Drames de la vie réelle/Chapitre XXIV

J. A. Chenevert (p. 77-78).

XXIV

Les préoccupations et la fièvre résultant des graves événements politiques qui avaient lieu, dans le Bas-Canada, lors de notre récit, absorbaient tellement la population, que le meurtre horrible du mari de Julie attira peu ou point l’attention pendant les premiers jours, pour, en outre, la bonne raison que ça prit et ça devait prendre beaucoup de temps avant que le fait fût 'connu le la population, car il n’y avait point alors de bateaux à vapeur, de chemins de fer, de télégraphe, de téléphone, et, à part ces merveilleuses choses, que la diligence e la malle-poste de Sa Majesté remplaçait, les gazettes étaient rares, et on n’en faisait pas alors métier lucratif comme aujourd’hui. Les nouvelles à sensation dans les papiers-nouvelles n’étaient, du reste, connues que par le très petit nombre.

Cependant la nouvelle de ce drame palpitant devant passer par la Cour d’Assise, si on parvenait à mettre la main sur l’assassin, devait nécessairement se répandre lentement mais avec certitude, de paroisse en paroisse à partir du bas où le crime avait eu lieu, jusqu’à Québec, et de là à Trois-Rivières, à la grande consternation de Tante Sophie, qui on n’en doute pas, ne fut point lente à la communiquer à tous les habitués de l’hôtel Bernard, ainsi qu’aux passagers, à chaque arrivée de la diligence venant de Montréal, avec, on le pense bien, force commentaires.

Tante Sophie était l’amie sincère de Julie et même son admiratrice.

Ce ne fut toutefois que lors du rapport officiel du fiasco de l’huissier chargé de l’arrestation de l’assassin — car c’était bien lui — que le récit du drame parut dans les rares journaux, et avec force réticences, les familles que le drame concernait étant de premier ordre, en sorte que le silence s’imposait, au moins quant aux détails. C’est ainsi que, n’y ayant et ne pouvant pas y avoir procès (l’extradition entre le Canada et les États-Unis d’Amérique étant alors sinon inconnue, du moins impraticable), le meurtrier du mari de Julie eut fort embelle de gagner la Nouvelle-Orléans, ainsi qu’il en avait prévenu son confrère de St-Ours, et c’est là que nous le retrouverons plus tard.