les guerres maritimes, et que ce droit, toujours exercé par l’Angleterre, n’a pas cessé d’être contesté par les neutres, qui l’ont combattu tantôt par des protestations, tantôt par la force des armes.

La question prend aujourd’hui une nouvelle face. Il ne s’agit plus du droit de visite exercé, en temps de guerre, sur les neutres, malgré eux, mais d’un droit réciproque, exercé en temps de paix, sur les bâtimens des nations qui l’ont consenti, et dans un but spécial et déterminé. Le gouvernement de la restauration l’avait refusé aux instances de l’Angleterre ; le gouvernement de juillet l’a accordé. Je crois que le premier avait raison et que le second s’est trompé.

Si la répression de la traite des noirs ne pouvait être obtenue qu’à cette condition, ce serait une question de savoir si on a dû sacrifier à cet intérêt, tout grand qu’il est, celui de la paix de l’Europe, que des collisions nées de l’exercice de ce droit pouvaient compromettre, si on a dû lui sacrifier aussi le respect pour un principe qui, dans les temps de guerre maritime, fait la force de la France. Mais, en 1831, la traite était déjà considérablement réduite par le seul effet de la police que chaque gouvernement exerçait sur ses nationaux, et nul doute que ce système, joint aux lois plus sévères adoptées à cette époque et au nouveau régime des colonies, n’eût suffi pour détruire le commerce des noirs. Et qu’on ne dise pas que le droit de visite, ainsi établi, ne portait aucune atteinte au respect du pavillon, en temps de guerre, et que l’exception, ici comme ailleurs, a confirmé la règle. L’Angleterre ne l’a pas ainsi entendu. Elle a maintenu son droit de visite en temps de guerre, et a pu trouver de l’avantage à y accoutumer les peuples en temps de paix. La France, en concourant à affaiblir chez les peuples la jalouse susceptibilité du pavillon, risquait de ne pas la retrouver, dans le temps du besoin, aussi forte qu’elle avait été. On ne pouvait demander aux marins russes et suédois de se laisser visiter aujourd’hui par les Anglais, et de regarder, en temps de guerre, comme un sacrilége l’entrée d’un Anglais sur leur bâtiment. Un tel sentiment ne peut pas mourir et renaître suivant les temps, pas plus que suivant les latitudes ; s’il faut y renoncer en-deçà de l’équateur, on ne le retrouvera pas en passant la ligne.

Il y avait d’ailleurs les États-Unis, dont l’alliance devait dominer toute autre considération. Leur refus, depuis 1824, d’accéder au droit de visite réciproque était connu. Il importait de ne pas se séparer d’eux sur cette question. C’est sur eux, maintenant, que repose, en cas de guerre maritime, toute l’espérance de la France, pour la défense des droits des neutres. Il n’était pas indifférent de défendre avec eux les mêmes principes de droit maritime, de conserver la même religion.

Les États-Unis ont montré, en 1812, ce qu’ils peuvent faire. Ils ont commencé par des protestations, et fini par la guerre. Leur population n’était alors que de six millions d’habitans, leur marine se composait de huit ou dix frégates. Ils ont contraint avec cela l’Angleterre à affaiblir, par deux fois, son armée d’Espagne pour les combattre, et ont occupé une partie de sa marine. Que ne feraient-ils pas aujourd’hui avec dix-huit millions d’habitans, dix vaisseaux de ligne et vingt frégates ! De quoi ne seront-ils pas capables dans vingt ans, quand ils auront trente à quarante millions d’habitans ! et quelle force la France ne peut-elle pas trouver dans cette alliance, si elle prend soin de la ménager ! En vain les États-Unis ont déclaré, en 1812, qu’ils n’étaient les alliés de personne, qu’ils ne prenaient les armes que pour leur propre cause, et qu’ils les déposeraient aussitôt que l’Angleterre aurait fait droit à leurs griefs. C’était un hommage rendu aux principes de Washington, qui leur avait recommandé de ne point se mêler aux querelles des autres ; mais ils n’en étaient pas moins les alliés de fait de Napoléon, qui, s’il s’était tenu dans les limites d’une guerre possible et n’avait pas autant défié la fortune, eût pu recueillir les plus grands avantages de cette diversion. L’alliance qui s’est produite alors se produirait encore. Que la guerre éclatât entre la France et l’Angleterre ; la marine anglaise visiterait inévitablement les bâtimens des États-Unis, et ceux-ci seraient entraînés dans la guerre. Les deux pays sont indissolublement unis sur ce terrain, si nous savons nous y tenir, et on peut dire qu’il n’existe entre l’Angleterre et les États-Unis qu’un armistice, dont la France dénoncera le terme quand elle voudra. La France enfin, par sa marine, la première après celle de l’Angleterre, est destinée à être le point d’appui et le lien des marines secondaires. Elle devait conserver dans ses mains le drapeau sous lequel elles se sont toujours ralliées, qui porte cette devise : Point de droit de visite.

