Drames de la vie réelle/Chapitre XXII

J. A. Chenevert (p. 75-76).

XXII

Le papier que l’assassin avait laissé au Docteur était une procuration autorisant ce dernier à vendre ses meubles, sa maison, et de remettre £50 à sa ménagère, et il avait signé ; mais sur une autre feuille il disait de lui adresser la balance sous un nom d’emprunt, George Black, poste restante, à la Nouvelle Orléans, jusqu’à contre ordre……, suppliant de garder le secret de cette dernière partie.

L’excellent homme, à cette lecture, et après ce qu’il venait d’apprendre, était atterré, et comme il prenait une part active au mouvement patriotique d’alors, cette aventure le rendait encore plus nerveux. Cependant il résolut de faire bonne contenance et d’attendre les événements sans rien dire.

Son attente ne fut pas longue, car, durant la soirée, avant dix heures, peu après son retour de l’assemblée de St-Charles, il reçut la visite de deux huissiers dont il connaissait l’un de Sorel, l’autre étant un étranger.

L’assassin du mari de Julie avait bien fait de se hâter de suivre le conseil du Grand-Vicaire. En effet, à peine ce dernier venait-il de remettre sa lettre au charretier contenant sa réponse au curé de *** ainsi que nous l’avons constaté précédemment, qu’un personnage étranger arrivait de Berthier, à l’auberge du père G…… se faisait servir une forte rasade de bon rhum, s’enquérait de la demeure d’un huissier de l’endroit qu’on lui indiqua.

Il partit aussitôt. Arrivé là, notre homme se fit connaître comme un collègue et porteur d’un mandat d’arrestation bien en règle de la personne du Docteur ***. Tout en exhibant ses papiers, il sortit deux pistolets chargés, en remit un à son collègue, garda l’autre et : En route, mon brave, dit-il……

Ce dernier le paralysa en lui annonçant le brusque départ de l’assassin, ce qu’il savait, étant le voisin du père Charlot. On résolut de faire la chasse, et on partit aussitôt possible allant vers St-Ours, le jeune garçon qui avait accompagné le père Charlot ayant rapporté que c’était le chemin qu’on avait pris. Rendus à mi-chemin, entre Sorel et St-Ours, on fit la rencontre de la voiture du père Charlot, son cheval au pas et paraissant éreinté. On s’enquit naturellement, et le père raconta que le docteur s’était fait mener d’un train d’enfer qu’il l’avait laissé chez le Dr D… et qu’il s’en revenait au pas après avoir fait boire son cheval. Sans dire un mot, les deux hommes fouettèrent le cheval et arrivèrent aussi à grand train chez le Dr D…… Celui-ci interrogé, répondit qu’en effet il avait eu la visite de son collègue, qui lui dit qu’il partait pour un long voyage, et qu’il lui avait laissé une procuration qu’il exhiba, et qu’il était reparti précipitamment, le Docteur ajoutant qu’il l’avait cru fou…… On fouilla cependant dans la maison et les alentours, puis après avoir pris un cheval frais, les deux huissiers continuèrent la chasse durant au moins deux jours et deux nuits, sans toutefois pouvoir atteindre le gibier de potence qui réussit à gagner la frontière, les deux huissiers de Sa Majesté s’en revenant bredouille.