Mais de ce qu’on se serait trompé en 1831 et 1833, ou de ce qu’on aurait sacrifié à un intérêt du moment qui n’existerait plus, s’ensuivrait-il qu’on aurait le droit de rompre immédiatement les conventions ? Je ne le pense pas. Les conventions, malheureusement, ne contiennent aucune disposition qui assigne un terme quelconque à leur durée. L’Angleterre, qui ne pouvait jamais en éprouver de préjudice, n’avait aucun intérêt à faire déterminer ce terme ; mais nous, n’étions-nous pas avertis par le refus qu’avait fait la restauration de consentir au droit de visite réciproque, des dangers qu’il pouvait avoir ? N’était-ce pas le cas d’exiger qu’il fût soumis, ou bout d’un certain temps, à une révision, à la nécessité d’un renouvellement, comme cela se pratique pour les traités de commerce ? L’Angleterre y aurait consenti. Elle avait consenti, en 1824, à la clause introduite par les États-Unis, portant que le traité pourrait être résilié, en tout temps, à la volonté des parties, en prévenant six mois d’avance, et ce n’est pas sur cette clause que le traité fut rompu. Cependant, faute d’une clause résolutoire, un traité qui impose l’obligation d’entretenir une force navale sur pied ne saurait être perpétuel. Tout traité dans lequel n’est pas exprimé le temps précis de sa durée prend fin de deux manières, ou parce que le but en est atteint, ou parce qu’on reconnaît l’impossibilité de l’atteindre. Le but des conventions de 1831 et 1833 est l’extirpation de la traite des noirs. Cet odieux trafic, s’il faut en croire l’auteur de l’amendement dans la chambre élective, a cessé ou est près de cesser. Ce doit être là le sujet d’une enquête entre la France et l’Angleterre. D’un autre côté, l’Angleterre a reconnu, dans les négociations avec les États-Unis, comme l’avait fait avant elle la Russie, que le refus d’une seule puissance maritime d’adhérer au droit de visite réciproque rendait vains les traités qui le consacrent, et l’article 9 de la convention de 1831 indique assez que tout le système avait été conçu dans l’espoir d’un concert unanime. Or la puissance qui, après l’Angleterre, possède la marine marchande la plus nombreuse, et dont le pavillon pourrait le plus favoriser la continuation de la traite, est définitivement en dehors des conventions, et l’Angleterre elle-même, par un traité fait avec elle, vient de consacrer cette brèche immense au système de visite réciproque, et de revenir au droit commun, qui est la police faite par chaque nation sur ses bâtimens. Il y a là encore une raison pour que les traités de 1831 et 1833 soient soumis, dans une époque rapprochée, à une révision. On chercherait en vain dans le texte de ces traités un moyen plus prompt de résiliation : celui de 1831 dit bien que le nombre des bâtimens croiseurs sera fixé chaque année entre les deux gouvernemens ; mais, s’il donne par là le droit de les réduire, il ne donne pas celui de les supprimer entièrement. Pourquoi emploierait-on un subterfuge indigne d’une grande nation, quand on peut obtenir le même résultat par des moyens plus dignes d’elle ? La France, en rompant violemment les traités, manquerait au droit des gens dans le moment même où elle lui fait appel et en veut rétablir les principes. En employant, au contraire, la voie des négociations, en se prévalant du changement qui peut s’être opéré dans la traite des noirs, et du traité conclu par l’Angleterre avec les États-Unis, elle aura pour elle le droit et la raison.


Pelet de la Lozère.
  1. Février 1780.
  2. 16 décembre 1800.
  3. Free ship, free good.
  4. Février 1790.
  5. 30 septembre 1800.
  6. 6 mai 1806.
  7. 21 novembre 1808.
  8. 11 novembre 1807.
  9. 17 décembre 1807. — Il faut voir dans quels termes véhémens s’exprimait Napoléon.

    « Vu les dispositions arrêtées par le gouvernement britannique, en date du 11 novembre dernier, qui assujettissent les bâtimens des puissances neutres, amies et même alliées de l’Angleterre, non-seulement à une visite par les croiseurs anglais, mais encore à une station obligée en Angleterre et à une imposition arbitraire de tant pour cent sur leur chargement, qui doit être réglée par la législation anglaise ;

    « Considérant que par ces actes le gouvernement anglais a dénationalisé les bâtimens de toutes les nations de l’Europe ; qu’il n’est au pouvoir d’aucun gouvernement de transiger sur son indépendance et sur ses droits, tous les souverains de l’Europe étant solidaires de la souveraineté et de l’indépendance de leur pavillon ; que si, par une faiblesse inexcusable, et qui serait une tache ineffaçable aux yeux de la postérité, on laissait passer en principe et consacrer par l’usage une pareille tyrannie, les Anglais en prendraient acte pour l’établir en droit, comme ils ont profité de la tolérance des gouvernemens pour établir l’infâme principe que le pavillon ne couvre pas la marchandise, et pour donner à leur droit de blocus une extension arbitraire et attentatoire à la souveraineté de tous les états ;

    « Nous avons décrété et décrétons ce qui suit :

    « Art. 1er . — Tout bâtiment, de quelque nation qu’il soit, qui aura souffert la visite d’un vaisseau anglais, ou se sera soumis à un voyage en Angleterre, ou aura payé une imposition quelconque au gouvernement anglais, est, par cela seul, f déclaré dénationalisé, a perdu la garantie de son pavillon et est devenu propriété anglaise.

    « Art. 2. — Soit que lesdits bâtimens, ainsi dénationalisés par les mesures arbitraires du gouvernement anglais, entrent dans nos ports ou dans ceux de nos alliés, soit qu’ils tombent au pouvoir de nos vaisseaux de guerre ou de nos corsaires, ils sont déclarés de bonne et valable prise.

    « Art. 3. — Les îles britanniques sont déclarées en état de blocus sur mer comme sur terre.

    « Tout bâtiment, de quelque nation qu’il soit, quel que soit son chargement, expédié des ports d’Angleterre, ou des colonies anglaises, ou des pays occupés par les troupes anglaises, ou allant en Angleterre, ou dans les colonies anglaises, ou dans des pays occupés par les troupes anglaises, est de bonne prise, comme contrevenant au présent décret ; il sera capturé par nos vaisseaux de guerre ou par nos corsaires, et adjugé au capteur.

    « Art. 4. — Ces mesures, qui ne sont qu’une juste réciprocité pour le système barbare adopté par le gouvernement anglais, qui assimile sa législation à celle d’Alger, cesseront d’avoir leur effet pour toutes les nations qui sauraient obliger le gouvernement anglais à respecter leur pavillon.

    « Elles continueront d’être en vigueur pendant tout le temps que ce gouvernement ne reviendra pas aux principes du droit des gens, qui règle les relations des états civilisés dans l’état de guerre. Les dispositions du présent décret seront abrogées et nulles par le fait dès que le gouvernement anglais sera revenu aux principes du droit des gens, qui sont aussi ceux de la justice et de l’humanité. »

  10. Juin 1807.
  11. 23 novembre 1809.
  12. Bill du 1er  mai 1810.
  13. 2 mars 1811.
  14. Décret du 28 avril 1811 :

    « Napoléon, empereur des Français, etc. — Sur le rapport de notre ministre des affaires étrangères, portant que, par acte du 2 mars 1811, le congrès des États-Unis a interdit l’entrée de ses ports au commerce anglais, résistant ainsi, autant qu’il était en lui, à la domination exclusive de l’Angleterre sur les mers et à la violation du droit des neutres, nous avons décrété :

    « Les décrets de Berlin et de Milan sont révoqués, en ce qui concerne les États-Unis, à dater du 1er  novembre dernier. »

  15. 1er  juin 1812.
  16. 18 juin 1812.
  17. 28 janvier 1815.
  18. La Guerrière, la Macédonienne, la Java, la Cyane.
  19. La Chesapeake, l’Esse, les États-Unis.
  20. Traité de Gand du 24 décembre 1814.
  21. Supplément aux Traités de Martens ; Goettingue, 1842, t. III, p. 162.
  22. Loi du 15 avril 1818.
  23. Supplément aux Traités de Martens ; Goettingue, 1842, t. III, p. 100.
  24. Le président, rendant compte du traité fait avec l’Angleterre, dit :

    « Après la question des frontières, la plus menaçante était celle relative à la traite des noirs. Le traité de Gand a stipulé que, le trafic des esclaves étant inconciliable avec la justice et l’humanité, l’Angleterre et les États-Unis feraient tous leurs efforts pour arriver à l’entière abolition de ce trafic ; mais, par suite des traités conclus entre l’Angleterre et les autres puissances sur le même objet, un abus tendait à s’établir, celui de la visite des bâtimens américains, sous prétexte d’en vérifier la nationalité. Cette visite, en même temps qu’elle entraînait une violation de nos droits maritimes, aurait exposé à des vexations une branche croissante de notre commerce ; et bien que lord Aberdeen eût déclaré qu’on n’entendait pas détenir un navire véritablement américain dans les hautes mers, même alors qu’il aurait des esclaves à bord, et que l’Angleterre bornait sa prétention à constater par une visite et une enquête que le navire n’avait pas usurpé le pavillon américain, nous n’avons pas compris comment cette visite et cette enquête pourraient avoir lieu sans une suspension du voyage, et par conséquent sans une interruption du commerce. C’était, en réalité, le droit de visite présenté sous une autre forme et exprimé en termes différens. Je regardai donc comme un devoir de déclarer, dans mon dernier message annuel au congrès, qu’une pareille concession ne pouvait être faite, et que les États-Unis avaient à la fois la volonté et le pouvoir d’exécuter eux-mêmes, et sans le secours de personne, leurs lois contre la traite, et d’empêcher qu’on ne fît servir leur pavillon à un commerce prohibé par leurs lois et par la réprobation universelle du genre humain. Regardant ce message comme une instruction, notre ministre à Paris a présenté au gouvernement français une remontrance contre les conséquences possibles du traité conclu entre les cinq puissances, et sa conduite a été approuvée.

    « C’est en conformité de ces vues qu’a été rédigé l’article 8 du traité avec l’Angleterre. Il stipule que « chacune des deux nations maintiendra une force d’au moins quatre-vingts canons pour agir séparément et à part, d’après les instructions des gouvernemens respectifs, et pour l’accomplissement de leurs lois et obligations respectives. »

    « Par cet article, les principes du dernier message ont été maintenus, les stipulations du traité de Gand exécutées de bonne foi, et tous les prétextes d’une intervention étrangère dans notre commerce écartés. Les États-Unis, tout en préservant la liberté des mers, sont demeurés fidèles aux traités et à l’obligation d’empêcher un commerce réprouvé par leurs lois.

    « Un pareil arrangement fait par les autres gouvernemens suffirait pour anéantir la traite des noirs sans introduire un nouveau principe dans le code maritime, et nous avons droit d’espérer qu’il sera adopté par quelques-uns, sinon par tous. »